Chroniques de livres - Hokhma 109

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Thérèse Glardon , Ces psaumes qui nous font vivre  –  le spirituel au cœur de l’existentiel , Le Mont-sur-Lausanne, Éditions Ouverture, 2014, 174 pages. ISBN : 9782884133142. 22 € / 30 CHF.

Les abonnés à Hokhma connaissent bien Thèrèse Glardon : ils ont pu lire plusieurs articles de sa plume. Rappelons qu’elle a été professeur d’hébreu à la Faculté de Théologie de Lausanne et qu’elle est aujourd’hui encore formatrice d’adultes et présidente de l'Atelier Romand de Langues Bibliques. Sa double formation théologique et psychologique lui permet d’offrir aux lecteurs une approche très riche d’un choix de psaumes qu’elle présente dans cet ouvrage : à une exégèse sérieuse, elle ajoute en effet des réflexions psychologiques qui nous rendent très proches des auteurs bibliques et de leurs poèmes vieux de près de 3000 ans ! A la page 11, elle donne les thèmes actualisés des psaumes étudiés. Cela nous donnera une bonne idée du contenu des divers chapitres et de la manière dont elle applique ces psaumes à notre époque :

- Oser choisir (Ps 16)

- Stress et détresse (Ps 3)

- Accueillir l'enfant intérieur (Ps 131)

- Descendre au cœur de sa douleur (Ps 51)

- Chanter les recommencements (Ps 40)

- Prier avec son corps (Ps 63)

- Cherche avocat désespérément (Ps 94)

- Visage de tendresse (Ps 103)

- Qui nous fera voir le bonheur? (Ps 1; 34; 23)

Pour chaque psaume étudié, Thérèse Glardon nous livre une traduction originale qui tient compte de sa structure, souvent établie en s’inspirant de Marc Girard. Suivent des explications qui apportent d’utiles éclairages sur les sens de certains termes du vocabulaire des Psaumes, sur l’anthropologie et la théologique bibliques ; ces explications, loin de l’étalage gratuit de science, apportent réellement quelque chose à la compréhension du psaume : elles aideront le lecteur à en saisir le sens dans son contexte original. Mais les réflexions psychologiques et spirituelles ne sont pas loin : le lecteur y trouvera facilement une application concrète pour sa vie personnelle. Ainsi, les psaumes nous sont rendus proches, concrets et actuels.

Cet ouvrage renouvellera et enrichira la méditation personnelle des Psaumes aussi bien que la lectio divina en groupe et la préparation d’études bibliques ou de prédications.

Alain Décoppet

Maurice Hadjadj, L’Apocalypse ou le triomphe de Jésus-Christ, Saint-Légier, Éditions Emmaüs, 2015, 406 pages. ISBN: 978-2-940488-27-8. 34 CHF.

Maurice Hadjdaj est actuellement pasteur « à la retraite », après avoir exercé son ministère au sein de diverses églises de l’Union des Églises Évangéliques Libres de France. Il a suivi son cursus théologique à l'Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et à la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine.

Pour l’auteur, l’Apocalypse n’est pas un récit énigmatique qu’il faudrait décoder comme les Centuries de Nostradamus, afin de savoir ce qui va se passer dans l’avenir. Non, l’Apocalypse est d’abord « Révélation de Jésus-Christ » (1,1), dans le sens qu’elle nous dévoile la personne de Jésus. Ce christocentrisme est incontestablement un point fort de ce commentaire. Il nous évite les interprétations extravagantes et fantaisistes de certains interprètes qui, à force de vouloir faire coller la ‘‘prophétie’’ à l’actualité sont sans cesse obligés de donner de nouveaux noms aux personnages symboliques du texte biblique. « On a trop souvent négligé le fait que ce livre (l’Apocalypse), écrit Maurice Hadjadj, n’annonce pas à proprement parler les événements de la Fin historique du monde, mais surtout qu’il dévoile les lignes maîtresses qui, dans l’histoire de ce monde, le mènent inéluctablement vers sa Fin » (p. 467). Tout au long de son commentaire, il essaie de mettre en évidence les deux intentions claires de Jean de Patmos lorsqu’il rédige son Apocalypse : « fortifier la foi et l’espérance que ses destinataires placent en Jésus-Christ tandis qu’ils sont en butte à l’hostilité ambiante ; et les éclairer sur le mal qui ronge la société humaine et qui peut les menacer. » (p. 465). Jésus y est certes présenté comme un juge (notons que ce jugement est d’abord provoqué par la Parole du Christ qui impose un choix et une prise de position face au Christ) ; mais Jésus est aussi présenté comme un médecin qui diagnostique le mal pour que le malade puisse adopter une hygiène de vie spirituelle propre à sa guérison et à sa santé.

Le lecteur appréciera de trouver, à la fin de chaque section, un résumé qui en fait la synthèse. En revanche, on n’y trouvera pas de plan montrant d’une manière très poussée la structure de l’Apocalypse, comme on en trouve par exemple dans les deux tomes du commentaire de Jean-Pierre Charlier ( Comprendre l’Apocalypse , Paris, Cerf, 1991).

Ce commentaire se rattache au courant idéaliste dont le défaut est à mon avis de ne pas suffisamment prendre en compte l’ancrage historique de l’Apocalypse. Cela apparaît notamment dans l’analyse des chapitres 2 et 3, où Maurice Hadjaj accorde peu d’importance à la situation historique des Églises auxquelles s’adresse l’apôtre, alors qu’à mon avis cela apporte un éclairage crucial pour leur compréhension. De même, dans l’interprétation des 4 cavaliers (Ap 6,1-8), il veut tellement y voir le Christ qu’il arrive même à le trouver dans chacun d’eux ! Si cette interprétation est tout à fait défendable pour le premier cavalier, le blanc, elle me paraît en revanche beaucoup plus discutable pour les trois autres : ainsi, à la page 111, par exemple, il voit dans le cheval rouge qui enlève la paix sur la terre (Ap 6,4), une figure du Christ venu amener l’hostilité du monde envers ses disciples (Jn 15,18s ; Mt 24,9s). L’épée donnée au cavalier serait la Parole de Dieu (Ap 1,16) qui, en jugeant les hommes, déclencherait la persécution contre les chrétiens. Le verbe sphazô appliqué généralement dans l’Apocalypse au Christ immolé ou au martyre des serviteurs de Dieu irait dans ce sens. Mais on est obligé, pour faire tenir cette interprétation, de passer comme chat sur braise sur l’expression « l’un l’autre – allèlous » qui lui est jointe et cadre mal avec cette interprétation.

J’ajouterais encore que ce commentaire, à mon sens, entre essentiellement en débat avec les différentes approches de l’Apocalypse qu’on trouve à l’intérieur du monde évangélique. Il n’entre guère, sinon incidemment, en dialogue avec les grands commentaires de la critique historique. La bibliographie qui ne les cite quasiment pas en est la preuve. Il apportera donc, surtout au monde évangélique, une approche renouvelée et renouvelante qu’on aurait tort de négliger.

Alain Décoppet

Roland Meynet, Huit psaumes acrostiches alphabétiques , Rome, Pontificio Istituto Biblico, 2015, 305 pages. ISBN : 978-88-7839-315-8. 28.50 € .

Les habitués de mes recensions connaissent Roland Meynet dont j’ai présenté plusieurs ouvrages avec enthousiasme. Rappelons qu’il est professeur émérite de Nouveau Testament de l’Université Grégorienne de Rome. A la fois linguiste, théologien et bon connaisseur du monde sémitique (il a séjourné plus de 20 ans au Liban et en Israël), il a considérablement élargi le chemin ouvert par Looth, Jebb, Boys, etc. pour amener à étudier les textes bibliques selon les canons de la rhétorique sémitique et non plus ceux de la rhétorique gréco-romaine.

Ce nouvel ouvrage m’a une nouvelle fois convaincu de la pertinence de la méthode utilisée. Il étudie les huit psaumes acrostiches alphabétiques du psautier (9-10, 25, 34, 37, 111, 112 (2 psaumes jumeaux), 119, 145). La question qui se pose à leur sujet est la suivante : Le fait qu’ils soient acrostiches, c’est-à-dire composés en suivant l’ordre de l’alphabet hébreu, est-il leur seule structure ? ou y a-t-il, superposée à l’ordre alphabétique, une autre structure à découvrir pour préciser le sens de chaque psaume ? L’analyse, selon les lois de la rhétorique biblique et sémitique, présentée pour chacun d’eux par Roland Meynet ne laisse aucun doute : ces huit psaumes ont tous une architecture, savamment articulée, qui permet d'entrer dans leur logique et de mieux comprendre leur message.

Patiemment, vers par vers, morceau par morceau, partie par partie, l’auteur déploie devant nous le texte biblique, indique les relations entre chacun de ses éléments. Le sens apparaît au divers niveaux des structures qui se répondent, comme dans les diverses parties et les mouvements d’une symphonie. Parfois les psaumes forment de jolies petites maisons, comme les villas jumelles des psaumes 111-112, parfois une somptueuse cathédrale à l’architecture sophistiquée, comme le Psaume 119.

Ce que je trouve génial dans l’approche de Roland Meynet, c’est que le commentateur s’efface derrière la Parole de Dieu ; et c’est elle qui nous parle, nous touche et accomplit son œuvre dans notre cœur. Les résultats de ce riche travail combleront aussi bien l’exégète professionnel, le pasteur préparant une étude biblique, une prédication ou un moment de lectio divina ou encore le simple amateur de la Bible qui ferait l’effort de le lire.

Alain Décoppet

Timothy Keller, Une Église centrée sur l’Évangile  : La dynamique d’un ministère équilibré au cœur des villes d’aujourd’hui, Charols, Excelsis, 2015, 655 pages. ISBN : 978-2-7550-0240-9. 43 CHF ou 32 €.

L’édition française du magnum opus de Timothy Keller se présente comme un véritable livre de cours résumant les grandes thèses de la « vision théologique particulière du ministère » (p. 21) de l’auteur, un pasteur protestant (presbytérien) américain qui en 1989 fonda l’Église du Rédempteur à New York dans le quartier de Manhattan. Avec ses tableaux et encarts, ses définitions et résumés, ainsi que ses questions pour la discussion et la réflexion, c’est un ouvrage qui a manifestement le souci de l’argumentation logique comme de la présentation pédagogique pour en faciliter l’accès au lecteur.

Si le sommaire au début du livre mentionne huit parties, c’est le chapitre d’introduction qui explique leur répartition dans trois sections distinctes qui correspondent aux « trois axes de l’équilibre » (p. 18) à trouver et à maintenir, selon Keller, pour un renouveau/réveil spirituel dans et au travers de l’Église locale : (1) L’Évangile – cette section développe en deux chapitres une théologie de l’Évangile marquée par la grâce, soucieuse d’éviter le légalisme autant que le relativisme ; (2) La ville – cette section articule en trois chapitres le besoin d’une contextualisation de l’Évangile permettant de s’impliquer en milieu urbain en tenant compte de ses spécificités culturelles ; et (3) Le mouvement – cette section cherche à promouvoir dans les trois derniers chapitres un concept dynamique d’Église-en-mission qui cherche à répondre aux besoins des citadins tout en tenant compte de leurs milieux culturels respectifs. Il est à noter que, contrairement aux mouvements pentecôtistes et charismatiques, Keller oppose sa conception propre du renouvellement aux types de réveils qui mettent en avant l’œuvre du Saint-Esprit sous forme de signes et prodiges, miracles et guérisons (p. 69).

Notons aussi que l’édition française de Une Église centrée sur l’Évangile a la spécificité d’avoir en supplément deux chapitres inédits traitant respectivement de la situation du Québec canadien (Glenn Smith) et de l’Europe francophone évangélique (Daniel Liechti).

L’ouvrage est d’une grande richesse de par sa réflexion pluridisciplinaire : historique, sociologique, et bien sûr biblique et théologique. Bien qu’une grande partie soit dédiée à des concepts et à des principes, il vise à faire le plaidoyer d’une démarche concrète. Il n’est pas question pourtant pour l’auteur d’offrir des recettes simples et faciles à suivre. Il s’agit néanmoins d’un guide-pratique de missiologie qui non seulement souligne l’importance de la nature missionnaire de l’Église dans un contexte postchrétien et postmoderniste (NB : Keller préfère l’expression modernité tardive ), mais s’intéresse à l’ agir missionnaire de l’église locale et donc au fonctionnement pratique d’une communauté appelée « missionnelle » (NB : cet adjectif n’est à ce jour défini par aucun dictionnaire français). Pour ce faire, Keller s’appuie pour l’essentiel sur le concept relativement récent (fin du XX e s.) de missional church , particulièrement populaire dans les milieux évangéliques (p. 383), dont il est une des figures de proue aux États-Unis. Le néologisme anglais missional church qui connait une variété d’usages dans le monde anglo-saxon est traduit ici par un anglicisme repris dans plusieurs articles et ouvrages en langue française : « Église missionnelle »

Pour Keller une lecture de type évangélique de l’orthodoxie doctrinale n’est certes pas sans importance, mais ce qu’il souligne, c’est que proclamer l’Évangile comme une bonne nouvelle signifie le rendre intelligible au monde contemporain. C’est se concentrer sur la relation à la culture et à la société de l’Église locale. Par voie de conséquence, sa priorité absolue est l’expression concrète du ministère de l’Église en tant que présence au monde au travers de ce qu’elle met en œuvre : « chaque activité de l’Église est tournée vers l’extérieur » (p. 21). Selon l’auteur, le critère de réussite d’une Église centrée sur l’ É vangile n’est cependant pas un modèle unique ou une méthode particulière, mais plutôt le « fruit » d’une réflexion qui construit un pont entre l’Évangile et la culture environnante. Mais si ce qui compte, c’est de transformer le monde à tout prix, certains se demanderont si une telle approche pragmatique ne signifie pas – comme nous le dit un adage célèbre – que la fin justifie les moyens.

Si au départ la discussion autour du concept de missional church semble avoir été intimement liée à une nouvelle compréhension de la missio Dei (p. 383) dans le contexte œcuménique, il faut reconnaitre que ce mouvement naissant, plutôt critique vis-à-vis de l’Église-institution, a fini par développer un nouveau paradigme de l’efficacité missionnaire : une dynamique missionnaire dans laquelle « rattacher correctement l’Évangile à la culture » devient synonyme de « développer des mouvements d’Églises qui visent à implanter de nouvelles Églises » (p. 372). Dans le prolongement d’une tradition bien protestante et une perspective résolue de « vision pour la ville tout entière », Keller revisite la notion ecclésiologique d’identité territoriale. Il se fait l’avocat d’une multiplication (illimitée ?) d’Églises locales tout en encourageant, affirme-t-il, « un état d’esprit de coopération avec les autres croyants » (p. 21). Ce phénomène d’implantation ne met-il pas cependant les Églises déjà existantes devant un fait accompli ? Si l’ambition de promouvoir des communautés de foi authentiques avec un regard résolu sur le monde extérieur sera sans nul doute jugé fort respectable par beaucoup, certains s’inquiéteront d’une approche partielle de l‘unité visible des chrétiens dans un même contexte urbain. « Mettre l’accent sur l’unité » se limiterait-il pas chez Keller à une volonté de coopérer avec des « partenaires de ministère » dont le positionnement théologique (évangélique ?) reflète une vision et une « dynamique de mouvement » similaires voire identiques ? On risque ainsi tacitement d’écarter « une Église ou organisation très institutionnalisée » (p. 534), en particulier les Églises traditionnelles non protestantes ? Il ne faut pas oublier non plus que le contexte religieux et culturel européen est très différent de celui de l’Amérique du Nord. En Europe, certaines de ces Églises séculaires connaissent d’ailleurs des mouvements de renouveau importants en leur sein (par exemple l’Église catholique romaine en France et l’Église d’Angleterre).

La stratégie d’implantation d’Églises selon Keller serait-elle à l’abri de toute véritable critique ? Pour légitimer son approche, il affirme sans équivoque que Jésus est « l’implanteur d’Églises par excellence » (avec Églises au pluriel), se basant sur l’argument biblique suivant : Jésus « bâtit son Église » au singulier (p. 548). Cela ressemble à un raccourci qui rend accessoire tout débat œcuménique véritable. Y a-t-il un risque (calculé ?) qu’au gré des initiatives entrepreneuriales, le désert (spirituel) ne se transforme en jungle (multiconfessionnelle voire a-confessionnelle) ? La visibilité de l’Évangile ne passe-t-elle que par une plus grande visibilité de ceux qui sont identifiés (mais par qui et selon quels critères ?) comme « croyants authentiques, vivant localement » (p. 606) ? Quelle importance attribuer à une visibilité tangible de l’unité des chrétiens toutes traditions et sensibilités confondues ? La question œcuménique pourrait bien être (et rester) la question qui fâche.

En aidant le lecteur à se poser les bonnes questions et en reconnaissant que la diversité des réponses apportées pourra conduire à différentes voies d’accès, il faut admettre que l’intérêt de ce livre est incontestable et que sa lecture restera incontournable pour quiconque s’intéresse à l’actualité de l’Évangile pour notre temps et au devenir de l’Église au XXI e siècle.

Raymond Pfister

Gabriel Monet, L’Église émergente : Être et faire Église en postchrétienté , Collection « Théologie Pratique Pédagogie Spiritualité », Volume 6, Münster : LIT, 2014, 432 pages. ISBN : 978-3-643-90498-0.

Gabriel Monet est pasteur de l’Église Adventiste du 7 ème Jour et professeur de théologie pratique à la Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève en Haute Savoie. Il est aussi le directeur du Centre José Figols, le centre de recherche et de documentation en théologie pratique de cette même Faculté.

Le présent ouvrage est la publication d’une thèse de doctorat soutenue par l’auteur en juin 2013 à l’université de Strasbourg dans le cadre de l'école doctorale de théologie et sciences religieuses, en partenariat avec la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Le Chapitre de Saint-Thomas, qui récompense des travaux de thèses consacrés à des questions novatrices, lui décerna en 2014 le prix universitaire « Louis Schmutz » pour la qualité de ses travaux de recherche sur le sujet des initiatives ecclésiales nouvelles, identifiées sous l’appellation « Églises émergentes », malgré l’existence d’une pléthore de termes, selon l’aveu même de l’auteur (p. 32). Si ces nouveaux schémas ecclésiaux en situation de postchrétienté représentent une réalité complexe, ils ont souvent les caractéristiques d’un courant réformateur apparaissant au sein de confessions existantes. L’émergence de dénominations nouvelles n’est cependant pas à exclure.

Dans la première partie du livre (pages 17 à 188), Monet pose avec une grande clarté les bases essentielles à la discussion : définition, typologie, caractéristiques, protagonistes, marqueurs et culture postmoderne (appelée culture émergente ) de ces communautés ecclésiales, toutes innovantes mais hétérogènes. Pour poser (et répondre à) la question de l’innovation et de l’adaptation de l’Église à la société contemporaine, l’auteur s’est tourné vers un courant de pensée, disparate à bien des égards mais qui a gagné en importance, qui a vu son apparition dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Australie et Grande-Bretagne) au tournant du millénaire (fin XX e et début XXI e s.) avant de trouver un écho favorable en Europe francophone. Comme en témoigne la liste des acteurs, promoteurs et contradicteurs, mentionnés dans le chapitre 4, l’auteur est entré en conversation pour cela avec une littérature essentiellement anglophone.

Le double défi de la fidélité à l’Évangile et de la pertinence culturelle sont continuellement au cœur du débat. Comme « une majorité d’émergents sont dans la mouvance protestante » (p. 147), on ne s’étonnera pas que la conception protestante de l’Église fasse de l’autorité de l’Ecriture, de la prédication de la Parole et de l’administration des sacrements des marques évidentes des Églises émergentes. On notera la valorisation du laïcat par la vision et les pratiques de ce nouveau mouvement ecclésial (p. 151). Son rapport à l’œcuménisme par contre connait de « réelles limites » en partie à cause du peu d’importance accordée aux structures, mais peut-être surtout parce que ses priorités sont tout autres (p. 134) et favorisent notamment l’émergence de nouveaux types d’appartenance (p. 343).

Conforme à la nature même de tout mouvement expérimental, on y trouve un foisonnement d’idées favorisant la fluidité de ses modes de fonctionnement. Monet distingue dans sa typologie les Églises centrées sur la mission, celles centrées sur le développement communautaire, et enfin celles centrées sur l’innovation liturgique.

Dans la seconde partie de l’ouvrage (pages 189 à 380), l’auteur ouvre un dialogue très prometteur avec le théologien et missiologue anglais Leslie Newbigin (1909-1998), présenté comme une des principales sources d’inspiration de ce mouvement. Pour faire face au processus de déclin de la chrétienté en Europe, Monet pose les jalons d’une ecclésiologie renouvelée et construite sur trois grands axes : (1) L’Église-en-mission (décrite par un néologisme/anglicisme, Église « missionnelle »), une conception selon laquelle l’Église n’a pas qu’une dimension missionnaire, mais a de par son être même (ou son ADN) une nature missionnaire d’origine divine qui touche tous les aspects de sa vie, en tant que promesse, vocation, communion et témoignage; (2) L’Église-en-contexte (appelée Église incarnationnelle sur le modèle du ministère de Jésus), une communauté de foi qui dans son rapport à la société réussit à s’approcher tout en marquant sa distance et sa différence, en étant à la fois transculturelle, contextuelle, contre-culturelle et interculturelle ; (3) L’Église-au-quotidien (appelée Église expérientielle ), une approche holistique intégrant intellect et émotions, expérience de vie et expérience spirituelle dans la communauté de foi et au travers d’elle.

Gabriel Monet a rendu un grand service au public francophone au travers d’une recherche multidisciplinaire (même si elle se réclame plus particulièrement de la branche de la théologie pratique). Par son travail précis, fouillé et courageux, il ouvre la voie vers de nouvelles pistes de réflexion dans les Églises des pays francophones. L’avenir du mouvement émergent dépendra certainement des réponses qui seront apportées à plusieurs questions essentielles que nous présente l’auteur dans sa conclusion. Je relèverai en particulier « la question de l’unité » qui reste une des questions majeures que soulève aujourd’hui l’existence des Églises émergentes (p. 387). Pour que l’Église soit une, sainte, catholique et apostolique, pour reprendre la formulation du symbole de Nicée, ne faudra-t-il pas encourager davantage une « évolution générale des mentalités » (Postface, p. 393) pour que son horizon théologique et pratique puisse mieux inclure la diversité et la pluralité que représentent les traditions catholique, orthodoxe, protestante, anglicane et pentecôtiste/charismatique ?

Raymond Pfister

La Bible, avec notes d’étude archéologiques et historiques, Société Biblique de Genève, 2015, 2135 pages. ISBN 978-2-608-18411-5. 64.90 CHF ou 54 €.

Quelques mois après sa sortie, La Bible, avec notes d’étude archéologiques et historiques ( Bible archéologique) est déjà un beau succès commercial, accompagné de nombreux commentaires élogieux. La Bible archéologique est en effet l’outil le plus abouti, en français, à la disposition du lecteur de la Bible s’intéressant aux questions historiques ou archéologiques. Il y trouvera une mine d’informations, illustrées et disposées agréablement au fil du texte.

La Bible archéologique est une adaptation de Archaeological Study Bible , (Zondervan, Grand Rapids, 2005) ; elle reprend le texte biblique de la traduction Segond 21 et elle l’agrémente de notes de bas de pages, d’introductions aux livres bibliques, de plus de 500 articles ou encadrés, et de diverses citations, illustrations et cartes. L’ensemble du matériel non-biblique est une traduction de la NIV Archaeological Study Bible (Zondervan, 2005) qui a été largement diffusée dans le monde anglophone. Dirigée par les vétérotestamentaires américains Walter C. Kaiser (Gordon-Conwell Theological Seminary), et Duane A. Garrett (Southern Baptist Seminary), l’équipe des rédacteurs est composée essentiellement de biblistes évangéliques américains peu connus (1) .

La traduction française est une version améliorée de l’Archaeological Bible puisque les informations ont été révisées par des spécialistes francophones (Matthieu Richelle, Ronald Bergey, Antony Perrot et Sylvain Sanchez) (2) . Ceux-ci ont tenu à mettre à jour certaines informations de la version anglophone, mais aussi à nuancer certaines conclusions sur des questions particulièrement débattues.

La Bible archéologique est une Bible d’étude bien particulière puisque l’ensemble du matériel non-biblique se focalise sur les données historiques et archéologiques. Les notes de bas de pages fournissent essentiellement des éclairages sur les lieux, personnages, coutumes ou éléments culturels mentionnés par le texte. Pour aller plus loin, les encadrés, disposés judicieusement au fil du texte, proposent un condensé des recherches historiques ou archéologiques sur une question donnée. Ces articles, généralement longs d’une page ou d’une demi-page, sont orientés autour de cinq thématiques : les sites archéologiques, les informations historiques et culturelles, les personnages et terres du passé, la fiabilité de la Bible et les textes et objets du passé. L’ouvrage est complété par une concordance sélective de près de 200 pages, qui sert également d’index pour les encadrés. Le tout, en couleur, est agrémenté de cartes, ainsi que de belles photographies de sites archéologiques et objets antiques.

L’approche des rédacteurs de la Bible archéologique est résolument évangélique et traditionnelle. L’historicité du texte biblique est défendue via divers encarts intitulés « fiabilité de la Bible » : on y trouve, par exemple, une critique de « l’hypothèse documentaire » (p. 14), une défense de « l’historicité des récits patriarcaux » (p. 68) ou un article qui attribue « la paternité de l’Apocalypse » à l’apôtre Jean (p. 1877).

La Bible archéologique reste toutefois relativement nuancée dans sa présentation des données historiques. Elle évoque les différentes hypothèses ou reconstitutions proposées par les spécialistes, tout en soulignant fréquemment la difficulté à trancher. Par exemple, la problématique de l’itinéraire emprunté par les Israélites lors de l’Exode est présentée à l’aide de trois encadrés, chacun expliquant une hypothèse : celle de la route du Nord, celle de la route du Sud et la thèse du Golfe d’Akaba. Les rédacteurs soulignent les avantages et inconvénients de chaque hypothèse, indiquent que la thèse de la route du sud est « la plus largement acceptée » mais qu’elle « n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes » (p. 102).

Si les données sont nombreuses, certains domaines m’ont paru mieux documentés que d’autres. J’ai regretté, par exemple, de ne trouver que peu d’informations sur les traités d’alliance du Proche-Orient ancien, et aucun exemple de traité de donation, ces documents fournissant pourtant des parallèles intéressants avec les textes d’alliance de l’Ancien Testament. Autre exemple, qui concerne le Nouveau Testament : je n’ai pas trouvé de présentation des groupes associatifs fréquents dans le monde gréco-romain, et dont la recherche récente a souligné certains parallèles avec l’organisation des premières communautés chrétiennes.

Sur la forme, on pourra regretter un manque de lisibilité dû, d’une part, à l’emploi d’une police de caractère trop petite pour un ouvrage de cette taille, d’autre part, à un papier trop transparent pour l’utilisation de la couleur, et enfin, au jaunissement de certaines pages pour un effet « parchemin ».

Malgré ces petits défauts, la Bible archéologique réussit le tour de force de résumer en un seul volume les données historiques et archéologiques les plus importantes pour la compréhension du texte biblique. Le format « Bible » est pratique : cela peut permettre de l’utiliser comme un compagnon à l’étude régulière de la Bible, ou de la consulter comme un outil dans le cadre de la préparation d’une étude biblique ou d’une prédication.

La Bible archéologique s’avère ainsi un apport indispensable à la bibliothèque de tout prédicateur ou enseignant, et, par extension, de tout lecteur de la Bible qui s’intéresse aux questions historiques ou archéologiques.

Timothée Minard

Corinne Egasse, Le lavement des pieds. Recherches sur une pratique négligée, Collection Christianismes antiques, Genève, Labor et Fides, 2015, 344 pages. ISBN : 978-2-8309-1580-8. 56 CHF ou 45 € .

Corinne Egasse est docteur en théologie de la Faculté de théologie et de science des religions de Lausanne. Elle travaille à la Faculté de Théologie Adventiste de Collonges-sous-Salève.

Le livre que nous présentons est la reprise de sa thèse de doctorat consacrée au lavement des pieds. Elle part de la question suivante : « Si Jésus a dit : ‘Vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres’, pourquoi le lavement des pieds n’est-il pas devenu un sacrement dans l’Église au même titre que la baptême et la sainte cène ? » L’occasion de cette question lui est fournie par Origène dans son commentaire sur l’Évangile selon Jean : il concède certes que ce geste peut être accompli par des chrétiens pour se rendre service, mais s’il s’agit d’une obligation impérieuse, « Il est temps de dire que presque tous ont transgressé cet ordre-là » (p. 10). Ce presque d’Origène a excité la curiosité de la chercheuse et l’a entraînée dans une enquête passionnante pour retrouver, dans l’antiquité, les quelques chrétiens qui pratiquaient le lavement des pieds.

Pour commencer, Corinne Egasse fait une recherche dans la littérature moyen-orientale, biblique et gréco-romaine pour établir les diverses significations du lavement des pieds dans l’antiquité. Elle le présente sous quatre aspects : un geste de soins corporels, une marque d’hospitalité, un symbole de servitude (il était souvent accompli par un-e esclave), un rituel de purification. Aux pages 65-66, elle souligne, exemples à l’appui, que ce geste, bien que servile, pouvait être accompli par amour.

A partir de cette base, l’auteur aborde les textes du Nouveau Testament qui parlent de lavements des pieds, comme les onctions à Béthanie, les veuves qui « ont lavé les pieds des saints (1 Tm 5,10) et s’arrête plus longuement au lavement des pieds de Jean 13. L’intérêt de son analyse est de montrer que l’acte de Jésus de laver les pieds de ses disciples n’est pas une démonstration d’humilité comme l’ont dit beaucoup de commentateurs, mais un acte d’amour et une investiture pour la mission ; les disciples « auront désormais part avec Jésus à l’œuvre confiée ‘par celui qui m’a envoyé’ » (p. 105). Cela fait penser à la forme proverbiale qu’avait prise, dans l’Antiquité, l’expression « se laver les pieds », pour dire avoir une initiation ou une formation préalable (pp. 64-65).

Après le Nouveau Testament, Corinne Egasse se lance dans une vaste enquête sur la pratique du lavement des pieds dans l’Église primitive. Il a été pratiqué dans les milieux judéo-chrétiens (p. 298), mais les témoignages sont rares, et il n’était quasiment plus pratiqué à partir du III e siècle. Preuves en soient le commentaire d’Origène, sur lequel l’auteur s’arrête longuement, et ceux de Chrysostome, Augustin, etc. Cependant, Ambroise de Milan atteste que le lavement des pieds accompagnait le baptême dans le Nord de l’Italie à la fin du IV e siècle. On en a encore des attestations en Espagne et en Gaule. Mais ce rite disparut avec la généralisation du baptême des enfants.

Aujourd’hui le lavement des pieds n’est plus beaucoup pratiqué, sinon par des Églises mennonites, adventistes, etc., et, du côté catholique, par les Communautés de l’Arche créées par Jean Vannier.

Ce livre qui, rappelons-le, reprend une thèse de doctorat, n’aborde que peu le côté pratique de ce rite. Néanmoins, il m’a fait réfléchir : « Pourquoi négligeons-nous de pratiquer ce geste qui correspond tout de même à une ordre de Jésus ? »

Alain Décoppet

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On notera que les traducteurs français n’ont pas pris la peine de mettre à jour les informations académiques concernant l’équipe de rédacteurs (p. ex., Jason S. DeRouchie est, depuis 2009, professeur associé au Bethlehem College & Seminary, et non plus au Northwestern College).
2.
Matthieu Richelle est professeur d’Ancien Testament à la Faculté de Théologie Evangélique (Vaux-sur-Seine), et chargé de cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE-Sorbonne). Ronald Bergey est professeur d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Sylvain Sanchez est chercheur à l’Institut de Recherche pour l’Étude des Religions (Paris). Antony Perrot est doctorant à l’EPHE-Sorbonne.

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