Partager l’Évangile au quotidien

Complet L'évangélisation

Le 15 octobre 2016 a eu lieu à l’Institut biblique de Nogent la « Journée de l’évangélisation » organisée en partenariat avec Agapé France, Jeunesse pour Christ, France évangélisation, Mission gospel France sur le thème « Partager l’Évangile au quotidien ». Étienne Lhermenault assurait l’apport biblique à partir de 1 Pierre 3.14-16.

Son intervention est une invitation à un témoignage résolu, régulier, courageux, mais encore nourri d’intelligence, d’humilité et d’amour pour le prochain. L’auteur scrute au fil du texte biblique ce que Pierre dit en considérant trois paires de mots caractérisant ce qui est attendu de chaque croyant : « Justifier » et « défendre » d’abord, qui soulignent la nécessité de l’apologétique ; ensuite « toujours prêts », qui alertent sur la réalité de l’hostilité. Et enfin, « avec humilité et respect », qui indiquent que la fin ne justifie pas les moyens.

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Partager l’Évangile au quotidien

« Il y a quatre-vingt-six ans que je sers [le Christ], et il ne m’a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon Roi qui m’a sauvé ? » Celui qui parle ainsi est un célèbre martyr des débuts de l’ère chrétienne, Polycarpe, disciple de Jean l’évangéliste et évêque de Smyrne. Quand il prononce ces mots, il est sommé par le proconsul qui l’a fait arrêter d’abjurer sa foi. Ce dernier le presse en disant – je cite Le Martyre de Polycarpe(1) :

« “Respecte ton grand âge” et tout le reste qu’on a coutume de dire en pareil cas : “Jure par la fortune de César, change d’avis, dis : À bas les athées” ».
Polycarpe dit ces mots mais refusa de jurer.
Alors le proconsul insista et dit : « “Jure, et je te laisse aller, maudis le Christ” ;
Polycarpe répondit : “ Il y a quatre-vingt-six ans que je sers [le Christ], et il ne m’a fait aucun mal ; comment pourrais-je blasphémer mon Roi qui m’a sauvé ?” »

Au fond, Polycarpe a fait, par ces quelques mots en cette occasion dramatique, ce que nous sommes tous appelés à faire en des circonstances plus prosaïques : défendre l’espérance qui est en nous quand on nous en demande raison. Qu’il l’ait fait au péril de sa vie ou que nous le fassions en toute liberté, une même motivation nous anime, rendre gloire à celui qui nous a sauvé.

Nous scruterons ce que dit l’apôtre Pierre dans ce passage en considérant trois paires de mots qui semblent bien caractériser ce qui est attendu de chaque croyant : « Justifier » et « défendre » d’abord qui soulignent la nécessité de l’apologétique ; ensuite « toujours prêts » qui alertent sur la réalité de l’hostilité ; « avec humilité et respect » qui indiquent que la fin ne justifie pas les moyens.

I. La nécessité de l’apologétique ou la force persuasive de l’argumentation

En écrivant à ses premiers lecteurs « Si l’on vous demande de justifier votre espérance, soyez toujours prêts à la défendre », Pierre veut encourager des croyants en butte à l’hostilité de leurs compatriotes. Il parle dans sa lettre de « calomnie » (1 P 2.12 ; 3.16), d’« injure » ou d’« insulte » (3.9 ; 4.14), de « châtiment » donc probablement de violence physique (2.20) et de rejet social (4.4). Autant dire de choses assez répandues et expérimentées à des degrés divers par les croyants de tous les lieux et de tous les temps, y compris en France en 2016 à l’exception des châtiments… pour l’instant. Nous reviendrons sur ce climat d’hostilité qui accompagne la foi, mais il est nécessaire d’avoir au moins un aperçu du contexte pour mieux saisir ce que veut dire l’apôtre.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’hostilité en général se verbalise ; et même si c’est sous les formes détestables de la calomnie, de l’insulte ou de l’ostracisme, le croyant est invité à répondre aux objections qui sont formulées. Quel est donc le sens de cet impératif ?

1. L’espérance plutôt que la foi

Le choix du vocabulaire par l’apôtre n’est pas neutre : il invite les croyants à défendre leur « espérance » plutôt que leur « foi ». Il ne s’agit donc pas du simple contenu de la foi – dispenser un cours de doctrine ne suffit pas – ni même de l’élan de confiance en Dieu – donner un simple témoignage n’est pas en vue ici –, mais de leur mise en perspective, du sens que la foi donne à la vie. Au fond, le mot « espérance » englobe la foi dans son contenu et son élan mais en lui donnant sa dimension vitale et historique :

  • Vitale parce que le fait d’attendre de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera oriente de façon décisive la vie et les choix du croyant aujourd’hui. C’est parce qu’il croit que ce qui est immédiat et visible n’est pas toute la réalité que le croyant peut faire un choix éthique coûteux sur le plan social, renoncer à un avantage immédiat ou à court terme d’un point de vue pragmatique, ou dédaigner une gloire éphémère par amour pour le Seigneur et en vue d’un bonheur plus grand et plus durable.
  • Historique parce que le fait de porter ses regards sur l’accomplissement de toutes choses inscrit le croyant dans une histoire qui a un commencement avec la création, une suite avec la chute et une magnifique réponse avec la rédemption dont seulement une partie est effective aujourd’hui. Le croyant sait donc d’où il vient, ce qu’il doit aujourd’hui à la grâce de Dieu pour son salut et ce qui l’attend, c’est-à-dire le meilleur !

Autant dire que le croyant n’est pas appelé à présenter une simple explication rationnelle de ses convictions, ni à donner un récit émouvant de son choix religieux, encore moins à livrer une affirmation timide et relative de ce qu’il croit (« à chacun sa vérité ! »), mais à proposer un témoignage engagé de sa foi au point de montrer comment elle affecte toute sa vie.

Si nous y réfléchissons un instant, parler d’espérance au sens chrétien du terme c’est déjà aller à contrecourant dans un monde qui a perdu la plupart de ses illusions et préfère se perdre dans des plaisirs immédiats plutôt que d’investir dans un bonheur différé mais plus durable. J’en veux pour preuve la frénésie de consommation, la multiplication des aventures sentimentales ou la folie de la spéculation financière qui ne jure que par l’enrichissement à court terme !

2. L’idée d’une obligation

La deuxième remarque tient au choix des deux verbes « justifier » ou « rendre des comptes » et « défendre » ou « faire l’apologie de ». Nous avons affaire, ici, à un vocabulaire de nature juridique à tel point que certains commentateurs ont fait le lien avec Matthieu 10.16ss et « ont conclu que l’exhortation visait la situation de chrétiens accusés et menés devant les autorités civiles(2). » Pourtant, comme le remarque Samuel Bénétreau, il y a bien des situations ordinaires où le croyant peut être amené à s’expliquer sur ce qui l’anime et le porte. À vrai dire, l’homme a un besoin quasi irrépressible de se justifier et de demander des comptes comme s’il ne pouvait agir sans s’expliquer ou voir d’autres agir sans éprouver le besoin de leur demander des comptes.

À cet égard, il nous paraît intéressant de signaler que même les tyrans les plus sanguinaires ont toujours eu le besoin d’expliquer de façon rationnelle leurs méfaits, de les parer des vertus de la science et de la sagesse. Pensez à Hitler qui n’a pu adopter la solution finale sans avancer l’explication démente que les Juifs étaient des sous-hommes, de la vermine qui corrompait la race aryenne et de construire une pseudoscience pour étayer ses affirmations. Pensez à Staline, responsable de la mort de plusieurs millions de personnes, qui éprouvait le besoin de passer par des procès, certes expéditifs, mais des procès quand même pour accomplir sa sale besogne. Pensez encore à la justification de la ségrégation raciale aux États-Unis par des baptistes ou de la politique d’apartheid en Afrique du Sud par des réformés à coup d’arguments bibliques !

Tout cela témoigne de façon paradoxale que, même dans ses entreprises les plus folles, celles où il se prend pour Dieu en opprimant et en supprimant ses semblables, l’homme reste dépendant du Créateur et ne peut totalement effacer son statut de créature à l’image de Dieu. En effet, le besoin de rendre compte, la nécessité de se justifier et d’expliquer ses actions, témoigne d’un fait indéniable : l’homme ne peut vivre sans lien, même perverti, avec ceux qui l’entourent(3). Si donc l’homme pécheur ne peut se soustraire au besoin de justification, l’homme « juste » parce que justifié par Christ, ne le doit pas. Dit autrement, la foi qui anime le croyant ne l’arrache pas à la communauté humaine à l’égard de laquelle il reste redevable. Si ses semblables lui demandent compte de son espérance, il n’est pas autorisé à ignorer ou à mépriser cette attente(4).

Signalons pour terminer sur ce point que, dans son commentaire, Samuel Bénétreau affirme que l’expression « demander compte » (Aïteïn logon) relève aussi du vocabulaire de la comptabilité. Il en conclut que :

« Répondre à qui interroge… c’est s’acquitter d’une dette. Le chrétien est redevable à l’égard des autorités, des frères et aussi de tous (1 P 2.17 ; Rm 13.7-8). Le non-chrétien en particulier a droit à des explications, de même qu’à un comportement cohérent avec la confession de la foi, comme le v.16 va le rappeler(5). »

3. Le rôle de la parole et de la raison

Que le croyant soit invité à défendre son espérance, c’est-à-dire à rendre des comptes à ceux et celles qui lui en demandent, a des implications qui ne sont pas toujours correctement prises en compte dans nos Églises.

La première implication, c’est que le témoignage est d’abord affaire de paroles. Cela ne disqualifie certes pas les actions ou les gestes qui ont aussi leur place, mais rien ne saurait remplacer le discours. Créatures douées de parole, nous sommes appelés à faire usage de ce don pour défendre notre espérance. Nous ne devrions jamais oublier que, fils et filles du Dieu qui s’est révélé par l’Écriture et par le Fils éternel qui est aussi son logos, nous ne saurions faire l’économie de la proclamation verbale, du discours intelligible pour répondre à nos contemporains. Ou alors nous nous croyons plus sage que Jésus, le Fils incarné, qui, malgré ses miracles et ses prodiges, a jugé bon de commencer son ministère par la prédication, d’enseigner régulièrement les foules et d’expliquer les vérités du Royaume à ses disciples. Si donc nous sommes appelés à parler, c’est dans le cadre précis de l’échange, donc de la relation. Comment répondrons-nous à ceux dont nous n’entendons pas les interrogations ou les objections parce que nous ne les croisons jamais, enfermés que nous sommes dans nos Églises ? ou parce que nous ne prenons pas au sérieux ce qu’ils nous disent ? Et comment pourrons-nous répondre de façon pertinente si nous n’écoutons pas soigneusement non seulement ce que nos objecteurs nous disent, mais aussi ce qu’ils ne verbalisent pas ou pas entièrement ? Pour le dire autrement, il ne saurait y avoir de réponse toute faite à nos objecteurs, de credo à réciter ou quelques versets bibliques à placer, mais une intelligence renouvelée par l’Esprit à mettre au travail pour dire l’espérance chrétienne dans un langage accessible et sensible à la désespérance de nos interlocuteurs.

La deuxième implication liée à la première, c’est que si rendre compte de son espérance est affaire de dialogue, donc de discernement et d’argumentation, alors la foi et la raison ne sont pas opposées. Si le croyant est appelé à défendre son espérance auprès de ceux et celles qui lui demandent d’en rendre compte, c’est bien que l’espérance, ainsi que la foi qui la soutient, se raisonne, s’argumente, se justifie. Il existe dans notre milieu évangélique une idée reçue qui oppose la foi et la raison, le zèle et l’intelligence, la préparation et l’inspiration, qui ne trouve aucun soutien dans l’Écriture. Elle conduit de nombreux croyants à mépriser la formation biblique et théologique, à parer de vertus spirituelles la spontanéité, ce qui vient du « cœur », et des vices les plus sévères la réflexion, ce qui vient de l’intelligence, par exemple les prières écrites ou les prédications soigneusement préparées. Je n’hésite pas à dire que cette conception est mondaine et ne fait pas droit à la vérité biblique. Le cœur n’est pas, selon l’Écriture, le siège de la seule affectivité, mais aussi de l’intelligence et de la volonté. Quant au péché, il a si bien corrompu toutes les parties de notre être qu’aucune n’est indemne, pas plus l’affectivité que l’intelligence, l’élan spontané que la réflexion approfondie. Comme le dit fort bien John Stott dans son désormais classique Plaidoyer pour une foi intelligente à propos de l’esprit anti-intellectualiste qui règne dans certains milieux chrétiens :

« Il n’a rien à voir avec une vraie piété, mais il est marqué par la mentalité du monde. Il est par conséquent une forme de l’esprit du monde. Dénigrer l’intelligence équivaut à miner les doctrines fondamentales du christianisme. Dieu nous aurait-il créés comme des êtres rationnels pour que nous allions jusqu’à nier l’humanité qu’il nous a donnée ? Dieu nous ayant parlé, refuserions-nous de l’écouter ? Dieu ayant renouvelé notre intelligence par le Christ, négligerions-nous de réfléchir ? Dieu ayant manifesté sa justice dans sa parole, n’aurions-nous pas la sagesse de construire notre maison sur ce roc (Matthieu 7.24-27)(6) ? »

Notre passage est une belle illustration de cette vérité, car la défense de l’espérance nécessite à la fois une sérieuse connaissance biblique et théologique – voilà pour l’intelligence –, et une solide conviction pour oser répondre sans faiblir et sans se départir de sa sérénité à ceux qui nous bousculent –, voilà pour l’affectivité. Cette défense argumentée et passionnée de la foi s’est mue en une discipline théologique extrêmement précieuse dans la proclamation de l’Évangile : l’apologétique. Le professeur Yannick Imbert de la faculté Jean Calvin en donne la définition simplifiée suivante :

« Dans son sens le plus commun, l’apologétique concerne la défense de la foi chrétienne, c’est-à-dire la capacité à répondre à la fois aux questions et aux objections auxquelles les disciples de Christ sont confrontés. En cela, la responsabilité apologétique relève de la vocation personnelle du chrétien […], l’apologétique, chercher à dévoiler les implications de la foi chrétienne dans tous les aspects et engagements de la vie humaine. L’apologétique est ainsi plus une question d’être que de faire(7). »

Troisième et dernière implication, cela veut dire que l’Esprit-Saint se sert de la force de l’argumentation pour persuader, non pas en raison de l’habileté propre de celui ou de celle qui défend son espérance, mais en raison de la vérité biblique mise en lumière dans la réponse élaborée. En effet, l’Écriture nous conduit à affirmer que c’est le Saint-Esprit qui convainc et qu’il se sert de la Parole qu’il a inspirée pour le faire. Ainsi, notre apologétique, qu’elle soit personnelle ou communautaire, n’aura de force que dans la mesure où elle se soumet à l’Écriture et la sert. Il est donc indispensable qu’elle soit prêchée et enseignée dans nos communautés si nous voulons que les croyants soient toujours prêts à défendre leur espérance. En la matière, nous sommes aujourd’hui loin du compte car, si l’autorité de la Bible est toujours confessée dans notre milieu évangélique, elle est en pratique trop rarement prise au sérieux par ceux qui prêchent – combien de messages n’ont à peu près rien à voir avec le texte lu en introduction – de même que par ceux qui président les cultes ou dirigent la louange – trop souvent j’ai constaté dans mes déplacements qu’ils ouvraient à peine la Bible pour conduire ces moments !

II. La réalité de l’hostilité ou la rudesse surprenante du combat

La deuxième paire de mots, c’est le « toujours prêts » dans « soyez toujours prêts à la défendre » (v.15b) qui signale une situation de tension, un climat d’hostilité dans lequel le croyant est bousculé. Même sans aller jusqu’à considérer qu’il est fait référence dans l’épître à une persécution féroce et systématique conduisant les croyants devant les tribunaux, tout indique qu’il s’agit néanmoins d’un contexte difficile. À commencer par la citation du prophète Ésaïe : « Ne craignez pas les hommes, ne vous laissez pas troubler. » (v.14b ; És 8.12-13) Dans le texte de l’Ancien Testament, légèrement différent, « ne craignez pas tout ce qu’il [ce peuple] craint, ne le redoutez pas », il est probablement fait référence à la coalition syro-éphraïmite qui a attaqué le royaume de Juda pour l’obliger à faire alliance avec eux contre l’empire assyrien. Pierre reprend la version de la Septante à son compte « n’ayez pas crainte de lui » (« lui » pouvant désigner le pouvoir assyrien ou le peuple qui a fait alliance avec les Araméens(8)) en élargissant le sens à « eux », c’est-à-dire aux méchants. Ce que cet emprunt laisse entendre, c’est que les hommes, qu’il s’agisse des armées au temps d’Ésaïe ou des méchants au temps de Pierre, ont des raisons d’effrayer ceux qui suivent le Seigneur. Leur pouvoir est réel : ils peuvent tuer et détruire dans un cas, nuire et diffamer dans un autre. Le réflexe spontané dans ce genre de situation, c’est de tourner sa veste ou de baisser pavillon pour essayer de survivre ou éviter de souffrir.

1. L’hostilité du monde

Il me semble utile de rappeler ici une vérité trop souvent minimisée par les croyants en Occident : le monde leur est hostile, de diverses manières, certaines douces et subtiles, d’autres grossières et violentes, mais toujours avec un seul objectif : les mettre à mort spirituellement ou physiquement. Nous devrions relire avec plus d’attention les avertissements du Seigneur (« Voici : moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez prudents comme des serpents et innocents comme des colombes. » Mt 10.16) et méditer la fresque de l’Apocalypse où Jean dépeint les forces qui se déchaînent et se sont toujours déchaînées contre le peuple de Dieu. Outre ces affirmations bibliques, il y a aussi l’expérience quotidienne des abandons, des trahisons et des chutes. Ne voyons-nous pas combien l’accusateur des frères décime les rangs de nos Églises et combien le champ de bataille recèle de morts et de blessés ? Ouvrons les yeux pour regarder la réalité en face : la vie spirituelle n’est pas un jeu aimable pour chrétiens dilettantes, c’est un engagement de tout l’être et de toute la vie à la suite du Christ où nous renonçons à nous-mêmes et prenons notre croix !

Cette hostilité prend aujourd’hui en France la forme d’un combat contre l’islamisme qui, au nom d’une certaine vision de la laïcité, voudrait privatiser le fait religieux au point de le bannir de l’espace public. C’est ainsi que le CNEF voit fleurir avec inquiétude des propositions de loi concernant les cultes qui traduisent une volonté explicite de les contrôler, voire de les utiliser pour imposer une forme de concorde civile : pénalisation de la prédication subversive, dispositions relatives à l’exercice des cultes, au financement des cultes qui visent à renforcer le contrôle des associations cultuelles par les préfectures, enfin dispositions relatives aux lieux de culte qui renforceraient le pouvoir du ministre de l’Intérieur en matière d’ouverture ou de fermeture de lieux de culte…

2. Regarder au Seigneur

Je reviens au texte pour souligner une chose que j’ai volontairement laissée dans l’ombre jusqu’ici : ne pas craindre les hommes a pour corollaire de regarder au Seigneur, car lui seul peut nous donner cette force d’âme, cette sérénité malgré l’hostilité. Que dit l’apôtre Pierre exactement ? « Dans votre cœur, reconnaissez le Seigneur – c’est-à-dire Christ – comme saint » (v.15a). Il convient d’abord de remarquer que cette partie du texte est aussi une citation du prophète Ésaïe (8.13) :

« Mais reconnaissez comme saint le Seigneur des armées célestes ; c’est lui que vous craindrez, lui qu’il faut redouter. »

L’insistance du prophète porte sur la crainte du Seigneur. Mais que veut dire « reconnaître Christ comme saint », ou dans d’autres traductions « Sanctifiez Christ le Seigneur » ? Selon Samuel Bénétreau(9), c’est reconnaître précisément, en la confessant, la seigneurie du Christ, c’est-à-dire accepter ce qu’il dit de lui : il est le Saint, l’Unique. Et ce, avec deux précisions :

  • « dans nos cœurs », d’abord, non pour restreindre cette reconnaissance à l’intériorité mais pour la situer au centre de la personne humaine,
  • dans toute notre vie, ensuite, par un comportement sanctifié, qui s’aligne donc sur la sainteté du Maître : un témoignage oral déterminé, doublé d’un comportement exemplaire (v.15b-16).

3. La nécessité d’être prêt

Une fois ces deux vérités précisées, l’hostilité du monde qu’il ne faut pas craindre et la seigneurie du Christ qu’il faut reconnaître, pourquoi faut-il être toujours prêts à défendre notre espérance ?

D’abord, pour des raisons de foi. Il se joue autour du témoignage oral rendu au Seigneur une question décisive du même ordre que celle du rapport entre la foi et les œuvres dont parle Jacques. L’espérance chrétienne n’a pas vocation à rester secrète et il ne saurait y avoir d’attachement au Christ invisible. Si nous aimons Jésus, si nous saluons en lui notre Seigneur, si sa grâce nous a transformés, alors nous ne pouvons rester muets quand nous sommes questionnés, moqués, menacés même. Si nous voulons lui rendre gloire, nous ne pouvons taire sa bonté et sa grandeur quand bien même il pourrait en aller de notre vie à l’instar de Polycarpe. Ici, c’est de courage dont il est question. Et de prix à payer. Trop de croyants ont laissé la crainte les dominer, les réalités visibles prendre le pas sur les réalités invisibles, le confort relatif présent estomper la gloire à venir. Souvenons-nous des paroles du Seigneur :

« Si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles au milieu des hommes de ce temps, qui sont infidèles à Dieu et qui transgressent sa Loi, le Fils de l’homme, à son tour, aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. » (Mc 8.38).

Ensuite pour des raisons missionnaires. Envoyés dans le monde entier pour faire de toutes les nations des disciples, nous ne saurions gagner les hommes et les femmes à Christ en refusant de parler. La foi vient de ce qu’on entend et ce qu’on entend, dit Paul aux Romains, vient de la Parole de Dieu. Et quelques versets plus haut, il posait ces questions rhétoriques :

« Mais comment feront-ils appel à lui s’ils n’ont pas cru en lui ? Et comment croiront-ils en lui s’ils ne l’ont pas entendu ? Et comment entendront-ils s’il n’y a personne pour le leur annoncer ? » (Rm 10.14)

Ici, c’est moins la question du courage que celle du contenu qui est en cause. Être prêt, c’est avoir pris le temps de comprendre les vérités de l’Écriture, les avoir assimilées et être capable de les restituer de façon adaptée. En un mot, c’est accepter de se former pour répondre à la vocation qui nous est adressée. Pourquoi passons-nous tant de temps et dépensons-nous tant d’argent pour acquérir des compétences professionnelles, certes respectables, mais aux effets limités, et si peu pour nous former sur le plan spirituel et nous préparer à comprendre et à transmettre les vérités éternelles ?

III. La fin ne justifie pas les moyens ou le rôle décisif du témoin

Il nous reste, pour terminer cet exposé, à faire quelques remarques sur la suite de l’impératif : « soyez toujours prêts à défendre [votre espérance], avec humilité et respect, et veillez à garder votre conscience pure. » (v.15b-16).

1. Dérapages et motivations

Cette précision est bien utile, car il n’est pas si facile de tenir correctement une position défensive. Bousculés par ceux qui nous sont hostiles, nous pouvons nous raidir, devenir cassants et même rendre coup pour coup, donc manquer d’humilité et de respect. J’observe avec un certain déplaisir cette propension chez moi qui ne fait pas honneur au Seigneur et qui ne témoigne pas d’une vraie sérénité. Le problème, c’est qu’à ce petit jeu, vous risquez de devenir comme ceux qui vous combattent, plein de morgue et d’agressivité. Insensiblement, vous êtes contaminés par le mal et vous desservez la vérité par un mauvais témoignage. Si vous voulez un aperçu affligeant de ce type de dérive, lisez les commentaires qui circulent sur certains sites chrétiens d’actualités et vous trouverez un flot de mesquineries, de racisme et de haine souvent nourri par la façon dont les articles sont rédigés. Les chercheurs d’une université de Pékin ont scruté pendant six mois les 70 millions de messages sur le site de mini-blogging Weibo en les classant par sentiment exprimé : colère, joie, tristesse, dégoût… Et c’est la rage qui est apparue comme la plus fréquente(10). Les réseaux sociaux et autres forums sur Internet, parce qu’ils mettent à distance nos interlocuteurs, ont apparemment tendance à rendre plus « libres » et donc souvent plus agressifs. Nous devrions nous en souvenir à la fois pour nous et pour ceux qui nous lisent.

Pour nous, la fin – ici la défense de notre espérance – ne doit jamais justifier les moyens – l’agressivité, la déformation des propos, la mauvaise foi, l’arrogance ou tout simplement l’envie de faire du buzz. J’ai pour ma part été édifié par la capacité qu’avaient ceux qui m’ont enseigné – Henri Blocher, Émile Nicole, Samuel Bénétreau – à rendre compte avec honnêteté des thèses de leurs adversaires théologiques et à y répondre avec fermeté et courtoisie. La vérité n’est bien servie que par l’amour !

L’autre risque encouru dans le débat, quand votre opposant se fait pressant et veut que vous vous justifiiez, c’est l’évitement qui peut aussi être un manque de respect et d’humilité. En effet, nous pouvons refuser d’entrer en matière par timidité, mais aussi par condescendance ou manque d’intérêt ce qui est dans l’un et l’autre cas un manque d’amour.

Une chose est certaine, c’est que nos réactions en situation de défense sont révélatrices de nos motivations souvent cachées et aussi de nos limites : le besoin d’avoir toujours raison, un caractère colérique, une faible résistance au stress, la peur du conflit… Si nous avons besoin d’une chose dans ces situations, c’est bien du secours de l’Esprit Saint pour produire en nous son fruit, en particulier la maîtrise de soi.

2. Le rôle du messager

Si la fin ne justifie jamais les moyens, il faut ajouter que le messager compte presque autant que le message. C’est bien pourquoi l’apôtre Pierre ajoute ces précisions sur l’attitude de celui qui défend son espérance. Dans le cours que je dispense sur l’annonce de la Parole (homilétique) à l’Institut Biblique de Nogent, j’apprends à mes étudiants que, selon les règles de la rhétorique classique, trois choses sont déterminantes dans la communication du message : le contenu ou logos, les caractéristiques émotionnelles du discours ou pathos et le caractère moral du discoureur ou ethos. Et voici ce que j’ajoute :

D’après Bryan Chapell, d’innombrables études ont confirmé la conviction d’Aristote : « l’ethos est l’aspect le plus marquant de la persuasion(11). » De façon plus ou moins consciente, les auditeurs analysent chacun de ces éléments afin d’évaluer le message de l’orateur. En écrivant aux Thessaloniciens (1 Th 1.5), Paul fait écho aux catégories de la rhétorique classique et témoigne que le contenu du discours ne suffit pas à rendre le message puissant si le cœur et le caractère du prédicateur ne le valident pas :

« En effet, la Bonne Nouvelle que nous annonçons, nous ne vous l’avons pas apportée en paroles [logos] seulement, mais aussi avec la puissance et la pleine conviction [pathos] que donne le Saint-Esprit. Et vous le savez bien, puisque vous avez vu comment nous nous sommes comportés [ethos] parmi vous, pour votre bien(12). »

Pierre fait de même ici en parlant d’humilité, de respect et de conscience pure. Cela nous rend attentifs à la nécessité que toute formation chrétienne, qu’elle soit donnée dans l’Église ou en Institut Biblique, vise la transformation de ceux qui la reçoivent et ne se contente pas de la délivrance d’informations, aussi justes et bibliques puissent-elles être.

Conclusion

Défendre l’espérance qui est en nous quand il nous en est demandé compte est donc une responsabilité à la fois sérieuse et quotidienne. Elle pourrait nous paraître au-delà de notre portée. S’il en est ainsi, c’est une bonne chose car nous pourrions nous croire assez malins ou assez forts pour être les témoins du Seigneur. Or, si c’est de la grâce que nous devons rendre compte, c’est aussi par la seule grâce de Dieu que nous pouvons le faire. Heureusement, le Saint-Esprit de Dieu habite en nous, et comme le dit Matthieu l’évangéliste (Mt 10.19s) :

« Lorsqu’on vous livrera aux autorités, ne vous inquiétez ni du contenu ni de la forme de ce que vous direz, car cela vous sera donné au moment même. En effet, ce n’est pas vous qui parlerez, ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera par votre bouche. »

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1.
Extrait mentionné par Jules Marcel Nicole, Précis d’histoire de l’Église, Nogent-sur-Marne, Éditions de l’Institut biblique, 1972, p. 22.
2.
Samuel Bénétreau, La première épître de Pierre, CEB, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1984, p. 200.
3.
Seul Dieu lui-même a cette capacité absolue à ne pas justifier ce qu’il décide ou permet. Nous en avons une parfaite illustration avec le livre de Job. Quand il se met à dialoguer avec sa créature qui ne cesse de lui réclamer des explications, il fait éclater sa parfaite souveraineté en le renvoyant à la puissance qu’il a déployée lors de la création mais sans jamais satisfaire le besoin pour Job de comprendre ce qui lui arrive.
4.
L’ordre de Jésus de « ne pas jeter ses perles aux pourceaux » (Mt 7.6) invite toutefois le croyant à ne pas être naïf. Il existe des méchants et des moqueurs qui ne cherchent qu’à détruire.
5.
Ibid., p. 201.
6.
John Stott, Une foi intelligente et équilibrée, Charols/Paris, Excelsis/GBU, 2016, p. 29s, coll. Éclairages. Il s’agit de la réédition de deux classiques Plaidoyer pour une foi intelligente publié par les GBU en 1982 et Pour une fois équilibrée publié par Sator en 1986.
7.
Yannick Imbert, « Apologétique », in C. Paya et N. Farelly (sous dir.), La foi chrétienne et les défis de la vie contemporaine, Charols, Excelsis, 2013, p. 4.
8.
Samuel Bénétreau, op. cit., p. 199.
9.
Ibid.
10.
Mark Galli, « Beautiful Orthodoxy: What the world – and the church – needs now », Christianity Today, October 2016.
11.
Bryan Chapell, Prêcher, l’art et la manière, trad. de l’anglais par Christophe Paya, coll. Diakonos, Charols, Excelsis, 2009, p. 23
12.
Ibid., p. 24.

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