1er août 1914. Edmond Jeanneret

publié le 1 August 2020 à 02h01 par José LONCKE
1er août 1914. Edmond Jeanneret

Né à Tavannes (canton de Berne), le 1er août 1914, Edmond Jeanneret (1914-1990) a fait des études de lettres et de théologie à Neuchâtel, Lausanne, Paris et Bâle. Il a été consacré pasteur par l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Il a occupé successivement les postes de vicaire de la paroisse Saint-François à Lausanne, pasteur à Leysin, à Genève et à Bôle (canton de Neuchâtel).

Ce poète religieux, au langage classique, a mis sa poésie au service d’un approfondissement des convictions religieuses. Edmond Jeanneret, le poète a produit des poèmes bruissants de futur, de perspectives enchevêtrées et de visions.

Ainsi, le recueil de poèmes, Matin du monde (Cahiers du Rhône, 1953), est à la fois une méditation poétique et une prédication sur le temps de Noël, un temps qui, dans ce cas précis, est marqué par l’histoire de Zacharie, celle de Marie et celle des Innocents massacrés.

Ouverture du poème Zacharie :

Que donne l’homme à Dieu ? Un filet de fumée !
Et pourtant ce parfum si faible, Dieu l’agrée
Soufflant sur le tison de notre amour défunt

Joseph
Confident d’un double mystère,
Complice des anges gardiens,
Il est celui qui ne dit rien,
Père qui cache un autre père.

Sait-il quelle enfance l’éclaire,
Quelle faiblesse le soutient ?
Cet enfant qui n’est pas le sien
Lui donne le ciel et la terre.

Il a des songes dans lesquels
Les messagers de l’Eternel,
Tandis qu’il dort, ouvrent ses yeux ;

Il obéit dès qu’il s’éveille
Et va de massacre en merveille
Dans le grand dénuement de Dieu.

Nativité
« Un petit garçon les conduira » (Esaïe 11.6)

Bonheur des bêtes dans l’étable ;
Un moment l’ombre défaite
A peine par un roi d’étoile
S’est refaite maille à maille
Autour de ce nouveau-né
Qui était avant de naître…

Dieu se cache, Elles le savent,
Tournent vers lui leurs yeux graves,
A pouvoir les faire paître Avec le lion, le loup,
Dans l’herbage dont le goût
En elles ne finit pas d’être.

Siméon
« Il le prit dans ses bras, bénit Dieu et dit : Maintenant Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix… Car mes yeux ont vu ton salut. » Luc 2.28-30

I
Tu brûles seul parmi une vie éteinte
Ô jour pour qui tant d’autres j’ai vécus
Ardents d’attente et chaque soir déçus
Dans l’attente –ô sable sans empreinte…

Et de ton feu toute ma vie atteinte
Une dernière fois tend ses bras nus
Hors de la nuit où j’ai tant attendu :
Et voici Dieu aux bras de mon étreinte

Porté si doucement et sans effort.
Ô plénitude ! et gloire de ce corps
Qui de ma chair fait une arche royale…

Enveloppé de l’ombre de la mort
Je te salue enfance du Dieu fort
Dont la faiblesse à la mienne s’égale.

II
Lumière perdue
Et voilée encor
D’être de ce corps
Qui comble ma vue,

Je t’ai reconnue
Au sein de la mort,
Enfance ! et m’endors
En toi, revenue…

Pleins de splendeur
Qu’étoilent vos pleurs,
Fermez-vous mes yeux,

Afin de recevoir
Par delà le soir
La face de Dieu.

III
Gloire toute nue
Et voilée encor
D’être dans ce corps
Qui comble ma vue

Ma force abattue,
Soudain sans effort
Te porte, Dieu fort,
Par toi soutenue !

Maintenant, Seigneur,
Apaise mon cœur :
Il a tant battu…

Le tien maintenant
De chair et de sang,
Ton cœur mis à nu.

IV
Ces tremblantes mains
Ces deux feuilles mortes
Que le vent emporte
Où le jour s’éteint,

Si longtemps en vain
Jointes à la porte,
Voici qu’elles portent
La clef du matin !

Tout s’ouvre, s’éclaire ;
Le ciel et la terre
S’épousent enfin

A travers le corps
D’un enfant qui dort.
Bercé par ces mains.

Jean à Patmos 
A Roland de Pury

Demeurance étroite et captive, exil
Brûlé de soleil, assombri d’embruns
Où je suis forcé de vivre, défunt

D’une sépulture à fleur d’abîme – île,
J’écoute le vent vaste et rituel
Par qui chaque mot s’imprègne de sel

Dérouler le plein chant de l’Ecriture
Tandis que, sur le sable, sans repos
La mer, la mort resserre son anneau

D’écailles rutilantes, bête impure !
Mais vers le soir la voix vint m’appeler.
………………………………………..

Porte dans le ciel, mes pas sous ta voûte
Se perdent ; déjà se perd toute route…
A tout ressuscite, tout m’est donné

Dans l’île : le ciel, la terre, l’abîme !
L’ange me précède et rien ne réprime
Mes pas dans les siens portés jusqu’à Dieu…

Prisonniers du Christ – et s’ouvre la porte !
Au cœur du sépulcre – et la mort est morte :
Il n’est plus de larme au fond de nos yeux…

J’ai toute la terre, enfermée dans l’île !
J’ai le ciel entier dans l’arche immobile,
La terre nouvelle et les nouveaux cieux.

Pardon
I
Matin si beau que je ne puis parler,
Je te regarde, et chaque mot est faux
Qui monte à toi de mon obscurité.
Et je me tiens en grande pauvreté
Debout et seul dans mon humilité,
Humilié par le chant d’un oiseau…

Puissé-je offrir à ton visage beau
La transparence et pureté de l’eau,
D’un clair miroir n’être que le cristal
Où ton reflet se retrouve natal
En même temps semblable et tout nouveau…

Et dans la joie où je te chanterai
Puissé-je en mots qui me seront donnés
Par le Seigneur et Poète Très-Haut
Ne point ternir d’un souffle ta beauté.

II
Sur cette haute marche où l’aube pousse
Son humide feuillage dans le vent,
La palme de lumière ardente et douce
Qu’elle relève au ciel reconnaissant –
Je reconnais ma véritable place
Où je ne suis présent que par ta grâce
Qui me relève en un long tremblement,
Me fait tenir debout devant ta Face
Tout étonné de mon commencement…

Par toi, Seigneur ! et lavé dans ton sang,
Je sors des pleurs perdus de mon néant,
N’étant du Jour que la blanche préface
N’étant encor qu’absence, attente, espace
Que comblera ta joie infiniment –
O plénitude, ô doux ruissellement !

Edmond Jeanneret, Figure sans doute (1942), Poésies complètes, Ed Plaisir de lire à La Croix sur Lutry

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