
Robert Clinton
Traduction de Léa Koves-Rychen
BLF, 2018, 316 pages, 20,90 €
Merci à BLF de nous offrir la traduction de cet incontournable classique du leadership chrétien : elle manquait absolument ! Ce livre a profondément marqué ma vision du ministère.
Robert Clinton est professeur de leadership au Fuller Theological Seminary. Il se consacre depuis de très nombreuses années à l’étude du développement des leaders(1). D’après ses analyses bibliques et les études statistiques qu’il a menées par la suite, un tiers des leaders termine bien, un tiers termine mal et un tiers se place dans un entre deux mitigé. Il s’est donc beaucoup intéressé à ce qui fait la différence.
Clinton a étudié minutieusement les parcours de vie des leaders de la Bible. Pour chacun d’entre eux, il a recherché en particulier les étapes clés, les chutes et les réussites, avec une question sous-jacente : qu’est-ce qui a aidé (ou entravé) la marche des leaders avec Dieu ? Il a ainsi identifié une série de sept étapes que tous les leaders traversent au cours de leur vie.
Après l’étude des leaders bibliques, Clinton a comparé ses résultats aux biographies de nombreux leaders, chrétiens ou non, et il a retrouvé ce schéma chez tous ceux qu’il a étudiés.
Clinton est convaincu que Dieu dirige nos vies, et que chacun fait l’objet d’un appel spécifique, qu’il appelle le « cœur de l'appel(2) », qui se décline différemment au cours de notre vie. Tout au long de ce processus, Dieu nous affine pour nous rendre de plus en plus semblables à Christ. Les leaders traversent les mêmes étapes dans le même ordre, et chaque étape porte des fruits pour la gloire de Dieu et prépare également l'étape suivante.
Connaître ces étapes nous aide à nous concentrer sur ce qu’il nous faut acquérir (ou éviter) au stade où nous sommes. Cela nous donne également des pistes précieuses dans l’accompagnement des leaders, en particulier dans les périodes de transition. En effet, nous courons toujours le risque de vouloir aller trop vite. Nous ressemblons alors à des plans de tomates dépendant de leur tuteur au lieu de devenir des chênes solides.
Présentation des étapes
Pour une vue d’ensemble des différentes étapes « clintoniennes », je propose le schéma suivant :

En haut, de gauche à droite, sont représentées les différentes étapes avec leurs durées habituelles. En dessous se trouvent les différents besoins d’accompagnement du leader, qui varient selon l’étape à laquelle il se trouve.
Lors de l’étape des fondements, nous apprenons les bases. L’essentiel de cet apprentissage se fait dans la famille et dans les écoles et se complète en Église.
Commence ensuite une étape de découverte du ministère, où l’on apprend à servir dans l’Église. Le discipulat est plus que nécessaire pour accompagner efficacement cette étape. Nous avons, en effet, besoin du regard bienveillant et engagé d’un formateur pour tester et expérimenter. Il s’agit d’apprendre à travailler en équipe, à négocier, à voir les nuances et les limites. Il faut également commencer à « nettoyer » nos blessures pour asseoir notre identité en Christ.
L’étape suivante, dite de croissance intérieure, correspond souvent à l’entrée « officielle » dans un ministère (salarié ou bénévole). La priorité est encore la croissance intérieure du leader. S’il y a déjà des fruits dans la vie des autres, c’est heureux, mais il s’agit plutôt d’un « bienfait collatéral ». Durant cette période, c’est un mentor qui est essentiel (nos unions d’Églises ne s’y sont pas trompées). Nous savons la difficulté que représente la correction de nos mauvais plis, aussi vaut-il mieux en prendre de bons dès le départ. Cette étape implique d’œuvrer tous azimuts, d’essayer des activités « juste pour voir » si cela nous correspond. Il y a une grande tentation à vouloir se spécialiser pour avoir le sentiment de maîtriser son travail. C’est ainsi que l’on rencontre des ministères jeunesse ou d’implantation qui manquent de fondements. On sent alors bien la différence avec les spécialistes qui ont un long ministère généraliste derrière eux.
Ensuite commence une période assez longue de maturation dans le ministère, où l’on « apprend le métier ». À l’issue de cette phase, nous connaissons les ficelles du ministère ; nous sommes rarement pris au dépourvu. On apprend également à discerner les vrais enjeux, les situations qui méritent des soins particuliers de celles qui vont se résoudre d’elles-mêmes. Dans cette période, nous avons besoin de revenir aux enseignements de base. On reprend par exemple les épîtres pour y découvrir des perles qui nous avaient échappé. On commence à y lire la vie d’une Église, plutôt que de la théologie.
Cette étape se termine habituellement à la crise de la quarantaine (entre 40 et 45 ans chez les femmes, un peu plus tard chez les hommes). Nous commençons à aspirer à plus, ou à autre chose. La solution classique est alors de changer d’Église, pour que les problèmes, à défaut de changer, changent de visages. Mais Clinton, lui, propose plutôt de passer à une nouvelle étape de ministère.
Si un accompagnement de type coaching est important à chaque transition, il est particulièrement recommandé à celle-ci, non seulement à cause du chamboulement dû à l’âge, mais aussi parce que le monde évangélique voit souvent l’étape de maturation comme le modèle idéal de ministère (en particulier pour le ministère pastoral)(3). Il est donc difficile de se projeter plus loin.
L’étape suivante de maturation de vie (ou ministère focalisé) nous conduit à nous centrer un peu plus sur le cœur de notre appel. Si, en pratique, nous continuons souvent un ministère pastoral généraliste pour des questions financières(4), il s’agit là de développer une orientation particulière et personnelle. Nous commençons à modeler notre ministère par rapport à nos dons, plutôt qu’à modeler notre vie pour nous adapter aux contraintes du ministère.
L’étape suivante de convergence est une accentuation de cette étape-là. Le leader crée alors un ministère à son image. Nous ne nous contentons plus, comme dans l’étape précédente, d’avoir un accent particulier, mais nous faisons de notre appel spécifique le cœur de notre ministère. Pour Clinton, seule une partie des leaders est appelée à glisser dans cette étape.
La dernière étape de satisfaction (ou rayonnement) est rare, mais particulièrement porteuse de fruit. Dans cette étape, le leader n’a plus de fonction particulière, mais il agit par sa présence. Pour donner un exemple, je me souviens d’un congrès d’étudiants où nous avions invité Maurice Ray, alors dans sa 85e année. Il n’avait pas beaucoup parlé mais, lorsque nous avons fait le bilan avec les jeunes, pour la majorité d’entre eux, le point fort du congrès était indéniablement « quand le vieux pasteur a prié ».
Pour les deux dernières étapes nous avons très peu de modèles autour de nous. Il est alors nécessaire d’étudier la vie de leaders « à distance », par les livres ou leurs enseignements. Ainsi, beaucoup ont été marqués par les ministères de l’apôtre Paul, Charles Finney, Dietrich Bonhoeffer ou John Stott sans les avoir jamais rencontrés.
Connaître le modèle que propose Clinton a plusieurs utilités.
- Il permet de mieux faire confiance à Dieu, car nous comprenons mieux son action dans nos vies.
- Il nous aide à anticiper (au moins un peu) la prochaine étape de notre développement et de notre ministère.
- Il nous aide à ne pas mettre la charrue avant les bœufs en nous évitant de rechercher un changement qui n’arrivera que plus tard.
- Il nous aide également à « bien finir » : un défi pour de nombreux leaders, comme en témoigne le récit biblique.
Je suis bien conscient de ne pas honorer la richesse du travail du professeur Clinton, mais j’espère vous en avoir donné un avant-goût. Et si vous vous sentez en période de transition, entre deux phases, je vous encourage à travailler cet ouvrage, si possible en groupe de collègues.