2 août 1527. Martin Luther et la peste

publié le 2 August 2023 à 02h01 par José LONCKE

Le 2 août 1527, la peste bubonique est revenue dans la ville allemande de Wittenberg. Près de deux siècles s'étaient écoulés depuis la peste noire, mais cette maladie redoutée avait continué à se propager, tuant plus de 30 % de la population à chacune de ses épidémies périodiques.

Luther est resté à Wittenberg alors que la peste y sévissait, quoique le prince Electeur l’eut engagé à se rendre à Iéna où l’Université avait été transférée. Il a continué à enseigner, prêcher, conseiller le conseil municipal et à s'occuper des malades.

En 1527, lorsqu'un collègue pasteur protestant (Johann Hess) lui a demandé conseil, Luther a saisi l'occasion d'écrire sur "Si l'on peut fuir devant la mort "Lire le texte dans le tome V (p 243-258) des Oeuvres de Martin Luther publié par Labor et Fides (1958).

Une épreuve de foi ?

Luther a reconnu que la façon dont on réagissait à la peste pouvait être considérée comme un test de foi en Dieu.

Il ne pouvait pas « censurer » ceux qui restaient dans une ville frappée par la peste, croyant que « la mort est le châtiment de Dieu, qu'il envoie sur nous pour nos péchés ». Une telle opinion n'était guère inhabituelle chez les catholiques ou les protestants de l'époque. Dix ans après la lettre de Luther de Wittenberg, la peste menaçait la ville de Nuremberg. Le principal pasteur luthérien de cette ville, Andreas Osiander (1498-1552), a prêché que "cette horrible peste vient de la colère de Dieu, à cause du mépris et de la transgression de ses commandements divins".

En 1527, Luther ne doutait pas de la réalité des jugements de Dieu, mais il refusait de condamner ceux qui tentaient d'échapper à la mort. Sinon, a-t-il soutenu, personne ne devrait essayer de s'échapper d'une maison en feu ou de se sauver de la noyade. « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous, poursuivit-il, au lieu de vous laisser punir jusqu'à ce que la faim et la soif s'arrêtent d'elles-mêmes ? Ces chrétiens ne se joindraient-ils plus à Jésus pour prier que Dieu « nous délivre du mal » ? (p 247)

Même quelqu'un d'aussi instruit que Luther ne pouvait comprendre les causes de la peste bubonique. Mais alors qu'Osiander mettait en garde contre l'attribution des épidémies à des causes "naturelles" plutôt qu'aux mystérieux jugements de Dieu, Luther réprimandait les chrétiens qui "n'utilisent ni l'intelligence ni la médecine".

« Je demanderai à Dieu par miséricorde de nous protéger. Ensuite, je vais enfumer, pour aider à purifier l'air, donner des médicaments et les prendre. J'éviterai les lieux, et les personnes, où ma présence n'est pas nécessaire pour ne pas être contaminé et aussi infliger et affecter les autres, pour ne pas causer leur mort par suite de ma négligence. Si Dieu veut me prendre, il me trouvera sûrement et j'aurai fait ce qu'il attendait de moi, sans être responsable ni de ma propre mort ni de la mort des autres. Si mon voisin a besoin de moi, je n'éviterai ni lieu ni personne, mais j'irai librement comme indiqué ci-dessus. Voyez, c'est une telle foi qui craint Dieu parce qu'elle n'est ni impétueuse ni téméraire et ne tente pas Dieu » ( p 253)

Mais tout aussi important, nous devons reconnaître dans la réponse de Luther à la peste sa doctrine de la vocation chrétienne. Plutôt que d'appliquer la « vocation » principalement au travail du clergé, Luther a soutenu que Dieu appelle tous les membres de l’Église à un « sacerdoce commun » : chacun à un rôle spécifique dans ce monde, une manière particulière de de servir son prochain dans l'amour. L’appel au service traverse toute la lettre.

Alors que c'est «naturel. . . et non interdit » de sauver sa propre vie, il y a un appel plus élevé à aimer Dieu et son prochain. Ce n'est que « tant qu'il ne néglige pas son devoir envers son prochain » qu'une personne donnée pouvait choisir de fuir la peste.

Des appels particuliers peuvent exiger un courage particulier.

Sans surprise, Luther s'attendait à ce que les soignants continuent de prendre soin du corps, mais il pensait également que ceux qui étaient appelés à des fonctions publiques avaient une grande responsabilité au milieu d'une épidémie :

« … tous ceux qui occupent des fonctions publiques tels que les maires, les juges, etc. sont tenus de rester. C'est aussi la parole de Dieu, qui institue l'autorité séculière et ordonne que la ville et le pays soient gouvernés, protégés et préservés, comme l'enseigne saint Paul dans Romains 13, "Les autorités gouvernantes sont les ministres de Dieu pour votre propre bien. » (p 244)

Si sa principale préoccupation était ici de maintenir l'ordre social, Luther rêvait aussi d'un gouvernement efficace qui maintiendrait des endroits pour soigner les malades.

Appels multiples

Et les pasteurs ? Luther est resté.

"Ceux qui sont engagés dans un ministère spirituel", a-t-il raisonné, "doivent également rester fermes devant le péril de la mort" ( p 247). Mais à ce stade, nous devons reconnaître une tension importante dans la pensée de Luther, car il croyait que la vocation chrétienne était à la fois particulière et plurielle.

Martin Luther était fidèle à son appel en tant que professeur, pasteur et prédicateur lorsqu'il a continué à enseigner, à prêcher et à servir en 1527, et lorsqu’il a écrit cette lettre que les chrétiens lisent toujours..

Mais qu'en est-il de sa vocation de père et de mari ?

Autant nous pouvons apprécier la sagesse de la lettre de Luther, autant nous la lisons en sachant que sa décision de rester à Wittenberg a exposé sa famille à la peste. Alors que le fils de Luther, âgé d'un an, Hans, s'est remis d'une maladie et que sa femme, Katerina, a survécu pour accoucher de leur première fille, la jeune Elisabeth Luther est décédée moins de huit mois après le début de sa vie.

Cette tension entre de multiples vocations traverse le jugement ambivalent du récent biographe de Luther, Lyndal Roper :

« La décision de Luther de rester à Wittenberg était audacieuse, mais révélait également un mépris téméraire pour sa propre sécurité et celle de sa famille. C'était peut-être un reliquat de son désir de martyre, ou peut-être un autre exemple du courage remarquable qui lui a permis de ne pas se soustraire à ce qu'il considérait comme sa responsabilité envers son troupeau ».

Comme à l'époque de Luther, le devoir nous appelle dans de multiples directions.

Le courage peut trouver à se mettre en œuvre sur n'importe lequel des chemins que nous pourrions choisir.

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Source : Christopher Gehrz

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