Enzo Bianchi, La violence et Dieu – pourquoi tant de cruauté dans la Bible ? Traduit de l’italien par Matthias Wirz. Collection « Parole en liberté », Éditions Cabédita, Bière 2015 – ISBN : 978-2-88295-721-4 – 96 pages, 16 € / 25 CHF.
Fondateur de la Communauté Œcuménique de Bose, en Italie, Enzo Bianchi est bien connu pour ses nombreux ouvrages de spiritualité, très marqués par la Bible. Avec La violence et Dieu, il signe un livre très stimulant qui vise à réhabiliter les Psaumes imprécatoires, où le psalmiste demande le châtiment de ses ennemis. Sont-ils conciliables avec l’Esprit de Jésus, avec le Nouveau Testament ? Beaucoup de chrétiens sont gênés de les lire et encore plus de les prier. C’est ainsi que dans la réforme liturgique entreprise dans la foulée de Vatican II, certains passages imprécatoires des Psaumes ont été supprimés des offices, sur décision expresse du Pape Paul VI.
Enzo Bianchi s’insurge contre cette manière de voir : renoncer aux Psaumes imprécatoires, c’est renoncer à tout dire devant Dieu, c’est s’autocensurer devant lui, c’est se croire meilleur que Dieu qui a inspiré ces pages. Ces Psaumes sont les cris de gens qui souffrent : les mettre de côté, c’est donc dénier la souffrance des victimes et se mettre du côté de leurs bourreaux. C’est, en fait, nier la réalité du mal et du péché. Le refus de ces Psaumes va souvent de pair avec une minimisation du mal et du péché. Le Nouveau Testament va dans le sens de ces Psaumes avec les malédictions de Jésus contre Chorazin et Bethsaïda (Mt 11,21) ; voir aussi 1 Co 5, Phil 3,2, etc.
Les Psaumes imprécatoires demandent à Dieu d’intervenir dans l’histoire pour mettre fin au mal. Mais Enzo Bianchi fait remarquer qu’ils sont une expression de foi, car leur auteur ne se venge pas lui-même, il attend patiemment, dans la foi, l’intervention de Dieu pour faire justice.
Enfin le prieur de Bose rappelle que ces Psaumes imprécatoires, Jésus les a accomplis en subissant sur la croix la malédiction que le psalmiste demandait pour ses ennemis. Il a été humilié, retranché des hommes. En les priant aujourd’hui, nous ne luttons pas seulement contre le mal qui nous est extérieur, mais aussi contre notre mal intérieur.
Bien sûr, il ne faut pas faire une lecture littéraliste de ces prières, mais tenir compte de leur caractère sémite, marqué par le côté concret de ce qui n’est qu’image (l’hébreu pratique peu l’abstraction).
Enzo Bianchi résume sa pensée à la p. 72 par une bonne définition de ces Psaumes imprécatoires et conclut par quelques pistes pour les lire et les méditer. Un tableau (pp. 86-88) en permet une lecture christologique, avec en vis-à-vis la référence du Psaume imprécatoire et son accomplissement par le Christ dans le Nouveau Testament.
Un livre viril, loin de « l’ecclésiastiquement correct » mièvre qu’on rencontre trop souvent aujourd’hui. Un livre qui m’a fait du bien.
Alain Décoppet
Eliette Randrianaivo, Cours d’hébreu biblique, Cumbria, Langham, 2015, 210 p., ISBN 978-1783688791, 16 €.
Voici une toute nouvelle méthode d’hébreu biblique proposée par une ancienne étudiante de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE). Titulaire d’une maîtrise en théologie, elle codirige actuellement l’Institut Supérieur de Théologie Évangélique (ISTE) à Antananarivo, Madagascar, avec son mari. L'auteure signale dans la préface à son ouvrage qu’elle n’est pas « une spécialiste de la langue hébraïque » et que l’ouvrage qu’elle propose est la collection de l’enseignement qu’elle a reçu d’Henri Blocher durant sa scolarité à la FLTE. Eliette Randrianaivo a elle-même remanié le contenu de ces cours en arrivant à Madagascar pour les dispenser à son tour à ses étudiants. Cet ouvrage est principalement destiné aux étudiants en théologie d’Afrique francophone.
« Ce cours d’hébreu biblique, composé de 47 leçons, a été conçu pour que les étudiants de 1ère année aient une bonne base en grammaire. En 2e année, ils vont s'initier à la syntaxe et commencer à lire les textes bibliques de la Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS), pris dans divers genres littéraires. » Le but fixé est qu’à la fin d’une année académique les étudiants aient les bases nécessaires pour entrer sereinement dans la traduction des textes de la Bible hébraïque.
La progression dans l’étude de la grammaire de l’outil est classique : les chapitres d’introduction sont suivis des principes phonologiques élémentaires (leçons 3, 4 et 5) puis de la formation des noms (leçons 8 et 9), des pronoms (leçon 10), etc. Vient ensuite l’apprentissage de la conjugaison du verbe qal à l’accompli (leçon 14), puis de la déclinaison des suffixes personnels (leçons 15 et 16) et l’on revient au verbe avec l’apprentissage de l'inaccompli (leçon 18). Les verbes irréguliers et faibles (leçons 34 à 47) sont abordés après avoir parcouru les sept paradigmes. Ainsi, la méthodologie qui consiste à apprendre les verbes faibles après l’ensemble des verbes forts à tous les paradigmes s'apparente à celle que J. Weingreen employait il y a quelques années. T. O. Lambdin, ou plus récemment encore I. Lieutaud, choisissent, quant à eux, d’aborder les verbes faibles au fur et à mesure de l’apprentissage des paradigmes, ce qui nous semble être la meilleure option sur le plan pédagogique.
Le contenu des leçons à proprement parler est assez satisfaisant. Malgré quelques maladresses qui pourront facilement être corrigées dans une éventuelle seconde édition, nous n’avons relevé aucune erreur majeure. Ainsi, nous avons particulièrement apprécié la leçon 1 sur l’alphabet et son tableau sur les modèles d'écritures de l’alphabet (p. 6) où la calligraphie est très clairement expliquée. Les sept règles autour des gutturales de la leçon 6 sont bien rédigées et très utiles pour un hébraïsant tout au long de son apprentissage. De manière générale, les leçons sont assez brèves, illustrées de nombreux tableaux. Elles vont à l'essentiel et se débarrassent de bien des fioritures grammaticales dont un étudiant de première année peut – et doit ! – se passer. En effet, d’autres manuels d’introduction à la langue contiennent certains paragraphes dont la technicité est comparable à celle de la grammaire d’hébreu biblique de P. Joüon. Il faut donc saluer le bel effort pédagogique de ce manuel.
Sur la forme, chaque leçon ou presque est accompagnée d’un encadré contenant un exercice et de quelques mots de vocabulaire. Ici, à l’inverse du manuel d’I. Lieutaud, les exercices sont conçus pour être réalisés sur un cahier à part, ce qui n’est peut-être pas le plus pratique. Généralement, ces derniers sont courts, parfois un peu trop ; l’ajout d’un ou deux exercices supplémentaires pour les leçons les plus difficiles permettrait d’aider l’étudiant à davantage fixer la théorie. Ainsi, on pourrait facilement imaginer qu’un corrigé d’une partie de ces exercices prenne place à côté du lexique hébreu-français à la fin de l’ouvrage.
Comme souvent, ce qui fait la force de l’ouvrage en fait aussi la faiblesse. Par exemple, l’introduction à l’hébreu biblique du premier chapitre est très sommaire et mériterait que l’on s’y attarde un peu plus. Par ailleurs, ne faudrait-il pas translittérer l’hébreu en caractères latins pour les deux ou trois premières leçons afin de rassurer l’étudiant qui se lance dans une langue très différente de celles qu’il a connues jusqu’à présent ? De même, certains tableaux mériteraient quelques indications supplémentaires pour rejoindre pleinement un non-initié.
On pourrait s’interroger sur la méthodologie qui consiste à apprendre les bases grammaticales de l’hébreu biblique la première année pour n’entrer dans les textes que l’année suivante. Selon nous, plusieurs points de grammaire peuvent être abordés tout en traduisant le texte biblique sans passer par un apprentissage systématique préalable. On peut aussi faire le choix de ventiler la grammaire sur deux années pour assurer des bases saines tout en motivant les étudiants les plus récalcitrants face à la grammaire hébraïque. De plus, le recours à la traduction de textes bibliques simples et connus dès le début de l’apprentissage permet de développer certains réflexes avec la langue et notamment avec la syntaxe. Pour certains, l’apprentissage exclusif de la grammaire sur une année pourrait se révéler un peu « sec », alors que la traduction assistée de textes bibliques leur permettrait d’assimiler plus rapidement les notions et leur procurerait une vraie joie de traduire le texte même de l’Ancien Testament. Enfin, nos méthodes françaises d’hébreu biblique, et plus généralement de langues mortes, gagneraient à s’inspirer, au moins en partie, des techniques d’apprentissage appliquées aux langues vivantes. C’est ainsi qu’on apprend l’hébreu moderne en Israël, sous le mode de l’oulpan (centre d’apprentissage intensif). Depuis peu, grâce à la méthode Polis, ces techniques, comme celle de la réaction physique immédiate (Total Physical Response, fondée sur une approche multi-sensorielle et gestuelle), sont appliquées à l’hébreu biblique, au grec koinè ou encore à l’arabe littéraire.
En bref, nous avons là une méthode de bonne facture qui réussit le pari de ne pas surcharger l’étudiant d’informations inutiles. On rejoint Bernard Huck quand il écrit dans la préface que « le cours d’hébreu biblique de Madame Eliette Randrianaivo n’innove pas considérablement, mais se repose sur des valeurs sûres et qui ont fait leurs preuves sur des générations d’étudiants ».
Antony Perrot
Richard Bauckham (éd), La rédaction et la diffusion des Évangiles : Contexte, méthode et lecteurs, Collection « Interprétation », Charols, Excelsis, 2014, EAN : 9782755002256, 280 p., 26 € / 39 CHF.
Les éditions Excelsis proposent la traduction française d'un ouvrage collectif qui a déjà largement trouvé sa place dans les débats en langue anglaise (The Gospel for All Christians. Rethinking the Gospel Audiences, 1998). Il remet en question un consensus presque omniprésent dans la recherche sur les évangiles depuis les années 1960, qu'il vaut la peine de présenter en quelques mots.
En effet, beaucoup de travail a été consacré à déterminer le vécu et la composition sociale des communautés matthéenne, marcienne, lucanienne ou johannique. Cela présuppose que chaque évangile a été écrit au sein d'une communauté bien déterminée et à l'usage de cette communauté. Ces « communautés » sont en outre considérées comme localisées et relativement séparées du restant de l'Église. Sur cette base, les évangiles nous diraient autant, voire plus, sur la situation de leurs communautés d'origine respectives que sur la vie de Jésus.
Le premier chapitre est une conférence de Richard Bauckham. Il y montre que le consensus sur la destination des évangiles pour des audiences très localisées a été largement présumé mais jamais réellement soutenu, et qu'il n'a pas fait l'objet d'un débat indispensable. Comme le restant de l'ouvrage, il argumente pour une destination large des évangiles. Chaque auteur se serait attendu à voir son évangile diffusé de manière très étendue, et aurait visé une audience aussi vaste que possible. Dès lors, on ne peut pas reconstruire les circonstances des destinataires compris comme groupe localisé et identifiable. Au lieu de cela, comme le montre le dernier article (F. Watson), il faut revenir à une lecture des évangiles au niveau littéral : considérer que lorsque les évangiles parlent de la vie de Jésus et de son enseignement, ils transmettent des informations sur la vie de Jésus de Nazareth et sa signification pour le salut de l'humanité plutôt que sur leur propre communauté.
Les différentes contributions développent les principaux arguments, qui sont déjà évoqués brièvement dans le premier chapitre ; ce dernier constitue véritablement une porte d'entrée pour comprendre l'argument général de l'ouvrage.
On peut relever notamment :
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la grande interconnexion des églises au premier siècle, manifeste dans les écrits du Nouveau Testament et rendue possible par les voie de communications de l'époque (M. B. Thompson) ;
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la manière dont les livres étaient produits et circulaient dans l'antiquité gréco-romaine (L. Alexander) ;
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le fait que les évangiles s'inscrivent dans le genre littéraire des biographies antiques (R. A. Burridge). Ce genre implique une focalisation sur la vie du personnage principal, un auteur bien défini, et une audience qui n'est pas limitée au groupe restreint des amis du protagoniste ou de l'auteur ;
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les problèmes méthodologiques que posent l'approche « communautaire » des évangiles ainsi que le manque d'accord entre les différentes reconstructions basées sur un même texte (S. C. Burton).
Tout au long du livre, les auteurs appuient leurs arguments sur les textes antiques comme bibliques. Ils présentent aussi de bons résumés sur l'évolution du regard porté sur les évangiles qui a mené au consensus qu’ils remettent en question.
Le livre comporte encore un second article de R. Bauckham avec une portée plus spécifique. Il y défend que l'évangile de Jean a été écrit en pensant à un lectorat qui connait celui de Marc ; Jean éviterait de répéter les épisodes présentés en Marc, mais donnerait les indices permettant d'harmoniser les deux récits. Il montre au passage que Jean suppose que ses lecteurs connaissent les personnages importants de Marc, mais présente en détail ceux qui lui sont propres, à l'inverse de ce que l'on attendrait d'un évangile adressé à une communauté johannique recluse.
En tout, la thèse centrale du livre est extrêmement convaincante et mérite d'être prise au sérieux. Sans éliminer l'ancrage historique des évangiles, elle a de quoi recentrer leur étude sur le véritable objet du Nouveau Testament : Jésus-Christ et son œuvre salvatrice.
L'ouvrage sera précieux pour tous ceux qui s'intéressent aux recherches contemporaines sur les évangiles. Il permettra de situer les approches centrées sur la communauté et de prendre du recul sur leur résultat. Même ceux qui ne seront pas convaincus gagneront à connaître ce livre, afin qu'ait lieu en français également le débat dont Bauckham déplorait l'inexistence – et qui a maintenant pris naissance grâce à cet ouvrage. L'intérêt du livre n'est cependant pas limité aux querelles de spécialistes, il donne également un très bon aperçu du cadre culturel et pratique de l'écriture et de la diffusion des évangiles. Il complétera avantageusement l'image que l'on se fait du monde littéraire et matériel où les évangiles sont nés, et ont pris leur essor.
Jean-René Moret
Daniel Marguerat, Les Actes des apôtres, Collection « Commentaire du Nouveau Testament (CNT) », Editions Labor & Fides, Genève.
[vol. 5a] Les Actes des apôtres (1-12), 2007 (2e éd. révisée en 2015), ISBN 978-2-8309-1229-6 (2e éd. : 978-2-8309-1573-0), 448 p., CHF 59 ou 49 €.
[vol. 5b] Les Actes des apôtres (13-28), 2015, ISBN 978-2-8309-1568-6, 394 p., CHF 56 ou 45 €.
Si les études sur les Actes des apôtres se sont multipliées ces dernières décennies, on manquait encore d’un bon commentaire exégétique en français. Avec la parution du second volume du commentaire de Daniel Marguerat sur les Actes des apôtres, le lecteur francophone a désormais un excellent outil de travail à sa disposition. Ce volume fait suite au premier, sur Actes 1 à 12, publié en 2007 et réédité à l’occasion de la sortie du second.
Daniel Marguerat, professeur honoraire de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes internationaux en ce qui concerne la recherche autour des Évangiles et des Actes ; sa bibliographie compte plus de 300 titres, et bon nombre de ses monographies ont été traduites en diverses langues. On se réjouira donc qu’il se soit attaché à produire un commentaire sur les Actes, qu’il considère d’ailleurs comme son « œuvre principale »1.
Si les lecteurs peuvent être quelque peu déçus par la petite taille de son introduction (15 pages), celle-ci peut s’expliquer par deux raisons. Premièrement, il s’agit bien d’un commentaire et non d’un ouvrage d’introduction. Dans sa préface au deuxième volume, il explique son approche :
« Le lectorat que je pense majoritaire ne parcourt pas le commentaire du début à sa fin, mais lit par péricopes ; j’ai souhaité lui livrer, dans le cadre de chaque péricope, le maximum d’informations dont il a besoin, sans multiplier les renvois internes ou postuler que telle information a déjà été captée en amont. » (vol. 5b, p. 7)
Deuxièmement, Daniel Marguerat a déjà longuement traité des questions introductives dans un ouvrage qui a fait date, La première histoire du christianisme : les Actes des apôtres (Cerf / Labor et Fides, Paris/Genève, 1999, 2003). L’exégète suisse date l’écriture de l’œuvre double à Théophile entre 80 et 90, et l’auteur, qu’il nomme pourtant « Luc », n’est pas le collaborateur de Paul. Toutefois, bien loin du scepticisme de l’école de Tübingen ou d’un Étienne Trocmé en leur temps, le bibliste se montre optimiste quant à la valeur historique du livre des Actes. Il explique que « Luc n’est pas plus subjectif que n’importe quel historien de l’Antiquité » (vol. 5a, p. 26) et souligne même le « souci d’exactitude de l’historien » (vol. 5a, p. 27). Par rapport à d’autres, Marguerat a tendance à minimiser la voix des sources utilisées par Luc. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le travail du rédacteur des Actes dont il souligne fréquemment le génie. Par exemple, l’exégète attribue souvent les discours des Actes à la plume de Luc plutôt qu’à telle ou telle source. Il montre cependant que Luc a dû le faire à la manière des historiens gréco-romains de son époque : quand ses sources sont silencieuses, il s’agit de reconstituer « sur la base des souvenirs qui lui ont été transmis, le probable discours qu’a pu tenir Paul », Pierre ou Jacques (vol. 5b, p. 38). Autre exemple, Marguerat attribue à Luc (et non à ses sources) les différences entre les trois récits de la conversion de Paul (Ac 9.1-31 ; 22.3-16 et 26.9-18) : elles sont voulues par l’auteur et relèvent ainsi d’une stratégie narrative. Enfin, l’auteur relativise fréquemment les prétendues incohérences historiques soulignées par d’autres exégètes, comme, par exemple, celles entre le récit du « concile de Jérusalem » (Ac 15) et le récit de Galates 2.1-10.
Suivant la ligne éditoriale de la collection du Commentaire du Nouveau Testament, chaque péricope est d’abord traduite de manière assez littérale. On notera l’emploi de quelques tournures assez surprenantes : « Et comme s’accomplissait le jour de la Pentecôte » (Ac 2.1) ; « Il est dur pour toi de ruer contre des aiguillons » (Ac 26.14). Il s’agit, dans ces cas-là, d’attirer l’attention du lecteur sur une formulation particulière du texte grec.
Après une sélection bibliographique bien fournie, s’en suit une analyse générale de la péricope. C’est dans cette partie que l’on trouve les discussions sur la structure du passage, sur les sources éventuelles, ou sur l’historicité du récit. L’analyse est généralement concise et précise ; l’auteur se veut plutôt consensuel et ne s’aventure pas dans d’hasardeuses reconstitutions. Cette approche m’a semblé tout à fait bienvenue : si les questions techniques ou historiques ne sont pas ignorées, l’exégète sait aller à l’essentiel et éviter les débats secs au possible.
Après l’analyse vient l’explication de la péricope : le commentaire proprement dit, verset par verset. Daniel Marguerat allie avec brio les informations sur le contexte historique et l’analyse narrative. On dégustera toute la science de l’auteur en ce qui concerne le monde du Nouveau Testament. Les informations sur le contexte historique sont bien choisies : on appréciera les nombreux éclairages venant de la littérature antique ou les encadrés permettant d’expliquer quelques aspects historiques importants. Quant à l’analyse narrative, elle n’est pas employée à la manière de certains exégètes qui « plaquent » les théories modernes du récit sur le texte biblique. Daniel Marguerat décortique le discours, mais il le fait à la lumière des techniques littéraires ou rhétoriques de l’époque de Luc. L’exégète insiste particulièrement sur la manière dont Luc fait se répéter les scénarios, comment il use de « chaînes narratives », ou comment, à l’aide de la syncrisis, il calque certains épisodes de la vie de Pierre ou Paul sur ceux de la vie de Jésus.
Le commentaire de chaque péricope se termine par un paragraphe intitulé perspectives théologiques. L’auteur, dans son souci de faire se rejoindre exégèse et théologie, y présente les principes théologiques que l’on peut tirer de la péricope. Cette dernière partie sera précieuse pour le prédicateur.
En conclusion, nous avons désormais à notre disposition, en langue française, un des meilleurs commentaires techniques sur les Actes des apôtres. Il ne s’agit pas d’un ouvrage qui révolutionnera l’étude du livre des Actes par de nouvelles théories, mais ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’un bon commentaire. Daniel Marguerat condense en 900 pages le meilleur de la recherche sur les Actes (et le champ est vaste !). Il l’agrémente de quelques éclairages personnels généralement judicieux ; le tout dans un style agréable à lire, l’auteur s’exprimant facilement à la première personne du singulier. Je situerais l’ouvrage de Daniel Marguerat dans le « top 3 » des commentaires exégétiques récents sur les Actes : moins technique, un peu moins précis, mais aussi moins sec que le commentaire de C. K. Barrett (A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles (ICC), T&T Clark, 1994-1998) ; plus condensé que l’œuvre monumentale de l’évangélique Craig Keener dont le commentaire, lorsque le 4e et dernier volume sera publié, devrait compter plus de 4000 pages (Acts : an Exegetical Commentary, Baker, 2012-). Le commentaire de Daniel Marguerat est, à ce jour, un outil de référence incontournable.
Timothée Minard
Michel Mallèvre, Les évangéliques. Un nouveau visage du christianisme, collection « que penser de... ? », Éditions Jésuites, Namur/Paris, 2015, ISBN 978-2-87356-652-4, 9,50 €.
M. Mallèvre, dominicain, a été le délégué national de l’Église catholique de France aux relations œcuméniques. Directeur de l’Institut Supérieur d’Études Œcuméniques de Paris, président de l’Association Francophone Œcuménique de Missiologie, membre du groupe des Dombes, c’est un acteur et un observateur averti qui met à la disposition du grand public cette sorte de « que sais-je ? » sur le monde évangélique. Il fournit en 120 pages bien documentées (l’auteur se réfère notamment aux travaux de Sébastien Fath) une information précise et nuancée sur les sources historiques, la diversité, les convictions doctrinales, éthiques, l’engagement social, les structures institutionnelles, les réseaux et les dialogues théologiques avec les autres Églises, de ce qu’il reconnaît comme une composante incontournable du christianisme contemporain. Une attention particulière est portée au monde évangélique francophone.
M.M. pointe les réserves que la culture évangélique, sur le plan du culte, de l’évangélisation, voire ses dérives (la théologie de la prospérité, par exemple) peuvent inspirer à la sensibilité catholique, mais il souligne leur dénonciation par le monde évangélique lui-même, et reconnaît que les façons nouvelles d’habiter la foi chrétienne qu’incarne cette composante du christianisme invitent tout catholique à remettre en cause ses propres pratiques et traditions. Tout le livre respire cette objectivité bienveillante, ce n’est pas la moindre des ses qualités.
Christophe Desplanque
Christophe Paya, Au cœur de la louange, Cléon d’Andran / Vaux sur Seine, Excelsis / Édifac, 2014, 184 p.
… Et si le temps des "consommateurs de louange" était révolu ? Le livre de Christophe Paya, professeur de théologie pratique à la FLTE de Vaux-sur-Seine, connu et apprécié pour de nombreuses publications, s’adresse à tous ceux qui, régulièrement ou non, se regroupent pour rendre un culte et présenter leur louange à notre Dieu. « La louange, c’est comme l’amour, il est difficile de dire ce qu’elle est en une phrase, mais tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit » (p. 17n). Sans jamais compliquer la thématique, l’ouvrage nous permet de passer de « l'à peu près » à une compréhension très pratique et fort bien documentée de ce qu'est ou peut être la louange.
Expression de notre « amour pour Dieu » qui répond à notre « amour de Dieu » (p. 17), la louange, élément à la fois personnel et collectif de notre culte, est une constante de l'expérience croyante dans la Bible et dans l'histoire de l'Eglise. Après un parcours au fil d'étapes bibliques (ch. 1), théologiques et pratiques (ch. 2), mais aussi historiques (ch. 3), l’auteur établit que l'expression collective de notre louange à Dieu requiert de notre part une recherche soigneuse de divers équilibres en matière de vérité, d'authenticité, d'unité. Notre louange, incarnée au quotidien, réaliste, joyeuse, admirative de la grandeur et de l'amour de Dieu, affirmera la foi, sans devenir pour autant l'opium du peuple, ou nous entraîner à oublier ou à laisser de côté ce que nous avons sur le cœur, mais en visant à orienter notre attitude vers notre Seigneur, à la fois transcendant et si proche. Trinitaire et christocentrique, elle recherchera constamment à faire la part entre intellect et émotions, entre le corps et l'esprit (ch. 4). Comme les autres éléments du culte, la louange doit trouver sa juste place par rapport au point culminant que constituent la lecture et l'annonce de la Parole de Dieu.
Fort judicieusement, Christophe Paya insiste sur quelques principes d'ensemble qui caractériseront notre louange : l'édification ; l'ordre ; une culture partagée ; la tradition reçue. Mais dans la pratique, quels sont les ingrédients de la louange ? Quelques pistes nous sont présentées plus en détail au ch. 6 : différentes formes de prière, de lecture de la Bible, de chant et de musique. Le choix des cantiques (traité au ch. 7) pourra varier en fonction de différentes approches : personnelle, technique, thématique, fonctionnelle, sans oublier les critères de qualité théologique, littéraire et musicale. Les chs. 8 et 9 précisent comment construire un temps de louange. Présenter un thème sous forme de louange ne consiste pas simplement à en parler, mais à le « mettre en louange », à l'ordonner logiquement, à en mettre en évidence le ou les fils conducteurs qui nous poussent à louer Dieu. Dans les mots utilisés, la clarté est toujours préférable à la confusion. Tout comme des paroles fraternelles, qui tiennent compte de l'état des autres. Ceux qui interviennent dans la louange devraient participer le plus diversement possible, en fonction de leurs dons. Gardons bien à l'esprit que les « conducteurs » de la louange tout comme les musiciens n'exercent pas la responsabilité de prêtres, mais sont au service de l'Eglise. Chacun se mettant à l'écoute réciproque de tous, une bonne préparation théologique et technique de tous les responsables visera à garantir pour tous des moments de louange qui ne courent pas le risque de ressembler à des spectacles à la gloire des hommes.
Tout en insistant sur les apports positifs de la louange, l'auteur nous confronte dans son dernier chapitre à un certain nombre de chemins sur lesquels elle risque de s'égarer : parmi d'autres, l'idolâtrie, le renfermement sur soi, l'autosuffisance. Il fournit ressources et références très appréciables pour approfondir encore la question, améliorer la qualité de nos moments de louange ; et nous faire passer du stade de consommateurs à celui d' « acteurs », ou mieux encore, de « participants ». Si nos temps de louange nous paraissent trop routiniers, un peu « mécaniques », inintéressants ou stéréotypés, nous trouvons ici tout ce qu'il faut pour que notre louange ne demeure pas statique, figée, ennuyeuse, mais puisse s'exprimer collectivement, en tenant compte de notre environnement, de notre culture, de notre contexte particulier, de notre langage, - une louange qui rendra toute la gloire à Dieu.
Daniel Bueche
1 Voir sa page http://people.unil.ch/danielmarguerat/ [consultée le 4 mai 2015].