ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE 2009

Extrait Bioéthique

Éléments de réflexion proposés
par la Commission Église et Société de la F.P.F.

AVERTISSEMENT
La Fédération protestante de France, est partie prenante du grand débat national « les états généraux de la bioéthique ». Dans le cadre de sa commission Église et Société, un groupe de travail, constitué de médecins, de théologiens spécialisés dans les questions d’éthique, et de pasteurs a élaboré le document qui vous est proposé. Il est le miroir des questions et des interpellations que le protestantisme dans sa diversité veut adresser à tous ceux – décideurs politiques, praticiens, acteurs sociaux ou tout simplement citoyens – qui sont soucieux de trouver des repères qui orientent leur réflexion, leurs pratiques, leurs décisions.
Ce document n’est en aucun point normatif et ne définit pas un magistère protestant en la matière. Tout en se réjouissant des progrès accomplit par la recherche médicale, ce texte porte un regard lucide et si possible libérateur, sur des techniques qui en l’occurrence impliquent plus que de la matière, fut-elle vivante, mais aussi des symboles qui touchent aux mystères de l’identité des personnes et au lien social qui les unit.
La Fédération protestante veut également attirer l’attention sur l’environnement économique et social de ces problématiques. Dans un monde touché par une crise financière économique et sociale de grande ampleur, confronté à la limite de ses ressources, la notion de partage doit être au cœur de toutes les politiques publiques – celles de la santé en particulier. C’est pourquoi une réflexion doit être aussi engagée sur les arbitrages budgétaires qui président à la mise en œuvre de ces techniques; on ne saurait ignorer que de telles applications, même à visée préventive ou thérapeutique, ne doivent pas introduire de discrimination économique entre ceux qui pourraient les assumer financièrement et ceux qui ne le pourraient pas. D’autre part, elles ne doivent pas pénaliser la mise en œuvre de grandes politiques publiques de santé préventive ou thérapeutique alors même que l’on constate dans notre pays que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour une part de plus en plus importante de la population. En outre, il faut garder en mémoire que la population mondiale, dans sa grande majorité, est loin de ces problématiques et que désormais, tout progrès accompli pour certains peuples, doit être mesuré aussi en considérant l’écart qu’il creuse avec d’autres peuples.
C’est donc aussi un appel à la modération dans la mise en œuvre de techniques lourdes, coûteuses et potentiellement discriminatoires que la Fédération protestante de France lance.

Abonnement aux Cahiers de l'École pastorale

Je m'abonne

ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE 2009

PRÉAMBULE


L’approche protestante des questions de bioéthique est fondée sur quelques principes fondamentaux relatifs à une manière spécifique (référée aux sources bibliques) de comprendre la condition humaine. On note ainsi que :
Si l’être humain est bien corporéité et réalité biologique, il ne saurait se résumer à ces qualités. L’homme est tout autant être social et être de paroles qu’organisme cellulaire, quelque réelle, complexe et remarquable que soit cette organisation. L’éthique en matière biomédicale se doit donc de respecter la tension entre ces deux aspects de la vie humaine : le génome et la matérialité corporelle d’une part, l’inscription de celle-ci dans un tissu généalogique, de désirs et de projets, d’échanges de paroles et d’inscriptions sociales d’autre part.


C’est ce qu’indique la Bible lorsqu’elle affirme que Dieu crée matière et corporéité certes, mais par sa Parole (Genèse 1). Créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu », l’être humain s’éprouve alors comme essentiellement relationnel, la relation entre Dieu et l’homme se trouvant comme reprise et dédoublée dans celle du « masculin et du féminin » (Genèse 1.26). Dans la même ligne, la religion d’Israël se distingue des cultes païens en refusant toute représentation corporelle de Dieu et en réprouvant tout culte naturiste de la fertilité. Cette position n’implique de rejet ni de la corporéité, ni de la sexualité ; elle refuse néanmoins de réduire l’humanité de l’homme à ces deux réalités brutes. Aussi est-ce bien en Jésus-Christ, incarnation d’une « Parole qui se fait chair », que l’humanité trouve sa réalisation pleine et entière, (Jean 1.2).


Certes, il n’y a pas d’éthique sans normes ni règles. Mais, l’Évangile assure que « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2.28), « la règle est faite pour l’homme et non l’homme pour la règle ». Avec Paul Ricœur, on peut par ailleurs indiquer que l’éthique se caractérise d’une façon générale par la « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, au sein d’institutions justes ». Le christianisme, en matière de vie profane – d’éthique biomédicale en particulier – trouve là la finalité de toute morale humaine authentique : la règle ne peut l’emporter sur la recherche de la vie bonne qu’elle se doit de servir ; elle n’a de sens que dans la mesure où elle assure la vie avec et pour autrui ; elle n’est justifiée que dans la mesure où elle produit des institutions justes.


Il n’y a d’éthique que dans le respect de la liberté. Or celle-ci ne se conçoit pas sans son double : la responsabilité. Cette dernière se comprend à la fois comme réponse à l’appel d’A/autrui et comme prise sur soi (imputation) du poids de ses actes propres. Puisque le protestantisme se réfère à la Bible lue à la lumière de l’Évangile, diverses compréhensions s’élaborent en son sein, notamment en matière d’éthique biomédicale. Cette pluralité rend aussi compte de la complexité des sujets traités.
Par ailleurs, les positions de la Fédération Protestante de France en matière biomédicale depuis un demi-siècle portent toutes la même marque : soucieuses des situations individuelles – notamment des plus fragiles – comme des équilibres symboliques et sociétaux, elles n’imposent rien, mais offrent des « éléments de réflexion », susceptibles de former les consciences et de guider l’intelligence et les pratiques.


C’est en tenant compte de ces principes généraux que sont abordés les problèmes particuliers suivants.


I - RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES ET SUR L’EMBRYON


1. Introduction

Lors d’un essai de procréation médicalement assistée, il est possible de créer un certain nombre d’embryons in vitro. Au moment où le transfert d’un ou deux dans l’utérus a réussi et la grossesse a commencé, il reste souvent d’autres embryons in vitro : les « embryons surnuméraires ». Ces embryons sont composés de plusieurs « cellules souches » : de cellules qui ne sont pas encore « spécialisées » ; elles sont donc capables de donner naissance à différents types de cellules. La recherche biomédicale s’intéresse beaucoup à ces cellules, susceptibles d’être utiles dans la thérapie de maintes maladies.


Les embryons dont le couple n’a pas tout de suite besoin lors de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) sont conservés au froid dans l’azote liquide. Le couple décidera de leur destin futur : implantation dans l’utérus en cas de projet parental, don d’embryon à un couple ne pouvant avoir d’enfant en dehors de cette méthode, arrêt de conservation ou, sous certaines conditions, mise à disposition pour la recherche.


La loi de bioéthique de 2004 interdit la recherche sur l’embryon. Mais en même temps, elle prévoit des dérogations exceptionnelles, liées à deux critères : Les recherches sur des embryons (surnuméraires) doivent « permettre des progrès thérapeutiques majeurs », et elles ne sont autorisées qu’en l’absence de « méthode alternative d’efficacité comparable ». Les embryons susceptibles de devenir l’objet d’une recherche sont uniquement des embryons créés dans le cadre d’une procréation médicalement assistée et pour lesquelles il n’existe plus de « projet parental ». Les parents ont donc la possibilité de les offrir pour un projet de recherche.

2. Statut de l’embryon


Faut-il ou non maintenir cette possibilité dérogatoire d’utiliser des embryons humains à des fins de recherche ? La réponse à cette question dépend essentiellement du statut que l’on confère à l’embryon humain.
L’éthique protestante souligne que l’être humain est une unité inséparable d’une existence corporelle et relationnelle. On ne saurait donc le réduire à sa seule corporéité ou aux seules relations dans lesquelles il se déploie.


Cette affirmation principale conduit à différentes conceptions au sein du protestantisme. Ces différentes sensibilités ne sont pas spécifiques d’une tradition protestante particulière, mais traversent les frontières dénominationnelles. Pour les uns, l’embryon « sans projet parental » ne s’inscrit pas dans une relation et ne pourra donc devenir un être humain à part entière. C’est pourquoi son « utilisation » à des fins de recherche est éthiquement justifiable. Dans cette situation, il s’agit probablement de la solution du moindre mal. Pour les autres, un embryon humain n’est jamais sans relation, humaine ou divine. Il n’est pas possible de faire dépendre le statut d’une vie humaine des seules opinions, décisions et projets humains. L’embryon sera donc à protéger, et le « sacrifier » pour la recherche signifierait une « chosification » inadmissible d’une vie humaine individuelle.

3. Nombre des embryons « surnuméraires »

Même s’il y a ici différentes opinions au sein du protestantisme, un consensus important se dessine par rapport au problème des milliers d’embryons surnuméraires.
Nous plaidons pour une restriction d’embryons crées lors de chaque essai d’AMP. Le protestantisme encourage chaque couple ayant recours à l’AMP de demander à ce que l’on ne crée que le nombre d’embryons susceptibles d’être transférés. Il faudrait en tout cas souligner que tout couple a le droit de limiter le nombre d’embryons créés lors d’un essai d’AMP.

4. Des alternatives possibles pour la recherche

Le protestantisme dans son ensemble souhaite encourager les politiques à favoriser la recherche de solutions alternatives à l’utilisation des cellules souches embryonnaires, notamment par le financement de la recherche sur les cellules souches ombilicales et adultes et sur les cellules pluripotentes induites.

5. Régime dérogatoire ?

Le régime dérogatoire actuel – la recherche sur l’embryon est interdite, mais possible sous forme d’une dérogation – n’est pas sans importance sur le plan symbolique : il conserve l’idée d’une transgression dans l’acte de la destruction d’un embryon humain. D’un autre coté, si cette dérogation devient la règle, sa valeur symbolique s’estompe et c’est l’installation d’un règlement hypocrite. Si le législateur opte pour le maintien de la possibilité de recherches sur l’embryon humain, nous l’invitons à mettre en place un régime d’autorisation strictement encadré. La proposition du Conseil d’État en date du 5 mai, présentant ces conditions (…) nous paraît aller dans le bon sens. Par ailleurs, il conviendrait de limiter au plus juste le nombre d’embryons créés par essai d’AMP.

II - LES DIAGNOSTICS PRÉNATAL ET PRÉIMPLANTATOIRE

1. Introduction

Le « diagnostic prénatal » concerne l’embryon (le fœtus) en gestation. Il comporte différentes techniques tel que l’échographie du fœtus, l’examen du sang de la mère pour identifier le taux de certains marqueurs sériques des éventuelles cellules fœtales circulantes(1), et l’établissement du « caryotype » (examen des chromosomes) du fœtus, dans le but de détecter d’éventuelles anomalies. En cas d’anomalie, la femme peut demander une interruption médicale de grossesse.


Le « diagnostic préimplantatoire » concerne des embryons conçus « in vitro ». Il permet de détecter une maladie génétique grave qui pourrait être transmise par les parents. Le but est de trouver, parmi les embryons créés, celui ou ceux indemnes de cette maladie. Seuls ces embryons indemnes seront ensuite transférés dans l’utérus de la mère.


Les techniques des diagnostics prénatal (DPN) et préimplantatoire (DPI) représentent des progrès scientifiques remarquables. Comme toute avancée technique, ils participent aussi à l’ambiguïté de l’agir humain. Le diagnostic prénatal permet, dans certains cas, une thérapie in utero et peut donc être un bénéfice pour l’enfant à naître. Mais souvent le DPN débouche sur la proposition d’une interruption de grossesse et pose donc une question de vie ou de mort. Le DPI offre au couple la certitude d’attendre un enfant indemne de la maladie en question. Mais pour atteindre ce but, ce diagnostic nécessite une sélection parmi différents enfants possibles.

2. Questions principales


Plusieurs questions se posent sur le plan éthique et théologique :
a) Sélection
Dans le cas du DPN suivi d’une interruption de grossesse, on souhaite éviter la naissance d’un enfant atteint d’une maladie grave et sans recours thérapeutique. Dans le cas du DPI, la sélection se fait déjà avant la grossesse, on évite donc la naissance d’un enfant malade, mais aussi une éventuelle interruption médicale de grossesse.


Toute sélection parmi des personnes humaines potentielles s’avère extrêmement problématique sur le plan éthique. Peut-on mesurer la valeur d’une vie humaine, en fonction de...

L'accès au reste de cet article est protégé.

Achetez cet article pour le lire en intégralité ou le télécharger en PDF.

Recevez ce numéro
au format papier

7 €

J'achète ce numéro

Téléchargez ce numéro
au format ePub et PDF

5 €

J'achète ce numéro

Abonnement aux Cahiers de l'École pastorale

Je m'abonne

1.
L’extension du diagnostic aux cellules fœtales circulantes dans le sang de la mère va bouleverser les possibilités de diagnostic sans intervenir sur le fœtus lui-même.

Informations complémentaires

Vous aimerez aussi

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail nous permet :

  • de vous reconnaitre et ainsi valider automatiquement vos commentaires après 3 validations manuelles consécutives par nos modérateurs,
  • d'utiliser le service gratuit gravatar qui associe une image de profil de votre choix à votre adresse e-mail sur de nombreux sites Internet.

Créez un compte gratuitement et trouvez plus d'information sur fr.gravatar.com

Chargement en cours ...