La scène se passe à l'époque où Jésus commence à être très connu. De partout, on vient vers lui pour entendre son enseignement et le voir accomplir des actes miraculeux. Il a soulevé une vague d'espoir extraordinaire chez tous. Et voilà qu'il se met à sélectionner ceux qu'il appelle à le suivre. C'est quelque chose de totalement inhabituel pour l’époque. Dans l'Antiquité, c'étaient en effet les disciples qui allaient vers un Maître et demandaient à être choisis par lui.
Une parole surprenante
«Toi, suis-moi»lance Jésus à cet homme. Et l'homme de répondre: «Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’abord de faire mes adieux à ma famille». Mais Jésus lui rétorque: «Celui qui regarde derrière lui au moment où il se met à labourer avec sa charrue n’est pas prêt pour le règne de Dieu» (1). Quelle douche froide! Quelle incompréhension chez tous ceux qui ont entendu cette phrase cinglante de Jésus! Plus de 2000 ans après, nous avons encore des difficultés à bien l’entendre.
Car qu'y a-t-il de mal à prendre le temps, comme le suggère cet homme, de retourner auprès de sa famille pour lui expliquer son nouveau choix de vie? Jésus voulait-il vraiment qu'il abandonne sur-le-champ sa famille et aller ainsi à l'encontre des règles de savoir vivre les plus élémentaires? N’est-ce pas la Bible elle-même qui dit: «Honore ton père et ta mère» (2)?
Le but de Jésus
Par sa réponse, Jésus amène cet homme sur un terrain encore plus profond que celui des choix et de leur incidence sur le cours d'une vie. Il est en train de lui parler de ce qu'il place au coeur même de son intimité, ce qui le préoccupe, ce qui habite ses rêves. Sans doute Jésus avait-il senti que ses intentions n'étaient pas claires et qu'il n'était pas assez libre au fond de lui.
Jésus, en lui répondant de façon si lapidaire, veut aider cet homme à prendre conscience qu'il a jusqu'ici placé autre chose que Dieu comme la priorité la plus absolue de sa vie. Il ne pourra jamais être son disciple s’il n’affronte pas d'abord ce qui l'empêche d'entrer dans une vie nouvelle.
Une parole qui nous heurte. Pourquoi?
Nous avons des difficultés à entendre Jésus d’abord parce que nous tenons aux choses que nous avons. Nos biens et nos relations nous donnent un sentiment de sécurité, d'appartenance. Avouons que Jésus nous déstabilise.
Ensuite, on pourrait objecter à Jésus son côté absolu. Qui dans ce monde peut vraiment vivre sa vie de cette façon-là?
À l'époque de Jésus, les mentalités étaient encore marquées par la vie d'hommes comme Diogène, membre du courant philosophique des cyniques. Leur idéal était de se détacher de tout en vivant dans le dénuement le plus complet. Jésus nous invite-t-il à poursuivre vraiment ce genre d'idéal? S’agit-il vraiment d’un cheminement vers le renoncement le plus total?
Renoncer pour s’ouvrir
Le renoncement auquel Jésus appelle est intérieur, spirituel. Exprimé autrement, Dieu nous dit qu'il veut que nous l'aimions plus que tout. Et en présentant cet amour comme un impératif absolu, il veut que nous prenions conscience que c’est, en fait, impossible.
D'une certaine manière, il veut que nous réalisions que nous sommes comme en faillite. En faillite d'amour et de vraies priorités de vie. Il nous invite à penser à la croix où Jésus a offert sa vie, renonçant à tout pour nous, afin que nous puissions être réconciliés avec Dieu. C’est alors que nous recevrons la force de nous détacher de nous-mêmes et de nous tourner entièrement vers lui. Non pas pour perdre ces choses auxquelles nous tenons, mais pour mieux les retrouver, pour savoir les remettre à leur place.
Réaliser que notre cœur partagé est un des premiers pas vers la réconciliation avec nous-même et avec Dieu, notre Père. C'est le démarrage d'un processus de rapprochement et de relation d'intimité vers lui. C'est par là que nous nous ouvrons à la vie nouvelle qu'il nous offre. Jésus ira même jusqu'à dire: «Cherchez d'abord le royaume de Dieu et toutes choses vous seront données en plus» (3). C'est absolu, mais possible par l'oeuvre de son Esprit en nous! C'est la marche de tout homme et femme qui ont choisi de le suivre ! Un appel à la liberté!