6 mars 1980, Marguerite Yourcenar (1903-1987) est la première femme élue à l‘Académie Française. On peut la citer ici pour sa remarquable traduction des „Negro spirituals“ : „Fleuve profond, sombre rivière“(1964).
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Quelques Gospels traduits par Marguerite Yourcenar:
...Laissez-moi vous parler du Chapitre Un,
Quand Dieu créa la terre, la mer bleue et les champs bruns ;
Laissez-moi vous parler du Chapitre Deux,
Quand Dieu créa le jour et la nuit pleine de feu ;
Laissez-moi vous parler du Chapitre Trois,
Quand Jésus-Christ not’ maître est mort pour nous sur la Croix.
Ah, je sais qu’Il est un grand roc dans un pays plein d’lassitude,
Ah, je sais qu’Il est un refuge en une saison pleine de tempêtes...
...De même pour Daniel descendu dans la fosse ou jeté dans le feu :
Daniel était un p’tit Hébreu qui s’en allait prier mon Dieu,
Le roi fit arrêter Daniel et l’ jeta aux lions cruels.
Mais l’ Seigneur tout-puissant envoya ses anges auprès d’ lui,
Et Daniel se coucha, et dormait tranquille toute la nuit.
Il a témoigné pour mon Dieu, Daniel, il a témoigné pour mon Dieu.
Qui veut témoigner pour mon Dieu ?
...Dieu n’a-t-il pas sauvé Daniel, et si Dieu a sauvé Daniel,
Pourquoi donc qu’il n’ te sauvrait pas ?
...P’tit David gardait les grands bœufs,
C’était un berger sage et pieux. Alléluia
Il a tué l’ géant Goliath,
Et s’ mit à chanter une cantate !
...Descends, Moïse, et va vers le rivage,
Parle au vieux roi du peuple égyptien,
Dis-lui que Dieu t’a sorti d’ l’esclavage,
Dis-lui : not’ Dieu va délivrer les siens !
...Oh, j’oublierai jamais qu’ dans l’ temps
Jésus prêcha pour les pauv’ gens... »
...Ils l’ont fouetté toute la nuit
Sans qu’il se plaigne...
Entendez-vous l’ marteau qui sonne
Sans qu’il se plaigne ?
...Étiez-vous là quand ils ont crucifié mon Seigneur ?
Étiez-vous là quand ils l’ont cloué sur un arbre ?
Étiez-vous là quand l’ soleil lui-même a pris l’ deuil ?
Étiez-vous là quand ils l’ont couché dans sa tombe ?
Étiez-vous là quand il est sorti du tombeau ?
(oh, oh, des fois, j’ai envie de crier : Gloire à Dieu !)
...Voici l’homme qui a créé la terre où nous sommes !
Voici l’Homme qui mourut pour nous !
...C’est moi ; c’est moi, c’est moi, Seigneur !
C’est moi qu’ai besoin de prière...
...Quéqu’ fois, j’ me sens comme un enfant sans mère,
Loin d’ la maison,
Tout seul, tout sombre, avec ma peine amère,
En toute saison...
Quéqu’ fois, j’ me sens comme un enfant sans mère,
Las et déçu,
Tout seul, tout sombre, avec ma peine amère,
Loin d’ mon Jésus...
...Tantôt j’ suis haut, tantôt j’ suis bas...
Tantôt j’ suis bas, tantôt j’ suis haut...
Tantôt j’ suis couché tout à plat...
Tantôt j’ai d’ la boue plein l’ museau...
Ben oui, Seigneur !
Personne ne sait l’ chagrin qu’ j’ai eu,
Personne ne l’ sait sauf que Jésus...
Ah, ah, Alléluia !
...Seigneur, Seigneur, j’ veux être un chrétien dans mon cœur,
Seigneur, Seigneur, j’ veux être plus aimant dans mon cœur,
Seigneur, Seigneur, j’ veux être plus dévot dans mon cœur,
Seigneur, Seigneur, j’ veux pas être Judas dans mon cœur,
Seigneur, seigneur, j’ veux être comme Jésus dans mon cœur...
... La promesse qui m’ console,
C’est pas une vaine parole,
C’est pas l’prêcheur qui gueule,
C’est l’espoir du salut qu’est fondé sur Dieu seul !
Fleuve profond sombre rivière,
Jourdain, Jourdain, entre moi et mon Dieu,
Bâtissez-moi un pont d’ prières,
Et qu’ j’arrive à l’aut’bord, au camp’ment, au saint lieu !
...J’ sais qu’ j’ai quéque part une maison
Point bâtie d’ mains humaines...
J’ai une maison en Paradis ;
J’ veux prendre le ch’min qui y conduit,
Point tracé d’ mains humaines...
J’y vivrai vêtu d’ blancs vêtements...
La porte est d’or et d’ diamants
Point taillés d’ mains humaines
V’là un vol d’anges à l’horizon,
Qui vient m’ conduire à ma maison
Point bâtie d’ mains humaines...
...Donnez-moi c’tte vieille religion...
Puisqu’elle convenait à mon Papa,
Ya pas d’ raisons qu’elle ne m’aille pas...
Puisqu’elle convenait au peuple élu,
Ya pas d’raisons qu’elle ne m’aille plus...
Source :
Marguerite Yourcenar, Fleuve Profond, sombre rivière, les « Negro Spirituals », commentaires et traductions, Poésie/Gallimard, 1966.