27 février 1825. Antoine-Hyppolyte Bigot, le poète nîmois

publié le 27 February 2024 à 01h01 par José LONCKE


Antoine Hippolyte Bigot, né à Nîmes le 27 février 1825 et mort à Nîmes le 7 janvier 1897, est un poète français d'expression occitane (provençal de Nîmes), protestant et républicain.
Bigot n’écrit pas seulement « La complainte de la Tour de Constance », mais a participé activement à la renaissance de cette langue régionale.
Issu d'une famille protestante, instruit, Antoine Bigot se destine au commerce. Dans les années 1850 il se lance dans la littérature. En 1854, Frédéric Mistral et ses amis écrivains occitans provençaux fondent le Félibrige et invitent Antoine Bigot à les rejoindre. Il s'y refuse par goût d'indépendance et parce qu'il veut chanter sa ville de Nîmes dans son propre langage, son « impur patois qui s'éteint » : la langue la plus populaire de la ville. Il devient membre en 1864 de l'Académie de Nîmes. En 1865, il est membre du Consistoire de l'Église réformée. Il meurt  le 7 janvier 1897, laissant derrière lui la renommée d'un poète estimé et d'un homme juste et droit. Il est inhumé au cimetière protestant de Nîmes.
Le 26 juillet 1903, sous l'influence de son ami et continuateur Jean Mejean, le buste d'Antoine Bigot est inauguré au bas du grand escalier du Jardin de la Fontaine. Le futur président de la République, Gaston Doumergue, alors ministre, est présent à la cérémonie.

Le Musée du désert a été inauguré le 24 septembre 1911 devant 2500 personnes. Il est là pour rendre cette histoire plus vivante, pour recueillir les souvenirs de ce temps d’épreuve.
 Frank Puaux, dans son discours inaugural, dira: “Il faut s’incliner devant les défenseurs de la plus sainte des libertés: la liberté de conscience. Mais nous n’avons ni passion, ni haine, car nos héros nous condamneraient en nous rappelant que le pardon est la loi suprême de l’Evangile… Mais, qui nous reprocherait d’avoir le culte d’un si grand passé? Quelle ingratitude serait la nôtre si nous laissions les ombres du soir envahir un tel sanctuaire!”
 Ce jour-là fut chanté  la “Complainte de la Tour de Constance”, en patois languedocien, rédigée par Antoine Bigot qui, ayant envoyé son texte à Frédéric Mistral, en reçut les félicitations pour cette foi persécutée si bien exprimée dans la langue nîmoise.

Le texte Occitan dans la graphie originale d’Antoine Bigot :
La viéyo villo d'Aigo Morto
La villo dou réi Sant Louis
Panlo e maigro darriès si porto
Au bord de la mar s'espandis

Uno tourré coumo un viel gardo
Viho en déforo di rampar
Aouto e sourno liun liun regardo
Regardo la plano e la mar.

L'aubre se clino, l'auro coure
La poussièro volo au camin,
Tout es siau dins la vieio tourre
Mai per tems passa 'ro pas sin.

Li pescaîre que s'atardavon
Dins la niue, souvent entendien
Tantost de fenno que cantavon
Tantost de voues que gemissien.

De qu'éro aco ? De presouniero.
De qu'avien fa ? Vioula la lei,
Plaça Dieu en ligno proumiero,
La couscienci au dessus dou rei.

Fièri iganaudo, is assemblado
Dou Désert, séguido di siéu,
Lou siaume en pocho, éron anado
A travès champ, per préga Dieu.

Mais li dragoun dou rei vihavon:
Sus la foulo en preiero, zou!
Zou! lou sabre nus, s'accoussavon...
E d'ome de cor e d'ounou

Leu li galèro eron pouplados
E si fenno, i man di dragoun,
En Aigo-Morto eron menado,
E la tourre ero sa presoun.

Souffrissien, li pauri doulento,
La fam, la set, lou fre, lou caud;
Avien li languitudo sento
Dis assemblado e de l'oustau.

Mais vien la fe, counfort e baume
Di cor murtri que reston fier;
Ensemble cantavon li siaume
Dins la presoun coumo au Desert

Li jour, li mes, lis an passavon,
E noun jamai li sourtissien.
D'uni i soufrenco resistavon,
D'autri, pechaire, mourissien.

Mais sa fe, l'aurien pas vendudo,
Mais soun Dieu l'aurien pas trahi,
Noun! Iganaudo eron nascudo,
Iganaudo voulien mouri.

D'avans ti peiro souleiado
Qu'un autre passe indiferent,
O tourre, a mis iuel siès sacrado,
Siei tout esmougu'n te vesent,

Tourre de la fe simplo e forto,
Simbel de glori e de pieta,
Tourre di pauri fenno morto
Per soun Dieu e sa liberta.

Il a été traduit par Ruben Saillens La traduction française est approximative et ne reflète pas la langue occitane, mais elle a été faite surtout pour rimer en français...

La vieille ville d’Aigues-Mortes
La ville du Roi Saint Louis
Enorme étendue entre ses portes
Rêve aux grands environs.
Elle dort mais comme un vieux garde
De son œil rouge grand ouvert
La Tour de Constance regarde
Regarde la plaine et la mer.

De la campagne, de la plage
S’élèvent mille bruits confus
Mais la Tour, géant d’un autre âge
La Tour sombre ne parle plus.
Seulement par les nuits voilées
Le pécheur entend des sanglots,
Et des voix qui chantent mêlées,
Au lointain murmure des flots.

Qui vécut là, des prisonnières
Qui mettaient Dieu devant le Roi
Là, jadis des femmes, des mères
Moururent pour garder la foi.
Leur seul crime était d’être allées
La nuit par un sentier couvert
Fondre leurs voix aux assemblées
Qui priaient Dieu dans le désert.

Mais les dragons, ô temps infâmes
ô lions changés en renards
Les dragons veillaient sus, aux femmes
Braves soldats, sus aux vieillards.
Bientôt d’un peuple dans défense,
Les sabres nus avaient raison
Les Huguenots à la potence
Les Huguenotes en prison.

A jamais ses murailles grises
Me rediront ce qu’ont souffert
Ces paysannes, ces marquises
Ces nobles filles du désert.
Mais dans leur foi, puisant un baume
D’une voix tremblante de pleurs
Ensemble elles chantaient un psaume,
Les cœurs brisés sont les grands cœurs.

Les ans passèrent sur la Tour sombre
Et la porte ne s’ouvrait pas
Les unes veillaient dans l’ombre
D’autres sortaient par leur trépas.
Mais jamais aucune à son maître
De le trahir ne fit l’affront
Huguenotes, il les fit
Huguenotes, elles mourront.

Ah que devant cette ruine
Un autre passe insouciant
Mon cœur bondit dans ma poitrine
Tour de Constance en te voyant.
ô sépulcre où ces âmes fortes
Aux ténèbres ont résisté
ô Tour des pauvres femmes mortes
Pour le Christ et la liberté.

Voici une lettre reçue par Antoine Bigot,  lorsqu’il fit imprimer, en 1860, « Les Rêves du Foyer ». C’est celle du grand MISTRAL, laquelle prouvera aux lecteurs que l’auteur provençal fut aussi un bon poète français.

27 février 1825. Antoine-Hyppolyte Bigot, le poète nîmois

Lettre de Frédéric Mistral à Antoine Bigot (Maillane (16 juin 1860)
Mon cher Poète, J’ai trouvé un grand charme à la lecture de vos Rêves du Foyer, et je vous félicite d’avoir publié ce recueil de belles choses. En les lisant je me sentais sourdre au coeur tous les sentiments bons et généreux. Le souffle d’honnête homme qui inspire si heureusement tous vos chants transfigure aux yeux de Dieu cette guirlande poétique en chapelet de bonnes oeuvres.
Toutes les fois que vous abordez les grands sujets religieux ou poétiques vous excellez et vous frappez au coeur.
Tenez, votre Pasteur du Désert est un morceau admirable de simplicité de conviction religieuse, de sobriété et de grandeur. C’est le chef-d’œuvre du volume et cela ne s’oublie pas.
Je retrouve cette conviction profonde aussi fortement exprimée dans la Bible. Très beau encore! Un coin d’histoire est très pathétique et c’est un chant d’épopée.
Quoi de plus gracieux et de plus touchant que ce tableau intitulé Ma pensée?
Et maintenant mon cher Bigot maintenant que vous aurez rendu à la muse française ce qu’elle vous a donné il ne faut pas dédaigner la muse de la patrie.
L’accent profond qui caractérise la plupart de vos chants du foyer est accusé encore plus franchement dans vos créations languedociennes. J’en atteste votre Vièl mèstre d’escolo simple et touchant comme le vieux ménétrier de Béranger et vos Rachalan patriotes qui feraient pâlir la Marseillaise.
Adoncques, ne perdez pas de vue votre volume de Poésies provençales; il ne fera pas honte comme pendant aux Rêves du Foyer, et vous irez rapidement par lui au cœur et à l’âme de ces nobles travailleurs que vous comprenez si bien et que vous interprétez si dignement.

LE PASTEUR DU DÉSERT
à M. J.-J. GARDES, pasteur à Nîmes.
(1689)

Un voile noir couvrait nos Eglises de France,
Un roi nous défendait même de prier Dieu;
Nous, forts de notre foi, nous bravions sa défense
Et cherchions, pour prier, quelque sauvage lieu.
Seul, un pasteur guidait la pauvre Eglise errante
Soit au fond d’un ravin, soit sous un arbre vert,
Et nos bras soutenaient sa marche chancelante,
Car il était bien vieux, le pasteur du désert.

Souvent, quand le soleil embrasait la campagne,
Quand l’oiseau se taisait sous les ardeurs du jour,
Dans quelque grotte sombre au flanc de la montagne
Nous allions écouter ses paroles d’amour.
Il disait: — Soyons forts, enfants, contre l’orage;
Espérons! Par sa mort Christ a vaincu l’enfer .
Et sa voix nous donnait espérance et courage,
Car il savait souffrir, le pasteur du désert.

Quand sur nos frères morts nous répandions des larmes
Il nous disait: — Au ciel ils sont bien plus heureux;
Contre vos ennemis ne prenez point les armes,
Dieu dit de les aimer; frères, prions pour eux!..
Et vers le ciel montait sa touchante prière...
Aux plus pauvres que lui son pain était offert,
De tous les orphelins il devenait le père,
Car il savait aimer, le pasteur du désert.

Sur le bord d’un torrent, assemblés, un dimanche,
Autour d’un nouveau-né nous priions à genoux,
Quand la trompette sonne, et, comme une avalanche,
Cent soldats, l’arme au poing, soudain fondent sur nous.
Un long cri de terreur s’échappe de nos âmes...
Hélas! sous les chevaux, l’arquebuse et le fer
L’on tua des vieillards, des enfants et des femmes,
Et l’on fit prisonnier le pasteur du désert.

Dans un cachot, les pieds et les mains dans les chaînes,
Ne pouvant sur les siens promener son regard,
Il souffrait. Dieu voulut mettre un terme à ses peines.
Un bûcher s’éleva pour le pauvre vieillard.
Il y marcha; — la joie éclairait son visage:
— Ne pleurez point sur moi, car le ciel m’est ouvert,
Disait-il. Et chacun pleurait sur son passage;
Il était tant aimé, le pasteur du désert!

Sur le bûcher, bravant la flamme dévorante,
Il leva vers le ciel ses deux mains pour bénir.
La douleur éteignit sa voix faible et mourante,
Puis, le vent dispersa les cendres du martyr...
Notre Eglise conserve un souvenir fidèle
De celui qui, pour elle, hélas! a tant souffert;
Il n’est pas un vieillard qui ne se le rappelle
Et ne pleure en parlant du pasteur du désert.

(Les rêves du foyer, 1860)

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