J’ai longuement hésité à évoquer cette thématique dans mon édito. Le risque d’être taxé d’hypocrite est en effet assez grand... Ceux qui me connaissent savent ma propension à surcharger mon emploi du temps, à en faire trop, à ne pas savoir dire non. Et, puisque je me connais aussi un peu, je sais que ce qui motive ma surcharge pastorale n’est pas toujours des plus sains… Pourtant, malgré mes craintes et autres réticences, la récente lecture du livre Un cœur de berger d’Eugene Peterson m’a fait changer d’avis(1). Dans un des premiers chapitres, et en seulement quelques pages, il a su trouver les mots justes, des mots que je n’avais jamais entendus auparavant, des mots très durs mais qui m’ont néanmoins convaincu. Des mots qui, je l’espère, me motiveront à mieux faire, à changer, à devenir un meilleur pasteur : un pasteur maître de son agenda parce qu’il sait ce qui importe vraiment dans son ministère.
Quels sont ces mots de Peterson, aussi connu comme étant « le pasteur des pasteurs » en Amérique du Nord ? Selon lui, les adjectifs « occupé » ou « chargé » adossés au nom commun pasteur ne sont pas les symptômes d’un engagement du pasteur dans son ministère, mais plutôt d’une trahison de son ministère. Il n’est pas question de dévotion du pasteur, mais de capitulation ! En effet, selon Peterson, un pasteur devient « chargé » pour principalement deux raisons.
Premièrement, parce qu’il est vaniteux. C’est son désir de paraître important qui le pousse à être sans cesse occupé, à travailler jusque tard dans la nuit, à répondre à toutes sortes de sollicitations. Un emploi du temps rempli n’est-il pas la preuve qu’il est important ?… que je suis important ? Nous vivons dans une société où c’est en effet le cas : plus quelqu’un est occupé, surchargé, plus il est important. Ainsi, en chargeant mon agenda, j’espère moi aussi que mes cernes sous les yeux, que mon allure pressée et que mes incessantes remarques quant à « tout ce qu’il y a à faire », quant au « puits sans fond » que constitue le ministère pastoral, seront remarqués. Et c'est ainsi que ma vanité sera bien nourrie…
Deuxièmement, un pasteur est chargé parce qu’il est paresseux, parce qu’il laisse à d’autres que lui le soin de décider ce qui doit se trouver dans son agenda. Un pasteur surchargé est quelqu’un qui, bien souvent, laisse ceux qui ne savent pas ce que signifie le ministère pastoral remplir ses propres journées. C’est que, pour ces gens bien intentionnés, tout ce qui a trait, de près ou de loin, à « la religion », « aux choses de Dieu », doit trouver une place dans le calepin du pasteur. Cela va de soi… Eh bien, quand un pasteur se laisse dépasser de la sorte par les attentes de ces gens, c’est certainement parce qu’il est trop paresseux pour décider lui-même du contenu de son agenda. Il est vrai qu’il faut faire certains efforts pour refuser telle ou telle sollicitation. Il est vrai aussi que de dire non, c’est risquer d’être taxé de paresseux ! Mais voilà : si je remplis vainement mes journées d’activités visibles, ou si je laisse les autres remplir ces journées de leurs demandes impérieuses, je n’ai pas le temps de faire le travail qui m’incombe vraiment, l’œuvre pour laquelle j’ai été appelé. Et Peterson de conclure : « Comment puis-je persuader une personne de vivre par la foi et non par les œuvres si je dois jongler constamment avec mon agenda pour que tout y rentre ? ». En d’autres termes, quel exemple suis-je pour ma communauté quand je suis si chargé ?
Un retour aux essentiels, aux fondamentaux du ministère pastoral et de la vie chrétienne en général (la prière, la prédication, l’écoute…), n’est-il pas à l’ordre du jour pour bon nombre d’entre nous ? Si c’est le cas, le contenu de ce numéro des Cahiers de l’École Pastorale sera, à n’en pas douter, une aide précieuse. Dans celui-ci, une part belle est en effet donnée à la spiritualité et à la piété du pasteur, au travers des articles d’Étienne Lhermenault et de Charles Nicolas. Que ceux-ci vous encouragent et vous fortifient. Bonne lecture !