18 août 1492. Nebrija
Ce jour-là, le 18 août 1492, moins d'une semaine après le départ de Christophe Colomb pour l’Amérique Antonio de Nebrija publia une grammaire castillane. Cet ouvrage marqua une étape importante, car il s'agissait de la première grammaire d'une langue romane moderne, et fut bientôt imité par de nombreux autres savants dans d’autres pays.
Dans ce document, Nebrija a tenté d'établir un usage normatif (standard) de l'espagnol. Il croyait que les langues naissaient, se répandaient et tombaient avec les empires et que la langue était un outil de conquête. L'utilisation d'un espagnol standardisé plutôt que de langues mortes augmenterait le pouvoir et l'influence de l'Espagne. Bref, il voulait mettre l'espagnol au niveau des langues classiques.
À première vue, les théories et les réalisations de Nebrija peuvent sembler avoir peu à voir avec l'histoire chrétienne. Au contraire, sa vie et son œuvre le placent carrément dans les contre-courants chrétiens de son époque.
Né vers 1444, Antonio de Lebrij est issu d'une famille de conversos, juifs convertis au christianisme. Tôt dans la vie, il s'est intéressé à la restauration du latin et des classiques latins. Comme la plupart des humanistes chrétiens, il a latinisé son nom. Après avoir acquis une formation de base en Espagne, il part étudier en Italie. Après plusieurs années à Bologne, il retourne en Espagne et travaille pour l'évêque Fonseca à Séville avant de devenir professeur de grammaire et de rhétorique à l'Université de Salamanque. Son travail sur les grammaires et un dictionnaire espagnol/latin a non seulement inspiré des imitateurs dans d'autres pays, mais a contribué à normaliser les formes et l'orthographe espagnoles à une époque où l'Espagne était sur le point de développer un empire qui répandait sa langue dans le monde entier.
Les origines juives de Nebrija lui ont donné un intérêt pour l'hébreu et pour une traduction fidèle des Écritures juives et chrétiennes. Lorsqu'il tenta de corriger la Vulgate (la Bible latine officielle du catholicisme romain), il se heurta à l'archevêque inquisiteur espagnol Deza de Séville qui saisit ses papiers et le condamna pour hérésie :
« Le but de l'archevêque était de le dissuader d'écrire. Il voulait éteindre la connaissance des deux langues dont dépend la religion ; et il a été condamné pour impiété, parce que, n'étant qu’un simple grammairien, il a osé traiter de sujets théologiques.
Il a déclaré qu'il soumettait son jugement à la volonté du Christ dans les Écritures, mais on lui a dit qu'il devait rejeter comme faux ce qui était clairement vrai. Ainsi, sa quête de la vérité et d'une érudition précise menaçait sa réputation et le mettait en danger d'excommunication et de prison.
Quelle tyrannie ! empêcher un homme, pae l’emploi des peines les plus cruelles, de dire ce qu'il pense, bien qu'il s'exprime avec le plus grand respect pour la religion !
Sur quoi devrait-il employer ses pensées, demanda-t-il, sinon sur l'Écriture ?
Heureusement, le successeur de Deza, le cardinal Ximenez de Cisneros, était plus raisonnable. Il a restauré Nebrija et l'a fait travaillé à une Bible polyglotte qu'il parrainait et qui rassemblerait des traductions précises des Écritures de plusieurs langues dans des colonnes parallèles. Nebrija n'est pas resté longtemps sur le projet parce qu'il ne pouvait pas accepter l'approche prudente adoptée par les autres savants, trop influencés par la traduction Vulgate souvent défectueuse.
Jusqu'à la fin de sa vie, Nebrija a continué à travailler sur la linguistique, les études bibliques et d'autres projets, y compris des recherches archéologiques.
En cours de route, il s'est marié et a engendré sept enfants, ce qui lui a donné à la fois les connaissances et l'envie d'écrire un livre sur l'éducation des jeunes ; il a mis l'accent sur la responsabilité parentale. Sa fille Francisca était si savante que les contemporains ont affirmé qu'elle pouvait remplacer son père dans sa classe. Nebrija mourut en 1522.