Quand, en 2001, le magazine Time attribua à Stanley Hauerwas le titre de « Meilleur théologien américain », la seule réponse de ce dernier fut : « ‘Meilleur’ n’est pas une catégorie théologique. » Si cette remarque est caractéristique de l’humour piquant d’Hauerwas, elle ne manque pas de viser juste et de nous interpeller.
Nos sociétés occidentales sont obnubilées par les « meilleurs ». Chaque année, telle une rengaine, nous avons droit dans les médias à nos élections des meilleurs sportifs, des meilleurs restaurants, des meilleurs livres, etc. Il n’est pas toujours facile de comprendre ce qui anime une telle quête : l’insatisfaction ? Le cœur idolâtre de l’homme ? Quoi qu’il en soit, les humains ne peuvent s’empêcher de se mesurer aux autres, et forcément aussi de mesurer les autres entre eux.
Les Églises ne sont malheureusement pas exemptes de ces attitudes. Les chrétiens se toisent mutuellement, soit pour s’élever, soit pour s’abaisser. Les pasteurs, entre eux, comparent la taille de leur Église respective. Les unions d’Églises mesurent leur influence sur la « scène » chrétienne. Les revues de théologie recensent leur nombre d’abonnés…
Rien de nouveau sous le soleil :
« Ils arrivèrent à Capharnaüm. Quand il fut à la maison, Jésus questionna ses disciples : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir lequel était le plus grand. Alors Jésus s'assit, il appela les douze disciples et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. » Alors il prit un enfant et le plaça au milieu d'eux ; il l'embrassa et leur dit : « Celui qui reçoit un enfant comme celui-ci par amour pour moi, c'est moi qu'il reçoit ; et celui qui me reçoit, ce n'est pas moi qu'il reçoit, mais celui qui m'a envoyé. » (Mc 9.33-37)
Dans ce passage, Jésus remet, bien sûr, ses disciples à leur place. Bien plus, il leur enseigne combien les logiques humaines sont renversées par celles de Dieu. Combien le regard de Jésus est différent du nôtre ! Et combien nous avons besoin, encore et toujours, d’apprendre à voir le monde comme, lui, le voit, d’apprendre à nous voir comme, lui, nous voit : des enfants aimés qui peuvent donc s’aimer mutuellement se sachant eux-mêmes chéris de Dieu – sans gradation aucune !
Alors, avec tout cela en tête, que penser du numéro des Cahiers de l’École pastorale que vous tenez entre les mains ? Vous avez peut-être remarqué que vous connaissiez certains ou tous les articles cités sur la couverture… C’est que nous avons pensé ce numéro comme un « best of » de plus de 40 années de parution de votre revue (préférée ?). Alors, serions-nous tombés dans les mêmes écueils mentionnés ci-dessus ? Non, car nous savons que nos choix ne sont que cela, de simples choix, et que d’autres articles auraient sans nul doute mérité d’être dans cette sélection, que d’autres articles ne sont pas moins « meilleurs » que ceux-ci. Si « meilleur » n’est pas une catégorie théologique, ce n’est pas non plus une catégorie aidante dans un domaine aussi subjectif que celui de notre rapport à l’écrit ou à l’enseignement.
Par contre, ces articles ont été sélectionnés premièrement car ils nous ont semblé répondre d’une manière toujours aussi pertinente aux enjeux rencontrés aujourd’hui dans l’Église et dans l’exercice du pastorat, et deuxièmement car leurs auteurs méritaient à nos yeux d’être honorés pour leurs si précieuses et nombreuses contributions aux Cahiers pendant toutes ces années. D’une pierre deux coups : ce numéro nous a semblé être la meilleure façon de vous offrir une lecture de qualité !
Nicolas Farelly