« Le changement c'est maintenant ». « Vivement demain ». Rien de plus usé que ces slogans. Et pourtant ça marche. Les gens y croient toujours. Pourquoi ? Parce que le changement est une ritournelle qui fait du bien.
L'être humain est d'un naturel plutôt insatisfait. Il aspire à faire bouger les choses, améliorer sa condition, créer du neuf. Cela ne date pas d'hier. Il y a près de 5000 ans, le mystérieux architecte Imhotep trouvait terriblement ringardes les mastabas (tombes souterraines) de ses prédécesseurs de l'Égypte archaïque. C’est ainsi qu’est née la pyramide à degrés du Pharaon Djozer, un vrai changement pour l’époque. Puis sont venues les pyramides lisses. Plusieurs milliers d'années plus tard, sur un autre continent, François Mitterrand, élu en France sur un programme de « changement », imposait une pyramide en verre dans la cour du Louvre.
Entre temps, c'est comme si la spirale du changement nous entraînait de plus en plus rapidement dans un vertige entêtant. « Tout s'accélère », dit-on. Révolution numérique, mondialisation, bouleversements de la famille…, le changement est partout. Il affecte notre quotidien à cinq niveaux.
L’individu
Grâce à de nouvelles thérapies, nous faisons tout pour ne plus souffrir. On nous propose aussi des formations pour réaliser des projets ou encore nous épanouir grâce à des techniques de développement personnel. Quelle est ma voie ? Qui dirige ma vie ? Comment puis-je vaincre mes blocages ? Le cap qu'on se fixe, c'est « devenir quelqu'un », construire une identité plus positive. Plus facile à dire qu'à faire !
Les sciences humaines nous rappellent qu'un individu en situation d'apprentissage doit se préparer à perdre une partie de ses automatismes. Cela implique une prise de risque, et sans garantie de succès.
Les organisations
Le milieu du travail comme celui des associations n’est pas épargné. Les innovations technologiques imposent des réajustements qui font que changer est devenu le plus souvent obligatoire. L'homme est appelé à être « flexible », toujours plus flexible(1). Mais comme l'a souligné le sociologue Frédéric de Coninck, les salariés sont souvent bousculés et peu écoutés. Pas étonnant qu’ils nourrissent une « résistance au changement ».
Pour réussir de tels changements, l'entreprise devrait accepter de prendre du temps pour surmonter les craintes exprimées et pour expliquer de manière crédible ce qu'elle investit sur chacune et chacun : plus facile à dire qu'à faire !
La société dans son ensemble
Changer est devenu aujourd'hui un mot d'ordre permanent. Pour identifier ce tourbillon, Pierre-André Taguieff a inventé le terme de « bougisme »(2) : tout bouge, tout le temps ! Vivre ensemble est de plus en plus compliqué ; il faut régulièrement s’adapter et et réviser nos usages. Le conflit social devient alors inévitable. Il serait une manière de « digérer » le changement en ajustant les pratiques aux contraintes nouvelles sur la base d'un rapport de force. Des sociologues comme Alain Touraine ont fait valoir le rôle moteur de ces conflits et « mouvements sociaux » dans les changements qui ont marqué la société française. Mais ces « luttes » sont ambigües. Voulues comme positives, elles peuvent aussi casser, freiner, bloquer.
La politique
Nos sociétés démocratiques proclament régulièrement le changement. Portant, bien que la « gouvernance mondiale » progresse vers un modèle de plus en plus unificateur, il reste d’énormes disparités entre la « zone Euro », la Chine, l'Amérique, l'Afrique !
Partout en Europe, les villes et les régions prennent de plus en plus d’importance. Ajoutons-y les fameuses « sociétés civiles », qui regroupent les initiatives des citoyens, autonomes par rapport à l'État. Décider et innover devient du coup plus compliqué.
Le Printemps arabe de 2011 a témoigné d’une force révolutionnaire capable de faire « dégager » des dictateurs comme Khaddafi (Libye), Ben Ali (Tunisie) ou Moubarak (Égypte). Pourtant, là aussi, le changement proclamé n’est pas celui qu’on espérait. On a eu droit à des discours triomphants et tranchés : le passage de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière, du mal au bien… Cependant, l'épreuve du temps a laissé place à une réalité grise. Grise, parfois bien sombre, comme cet islam politique souvent intransigeant et intolérant, qui voudrait faire imposer sa loi religieuse à toutes et à tous, même aux populations qui ne partagent pas la même foi.
Le terrain économique
En 1989, la chute du Mur de Berlin a obligé les anciennes économies communistes d’Europe de l’Est à se restructurer. Dès les années 1990, Internet a de son côté commencé à complètement bouleverser les rapports commerciaux. On parle du reste à ce propos d’une « nouvelle économie ». Tout cela, sans oublier la montée en puissance de la Chine comme manufacturier en chef de la planète. Depuis 2006, la crise financière, amorcée par le scandale des subprimes aux États-Unis, ne cesse de se rappeler à nous.
Aujourd’hui, c’est l'endettement critique de plusieurs pays européens, à commencer par la Grèce en quasi faillite depuis 2010, qui ajoute à la confusion. On multiplie les appels solennels à la réforme, au changement, voire à la « refondation ». On croyait l'Euro tranquillement sur les rails depuis son arrivée dans nos portemonnaies en 2002. Trompeuse sécurité. Cette monnaie, qu'on nous présentait comme sûre et durable, se trouve aujourd'hui mise en cause, menacée. Le vent du « changement », ici comme ailleurs, se révèle ambivalent.
Pour quoi changer ?
Dans tous ces cas, le changement a deux visages. Celui du « progrès » souvent vanté mais aussi celui de la désillusion. Car, au-delà des slogans, la question des finalités demeure. « Changer » en soi n'est ni bien, ni mal. La question est de savoir « pour quoi », changer. Quel est le sens du changement ? Et plus encore : quel est le sens de la vie ? C'est la raison du succès éditorial des ouvrages de philosophie appliquée comme ceux de Pierre Hadot (La Philosophie comme manière de vivre), Fernando Savater (Penser sa vie), Alain de Botton (Les consolations de la philosophie), Michel Onfray (Manifeste hédoniste), André Comte Sponville (Le goût de vivre)...
Au côté de la philosophie, la religion et la spiritualité viennent aussi en renfort aujourd'hui de cette demande de sens. Qui aurait cru par exemple que les jeunes chrétiens protestants de France pratiqueraient aujourd'hui davantage la prière et la lecture biblique que leurs aînés ? Cet enseignement, issu d'une enquête IFOP 2010(3), se vérifie aussi pour les jeunes juifs, les jeunes musulmans et, à un moindre degré, les jeunes catholiques. Comme si les enfants de la « Génération Changement » avaient (re)découvert que « changer pour changer » ne sert à rien si l'on ne donne pas d'abord un sens à sa vie.