14 juin 1994. L'Aboukir Bay

publié le 14 June 2022 à 02h01 par José LONCKE

Le 14 juin 1994. L’épave de l’Aboukir bay est déclarée officiellement au DRASSM (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines). Elle repose au nord de Carantec, à l’est de Roscoff. Elle avait découverte en 1976 et identifiée en 1994 lorsqu’est découverte la cloche en broze du navire, marquée à son nom.
Le naufrage de ce navire écossais en 1893 avait provoqué une véritable tempête dans la région de Morlaix.

14 juin 1994. L'Aboukir Bay

Tempête en rade de Morlaix
Une violente tempête régnait depuis huit jours sur les côtes bretonnes. Au dire des marins, c’était la plus terrible qu'on ait vue de mémoire d'homme dans les parages. Le 23 novembre 1893, dans la nuit de samedi à dimanche, le voilier Aboukir Bay heurta la roche du Rater, à l’entrée de la Baie de Morlaix et disparut corps et biens sans qu'il ait été possible de lui porter secours. L’équipage avait mouillé une des ancres. C’est au bout de cette chaîne que le bateau repose aujourd’hui. C’était un trois-mâts écossais construit en 1883. Le matériau de construction était le fer. Long de 65 mètres et large de plus de dix mètres, il jaugeait 1116, 59 tonneaux. Il effectuait  le trajet depuis Iquique au nord du Chili, près de la frontière du Pérou, ce qui explique les pièces de monnaie péruvienne trouvées sur les corps des victimes. Après le passage du Cap Horn (le canal de Panama n’existait pas encore), il fit route vers Dunkerque où  il devait déchargé sa cargaison. Il transportait du  nitrate de soude. Tout confirme que ce navire venait des mers du sud : on  retrouva parmi les débris qui couvraient toute la côte, une grande quantité de bambous et de bois des îles.


Dix-neuf cadavres échouèrent sur les côtes de la Baie de Morlaix. Tous portaient la ceinture de sauvetage, et ont dû lutter désespérément contre la mort. C'étaient des hommes robustes et dans la force de l'âge. L'un était un noir de taille colossale. Un autre, que l'on suppose être le capitaine, portait une jumelle en sautoir. Aucun autre signe d'identité n'a été relevé.

Mais voilà, les armateurs étaient écossais ! MM. John S. Hatfield et Cameron & Co. de Glasgow. That is the problem : écossais donc présumés protestants! L’inhumation de ces marins noyés, « de religion protestante », va donner lieu à une violente polémique entre les cléricaux et les républicains. Les journaux respectifs des deux partis relatent les faits avec, semble-t-il aujourd’hui, une certaine dérive. Dans le journal républicain,  « L’avenir de Morlaix », on peut lire :


« Trois cadavres, recueillis sur le territoire de Taulé, ont été inhumés dans cette commune, par les soins de la municipalité, qui a offert les cercueils et pourvu largement à tous les frais de l'enterrement. M. le pasteur Jenkins a fait le service religieux ».
A Carantec, où l'on a recueilli douze cadavres, il s'est passé une scène navrante, la commune n'ayant pas cru devoir faire les frais des cercueils, les corps des noyés ont été déposés sur un peu de paille, sous le préau de l'école des garçons, et enterrés dans un simple linceul, dans cinq fosses creusées derrière l'église, le capitaine a été placé seul dans une fosse.
On nous assure que de pauvres femmes du pays ayant voulu faire des quêtes pour acheter des cercueils, n'en ont pas obtenu l'autorisation. Le maire a refusé d'assister à l'enterrement malgré l'invitation pressante et réitérée du Commissaire de la Marine et du vice consul d'Angleterre. Les notables du pays se sont également abstenus d'y paraître. En revanche, les pêcheurs, les marins et leurs femmes se pressaient en foule autour du pasteur Jenkins qui a prononcé, en français et en breton, une émouvante allocution, écoutée dans le recueillement, et interrompue seulement par les sanglots de l'auditoire.

On a prétexté de l'exiguïté du cimetière de Carantec, qui n'aurait pu recevoir douze cercueils. Or le cimetière de Carantec contenait encore de la place pour plusieurs tombes. Rien n'empêchait d'y mettre des cercueils en aussi grand nombre qu'on l'eût voulu.
On a parlé de raisons budgétaires. « Mais si le maire avait accordé l'autorisation de faire une quête, ce n'est douze cercueils qu'on eût pu acheter, mais vingt, et même davantage. Mais il refusa cette autorisation. Un honorable négociant offrit gratuitement des caisses d'emballage pour faire des cercueils ; cette offre fut refusée. »


C’est un climat de peur que dépeint le même journal :
« Il est exact que le recteur (les curés en Bretagne) s'est rendu de porte en porte pour défendre aux gens d'assister à l'enterrement ; Il est ensuite allé sur la route arrêter ceux qui s'y rendaient, et les engager à retourner chez eux. Quelques uns ont eu peur, et sont repartis ».


" Il ne faut pas ,nous écrit un des notables habitants de Carantec, rendre la population de notre commune responsable de ces faits. Nous sommes tous indignés du sans-gêne qu'on a montré à l'égard de ces malheureux. Nous eussions voulu témoigner la pitié que nous ressentions pour une telle infortune ; mais on nous en a empêchés. La honte de ces vilenies ne doit donc pas retomber sur les habitants de Carantec, auxquels on ne peut reprocher qu'une chose , celle d'avoir été trop craintifs. "

Mais les femmes se montrèrent les plus courageuses :
« Une centaine de personnes presque toutes femmes de marins ou de pêcheurs, bravant les représailles cléricales et municipales, ont eu le courage d'accompagner les malheureux naufragés jusqu'à leur dernière demeure. Une pauvre veuve, dont le fils s'est noyé l'année dernière à La Rochelle (présumée protestante), a fait cette réponse : " M. le recteur, je connais mes devoirs de chrétienne aussi bien que vous ; et, que vous soyez content ou non, J'assisterai à l'enterrement. "

On reconnaît bien là un aveuglement caractéristique causé par la passion politique et l'esprit sectaire, dont personne n’est à l’abri !

« Pendant que s'accomplissait la funèbre cérémonie, et que des larmes coulaient de tous les yeux, aux émouvantes paroles de M. le Pasteur Jenkins, la servante du recteur ricanait à sa fenêtre située à quelques mètres de là ».

De son côté le journal catholique, « La Résistance », loin de déplorer ces faits et d'essayer de les atténuer, avoue que

« cela s'était passé ainsi parce que ces gens étaient protestants. En sa qualité de fervent catholique, le maire de Carantec était obligé d'agir comme il l'a fait… »


Là encore Alfred Jenkins dut jouer serré… Comment ne pas être instrumentalisé dans une telle affaire ? Comment être témoin de l’évangile dans un  climat de haine exacerbé ? Que faire de positif ?  Il faudra tout le doigté d’Alfred Jenkins et une véritable campagne de presse des journaux républicains pour que l’inhumation ait lieu dans des conditions décentes. Grâce à une souscription publique un monument funéraire renfermant les corps de tous les naufragés, sera élevé dans le cimetière de Carantec. Il est toujours là, colonne tronquée aux écritures presque effacées…
Car ce qui avait le plus choqué l’opinion publique  en définitive c’est que,


 « la terre a été nivelée et piétinée de telle sorte qu'il ne reste aucune trace visible de l'endroit où reposent ces malheureux. Si leurs femmes où leurs enfants, viennent un jour réclamer leurs restes ; s'ils veulent seulement venir pleurer sur la tombe de celui qui leur fut cher, on leur indiquera un chemin banal, foulé par le pas des animaux inconscients, et par celui des hommes méchants et sans cœur. »


Il ne faut pas toujours désespéré de l’opinion publique (surtout si on y voit un effet de la grâce de Dieu)…


Il y a une dizaine d’années on a encore retrouvé dans le sable de la plage de l’Île de Batz, des cadavres enfouis en cachette … 

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