Aujourd’hui, on parle souvent de l’accompagnement spirituel du pasteur et par le pasteur, dans le cadre de la relation d’aide. C‘est d’une certaine manière un paradoxe car, au sein du christianisme en général, l’accompagnement spirituel (AS) est bien plus ancien que ce que l’on appelle aujourd’hui la relation d’aide. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent dans le cadre des Églises de la Réforme et nous allons chercher à comprendre pourquoi. Je commencerai par essayer de donner une définition de ce que nous entendons aujourd’hui par AS - sachant que, d’une certaine manière, ce terme pourrait englober et englobe effectivement bien des choses - et de la resituer dans le contexte de l’histoire. Puis, nous chercherons à comprendre plus précisément le mode de relation qu’elle implique entre accompagnateur et accompagné et certains des éléments qui sont nécessaires pour une compréhension plus précise.
Qu’entend-on par accompagnement spirituel ?
Un mot d’abord sur la relation d’aide qui vous est sans doute plus familière. Elle suppose, me semble-t-il, quelqu’un qui, passant par une période difficile, demande l’aide ponctuelle d’une autre personne. Et nous savons tous, par expérience dans les deux sens, à quel point cela est nécessaire. Mais, justement, lorsque nous parlons d’AS, il ne s’agit pas de cela, ou au moins pas essentiellement de cela. L’AS suppose en fait deux choses : un désir et une conviction.
• Le désir est celui d'avancer sur le chemin de la vie spirituelle, de progresser dans la relation avec Dieu. L’AS est fait pour celles et ceux qui ne se contentent pas du point où ils en sont, mais qui veulent aller plus loin.
• Et, pour qu’il y ait AS, il faut que ces personnes aient la conviction que l’on peut être aidé sur ce chemin, qu’il est même souhaitable et normal de ne pas s’y engager seul et qu’une personne un peu plus expérimentée peut servir de guide pour mieux avancer et éviter certains des pièges de la route. Quelle est la nature de cette aide ? C’est ce que nous essaierons de voir par la suite.
Il ne s’agit donc pas de thérapie, et la personne qui demande n’est pas (nécessairement) en crise. Elle a simplement le souci d’avancer un peu plus loin sur le chemin de la vie spirituelle. On peut donc préciser qu'il n'y a pas, pour l'AS, de vocation thérapeutique.
Je préciserai également qu'elle est autre chose que la formation de disciple et qu'elle est aussi différente du coaching à la mode dans certains milieux chrétiens.
L’accompagnement dans l’histoire
Nous verrons plus longuement dans les ateliers quelles sont les formes variées que l’AS a pu prendre à travers les siècles, mais nous pouvons au moins les esquisser rapidement.
La forme la plus ancienne est sans doute celle de la paternité spirituelle. Elle commence avec les Pères du désert dès le 4ème siècle. On pouvait alors aller dans le désert trouver un moine ou un ermite et attendre de lui la parole qui pouvait tout éclairer. « Abba, donne-moi une parole ! » Cette paternité s’est largement développée dans la tradition orientale et on connait l’image des starets russes que l’on retrouve dans les Récits d’un pèlerin russe ou dans Les frères Karamazov.
Il va de soi que la Réforme a été assez allergique à cette démarche (« Vous n'appellerez personne « père » car un seul est votre Père... » Mt 23.9). Il est donc un peu étonnant que l’on retrouve assez récemment cette paternité dans certains milieux charismatiques...
Une autre forme est celle que l’on a généralement appelée la direction spirituelle. C'est sans doute dans le catholicisme qu’elle a pris la plus grande place et surtout qu’elle a été approfondie. On trouvera certainement de nombreuses écoles de direction spirituelle, à peu près autant que d’écoles de spiritualités. Mais certaines ont profondément marqué et façonné ce que nous appelons aujourd’hui AS. Je n’en citerai que deux, certainement essentielles.
La première sera la tradition ignacienne, celle qui trouve son fondement dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Respect du cheminement de la personne, apprentissage du discernement des traces de Dieu dans notre vie, méditation de l’Écriture... sont autant d’apports de cette tradition.
Une autre grande tradition, elle aussi du 16ème siècle, pourrait être celle du Carmel avec en particulier deux immenses figures : Thérèse d’Avila et Jean de la Croix. Ces deux géants de la spiritualité ont développé toute une connaissance de l’âme humaine et de son cheminement qui est toujours éclairante aujourd’hui. On connait en particulier les nuits de Jean de la Croix dont la connaissance peut éviter à celui qui accompagne bien des erreurs de jugements. Toujours dans cette tradition du Carmel, deux autres personnages plus récents peuvent beaucoup apporter. L’un relativement peu connu : Laurent de la Résurrection, petit carme français du 17ème siècle dont les textes ont été très répandus dans les milieux protestants anglo-saxons, l’autre immensément célèbre mais mal connue des protestants : Thérèse de Lisieux.
Le mot « direction » hérisse un peu le poil aux protestants français. Je dis français car nos amis américains évangéliques qui ont « redécouvert » avant nous l’AS parlent sans difficultés de la direction spirituelle. Mais nous avons sans doute trop en tête certains dérapages qui ont effectivement existé et qui plaçaient le dirigé sous la coupe de son directeur. Nous reviendrons sur cette relation accompagné/accompagnateur. Disons seulement que lorsque l’accompagnateur était par exemple François de Sales, il n’y avait aucune emprise malsaine sur celui ou celle qui était ainsi dirigé. Mais il est vrai que le danger de main mise sur la personne a existé et existe encore, et pas seulement dans le catholicisme...
Comment la Réforme a-t-elle réagi à cette pratique ? Comme toujours, lorsqu’on connait un peu la Réforme : de manières diverses. Disons d’abord que cette pratique de l’accompagnement concernait surtout des moines et des religieux et éventuellement quelques autres personnes privilégiées. Les réformateurs ont réagi assez violemment contre tout ce qui pouvait laisser penser qu’il existe des chrétiens de différentes catégories, d’où une réaction contre l’idée même d’un statut « religieux » particulier. Mais aussi, crainte devant ce qui pourrait faire penser à une emprise de l’Église sur les fidèles. D’où une condamnation de la confession obligatoire et, dans la foulée, de la direction spirituelle.
Mais il serait faux de s’arrêter là. Car lorsque les Églises protestantes ont connu des renouveaux spirituels (ce que l’on appelle les « réveils »), la nécessité de l’AS s’est de nouveau fait sentir. Ce fut le cas, sous une forme ou sous une autre, dans le piétisme allemand suscité par Spener (17ème siècle), le méthodisme de Wesley (18ème) ou, comme nous y faisions allusion précédemment, les renouveaux pentecôtistes ou charismatiques du 20ème siècle.
Pourquoi ce retour à l’accompagnement spirituel ?
Comme je viens de le mentionner, chaque réveil a éprouvé le besoin de retrouver cette richesse pour aller plus loin. Nous ne sommes pas nécessairement aujourd’hui dans cette situation de réveil, mais il existe quelque chose à notre époque qui pousse bien des gens vers l’AS comme d'ailleurs vers diverses formes de relation d’aide. Quelle que soit notre confession, nous ne sommes plus chrétiens aujourd’hui seulement par tradition. ...