Mission et éthique : proposition d’articulation en rapport avec l’action face à la pauvreté

Complet La mission
L’action chrétienne face à la pauvreté a régulièrement été considérée ces dernières décennies en rapport avec la mission de l’Église. Il est pourtant au moins aussi naturel d’y penser en termes d’éthique. L’article cherche à déterminer plus précisément le rapport entre l’action sociale, politique, économique, environnementale et le mandat missionnaire d’une part, et son rattachement à l’éthique biblique d’autre part. Il cherche à montrer que la discussion n’est pas purement conceptuelle, mais va avec une compréhension différente de la transformation que nous pouvons viser à obtenir dans notre monde ou que nous serions responsables de faire advenir. Il examine certains aspects de la pensée de la missio Dei et insiste sur une approche qui distingue la création, la chute et la rédemption et pense l’action face à la pauvreté à la lumière de la dualité des mandats créationnel et missionnaire. Si l’action sociale chrétienne peut avoir valeur de signe de la venue du royaume de Dieu, il faut penser son efficacité en se référant premièrement à la bénédiction originelle de Genèse 1 qui donne à l’humanité une prise sur les réalités terrestres. Il argue enfin que le déploiement pratique des considérations proposées laisse la place à une grande liberté et multiplicité d’applications possibles qui doivent tenir compte de la diversité des occasions de faire le bien et des vocations.

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Bible pour le mondeDans un bref article de réponse au monumental ouvrage de Christopher Wright, La mission de Dieu, Émile Nicole esquisse les éléments d’une critique de la notion de « mission holistique(1) ». Je proposerai ici quelques réflexions en rapport avec l’action face à la pauvreté qui prennent leur point de départ dans un dialogue avec ses propositions pour tenter de progresser sur un sujet à propos duquel les débats ne sont pas clos(2).

1. Distinguer entre mission et éthique chrétienne ?

Les approches « holistiques » ou « intégrales » de la mission incluent dans celle-ci tant la « proclamation » que la « manifestation » de l’Évangile. On peut les résumer avec les trois verbes de la Déclaration du Réseau Michée sur la mission intégrale : « Être, faire et dire, comme vivait Jésus, voilà le cœur de notre tâche intégrale(3)). »

Le questionnement que pose Émile Nicole est le suivant :

« […] est-ce bien un ordre de mission holistique que l’Église a reçu de son Seigneur ? N’est-il pas plus conforme à l’enseignement de l’Écriture de distinguer mission et éthique chrétienne ? Rapporter à l’enseignement éthique interne tout ce que Wright rattache à l’aspect social de la mission (société, économie, politique, environnement) permet de s’en tenir, pour la mission de l’Église, au mandat explicite qu’elle a reçu(4). »

La suggestion d’Émile Nicole est « de maintenir distinctes, la mission et l’éthique, sans pour autant les disjoindre(5) ». Il indique lui-même ce qui connecte les deux : « L’éthique se trouve d’ailleurs étroitement reliée à la mission de faire des disciples : “Enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit.” (Matthieu 28.20)(6) » Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le souci social, notamment celui des pauvres, mais de considérer qu’il dépend de l’enseignement et de la pratique de l’éthique chrétienne et non pas de l’accomplissement de la mission de l’Église.

Le débat semblera byzantin à certains. Il ne l’est pas et nous aurons à revenir plus loin sur les implications pratiques des différentes positions, mais je voudrais, dans un premier temps, expliquer en quoi l’approche d’Émile Nicole présente des forces qui me paraissent incontestables et en quoi je crains que la distinction qu’il propose ne disjoigne davantage que ce qui serait souhaitable entre éthique et mission.

1.1. La pertinence de la distinction entre mission et éthique

1.1.1. Mandat missionnaire et service de la Parole

Que faut-il entendre par « mission » ? La réponse à cette question est âprement débattue(7). Il ne serait pas sage de chercher à la trancher au début de cet article, mais il faut bien commencer quelque part. Je proposerai ici de partir de l’idée de mandat missionnaire, en entendant par cette expression le contenu des textes suivants : Matthieu 28.16-20, Marc 16.15-18, Luc 24.44-49, Jean 20.21-23 et Actes 1.8. Nous n’avons pas à présupposer que ces passages nous livrent le tout de ce qu’est la mission d’après la Bible, ni à les isoler de l’ensemble de la révélation scripturaire. Déjà lors du premier congrès de Lausanne (1974), John Stott avait averti contre une tendance à donner à la « dernière instruction que Jésus a donnée avant de retourner au Père » une place qui éclipse d’autres enseignements du Christ pourtant pertinents pour parler de la mission(8). C’est encore davantage le souci de Chris Wright que de ne pas bâtir la théologie de la mission sur le seul texte de Matthieu 28, mais plutôt de développer toute une « herméneutique missionnelle(9) ». Mais ce qu’Émile Nicole appelle le « mandat explicite » reçu du Seigneur mérite certainement une considération à part et sa méditation peut commencer à éclairer notre sujet.

Si nous regardons les cinq passages que je viens de mentionner, je crois qu’il faut reconnaître loyalement que le service de la Parole joue un rôle central dans l’accomplissement du mandat missionnaire qu’ils définissent. Le verbe traduit par « faire des disciples » en Matthieu 28.19 doit certainement être mis en rapport avec la transmission d’une parole, ce que confirme la comparaison avec les autres Évangiles et le récit des Actes d’une part et l’insistance sur l’enseignement de tout ce que Jésus a prescrit (verset 20)(10) d’autre part. Il faut bien noter que le mandat missionnaire tel que défini dans ce texte ne s’arrête pas à la démarche initiale du nouveau disciple vers le Christ (la conversion) ou à l’entrée dans l’Église (le baptême) mais se poursuit ensuite. Il n’est donc pas uniquement dirigé vers « ceux du dehors » et ne se réduit pas à ce que l’on appelle couramment l’évangélisation(11).

L’évangile selon Luc parle du fait que la repentance en vue du pardon des péchés soit prêchée au nom de Jésus à toutes les nations (24.47). La finale de Marc appelle quant à elle à prêcher la Bonne Nouvelle à toute la création (16.15) et décrit l’obéissance à cet ordre en ces mots : « Et ils s’en allèrent prêcher partout(12) . » (verset 20) Les étapes décrites en Actes 1.8 (Jérusalem, la Judée, la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre) sont marquées par la communication orale du message évangélique (Actes 2.14-36 ; 8.1,4,5,40 ; 10 ; 28.31…).

Dans l’évangile selon Jean, l’envoi des disciples dans le monde est lié au pardon des péchés : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » (20.23) Ce n’est pas par l’exercice d’un pouvoir sacramentel qu’ils feront cela mais d’abord et avant tout par la prédication de l’Évangile qui indique avec autorité le chemin par lequel on obtient le pardon et qui annonce le jugement de ceux qui ne se repentent pas(13).

Il faudrait être singulièrement myope pour ne pas voir la centralité du ministère de la Parole dans l’accomplissement du mandat missionnaire ! C’est à tel point le cas que l’apôtre Paul n’hésite pas à assigner une place lourdement subordonnée à un élément qui est pourtant explicitement inclus dans la finale de Matthieu, comme l’un des moyens par lesquels faire des disciples(14), à savoir le baptême : « Car Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile… » (1 Corinthiens 1.17) A fortiori faut-il affirmer que rien ne justifie dans ces textes l’idée d’une « mission » chrétienne contenant à égalité l’annonce de l’Évangile et l’action sociale, qui a été illustrée avec les images des deux ailes d’un oiseau ou d’un avion, des deux lames d’une paire de ciseaux ou des deux conjoints dans un mariage(15). Le ministère de la Parole est le moyen par excellence et incontournable de l’accomplissement du mandat missionnaire. On ne peut dire cela de rien d’autre(16).

Ceci étant dit, il faut immédiatement ajouter que le sens et les applications du verbe traduit par « faire des disciples » (Matthieu 28.19) d’une part et des termes « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jean 20.21) d’autre part, ne sont pas épuisés par le seul ministère de la Parole. Nous y reviendrons et j’essaierai en particulier de déterminer plus précisément dans quel sens on peut effectivement rattacher le souci des pauvres à l’accomplissement du mandat missionnaire, mais il nous faut commencer par repérer un autre rattachement, beaucoup plus évident.

1.1.2. Souci des pauvres et éthique biblique

Pour Émile Nicole, l’aide sociale relève « de l’éthique chrétienne, de la solidarité entre chrétiens et plus généralement de la solidarité des chrétiens envers tous leurs semblables(17) ». Elle se rattache à la « charité chrétienne » et à la « simple solidarité humaine »(18). Le mandat missionnaire exige que l’on joigne un « enseignement moral » à « l’appel à la foi, afin de faire des disciples qui mettent en pratique tout ce que Jésus a enseigné(19) ». Cette mise en pratique elle-même ne rentre pas, pour Émile Nicole, dans la portée du mandat missionnaire(20).

« …Enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. » (Matthieu 28.20) Le lecteur attentif de l’évangile selon Matthieu peut difficilement sous-estimer l’importance de deux textes, dont Jésus lui-même souligne qu’ils indiquent l’essentiel de ce qu’ordonnent la loi et les prophètes, dans ce « tout ce que Jésus a prescrit ».

Le premier a été appelé la « règle d’or » et s’énonce ainsi :

« Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes. » (Matthieu 7.12 NBS)

Le second a été appelé le « sommaire de la loi » et dit ceci :

« Les pharisiens apprirent qu’il [Jésus] avait réduit au silence les Sadducéens, ils se rassemblèrent, et l’un d’eux, docteur de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l’épreuve : “Maître, quel est le grand commandement de la loi ?” Jésus lui répondit : “Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier et le grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.” » (Matthieu 22.34-40 / Bible à la Colombe)

Une constatation s’impose : il est beaucoup plus naturel et immédiatement compréhensible de rattacher le fait de partager son pain avec celui qui a faim ou de libérer celui qui souffre de l’oppression à un texte qui parle de faire pour les gens ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous qu’à un texte qui parle de faire de toutes les nations des disciples !

Certes, ni la règle d’or ni le sommaire de la loi ne parlent explicitement d’aide aux pauvres ou d’action sociale. Mais le sermon sur la montagne fait bien de l’aumône un exemple type de la pratique de la justice (Matthieu 6.1-4). Le terme choisi dans la règle d’or qui parle des « gens » ou des « humains » et non uniquement des autres disciples nous autorise à faire une application proprement sociale de Matthieu 6.1-4(21) . Plus encore : puisque la règle d’or résume l’exigence de la loi et des prophètes nous pouvons et devons faire des applications sociales pour aujourd’hui des innombrables passages vétérotestamentaires qui parlent des pauvres. Il nous faudra bien sûr faire les distinctions et transpositions qui s’imposent avec le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance d’une part et les différences significatives entre les temps bibliques et le nôtre d’autre part. Mais nous pouvons et devons nous appuyer sur ces textes en rapport avec l’action face à la pauvreté dans le monde aujourd’hui.

Le sommaire de la loi, quant à lui, parle de l’amour du « prochain ». Le sens exact de ce mot est plus difficile à déterminer que ce que l’on pense souvent(22). Il me semble en particulier que l’on sous-estime régulièrement le degré auquel la Bible présente une notion « analogique » du prochain. Autrement dit ce n’est pas de manière univoque que deux personnes différentes seront dites être mon prochain. « Prochain » n’est pas le plus petit dénominateur commun qui s’appliquerait de façon égale à ma relation avec tous les êtres humains du monde. Ce n’est pas un synonyme d’« autrui » ou de « tous les hommes ». Il faut en particulier reconnaître que, dans certains contextes, « prochain » désigne uniquement un frère ou une sœur en Christ (les exemples les plus nets sont Éphésiens 4.25 et Romains 15.2, mais ce ne sont pas les seuls). Il ne nous place donc pas nécessairement dans le domaine « social ».

Ceci dit, Matthieu 22.34-40 est sans doute l’un des passages qui offrent l’usage le plus large du terme et permet une application à tout être humain que Dieu place sur notre chemin. Une triple considération permet de le prouver :

  • Dans le passage lui-même, le fait que le second commandement soit dit « semblable » au premier trouve sa meilleure explication dans la création de l’être humain en image de Dieu(23). Tout être humain est image ressemblante de Dieu et l’aimer est donc « semblable » au fait d’aimer son Créateur. L’ancrage ultime du commandement de l’amour du prochain est créationnel.
  • Le parallèle entre les formulations de Matthieu 22.40 et Matthieu 7.12 sur le rapport à la loi et aux prophètes favorise une interprétation du « prochain » qui la rapproche des « gens », des humains placés sur notre chemin, quels qu’ils soient.
  • L’enseignement du sermon sur la montagne sur l’amour de l’ennemi visait dans son contexte en premier lieu l’occupant romain susceptible de réquisitionner les auditeurs de Jésus et, à l’image de la grâce commune de Dieu, peut s’appliquer à n’importe quel « méchant » ou « injuste » avec qui nous serions en relation (cf. Matthieu 5.38-48). Il favorise nettement une conception très large du prochain.

Le commandement de l’amour du prochain englobe donc notre vie au sein de la société humaine. On peut en particulier méditer à son sujet l’injonction d’Ésaïe qui, parlant de partager son pain avec celui qui a faim, de couvrir celui qui est nu et d’amener à la maison les pauvres sans abri, précisait : « Et ne te détourne pas de celui qui est ta (propre) chair. » (Ésaïe 58.7) Il y a là un éclairage frappant sur le sens du « comme toi-même ». Il faut aimer son prochain comme soi-même parce qu’il est comme une partie de soi-même, en raison de divers liens que j’ai avec lui – et au minimum du lien d’humanité – et cela a une application toute particulière au pauvre parce qu’il a des besoins particuliers(24).

Quoi que l’on pense de l’inclusion de l’action sociale et du souci du pauvre dans la portée du mandat missionnaire, il faut en tout cas reconnaître qu’ils se logent sans difficulté dans ce qu’Émile Nicole appelle « l’éthique chrétienne », « la solidarité entre chrétiens et plus généralement […] la solidarité des chrétiens envers tous leurs semblables », et encore la « charité chrétienne » et la « simple solidarité humaine ». Toutes ces choses font partie de « tout ce que Jésus a prescrit ». L’enseigner fait partie de l’accomplissement du mandat missionnaire.

1.1.3. Mise en pratique de l’éthique biblique et accomplissement du mandat missionnaire

Faut-il aussi faire rentrer dans l’accomplissement du mandat missionnaire le fait de mettre en pratique cette éthique comprenant tout ce que Jésus a prescrit ? Avant d’expliquer pourquoi je pense qu’en un sens il faut répondre que oui (ce qui m’amènera donc à émettre des nuances par rapport à la position d’Émile Nicole), je crois nécessaire d’expliquer en quel sens la réponse ne peut pas être unilatéralement positive. Trois points peuvent être soulignés.

Le premier concerne l’analyse du texte lui-même. Il est évident que Jésus attend de ses disciples, envoyés parmi toutes les nations, qu’eux aussi gardent tout ce qu’il a prescrit et qu’ils ne soient pas comme les scribes et les pharisiens qui disent et ne font pas (Matthieu 23.3). Comme le souligne Vinoth Ramachandra : « Clairement nous ne pouvons pas faire d’autres personnes des disciples si nous ne sommes pas nous-mêmes des disciples. » Et encore : « Si faire des disciples a à voir avec le fait de “leur enseigner à garder tout ce que je vous ai prescrit”, alors celui qui fait des disciples doit aussi s’appliquer à obéir à tout ce que le Maître a enseigné. » Il lâche, semble-t-il avec irritation : « Alors comment osons-nous être sélectifs dans notre lecture de l’enseignement de Jésus et réduire ce texte à “annoncer l’Évangile” ou à “implanter des Églises”(25) ! »

Je sympathise avec l’intention de Vinoth Ramachandra et je reconnais le danger qui existe à isoler certaines tâches précises (annoncer l’Évangile, implanter des Églises) du contexte dans lequel elles doivent être menées. Mais ce n’est pas parce que celui qui fait des disciples doit mener une vie chrétienne fidèle qu’il faut confondre cette vie et la mission à laquelle il contribue, ni la condition que doit remplir celui qui fait des disciples et la tâche même de faire des disciples. De façon analogue, il est tout à fait permis de dire que pour aimer Dieu en vérité il faut aimer son prochain et que pour aimer son prochain, au sens plein de l’expression, il faut aussi aimer Dieu, mais cela n’autorise pas à confondre l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Matthieu 28.18-20 présuppose et implique sans aucun doute que celui qui fait des disciples doit lui aussi vivre en disciple, mais ce n’est pas cela qui est directement le sujet du mandat qu’il énonce.

Le deuxième point nous conduit à souligner que l’implication sociale et le souci des pauvres ne peuvent pas se réduire à n’être qu’un aspect de la réalisation de la tâche de faire des disciples. Elles ont une valeur et une consistance propres. Quand Jésus parle d’enseigner à garder tout ce qu’il a prescrit, cet enseignement est un simple moyen de faire des disciples en conduisant à la maturité ceux qui ont pris le chemin d’une vie nouvelle. Mais quand nous gardons effectivement cet enseignement, quand nous apprenons à aimer Dieu et notre prochain, à faire pour les gens ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous, à nous soucier des pauvres, à accomplir le bien sous toutes ses formes, cela peut contribuer à faire des disciples (nous y reviendrons) mais cela ne s’y réduit pas. L’éthique n’est pas soluble dans la mission ! Il est amusant de constater que des personnes qui sont souvent exagérément sensibles au danger d’« instrumentaliser » l’action sociale au « profit » de l’évangélisation sont en même temps les plus intransigeants quand il s’agit d’affirmer que cette action fait partie intégrante de la mission. Une vraie distinction entre éthique et mission ne servirait-elle pas davantage ce qu’il y a de légitime dans leur souci ?

Le troisième point concerne l’universalité de la loi de Dieu(26). Si le sommaire de la loi résume l’essentiel de ce que Dieu avait prescrit au peuple d’Israël, il faut affirmer qu’il exprime fondamentalement la volonté de Dieu pour tout être humain. Si le peuple de Dieu peut recevoir des prescriptions particulières qui s’adressent à lui seul, le noyau de ce qui est bien et mal est le même pour tous et se trouve défini par la loi de l’amour. C’est ce qui permet aussi que le jugement dernier soit universel. Aimer son prochain, se soucier des pauvres, pratiquer le droit et la justice, tout cela ne constitue pas une mission spécifique de l’Église : ce sont des devoirs d’humanité ! A contrario, « faire des disciples » n’est une mission que pour l’Église. Ne faut-il pas pouvoir marquer cette différence en ayant des mots différents pour parler de réalités différentes ?

Distinguer entre mission et éthique semble donc pleinement justifié. Encore faut-il ne pas les disjoindre. Émile Nicole estime ne pas l’avoir fait en ayant marqué qu’il faut joindre l’enseignement moral à l’appel à la foi. Est-ce suffisant ?

1.2. L’impossibilité de la disjonction entre mission et éthique

En examinant de plus près l’articulation entre mission et éthique, nous pouvons faire une première remarque, un peu en passant : il y a un sens dans lequel le mandat missionnaire lui-même peut être inclus dans l’éthique chrétienne et rapporté au sommaire de la loi. Si nous sommes appelés à faire des disciples, c’est par amour pour notre prochain et ultimement par amour pour Dieu. Je plaide pour que la distinction nécessaire entre mission et éthique ne soit pas présentée comme celle de deux grandeurs qui s’additionneraient.

Il faut aller un peu plus loin. Nous avons vu que le ministère de la Parole est central pour ce qui est de faire des disciples. Mais nous avons aussi dit que le sens et les applications du verbe traduit par « faire des disciples » (Matthieu 28.19) d’une part et des termes « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jean 20.21) d’autre part, n’étaient pas épuisés par le seul ministère de la Parole. Il faut maintenant développer ce point.

Il est courant aujourd’hui d’insister sur les dimensions non-verbales de la communication(27). Il me semble que cet accent n’est pas sans risque : mal compris, il peut dangereusement mettre en cause la place unique de la Parole dans l’application du salut. Le Nouveau Testament est très clair à ce sujet : la foi vient de ce qu’on entend et c’est par la parole de la croix que Dieu sauve les croyants (cf. Romains 10.17 et 1 Corinthiens 1.17-25). Ce qui est en cause ici, c’est l’aspect historique, de « nouvelle », d’information qui fait partie intégrante de l’Évangile(28). On peut éventuellement communiquer une vérité éternelle comme « Dieu est amour » de façon non-verbale. Mais pour transmettre le message que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle », il faut des paroles ! Nous devrions être « jaloux » de la place de la Parole.

Ceci dit, s’il est bien compris, l’accent sur la communication non-verbale a des racines bibliques incontestables. Comment Jésus a-t-il « discipulé » ses disciples ? La parole a joué un rôle central, mais le moins que l’on puisse dire est que cette parole n’a pas été dite dans le vide, ni même dans le contexte très spécifique et limité d’une salle de classe, d’un amphithéâtre ou d’une réunion d’évangélisation. Il a vécu avec eux plusieurs années et leur a donné un exemple à suivre. Sa marche avec Dieu, sa mise en pratique de l’éthique biblique, était partie intégrante de la formation qu’il leur a donnée. L’apôtre Paul a fait de même lorsqu’il a appelé les chrétiens à être ses imitateurs et leur a donné un modèle par son comportement et son amour (cf. 1 Corinthiens 11.1, Philippiens 4.9, etc.).

Ce qui est vrai de la formation de ceux qui sont venus au Christ l’est aussi en rapport avec l’appel de ceux qui sont encore en dehors de la communauté chrétienne. À Tite, Paul demande d’exhorter les esclaves à se conduire d’une manière qui serve de parure à la doctrine de Dieu notre Sauveur (Tite 2.10). Samuel Bénétreau commente : « Au souci de la réputation du Dieu des chrétiens s’associe certainement une pensée missionnaire. » Il approuve la considération de Dornier selon laquelle Paul considère ainsi que l’esclave participe avec les autres fidèles à la mission apostolique de l’Église(29). Quand les chrétiens accomplissent des œuvres bonnes, non seulement ils gardent ce que Jésus a prescrit mais ils contribuent au mandat de faire des disciples en faisant honorer la Parole qui est le moyen de la grâce par excellence. On peut encore mentionner ce que Pierre dit de l’éventualité qu’une femme réussisse à « gagner » sans parole son mari par le moyen de sa conduite (1 Pierre 3.1-2)(30). La même épître évoque le fait que les païens glorifient Dieu en voyant les œuvres bonnes des chrétiens (2.12), ce qui renvoie à l’enseignement de Jésus dans le sermon sur la montagne sur les disciples comme sel de la terre et lumière du monde : « Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos œuvres bonnes, et glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matthieu 5.16) Dans l’évangile selon Jean, l’amour mutuel des chrétiens et leur unité font passer un message, jouent un rôle « cognitif » :

« À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres(31). » (Jean 13.35)

« […] que tous soient un […] afin que le monde croie que tu m’as envoyé. […] afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés, comme tu m’as aimé. » (Jean 17.21,23)

L’agir chrétien n’est donc pas seulement une aide à la mission : il fait partie intégrante du processus conduisant à faire de certaines personnes des disciples. Ne peut-on pas dire, en s’inspirant du proverbe africain qui affirme qu’il faut tout un village pour élever un enfant, qu’il faut tout l’être, le dire et le faire de l’Église rassemblée et dispersée pour faire un disciple ?

Vinoth Ramachandra affirme :

« Si la vie, la mort et la résurrection du Verbe-fait-chair est le contenu du témoignage de l’Église, alors le contenu doit aussi déterminer la forme que le témoignage prend. Nous ne nous tenons pas à distance de la souffrance et du péché du monde, en disant un message étranger, détaché, depuis une position de supériorité ou de facilité qui se complaît en elle-même, pas plus que le Verbe de Dieu n’a choisi de se présenter lui-même dans le style de quelque habile gourou télévisé dont les paroles désincarnées sont retransmises de façon impersonnelle dans tous les coins du globe grâce à la technologie satellitaire(32). »

Bien que le vocabulaire de l’incarnation en rapport avec la mission soit plus délicat à manier que ce que beaucoup d’évangéliques ne réalisent(33) et que la suite du texte de Ramachandra ne fasse peut-être pas tout à fait justice à ce qu’il y a d’unique dans la proclamation de la Parole, les lignes que j’ai citées me semblent justes et constituer un commentaire approprié de la forme johannique du mandat missionnaire.

Je conclus des considérations précédentes que la pratique de l’éthique biblique, et donc le souci des pauvres et l’implication sociale peuvent être rattachés à la mission. Encore faut-il penser, de façon un peu plus précise, la nature de ce « rattachement ». Nous avons déjà vu qu’il allait avec l’affirmation du caractère central du ministère de la Parole. Mais ce n’est pas suffisant : il faut creuser plus avant.

2. Dessein de Dieu et mission chrétienne

Le livre de Christopher Wright que discute Émile Nicole s’intitule La mission de Dieu. Le génitif « de Dieu » dans « mission de Dieu » ne signifie pas seulement que c’est Dieu qui a confié la mission à l’Église, mais bien d’abord et avant tout que c’est Dieu lui-même qui est en mission, mission à laquelle l’Église est appelée ensuite à « participer ». Une telle façon de parler implique des révisions non négligeables en termes de vocabulaire(34) et remet en cause l’équivalence souvent admise entre la « mission » et ce que nous avons appelé le « mandat missionnaire » au début de cet article.

La démarche que Wright propose est à mettre en rapport avec l’approche dite de la missio Dei. Il n’est pas question de prétendre traiter de façon complète un sujet d’une telle ampleur dans le cadre de cet article. Mais il faut en dire quelque chose si l’on veut clarifier la nature du rattachement de l’engagement social/politique/citoyen/environnemental en général et du souci du pauvre en particulier à la mission. Or, je dois confesser que bien des discours actuels me paraissent confus(35)

2.1. La missio Dei : deux lignes de pensée

Il me semble important de distinguer la confluence de deux lignes de pensée dans la réflexion sur la missio Dei(36).

La première est celle qui met l’accent sur le fait qu’en théologie chrétienne le vocabulaire de la mission a d’abord été employé dans le cadre de la doctrine de la Trinité pour parler de l’envoi du Fils dans le monde par le Père et de l’envoi du Saint-Esprit dans le monde par le Père et le Fils(37). Ce serait uniquement à partir du 16e siècle que le terme aurait été appliqué à l’Église, d’abord du côté catholique, avec une concomitance malheureuse avec l’extension coloniale(38). Evert Van de Poll va jusqu’à dire que cela a entraîné une notion de mission dont nous n’avons jamais pu totalement nous défaire comme de « la mise en œuvre du mandat d’annoncer l’Évangile dans le monde entier, en envoyant des missionnaires qui vont traverser des frontières géographiques pour porter l’Évangile et implanter l’Église en dehors du monde occidental dans des pays “païens”(39) ». Ce serait en tout cas à partir de l’époque moderne que l’on aurait commencé à parler de la mission en rapport avec la mission de l’Église.

Le thème de l’envoi du Fils et de l’Esprit est non seulement incontestablement scripturaire mais même fondamental et structurel dans toute l’histoire biblique(40), et il est en rapport avec la mission chrétienne. La mission de l’Église est certainement coordonnée et subordonnée à la mission du Saint-Esprit. Si l’on y tient absolument, on peut dire qu’elle y « participe »(41) . Il faut néanmoins être conscient du flou qui s’attache à ce verbe(42).

Ensuite, il est plus exact pour parler de cette première ligne de pensée des missions divines au pluriel, en précisant qu’il s’agit de missions de personnes divines plutôt que de « la » mission de « Dieu ». Le Père n’est pas en mission dans ce premier sens et il serait encore plus problématique de l’attribuer à la Trinité ou à la divinité comme telle(43).

Mais la deuxième ligne de pensée est précisément celle qui se dégage de la connotation de l’« envoi » et même de la seule « tâche confiée » pour penser la mission « dans le sens général d’un dessein ou d’un but à long terme, que l’on réalise ou que l’on atteint à travers des objectifs proches et des actions planifiées(44). » Hannes Wiher cite une définition de Timothy Tennent selon qui « la mission de Dieu est “l’initiative historique et rédemptrice de Dieu envers sa création”(45) ». L’idée est extrêmement claire et peut être déterminée bibliquement comme le fait l’Engagement du Cap (dont l’auteur principal n’est autre que Christopher Wright) à l’aide du texte d’Éphésiens 1.10 : « Toute la Bible révèle la mission de Dieu : conduire tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre à être uni sous le gouvernement du Christ, en les réconciliant par le sang de sa croix(46). » On comprend que ceux qui adoptent cette perspective qui offre effectivement une clé de lecture à la Bible tout entière résistent à la « réduction » de la mission au mandat missionnaire.

Il est bien certain que notre mission a comme sens de participer à ce qu’indique la citation de l’Engagement du Cap. Le problème, c’est que le mot « mission », en tout cas en français(47), n’a jamais signifié « dessein ou but à long terme » ou « initiative ». Une mission est quelque chose qui est confié à quelqu’un par quelqu’und’autre : autrement dit c’est à peu près le contraire de ce qu’on appelle une initiative… Ce que veulent dire ceux qui affirment qu’Éphésiens 1.10 définit la « mission de Dieu » est peut-être (sans doute) très largement exact. Mais on ne peut pas le dire comme cela en français !

2.2. Parler de mission de Dieu répond à la recherche d’un terme commun pour Dieu et pour nous.

Il me semble que ce que l’on veut vraiment en parlant de « mission de Dieu », c’est avoir un terme commun pour parler de nous et de Dieu, de ce que nous sommes appelés à faire et de ce qu’il fait(48). Or « mission » – que les évangéliques ont l’habitude d’utiliser pour l’Église – est trop faible pour faire l’affaire(49). Suivre la suggestion d’Émile Nicole consistant à dire que les chrétiens ont une mission et que Dieu réalise ses desseins(50) ne permet pas d’atteindre le but recherché… mais est évidemment plus précis, plus clair et plus juste(51).

Pourquoi veut-on un terme commun pour Dieu et pour nous ? La visée me semble d’abord être théocentrique. Hannes Wiher décrit l’usage du mot « mission » qui débute au 16e siècle pour la « mission de l’Église » comme « ecclésio-centrique »(52). Vinoth Ramachandra explique que l’accent sur le Dieu trinitaire comme sujet de la mission délivre l’Église d’une attitude centrée sur elle-même qui est idolâtre(53). Wright martèle : « La mission n’est pas à nous ; la mission est à Dieu(54). » Arrêter de regarder la mission comme étant d’abord quelque chose que nous faisons n’est-ce pas à la fois élargir notre vision pour rendre toute la gloire à Dieu, inscrire notre action dans une histoire beaucoup plus large et peut-être échapper à l’activisme ?

Ramachandra ajoute un deuxième élément : la théologie de la missio Dei délivre l’Église d’un rétrécissement de la portée de la mission(55). C’est là que la notion de mission intégrale intervient (explicitement). La « mission de Dieu » concerne l’ensemble de la création, tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. C’est pour cela que notre mission, qui est la participation à la mission de Dieu, sera, elle aussi, holistique.

Tirer des conclusions pour la mission de l’Église de ce qui est vrai de la « mission de Dieu » demande des étapes supplémentaires dans le raisonnement. Émile Nicole relève :

« Il faudra au moins distinguer ce qui relève d’une mission commune de Dieu et de l’Église et ce qui reste une prérogative divine : “À moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur”, rappelle Paul aux chrétiens (Romains 12.19), précisément pour les dissuader de se faire justice eux-mêmes. Il y a des choses que le chrétien ne doit pas faire, précisément parce que Dieu se les réserve. Pour éviter toute confusion, n’est-il pas préférable de dire que les chrétiens ont une mission et que Dieu réalise ses desseins(56) ? »

Qu’en est-il de l’aspect « intégral » de la « mission » ? Relève-t-il ou non de ce que l’on pourrait (à la rigueur et en mauvais français) appeler une « mission commune de Dieu et de l’Église », ou est-il plutôt une prérogative divine ? Faut-il dire que, puisque le dessein de Dieu a des dimensions non seulement spirituelles mais aussi sociales, globales et cosmiques(57), notre mission doit en avoir aussi ?

Le texte de Vinoth Ramachandra me semble montrer les lignes du raisonnement qui le conduit à une réponse positive. Il affirme les trois points suivants(58) :

  1. La rédemption concerne toute la création.

  2. Les effets de la victoire du Christ doivent se propager dans tous les coins du monde jusqu’à ce que tout ce qui est hostile à Dieu soit pacifié et alors la création tout entière aura part au shalom.

  3. La réconciliation cosmique se concentre sur l’Église et celle-ci est le moyen premier de cette réconciliation.

Comment commenter ? Le premier point me paraît bien argumenté bibliquement. Je voudrais seulement souligner qu’il comporte une grande part de mystère. Comment concevoir l’application de la rédemption à l’ensemble de la création ? La régénération échappe à bien des égards à notre compréhension. Cependant, elle se déroule en nous et nous en expérimentons quelque chose. La résurrection de la chair et la vie éternelle dépassent notre entendement et bousculent les repères que nous avons ici-bas. Pourtant l’assurance que Jésus-Christ est vraiment ressuscité et qu’il est vivant aux siècles des siècles lestent de réalité ce que nous attendons pour notre propre corps. Mais que signifie la régénération de toutes choses ou la libération de la création de la servitude de la corruption et sa part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu ? (cf. Matthieu 19.28 et Romains 8.21) Comment concevoir ce que la deuxième lettre de Pierre présente comme un passage par le feu des cieux et de la terre actuels (cf. 2 Pierre 3.7-13) ? Nous pouvons penser que les cieux et la terre passeront par quelque chose qui présente une analogie significative avec la régénération et la résurrection, mais avouons qu’il est difficile d’en préciser la nature.

Le deuxième point attire notre attention sur la distinction entre l’acquisition du salut et son application. La victoire du Christ ne se traduit pas par l’établissement immédiat du shalom dans sa plénitude. Il y a des étapes dans l’application. La formulation de Vinoth Ramachandra reste floue : elle peut facilement se lire comme si le salut se propageait de façon continue, comme une onde(59) qui atteint progressivement le monde entier. Une telle façon de présenter les choses met insuffisamment en valeur la distinction des temps qu’un Henri Blocher a su, au contraire, appuyer très nettement :

« La présence du Royaume, discrète comme une semence, ne s’éprouve que dans l’Esprit […] L’Esprit vivifie l’homme “intérieur”, alors que le Royaume est seulement futur pour l’ordre extérieur du monde, dont nous sommes solidaires par le corps. […] Jamais le Nouveau Testament ne dit que la régénération du monde soit déjà accomplie, ni la libération du corps (les guérisons miraculeuses ne sont que les signes d’un Royaume qu’on ne voit pas encore)(60) […] »

« L’instauration du Règne se dédouble selon les Venues. Elle a lieu, à la suite de la première venue, dans et par l’Esprit-Saint ; c’est au plan spirituel qu’elle s’éprouve, c’est l’homme intérieur qu’elle régénère, c’est la communauté des cœurs, l’Église, qui vit déjà la réalité du Règne ou Royaume. […] Dans l’ordre externe, dans la sphère de “l’homme extérieur”, le Règne n’est pas encore établi, bien qu’il puisse s’annoncer par des “signes” ; la seconde Venue seule l’instaurera pleinement […] Des effets perceptibles dans l’ordre externe, dès le temps de l’histoire, ne sont pas exclus par le caractère spirituel de l’instauration, mais ils sont d’appréciation difficile(61). »

Ces affirmations fortes me semblent correspondre à l’enseignement de Romains 8.18-25 (cf. verset 10) sur la rédemption du corps et de la création comme futures, de 2 Corinthiens 4.16 sur le contraste entre « l’homme extérieur [qui] se détruit » tandis que « l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour », mais aussi à ce que montrent les Évangiles de la venue du Royaume qui, dans un premier temps, se fait dans le secret, sous des apparences contraires, dans la miséricorde, par la Parole accompagnée de signes et qui, dans un deuxième temps, au retour du Christ, viendra avec gloire(62). Blaise Pascal avait, dans le texte intitulé « Le mystère de Jésus », mis dans la bouche du Seigneur la parole suivante : « Souffre les chaînes et la servitude corporelle, je ne délivre que de la spirituelle à présent(63). »

Peut-être faut-il préciser encore : la dualité du « corporel » et du « spirituel » se conjugue (sans se superposer avec elle) avec la distinction entre le domaine céleste et le domaine terrestre(64). Comme l’affirme Psaumes 115.16 : « Les cieux sont les cieux de l’Éternel, mais il a donné la terre aux êtres humains. » L’être humain appartient au domaine terrestre tant par son corps que par son âme/esprit. Il n’est pas un être céleste enfermé dans une enveloppe terrestre (dont l’intérieur serait entièrement régénéré et l’extérieur pas du tout). Il est un être terrestre, une créature du sixième jour, mais il a la capacité de transcender quelque peu le domaine terrestre, de lever ses yeux et son cœur vers le ciel (sursum corda !) et de jouir de la communion avec Dieu. Le Créateur a mis l’éternité dans son cœur comme le dit l’Ecclésiaste (3.11).

La distinction entre « le déjà » et « le pas encore » de la venue du Royaume est alors la suivante : le Royaume est déjà venu dans le domaine céleste là où le Christ ressuscité est assis à la droite de Dieu et où nous sommes assis en lui comme en notre représentant (cf. Colossiens 3.1-4, Éphésiens 2.6). Il n’est pas encore instauré dans le domaine terrestre auquel nous sommes rattachés, corps et âme, à ceci près que Dieu nous a donné son Esprit comme arrhes et prémices de la rédemption totale. L’Esprit commence à renouveler ce cœur par lequel nous transcendons quelque peu le domaine terrestre et vit en nous et au milieu de l’Église, communauté de l’âge à venir, unissant les croyants dans le corps mystique de son Fils.

Si l’on reçoit ces considérations, elles impliquent que, quel que soit le rôle de l’Église en rapport avec les dimensions sociales, globales et cosmiques de la rédemption, il ne consiste en tout cas pas à participer à l’application de la rédemption dans ces domaines dans le temps présent. La mission de l’Église ne saurait en aucun cas être holistique dans ce sens-là.

Il ne faut pas forcer le trait. Comme le relève Henri Blocher : « [d]es effets perceptibles dans l’ordre externe, dès le temps de l’histoire, ne sont pas exclus par le caractère spirituel de l’instauration ». Le renouvellement de l’être intérieur du chrétien et la formation de la communauté du Royaume qu’est l’Église ne se déroulent pas dans une bulle isolée du monde ou dans une sorte de réalité parallèle. On peut en attendre des bénéfices pour le monde. Nous essaierons plus loin de penser plus avant de tels « effets ».

Le troisième point souligné dans le raisonnement de Ramachandra d’après lequel la réconciliation cosmique se concentre sur l’Église, qui est elle-même le moyen premier de cette réconciliation, demande aussi à être précisé. Que la réconciliation cosmique se concentre sur l’Église, nous n’aurons pas de peine à l’admettre, mais en quel sens l’Église est-elle le moyen premier en vue de cette réconciliation ? La rédemption est acquise par la mission du Fils sans nous et elle est appliquée par la mission du Saint-Esprit à laquelle notre mission est coordonnée et subordonnée. Quel est notre rôle dans cette application ? Je ne vois nulle part dans l’Écriture qu’il nous soit attribué autre chose que la tâche de faire connaître le salut. L’Église annonce les merveilles de celui qui l’a appelée des ténèbres à son admirable lumière (cf. 1 Pierre 2.9). Sa mission est liée à la révélation du salut. Comme le dit fort bien Hannes Wiher : « … la mission des disciples n’inclut pas l’œuvre de la rédemption, mais l’annonce de cette rédemption(65). » L’efficacité transformatrice de la rédemption, qu’elle concerne les cœurs, les corps ou le rétablissement de toutes choses doit être attribuée au Dieu trinitaire seul, avec une appropriation spéciale au Saint-Esprit. Elle ne relève pas de ce qu’Émile Nicole envisage d’appeler une « mission commune de Dieu et de l’Église ». En termes de transformation rédemptrice, il faut non seulement dire que la mission de l’Église n’est pas holistique, mais même que l’Église n’a pas de mission du tout(66) ! Le vocabulaire de la participation à la mission de Dieu risque de mettre très sérieusement en danger le monergisme du salut. J’estime que contrairement aux intentions des promoteurs de la théologie de la missio Dei, on pourrait difficilement imaginer pire en termes d’ecclésio-centrisme et d’activisme.

Émile Nicole a sans doute perçu que l’un des enjeux majeurs de la discussion autour des questions sociales, politiques, environnementales, citoyennes, etc. se jouait dans cet aspect de « transformation ». Il y revient plusieurs fois :

« Dans l’évangile de Jean, le pouvoir accordé aux apôtres par le Christ ressuscité est celui de pardonner les péchés (Jean 20.23), pas celui de réformer la société, d’établir la justice sur la terre ou de sauver la planète(67). »

« L’Église n’a pas reçu la mission de faire régner la justice et la paix sur la terre, d’éradiquer la corruption ou d’empêcher les génocides. Il lui faudrait pour cela d’autres moyens que ceux que le Christ a prévu de lui donner(68). »

Il explique même que l’une des différences pratiques majeures qu’entraîne le fait de rattacher l’action sociale à l’éthique plutôt qu’à la mission c’est que « déchargée de la mission impossible de sauver la planète, de faire régner la justice et la paix sur la terre, d’en éradiquer la pauvreté, l’Église peut simplement et sereinement montrer par sa conduite la pertinence du message qu’elle proclame(69)… » Derrière des discussions qui peuvent sembler extrêmement théoriques, abstraites et académiques se loge peut-être une question de « mission impossible » et de « sérénité » dans notre marche chrétienne. On ne joue pas impunément à essayer de « participer » à la « mission de Dieu ».

2.3. Peut-on parler d’une mission holistique ?

Les considérations que je viens de faire valoir sur la distinction des temps et sur le fait que le rôle de l’Église dans l’application de la rédemption doit se penser en termes de révélation et non pas de transformation écartent certaines versions de la théologie de la mission holistique. Reconnaissons honnêtement que ce sont sans doute les plus courantes, ou en tout cas que ces dernières sont peu claires sur ces deux sujets. Néanmoins, je ne crois pas pour autant que ce que j’ai écrit soit une objection à une action holistique, ni même, si l’on y tient, au fait de parler d’une forme de mission holistique. Nous sommes appelés à nous engager dans l’ensemble des domaines de la vie humaine parce que les commandements de Dieu les concernent tous et parce que l’anthropologie biblique est holistique et présente l’être humain, dès les premiers chapitres de la Genèse comme spirituel, physique, relationnel et social.

Si la mission doit se penser en termes de révélation du salut, cette révélation n’a pas à être conçue en termes uniquement verbaux et encore moins purement intellectuels. Nos actes et notre manière de vivre et d’être peuvent et devraient y participer. Nous l’avons déjà dit en parlant des aspects non verbaux de la communication. Je lis aussi dans ce sens l’affirmation très forte de l’apôtre selon lequel il supplée en sa chair à ce qui manque aux afflictions du Christ pour son corps qui est l’Église (Colossiens 1.24). La seule chose qui manque aux afflictions du Christ, c’est d’être connues et crues(70) mais c’est « en sa chair » que Paul supplée à ce manque. Comme l’écrit Henri Blocher :

« … le message et le messager font corps ; nous nous engageons personnellement dans le témoignage que nous rendons ; le message se communique en tant qu’il est la vérité non seulement objective, absolue, mais la vérité de notre vie. « Comme » le Christ est la Parole, il nous envoie tels des évangiles vivants : vocation de tous les croyants ou disciples (cf. 2 Co 3.3), et des ministres(71). »

Lorsque l’on a compris cela, on se rend compte que nous pouvons et devrions viser à refléter quelque chose de la révélation de Dieu en Jésus-Christ dans l’ensemble des domaines de notre vie, même dans les gestes les plus ordinaires et les plus simples : par exemple, partager son pain avec celui qui a faim en référence à l’amour de Dieu qui nous a donné Jésus, le pain vivant descendu du ciel ; traiter le mendiant dans la conscience du fait que, selon la dernière parole de Martin Luther, nous sommes tous des mendiants (cf. à ce sujet le lien entre Luc 14.12-14 et 14.21) ; pratiquer le droit et la justice à l’égard des plus pauvres dans l’espérance des nouveaux cieux et de la nouvelle terre où la justice habitera.

De telles perspectives peuvent nous conduire très loin. Je plaide qu’il y a un sens dans lequel nous pouvons et devrions « embarquer » l’ensemble de notre vie dans l’accomplissement du mandat missionnaire, comme si celui-ci donnait une direction et canalisait tout ce que nous sommes appelés à être, à faire et à dire. À cet égard on peut bien parler de mission holistique. Si l’on admet cette manière de voir, il est possible de créer un pont entre la conception de la mission qui se concentre sur le mandat missionnaire et celle qui veut lire la Bible selon une « herméneutique missionnelle ».

Seulement, il faut correctement comprendre à quel niveau se joue la mission, à savoir à celui du signe et non pas de la transformation de la réalité. Insistons encore : dans sa mission, l’Église n'a aucune obligation de résultat, dans aucun domaine. On peut dire qu’elle a une promesse de résultat dans le domaine spirituel même si cela n’exclut pas, par moment, des apparences brutalement contraires. Nous avons la promesse que le Christ continuera à bâtir son Église (l’efficacité vient de lui) et que les portes de la mort ne prévaudront pas contre elle (Matthieu 16.18). Comme l’exprimait Calvin, « le sang de Jésus-Christ ne peut être rendu stérile, qu’il ne produise quelque fruit(72) ».

Pour ce qui concerne le domaine social, on fera bien de se reporter aux sobres considérations de Tim Chester dans le chapitre conclusif de son livre La responsabilité du chrétien face à la pauvreté.

Il se peut que nous assistions à des réformes de la société ; il se peut aussi que nous n’assistions à rien qui ressemble à cela. L’important pour l’Église est de rendre témoignage de la libération future de Dieu. Nous sommes appelés à être la communauté du jubilé, une communauté dans laquelle les pauvres sont accueillis, intégrés et fortifiés. Nous sommes le lieu sur cette terre où l’avenir de Dieu peut être entrevu(73).

Émile Nicole écrit :

« Ce qui est proprement scandaleux pour le christianisme, ce n’est pas que des pays où se trouvent des chrétiens connaissent la corruption ou un génocide, c’est que des chrétiens eux-mêmes s’adonnent à la corruption et participent à un génocide(74). »

Cette remarque est perspicace. On présuppose trop souvent qu’une présence chrétienne massive aura ou devrait nécessairement avoir un effet positif dans la société. Cette idée est assez naïve, non seulement parce que les chrétiens sont souvent infidèles à leur Seigneur, mais aussi parce que l’état du monde est tel qu’aucune fidélité même massive ne garantit contre le malheur social. Souvenons-nous de l’Ecclésiaste : « Les mouches mortes infectent et font fermenter l’huile du parfumeur ; un peu de folie l’emporte sur la sagesse et sur la gloire. » (10.1) et encore : « … un seul pécheur anéantit beaucoup de bien. » (9.18) Même si, par impossible, l’humanité tout entière se convertissait, tant que la soumission de la création à la vanité ne serait pas levée, nous ne serions garantis ni contre la maladie, ni contre la souffrance au travail, ni contre la pauvreté, ni contre la mort.

Ce que je viens de dire pourrait laisser penser qu’en matière d’action sociale, politique ou environnementale, les chrétiens n’auraient pas à se soucier d’efficacité ou de changer la réalité. Il n’en va pas ainsi. Il serait absurde de s’occuper des pauvres si nous ne pensions pas ainsi leur faire réellement du bien ! Et il n’y a pas de raison de penser que nous ne pouvons faire le bien qu’à une toute petite échelle. C’est bien un chrétien évangélique, William Wilberforce, qui a obtenu une avancée décisive dans le combat contre l’esclavage. Mais, où fonder la recherche d’efficacité dans ces domaines ? Et s’il fallait regarder ailleurs que dans la mission de l’Église ?

3. Faire le bien dans le monde de la création, de la chute et de la rédemption

L’implication sociale se rattache donc à la mission de l’Église en tant qu’elle participe à la révélation du salut et est expression et signe de la rédemption et de la venue du Royaume de Dieu. Elle peut ainsi servir de parure à la doctrine de Dieu notre Sauveur. Mais l’amour du prochain qui en est le moteur cherche aussi à changer ou à prévenir des situations de souffrance et d’injustice. Et l’expérience montre que dans un certain nombre de cas, cela fonctionne ! Les conditions de vie de personnes et de populations en situation de pauvreté s’améliorent parfois, la législation et l’organisation de la société peuvent aussi évoluer dans le bon sens.

Je propose de dire que pour penser l’efficacité de notre action sociale, il nous faut revenir au mandat créationnel. Avant de donner une « mission » à l’Église, Dieu a en effet donné une « mission » à l’humanité : multiplier, remplir la terre et la soumettre (cf. Genèse 1.26-28). Pour qu’elle puisse l’accomplir, il l’a bénie, l’équipant ainsi afin que nous ayons effectivement une certaine « prise », une forme de « domination » dans le domaine terrestre (auquel se rattache notre action sociale). Dans le cadre du gouvernement providentiel habituel du monde, nous pouvons donc « compter » sur le fait que nos actes auront certains effets dans le monde malgré l’intervention de la chute(75). C’est fondamentalement à cela que se rattache la réalité de la causalité des humains, chrétiens ou non, dans le monde.

3.1. Le mandat créationnel aujourd’hui : persistance, différence, ambiguïté

Que peut-on dire du mandat créationnel dans le monde tel qu’il est devenu après la désobéissance des humains ? Premièrement, il faut affirmer qu’il est maintenu après la chute, par un effet de la grâce commune. On s’en rend compte en considérant les termes de Genèse 8.22-9.3. Il faut cependant relever que si le thème de la domination reste bien présent (sans le mot toutefois), il est connoté moins positivement : l’homme est présenté comme un sujet de crainte et de terreur pour les animaux. L’harmonie du commencement est rompue.

Deuxièmement, le mandat se réalise effectivement (ce n’est pas un simple ordre qui ne serait suivi d’aucun effet en raison du péché). Jacques 3.7 a une formulation frappante à cet égard : « Toutes les espèces de bêtes sauvages, d’oiseaux, de reptiles, d’animaux marins sont domptés et ont été domptées par l’espèce humaine… »

Troisièmement, le mandat ne se réalise que partiellement et dans un mélange d’échecs. Les humains multiplient mais les grossesses sont pénibles, les accouchements douloureux et – pourrait-on ajouter – l’histoire de l’humanité a été marquée par de nombreuses morts d’enfants en bas-âge et d’autres drames dont sont particulièrement conscients tous ceux qui cherchent à lutter contre la pauvreté. Les humains réussissent à exercer leur autorité sur les animaux, ils soumettent aussi la terre… mais ils ne se maîtrisent pas eux-mêmes et leur propre langue… La terre produit des épines et des chardons et finalement, les humains retournent à la poussière. Sous le soleil, c’est la terre qui gagne en fin de compte.

Quatrièmement, le mandat se réalise dans l’ambiguïté. Il est frappant de voir que les développements de l’élevage, de l’agriculture, de la métallurgie, de la musique décrits en Genèse 4 se produisent surtout dans la lignée de Caïn. En tant que tout cela accomplit quelque chose du mandat créationnel, il s’agit de bonnes choses. En tant que ce sont des pécheurs qui se multiplient, qui remplissent la terre et qui la soumettent, tout cela porte la marque du mal et va avec une capacité renforcée de faire le mal et avec des conséquences négatives elles aussi renforcées.

Le discernement que je propose montre le dilemme auquel nous sommes confrontés. Nous sommes appelés à développer les potentialités humaines et celles de la création mais, si nous faisons cela dans un monde déchu, nous ouvrirons en même temps de plus grandes possibilités pour le mal. « Renforcer les capacités » des humains et des pauvres en particulier, c’est à la fois renforcer ce qu’il y a de créé (et donc de bon) en eux et renforcer leurs capacités à les utiliser de façon pécheresse – ce qu’ils feront si leur cœur n’est pas changé ; et dans le meilleur des cas, leur cœur n’aura qu’un commencement de changement. Le sous-développement et la pauvreté sont mauvais en eux-mêmes et nous devons les combattre. Mais le développement dans un monde déchu peut aisément, et dans une certaine mesure inévitablement, se retourner contre les humains et la terre. Une action sociale, politique, économique et environnementale dont les effets se déroulent dans le cadre tracé par le mandat créationnel sera bonne et possédera un réel potentiel de réussite. Mais l’on ne peut pas se faire d’illusion sur ses limites, son ambiguïté et les conséquences indésirables et imprévues qui s’y attacheront souvent.

3.2. Les changements que nous pouvons introduire dans les réalités terrestres se réduisent-ils à la domination du mandat créationnel ?

Ce que nous venons de voir du mandat créationnel épuise-t-il ce que l’on peut dire de l’efficacité de l’action des chrétiens et de l’Église à l’égard des réalités terrestres ? Oui et non !

Ce que nous pouvons atteindre dans ce domaine ne dépasse en rien la domination dont parle le mandat créationnel et à bien des égards reste même bien en deçà. Les effets sur les réalités terrestres de l’action des chrétiens et de l’Église ne nous font pas sortir du cadre de ce mandat ni passer de l’ordre de la première création à celui de la nouvelle création.

Mais comme l’a fort bien exprimé la Confession de Westminster, « [d]ans sa providence, Dieu se sert habituellement de moyens ; cependant, il est libre d’agir, s’il lui plaît, sans moyens, ou en plus d’eux, ou à l’encontre d’eux » (V, 3)(76). Les miracles, même s’ils vont souvent dans le sens du mandat créationnel, semblent nous amener au-delà de la seule bénédiction de Genèse 1.28. Il faut aussi discerner que la régénération des individus et la constitution de la communauté du Royaume qu’est l’Église sont susceptibles d’introduire des changements au sein des réalités terrestres. Le livre des Proverbes parle de l’effet bénéfique pour le corps de ce qui se passe dans le cœur (cf. 3.1-8, 17.22, etc.). De même, on devrait pouvoir espérer des bénéfices pour le monde de la présence de l’Église en son sein : comme les exilés judéens à Babylone (cf. Jérémie 29.7), leur activité devrait être pour la paix (cf. Matthieu 5.9). La puissance qui est à l’œuvre en eux (cf. Éphésiens 3.20, 2 Corinthiens 4.7) est susceptible de produire un fruit pour les réalités terrestres qui, s’il ne sort pas du cadre du mandat créationnel et de l’ordre de la première création, est cependant marqué du sceau de la grâce et non pas seulement de la bénédiction de la Genèse. Ici aussi il y a dépassement de ce qui relève de la condition originelle de l’humanité.

Ces conséquences heureuses pour le monde de la venue présente du Royaume de Dieu me semblent échapper dans une très large mesure à notre « prise ». Nous pouvons les souhaiter, prier pour elles, travailler dans un sens que nous estimons susceptible de les favoriser, mais beaucoup plus difficilement les planifier ou en faire des objectifs ou l’objet de la « vision » de notre Église ou de notre organisation. La part habituelle, toute relative d’ailleurs, de maîtrise qui nous a été accordée par Dieu par rapport aux réalités terrestres se rattache essentiellement au mandat créationnel.

3.3. La dualité des mandats(77)

L’insistance sur le mandat créationnel implique de ne pas réduire la vision biblique du monde à la perspective qu’offre une « herméneutique missionnelle ». Mais il ne s’agit pas de séparer la création et la rédemption. Au contraire, on peut dire qu’à bien des égards les courants du mandat créationnel et du mandat missionnaire coulent dans la même direction. Notons rapidement quelques points.

Les deux mandats sont fondés sur la bénédiction divine : dans la Genèse, le texte commence par « Dieu les bénit » (1.28) ; dans Matthieu 28, Jésus commence par assurer les disciples de sa seigneurie universelle et finit en les assurant de sa présence jusqu’à la fin du monde et, dans Jean 20, il commence par leur annoncer : « Que la paix soit avec vous ! » et il leur donne l’Esprit Saint (versets 21-22).

Les deux mandats ont une portée universelle : remplir la terre, faire de toutes les nations des disciples, prêcher la Bonne Nouvelle à toute la création.

Les deux mandats ont pour résultat de refléter quelque chose de Dieu : avec le mandat créationnel, la terre doit être remplie d’êtres humains qui sont des images ressemblantes de Dieu ; avec le mandat missionnaire, il doit y avoir dans toutes les nations des disciples qui gardent tout ce que Jésus a prescrit et qui sont ainsi rendus semblables à l’image du Fils de Dieu afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères.

« Enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit » inclut globalement l’enseignement de toute la Bible, donc aussi du mandat créationnel. On peut ajouter que le processus par lequel une personne devient un disciple accompli l’équipe pour pouvoir participer de façon renouvelée au mandat créationnel par les ressources que fournit le Saint-Esprit.

J’oserai la suggestion suivante : les deux mandats ont le potentiel d’intégrer l’ensemble de notre vie, d’imprimer à notre agir, à notre obéissance aux commandements de Dieu, à notre amour, une direction. Ils les canalisent vers un but qui doit susciter notre engagement. Dieu écrit une histoire qui a un sens. Je dirais qu’ils donnent à notre obéissance une dynamique missionnaire.

Pourtant, il me semble que les courants de ces deux mandats ne se rejoindront que dans l’éternité, quand la rédemption sera appliquée à l’ensemble de la création et qu’elle sera libérée de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu et quand les élus, disciples rachetés de toutes les nations, règneront sur la terre (cf. Apocalypse 5.10 et 22.5). Il faut d’ailleurs relever que les perspectives bibliques globales amènent à voir en Jésus celui qui réalise pleinement le mandat créationnel (cf. l’attribution au Christ des paroles du psaume 8 en Hébreux 2.5-9). En lui se rejoignent les lignes de la création et de la rédemption.

En attendant l’état final, subsiste une dualité : le chrétien est à la fois citoyen de la terre et citoyen du ciel et il participe à la mission de l’humanité comme à la mission de l’Église. Il ne faut pas les opposer mais on ne peut pas non plus les confondre et l’état déchu du monde actuel fait qu’ils ne peuvent pas être tenus ensemble sans que nous en ressentions une certaine tension. Je me demande si certaines versions de la théologie de la mission holistique ou de la missio Dei ne révèlent pas un refus de la tension inhérente à notre condition présente. Dans la structure création/chute/rédemption, la chute n'est pas un élément « normal » d’une « métaphysique » ou d’une « ontologie » bibliques. C’est une rupture douloureuse qui blesse la vie et la pensée.

4. Qui est censé faire quoi dans la mission de l’Église ?

Les propositions que j’ai faites jusqu’à présent pourraient être reformulées en disant que la tâche qui nous est confiée dans la mission consiste essentiellement(78) dans le ministère de la Parole sous toutes ses formes et que celui-ci est indissociable d’une manière de mettre en pratique l’éthique biblique dans tous les domaines de la vie (y compris le domaine social donc) qui fasse signe vers le Christ. De la sorte, j’essaie d’éviter que l’on pense à la mission comme à une liste de tâches à accomplir ou d’ingrédients d’une recette intégrale. Il n’y a qu’un item en termes de « tâche » dans la mission. La seule chose nécessaire pour remplir le mandat missionnaire, c’est le ministère de la Parole enchâssé dans les formes infiniment variées que prendra l’amour. Cela ne signifie pas que ce ministère épuise la mission chrétienne, mais plutôt que le reste n’y rentre pas au titre d’éléments sur une liste ou de tâches à accomplir. L’action sociale est bien une tâche à accomplir, mais ce n’est pas en tant que telle qu’elle fait partie de la mission : elle s’y rattache en tant que signe. En tant que tâche, elle rentre dans l’obéissance aux commandements de Dieu et relève du mandat créationnel. La Parole d’un côté, les actes et l’être de l’autre ne sont tout simplement pas sur le même plan quand il est question de la mission(79).

Raisonner ainsi permet de rester plus proche des textes énonçant le mandat missionnaire pour penser la mission. Je me rapproche ainsi du souci d’Émile Nicole de « s’en tenir, pour la mission de l’Église au mandat explicite qu’elle a reçu(80) » même si j’aboutis à des formulations quelque peu différentes. Cela permet de plus d’éviter d’accuser tel chrétien, telle œuvre ou telle Église de ne pas avoir une action suffisamment holistique au seul motif qu’il lui manquerait la possibilité de cocher telle ou telle case. Certes, les avocats les plus fins de la notion de « mission intégrale » ne tombent pas dans ce travers. Mais je crois que ce danger n’est pas imaginaire pour autant.

Ceci étant dit, une telle affirmation du caractère central du ministère de la Parole dans la mission suscitera certainement la crainte que « le reste » ne reçoive pas l’attention qui lui est due. Pour parer à ce qu’il y a de légitime dans cette préoccupation, il me semble que nous avons besoin d’examiner un peu plus précisément la question de savoir qui est censé faire quoi dans la mission.

On peut distinguer au moins trois niveaux d’application du mandat missionnaire : les textes s’adressent d’abord aux apôtres. À un deuxième niveau, ils s’appliquent, selon la logique de ce que nous avons déjà dit, à ceux qui ont reçu de façon particulière un ministère de la Parole. Enfin, ils concernent tous les croyants – et cela de façon à la fois individuelle et communautaire – qui sont tous appelés à confesser le nom de Jésus(81). Que la promesse de Matthieu 28 s’étende jusqu’à la fin du monde nous montre que nous ne devrions pas restreindre ces textes aux apôtres, mais nous ne sommes pas autorisés pour autant à mettre sur le même plan toutes les applications des textes comme si tous les chrétiens devaient se considérer comme des apôtres.

Deuxième série de distinctions : lorsque l’on parle de l’Église, on peut penser à ce que fait l’Église locale lorsqu’elle se rassemble et à ce que font ses membres lorsqu’ils se dispersent dans le monde. Il y a des choses que nous sommes appelés à faire communautairement, d’autres plus individuellement et d’autres pour lesquelles nous pouvons nous organiser comme nous le souhaitons (en Église, en œuvres chrétiennes, etc.)(82).

En gardant en tête ces deux types de distinctions, je ferai les propositions suivantes.

Premièrement dire que le ministère de la Parole est central dans la mission de l’Église n’implique pas qu’il soit central dans la vocation individuelle de chaque chrétien ou dans la raison d’être de chaque œuvre chrétienne. Chaque chrétien et chaque œuvre chrétienne peuvent et devraient rattacher ce qu’ils font au mandat missionnaire, mais cela n’implique pas nécessairement qu’ils devraient toujours « faire de l’évangélisation ». Il n’y a rien de problématique à ce que les tâches accomplies par de nombreux chrétiens et même de nombreuses œuvres chrétiennes se rattachent plus directement au mandat créationnel qu’au mandat missionnaire. Je trouve problématique par contre que nombre d’œuvres chrétiennes semblent avoir besoin d’insister sur la place de leur appel particulier dans « la mission » pour affirmer leur légitimité. Il n’est pas vrai que le soin de la création fasse tout autant partie de la mission de l’Église que l’évangélisation, mais ce n’est pas pour autant que le chrétien ou l’organisation qui sont appelés à se consacrer à l’écologie serviraient moins le Seigneur dans leur vocation que l’évangéliste dans la sienne ou qu’une dimension missionnaire (ou missionnelle ?) serait absente de ce qu’ils font.

Deuxièmement, dire que le ministère de la Parole est central dans la mission de l’Église n’implique pas que la majorité des chrétiens devraient se consacrer de façon prioritaire au ministère de la Parole. On peut tout à fait penser que, pour chaque chrétien qui est appelé à prêcher l’Évangile parmi les non-croyants, nous avons besoin qu’il y en ait au moins dix qui pratiquent le bien sous toutes ses formes, notamment le souci des pauvres et l’action sociale, pour servir de parure à la doctrine de Dieu notre Sauveur.

Troisièmement, dire que le ministère de la Parole est central dans la mission de l’Église n’implique même pas que l’évangélisation devrait avoir une place centrale dans la vie de l’Église locale au sens de l’Église rassemblée et structurée sous la conduite de ses responsables. Hannes Wiher écrit d’ailleurs de manière très réaliste :

« Du point de vue structurel, Église et mission ont généralement besoin d’être séparées pour survivre dans la durée. Très peu de modèles intégrés ont fait leurs preuves dans l’histoire de l’Église. On peut donc concevoir Église et mission comme devant être à la fois liées et séparées. Cette nécessité a été une difficulté majeure au cours de l’histoire. Quand cette tension entre Église et mission, à la fois intégration et séparation de structure de rassemblement et de structure d’envoi, n’a pas été maintenue, la mission a disparu. L’histoire montre comment Dieu a renouvelé l’élan missionnaire par des mouvements du Saint-Esprit, les réveils, et comment il a appelé des hommes et des femmes dans sa mission. C’est pendant les réveils que des Églises sont devenues missionnaires et que les ordres et sociétés missionnaires ont été créés. Il faut donc veiller à ce que la dimension missionnaire anime toutes les activités de l’Église et en même temps crée [sic] ses propres structures(83)… »

Comme le dit encore Wiher (ce qu’on pourrait nuancer mais qui me semble grosso modo exact) : « … le Nouveau Testament ne présente pas de structure normative pour l’Église(84)… » Il ne faut donc pas lire mes remarques sur la place centrale du ministère de la Parole dans la mission comme impliquant un modèle précis sur la place de l’évangélisation dans la structuration des activités de l’Église locale.

Quatrièmement, dire que le ministère de la Parole est central dans la mission de l’Église n’oblige pas à l’adoption d’un modèle particulier d’articulation entre évangélisation et action sociale dans la pratique. Comme le fait valoir Émile Nicole de façon assez provocante :

« J’avance l’hypothèse, dont le lecteur pourra juger, que la notion de mission holistique ne serait en fait qu’une donnée conjoncturelle, un accident de l’histoire, sans lien direct avec l’essence de la mission. Les missions modernes sont nées et se sont développées dans le contexte de la colonisation. […] La question n’est envisagée ici que sous l’angle des conditions extérieures dans lesquelles s’est inscrite l’entreprise missionnaire moderne, c’est-à-dire à partir des pays bénéficiant d’avantages matériels substantiels, en direction de populations qui en étaient démunies. Comment annoncer l’Évangile sans se préoccuper de la santé, de l’instruction, des ressources matérielles de ceux auxquels on est censé apporter une Bonne Nouvelle ? La charité chrétienne, la simple solidarité humaine, exigeaient que l’annonce de l’Évangile soit accompagnée d’une action humanitaire(85). »

L’argumentation biblique suit :

« C’est dans un autre environnement que s’inscrit la mission apostolique primitive dont témoignent le livre des Actes et les épîtres. Les missions de Paul sont dirigées vers les cités souvent opulentes de l’Asie Mineure et de la Grèce : Éphèse, Philippes, Corinthe. Ce ne sont pas les riches qui vont vers les pauvres, mais, toute proportion gardée, les pauvres qui vont vers les riches. Paul n’apporte aucune aide matérielle à ceux qu’il évangélise, c’est lui qui en reçoit à l’occasion pour son activité et qui la réclame pour les chrétiens de Jérusalem touchés par la famine. La relation entre spirituel et matériel se décline donc en termes différents. Au lieu d’un double apport, du spirituel et du matériel, comme dans la mission des derniers siècles, c’est un échange : le missionnaire apporte le spirituel et reçoit en échange le matériel. Cela confirme que l’aide sociale n’appartient pas à l’essence de la mission. Elle relève […] de l’éthique chrétienne, de la solidarité entre chrétiens et plus généralement de la solidarité des chrétiens envers tous leurs semblables(86). »

Le lecteur aura compris que je nuancerais les choses concernant la façon dont Émile Nicole délimite le concept de « mission ». On pourrait sans doute aussi tempérer un peu l’idée que dans le Nouveau Testament ce sont les pauvres qui vont vers les riches. C’étaient sans doute plus souvent des pauvres qui allaient vers d’autres pauvres (cf. par exemple la façon dont Paul décrit la constitution de l’Église de Corinthe ou celles des Macédoniens – 1 Corinthiens 1.26-29 et 2 Corinthiens 8.2). Mais cela n’affecte pas la valeur générale du raisonnement d’Émile Nicole.

Il faut d’abord souligner que non seulement Émile Nicole ne remet nullement en cause l’action sociale de façon générale, mais qu’il ne conteste pas non plus son association avec l’évangélisation par les missionnaires modernes. Au contraire, il leur apporte une justification contraignante dans les deux cas. Mais le fondement qu’il propose ne va pas chercher dans l’inclusion de l’action sociale dans un concept très large de mission. Émile Nicole met plutôt l’accent sur le contexte. Étant donné les conditions dans lesquelles le mouvement missionnaire moderne s’est déroulé, il fallait associer l’annonce de l’Évangile et l’action sociale. Dans un autre contexte (celui du Nouveau Testament !) ce n’était pas forcément nécessaire.

Cet accent sur le contexte me paraît pouvoir se raccrocher à ce à quoi l’apôtre Paul exhorte dans son épître aux Galates, à savoir, pendant que nous en avons l’occasion, à pratiquer le bien envers tous et surtout envers les frères en la foi (Galates 6.10). Nous avons besoin d’apprendre à discerner les occasions que Dieu nous offre dans notre contexte pour faire le bien. C’est un élément clé de la vie chrétienne.

Si l’on veut aller un peu plus loin et ne pas s’en tenir à ce qu’il peut y avoir de ponctuel dans la notion d’occasion, je suggère que nous aurions besoin de retrouver l’accent de la Réforme protestante sur la vocation(87) : le fait de jouer son rôle dans les différents aspects de l’état de vie qui est le nôtre correspond à la réponse à une vocation divine. On peut ainsi estimer qu’un William Wilberforce avait une vocation spéciale pour lutter contre l’esclavage, mais que personne n’avait une telle vocation à l’époque du Nouveau Testament.

Cinquièmement, dire que le ministère de la Parole est central dans la mission de l’Église ne dit rien sur la place que l’action sociale devrait ou ne devrait pas avoir dans cette vie de l’Église locale au sens de l’Église rassemblée et structurée sous la conduite de ses responsables dont nous venons de parler. Le Nouveau Testament montre que la solidarité à l’égard des membres pauvres du corps du Christ fait partie intégrante de la pratique de l’Église rassemblée (c’est un aspect majeur de la « communion fraternelle » d’Actes 2.42) et qu’au besoin elle doit même être structurée (cf. ce qui est dit du service des veuves en Actes 6 et 1 Timothée 5) et peut se manifester dans un projet comme la collecte de 2 Corinthiens 8-9. On ne trouve rien de correspondant concernant une action proprement sociale. Nous pouvons penser que ce qu’il convient de faire dans ce domaine sera très largement déterminé par le contexte (y compris culturel et législatif) et, là encore, par les occasions de faire le bien et par la diversité de vocations des chrétiens. Dans certains cas, l’Église se « contentera » d’exhorter ses membres à la pratique de l’éthique biblique ; dans d’autres elle trouvera approprié d’organiser elle-même une implication sociale, peut-être même d’assez grande envergure(88) ; dans d’autres, elle pourra créer et soutenir ou encourager la création d’œuvres distinctes de l’Église.
Comme on le voit, les lignes que je trace ici laissent beaucoup de liberté.

Conclusion : pour une attitude missionnaire

Je voudrais conclure par la considération suivante : la dynamique missionnaire dont j’ai essayé de parler, qui caractérise tant le mandat créationnel que le mandat missionnaire et qui devrait embarquer l’ensemble de notre vie, être, faire et dire, implique non seulement un mouvement, une direction à suivre, mais aussi une certaine attitude que je décrirais avec des verbes comme « se répandre », « se disperser ». Il faut « remplir la terre » comme dit Genèse 1 et non pas chercher à se faire un nom pour ne pas être disséminés à la surface de toute la terre comme les constructeurs de Babel qui ont adopté une attitude diamétralement opposée à ce que Dieu avait dit – et qui ont quand même fini par être dispersés (cf. Genèse 11.1-9). De même, le livre des Actes nous montre que c’est dans la dispersion consécutive à la mort du témoin qu’était Étienne que la Bonne Nouvelle de la Parole se répand jusqu’auprès des païens (Actes 8.4 et 11.19-21).

Le Réformateur Martin Luther décrivait le pécheur avec l’expression « le cœur recourbé sur lui-même ». Au contraire, l’apôtre Paul écrivait : « … si je sers de libation en plus du sacrifice et de l’offrande de votre foi, je m’en réjouis et je me réjouis avec vous tous… » (Philippiens 2.17) La libation, c’est une offrande liquide (du vin, de l’huile, de l’eau) que l’on répand devant Dieu. Paul accepte, pour couronner son engagement au service du mandat missionnaire, d’être lui-même répandu en offrande devant Dieu, de ne rien retenir, même si cela doit impliquer la mort du martyr. Ce n’est pas qu’il se réjouisse en soi de souffrir, mais c’est qu’il a quelque chose – que dis-je Quelqu’un – de plus grand devant lui : les souffrances, la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Avant de le faire connaître, il peut dire :

« Mon but est de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort, pour parvenir, si possible [de quelque manière que ce soit vaudrait-il peut-être mieux traduire] à la résurrection d’entre les morts. » (Philippiens 3.10-11)

Qui est suffisant pour ces choses ? Je voudrais conclure en rappelant encore la priorité de Dieu, de sa bénédiction et de sa grâce. Le Dieu qui nous appelle à l’amour est le Dieu qui nous a aimés le premier ; le Dieu qui nous donne le mandat créationnel est celui qui commence par bénir et par nous donner le droit de jouir des bénédictions qu’il nous accorde généreusement. Le Christ qui nous donne le mandat missionnaire s’approche de ses disciples et les rassure dans leurs doutes, fonde son ordre sur le fait qu’il a reçu comme médiateur tout pouvoir dans le ciel et sur la terre et nous offre sa promesse : « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

Auteurs
Daniel HILLION

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1.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », in Théologie Évangélique, vol. 13, n°2, 2014, pp.54-62.
2.
Je tiens à remercier les personnes qui ont relu des versions antérieures de cet article (à commencer par Émile Nicole) et qui m’ont envoyé des commentaires (en particulier Rachel Calvert, Thomas Poëtte et Hannes Wiher). Je remercie aussi Brian Fikkert et Patrick Guiborat pour des échanges au sujet de certaines des idées développées dans ce texte.
3.
Déclaration du Réseau Michée sur la mission intégrale, version française disponible sur https://michee-france.org/declaration-reseau-michee-mission-integrale (page consultée le 08/04/2023). La version originale s’intitule « The Micah Declaration on Integral Mission » et a été publiée dans Justice, Mercy and Humility, Integral mission and the poor, sous dir. Tim CHESTER, Carlisle (UK) et Waynesboro (USA), Paternoster Press, 2002, pp.17-23. Le passage cité dit : « As in the life of Jesus, being, doing and saying are at the heart of our integral task. » (p.19
4.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.59.
5.
Ibid., p.62.
6.
Ibid., p.59.
7.
Cf. Keith FERDINANDO, « Mission: A Problem of Definition », in Themelios, 33/1, 2008, pp.46-59.
8.
Cf. John STOTT, « The Biblical Basis of Evangelism » in Let the Earth hear His Voice, International Congress on World Evangelization, Lausanne, Switzerland, Minneapolis (USA), World Wide Publications, 1975, p.67.
9.
Cf. Christopher J.H. WRIGHT, La mission de Dieu - Fil conducteur du récit biblique, trad. Alexandre Sarran, Charols, Excelsis, 2012 (original anglais : 2006), pp.26ss.
10.
Calvin lisait « prêcher l’Évangile » dans Marc 16 comme l’explication du passage de Matthieu que nous rendons par « faites de toutes les nations des disciples » mais qu’il traduisait pour sa part par « endoctrinez toutes gens » ! Cf. Jean CALVIN, L’harmonie évangélique, quatrième volume, texte établi par Marc-François GONIN avec la collaboration de Roger BARILIER, Marne-la-Vallée/Aix-en-Provence, Éditions Farel/Éditions Kerygma, 1994, pp.254 et 252.
11.
Et qui ne correspond pas forcément totalement à l’usage du verbe « évangéliser » dans le Nouveau Testament. Celui-ci ne concerne pas uniquement l’annonce de l’Évangile à des non-croyants.
12.
Quelle que soit la position que l’on adopte sur la canonicité de ce texte, il témoigne de la manière dont l’Église primitive a reçu et compris le mandat missionnaire et correspond, de fait, à ce que nous trouvons dans le livre des Actes.
13.
Sur ce texte cf. Henri BLOCHER, « Comme le Père m’a envoyé… (Jean 20.19-23) », in La Bible au microscope, Volume 2, Exégèse et théologie biblique du Nouveau Testament, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2010, pp.87-96, en particulier pp.93-94 sur le point en cause ici.
14.
Le verbe « baptiser » est au participe présent dans Matthieu 28.19 et qualifie « faire des disciples ».
15.
La plupart de ces images sont incluses dans le document Lausanne Occasional Paper: Evangelism and Social Responsibility: An Evangelical Commitment issu de la rencontre tenue à Grand Rapids en 1982 et disponible sur https://lausanne.org/content/lop/lop-21 (page consultée le 10/04/2023). Le texte cherche à combiner ces illustrations qui toutes insinuent une égalité d’importance pour l’évangélisation et l’action sociale avec l’affirmation de la Déclaration de Lausanne sur la priorité de l’évangélisation. C’est aussi peu intelligible que de dire qu’il y a un sens dans lequel l’une des ailes d’un oiseau pourrait avoir la priorité sur l’autre…
16.
La question serait maintenant de savoir si d’autres textes présentent une notion de mission chrétienne contenant à égalité annonce de l’Évangile et action sociale. La suite de cet article proposera des perspectives sur les approches holistiques de la mission. Qu’il me suffise ici de dire que les passages bibliques que l’on invoque spontanément, en particulier ceux qui se réfèrent au modèle de Jésus qui prêchait l’Évangile et nourrissait les foules, qui est notre paix, qui est venu faire la paix et qui a annoncé la paix (cf. Éphésiens 2), etc. ne s’avancent souvent pas aussi loin (en particulier parce qu’il est abusif d’assimiler totalement les miracles de Jésus et plus généralement son « faire » à la catégorie « action sociale »). Cela ne nous empêche pas forcément de construire un concept théologique de mission qui synthétise les données bibliques sur la Parole et les actes. Mais cela devrait au minimum nous inciter à la prudence avant de jeter l’anathème sur des personnes qui conceptualisent autrement l’enseignement de l’Écriture.
17.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.61.
18.
Ibid., p.60.
19.
Ibid., p.59. Il y a une petite ambiguïté dans le texte d’Émile Nicole : il semble dire que le « enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit » se rajoute à l’impératif de « faire des disciples ». Il semble plutôt que le texte, en mettant le verbe au participe présent, le présente comme l’un des aspects de ce que signifie « faire des disciples ».
20.
Il reste également une petite ambiguïté dans l’article d’Émile Nicole sur la question de savoir si l’enseignement moral lui-même entre dans le mandat missionnaire : la formulation de la page 59 laisserait penser que oui, mais celle de la page 61 qui parle de porter au compte de l’enseignement et de la pratique chrétienne ce que Wright inclut dans la mission peut faire penser que non. J’en resterai à une réponse nettement positive pour ma part.
21.
Je précise ici que j’utilise le mot « social » pour désigner l’action au sein de la société humaine et que je ne l’emploie pas lorsqu’il est question de la solidarité interne à l’Église (qu’elle concerne une Église locale ou qu’elle soit inter-Églises comme dans le cas de la collecte en faveur des chrétiens pauvres de Jérusalem). Dans ce dernier cas, je suggère de parler d’action diaconale.
22.
Le pasteur Charles Nicolas soutient que le mot « prochain » désigne uniquement un membre du peuple de Dieu (le compatriote israélite dans l’Ancien Testament, le frère ou la sœur en Christ dans le Nouveau) avec éventuellement une extension à celui qui est en train de se rapprocher de ce peuple (l’immigrant dans l’Ancien Testament, le sympathisant qui fréquente l’Église sous la Nouvelle Alliance). Il conteste donc l’application du commandement de l’amour du prochain au sujet de ce que j’ai appelé dans la note précédente l’action sociale. J’ai tenté de répondre à ses arguments. Je souligne qu’ils ne me semblent pas suffisants pour être repris tels quels, mais qu’ils sont plus forts et contiennent davantage de vérité que ce que beaucoup pourraient penser. Cf. Charles NICOLAS, « Qui est mon prochain ? Action sociale et amour fraternel… », La Revue Réformée, n°262, 2012/2-3, avril 2012, pp.1-42 et Daniel HILLION et Charles NICOLAS, « Dialogue autour de « Qui est mon prochain ? » », in La Revue Réformée, n°266, 2013/2-3, avril 2013, pp.17-46.
23.
Sur ce sujet cf. Henri BLOCHER, Révélation des origines, Le début de la Genèse, Lausanne, Presses Bibliques Universitaires, 1979, 1988, p.79.
24.
Sur la notion de prochain, je suis redevable aux réflexions d’Henri Blocher en particulier dans son débat avec le philosophe Luc Ferry lors d’un « forum Veritas » sur le thème « Aimer son prochain : utopie ou réalité ? ». Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=d3licBYDrCs et https://www.youtube.com/watch?v=0Gkud_M4oQE (liens consultés le 10/04/2023).
25.
Cf. Vinoth RAMACHANDRA, « What is Integral Mission? », texte disponible sur https://www.yumpu.com/en/document/read/36506094/what-is-integral-mission-by-vinoth-ramachandra-micah-network (page consultée le 10/04/2023). Je traduis. Voir pp.7 et 8.
26.
Sur ce sujet, cf. Henri BLOCHER, « Loi, liberté et grâce. Quelle éthique proposer à la société civile ? », in Pour une éthique biblique, ouvrage collectif, Dossier Vivre n°22, Bevaix, Suisse, Imprimerie de Radio Réveil, 2004, pp.18-21.
27.
Cf. par exemple Hannes WIHER, « Église et mission », in Bible et mission. Volume 1, Vers une théologie évangélique de la mission, sous dir. Hannes WIHER, Charols, Excelsis, 2011, pp.182-183.
28.
Henri Blocher a insisté à plusieurs reprises sur cet aspect de « nouvelle » dans la « Bonne Nouvelle » et sur son originalité absolue par rapport aux religions du monde. Cf. par exemple : « L’Évangile, mythe ou histoire », in F. LOVSKY et Henri BLOCHER, Bible et histoire, Lausanne, Presses Bibliques Universitaires, 1980, pp.31-52, notamment p.40, ou Henri BLOCHER, « Le christianisme face aux religions : une seule voie de salut ? », in Conviction et dialogue - Le dialogue interreligieux, sous dir. Louis SCHWEITZER, Meulan/Cléon d’Andran/St-Légier (Suisse), Éditions Édifac/Éditions Excelsis/Institut Évangélique de Missiologie, 2000, pp.156-170, notamment pp.160-162.
29.
Samuel BÉNÉTREAU, Les épîtres pastorales.1 et 2 Timothée, Tite, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2008, pp.315-316.
30.
Il faut bien noter ici que Pierre n’envisage pas que le mari devienne chrétien sans avoir jamais entendu la Parole par une simple « prédication par les œuvres ». Il parle expressément d’un mari qui serait désobéissant à la Parole et qu’il s’agit maintenant non pas d’exposer à une prédication supplémentaire mais au témoignage d’une vie.
31.
Il peut être intéressant de relever que ce n’est pas l’amour pour les non-croyants qui est ici mis en avant mais celui des croyants entre eux. Que la « société » qu’est l’Église fonctionne différemment de la société ambiante et fait passer un message puissant à ceux qui l’observent.
32.
Howard PESKETT et Vinoth RAMACHANDRA, The Message of Mission, coll. The Bible Speaks Today, Nottingham, Inter-Varsity Press, 2003, p.85. Je traduis. Bien que le livre soit signé de deux noms, la préface p.12 indique qui a écrit quel chapitre, ce qui me permet d’attribuer les paroles en question à Vinoth Ramachandra.
33.
Cf. Henri BLOCHER, « Un regard sur la théologie africaine », in Théologie Évangélique, volume 15, n°3, 2016, p.3.
34.
Cf. Christopher J.H. WRIGHT, La mission de Dieu, op. cit., pp.13-16.
35.
Chris Wright lui-même semble être conscient du pédigrée quelque peu douteux de l’expression missio Dei dans Ibid., p.60-61. Pour un tour d’horizon plus général, cf. Hannes WIHER, « Missio Dei : de quoi s’agit-il ? », 1re partie in Théologie Évangélique, volume 14, n°1, 2015, pp.45-61 et 2e partie in Théologie Évangélique, volume 14, n°2, 2015, pp.51-67.
36.
Les choses apparaissent assez clairement dans Hannes WIHER, « Évangile, mission et règne de Dieu », in Bible et mission, volume 1, op. cit., pp.157-159 et dans le Glossaire à l’entrée « Mission de Dieu (missio Dei) », p.331.
37.
Ceci est rappelé par Christopher WRIGHT, La mission de Dieu, op. cit., p.61. Voir aussi les références de la note précédente à Hannes Wiher.
38.
Sur ce sujet, cf. Howard PESKETT et Vinoth RAMACHANDRA, The Message of Mission, op. cit., p.29.
39.
Evert VAN de POLL, Mission intégrale : Vivre, annoncer et manifester l’Évangile, pour que le monde croie, sous dir. Evert VAN de POLL, Charols, Excelsis, 2017, p.18.
40.
Sur ce sujet, cf. Henri BLOCHER, La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2001, pp.5,175-179.
41.
Il est beaucoup plus douteux que l’on puisse parler d’une « participation » de l’Église à la mission du Fils. En un sens important, on peut dire que la mission de l’Église commence lorsque la mission du Fils sur la terre est terminée – avec une coupure de dix jours entre l’Ascension et la Pentecôte qui marque une certaine discontinuité. Cf. Henri BLOCHER, « Comme le Père m’a envoyé… (Jean 20.19-23) », in La Bible au microscope, Volume 2, art. cit., pp.89-90.
42.
Le verbe « participer » a la double caractéristique d’être vague à souhait et en même temps de rappeler fortement la philosophie grecque. Ce dernier point est piquant lorsque l’on sait à quel point les approches holistiques se montrent agressivement hostiles à la conception qu’elles se font de cette philosophie en raison de son « dualisme » qui aurait influencé les approches évangéliques classiques de la mission. La philosophie grecque fut en réalité au moins autant moniste que dualiste.
43.
Les considérations d’Henri Blocher sur l’Église et la mission dans Henri BLOCHER, La doctrine de l’Église et des sacrements, Tome 1, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2022, pp.256-259 vont à peu près dans le même sens.
44.
Christopher WRIGHT, La mission de Dieu, op. cit., p.13.
45.
Hannes WIHER, « Évangile, mission et règne de Dieu », in Bible et mission, volume 1, op. cit., p.157.
46.
Cf. « L’Engagement du Cap », in Évangéliser, témoigner, s’engager, Les documents de référence du Mouvement de Lausanne, sous dir. Jean-Paul REMPP, Charols, Excelsis, 2018, chapitre IV, n°10, pp.174-175 (en italiques dans le texte).
47.
Hannes WIHER, « Missio Dei : de quoi s’agit-il ? », art. cit., a l’air de penser qu’il y a ici une différence entre l’anglais (qui serait plus souple et vague ?) que le français. Cf. 1re partie, p.49 et 2e partie, p.59.
48.
Hannes WIHER estime que la théologie classique contient une « dichotomie » entre l’action de Dieu et celle de l’Église. « Missio Dei : de quoi s’agit-il ? », art. cit., 2e partie, p.63.
49.
Je suggère que ce qui donne une impression de solidité à l’usage de l’expression « mission de Dieu » (là où le sens serait plus proche de « dessein de Dieu ») réside dans le fait qu’on lui associe les connotations qui se rattachent au thème biblique de l’envoi du Fils et du Saint-Esprit. Or l’expression est pourtant prise dans un sens qui s’est dégagé de la notion d’envoi et de tâche à accomplir. Autrement dit, on joue sur une équivoque.
50.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.58.
51.
Il faut sans doute aussi ajouter que les théologiens récents préfèrent généralement les termes « dynamiques » à ceux qui sont « statiques » et que « mission » est bien plus avantagé que « dessein » à cet égard.
52.
Cf. Hannes WIHER, « Missio Dei : de quoi s’agit-il ? », art. cit., 1re partie, p.53 ; cf. 2e partie, p.53 et p.57. Il me semble qu’il aurait fallu justifier l’usage de cet adjectif de préférence à celui, plus neutre, d’« ecclésiologique ». Ce n’est pas parce qu’une réalité (ici la mission) concerne l’Église qu’il faut la dire « centrée » sur elle. « Ecclésio-centrique » comporte en effet des nuances péjoratives pour un évangélique qui voudra forcément être théocentrique ou christocentrique. On pourrait discuter dans la même logique l’usage abondant que fait Hannes Wiher du terme « dichotomie » là où « distinction » aurait été amplement suffisant.
53.
Howard PESKETT et Vinoth RAMACHANDRA, The Message of Mission, op. cit., p. 29.
54.
Christopher WRIGHT, La mission de Dieu, op. cit., p.60.
55.
Howard PESKETT et Vinoth RAMACHANDRA, The Message of Mission, op. cit., p.29.
56.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », art. cit., p. 58.
57.
Je m’inspire ici d’une formulation du texte intitulé « Theology Implications of Radical Discipleship » qui est un document rédigé par un certain nombre de participants au premier congrès de Lausanne (1974), qui n’est pas un document officiel de Lausanne, mais a été publié dans le recueil des Actes du congrès : Let the Earth hear His Voice, op. cit., pp.1294-1296 (cf. p.1294 pour l’expression en cause).
58.
Je dégage quelques grands traits du premier chapitre de Howard PESKETT et Vinoth RAMACHANDRA, The Message of Mission, op. cit., pp.17-32. Voir en particulier p.25 et pp.28-30.
59.
Le texte anglais dit : like ripples, ibid., p.25.
60.
Henri BLOCHER, Le mal et la croix, Méry-sur-Oise, Les Éditions Sator, coll. Alliance, 1990, pp.179-180. Je souligne.
61.
Henri BLOCHER, art. « Christ », in La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, sous dir. Christophe PAYA et Nicolas FARELLY, coll. Or, Charols, Excelsis, 2013, pp.16-17. Des affirmations similaires peuvent être trouvées chez Herman BAVINCK, Reformed Dogmatics, Vol. 3, Sin and Salvation in Christ, trad. en anglais par John VRIEND, Grand Rapids, Baker Academic, 2006, p.366 et pp.379-380.
62.
Sur ce sujet, cf. Tim CHESTER, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté - Quel équilibre entre évangélisation et travail social ?, trad. A. Tchangang, Marne-la-Vallée, Farel, 2006, chap. 5, pp.89-100.
63.
Ce texte peut être trouvé dans une multitude d’éditions. Je cite d’après Pascal en prière : Textes réunis et présentés par Anne D’EUGNY, Paris, Labergerie, 1962, p.26.
64.
Pour les considérations de ce paragraphe et du suivant, je m’inspire en particulier de Jacques BUCHHOLD, « Le ciel », in Théologie Évangélique, vol. 5, n°2, 2006, pp.117-142 ; « Jésus, la venue du Royaume et la question sociale », in Les enjeux de l’éthique, ouvrage collectif, St-Légier (Suisse), Éditions Emmaüs, 2004, pp.23-40 ; d’Henri BLOCHER, Révélation des origines, op. cit., pp.72,82-83 ; « Loi, liberté et grâce. Quelle éthique proposer à la société civile ? », in Pour une éthique biblique, op. cit., pp.24-28.
65.
Hannes WIHER, « Évangile, mission et règne de Dieu », in Bible et mission, volume 1, op. cit., p.159. Hannes Wiher a tendance à reprendre le vocabulaire que je critique, mais à insérer des distinguos qui en réduisent considérablement le caractère contestable.
66.
Parce que le Saint-Esprit agit par le moyen de la Parole qui passe par un ministère humain, il peut néanmoins arriver que la causalité du salut soit attribuée à des humains comme lorsque Paul dit qu’il se fait tout à tous afin d’en sauver de toute manière quelques-uns (1 Corinthiens 9.22). Tout lecteur de la Bible comprend bien néanmoins que cela ne fait pas, à proprement parler, de Paul un « sauveur ».
67.
Émile NICOLE, « « La mission de Dieu ». Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.59.
68.
Ibid., p.60.
69.
Ibid., p.61.
70.
Je suis ici l’interprétation donnée par Jules-Marcel NICOLE, « Ainsi répond le théologien de service : “Je supplée dans ma chair à ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église” (Col 1.24) », in Ichthus 1983-4, n°115, pp.32-33.
71.
Henri BLOCHER, « Comme le Père m’a envoyé… (Jean 20.19-23) », in La Bible au microscope, Vol. 2, art. cit., p.94.
72.
Jean CALVIN, L’institution chrétienne, Livre quatrième, Marne-la-Vallée/Aix-en-Provence, Éditions Farel/Éditions Kerygma, 1978, 1995, chapitre I, §2, p.12.
73.
Cf. Tim CHESTER, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté - Quel équilibre entre évangélisation et travail social ?, op. cit., p.224.
74.
Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”. Réponse à Christopher Wright », art. cit., pp.59-60.
75.
Sur la théologie du mandat créationnel, je me réfère à Henri BLOCHER, « L’Ordre de Dieu et la réponse de l’homme », in La Revue Réformée, n°91, 1972/3, tome XXIII, p.119-129 et « Le mandat culturel et les implications écologiques », in La Revue Réformée, n°169, 1991/3, tome XLII, pp.3-10. Les développements que je vais proposer empruntent librement aux textes d’Henri Blocher mais sans leur imputer l’ensemble de mes affirmations.
76.
Je cite (en omettant les références aux versets preuves) la traduction qui est donnée dans Wayne GRUDEM, Théologie systématique, Charols, Excelsis, 2010, p.1330.
77.
Sur le rapport entre mandat créationnel et mandat missionnaire, je suis redevable en partie à la pensée de John M. FRAME. Cf. par exemple son ouvrage The Doctrine of the Christian Life, Phillipsburg, Presbyterian and Reformed Publishing, 2008, pp.307-311.
78.
J’utilise le mot « essentiellement » surtout pour ne pas exclure le baptême qui est explicitement mentionné en Matthieu 28.19 et Marc 16.16.
79.
C’est ce qu’a bien vu Tim CHESTER, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté - Quel équilibre entre évangélisation et travail social ?, op. cit., pp.80-85 dans le modèle qu’il propose pour articuler évangélisation et action sociale où il parle de texte et de contexte.
80.
(Émile NICOLE, « “La mission de Dieu”, Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.59.
81.
Philippe Monnery m’a fait un jour remarquer de façon très juste qu’en enseignant aux disciples à garder tout ce que Jésus a prescrit, on leur enseigne aussi à faire de toutes les nations des disciples. Henri BLOCHER, « Comme le Père m’a envoyé… (Jean 20.19-23) », in La Bible au microscope, Vol. 2, art. cit., pp.87-89 distingue bien les trois niveaux.
82.
Cf. à ce sujet le dossier L’Église, les Églises et les œuvres - Les textes du CNEF, Marpent, BLF, 2019.
83.
Hannes WIHER, « Église et mission », in Bible et mission, vol. 1, op. cit., p.192.
84.
Ibid., p.189.
85.
Émile NICOLE, « « La mission de Dieu », Réponse à Christopher Wright », art. cit., p.60.
86.
Ibid., p.60-61.
87.
Sur ce sujet, cf. Jean CALVIN, L’institution chrétienne, op. cit., chapitre X, §6, pp.191-192 et Henri BLOCHER, « Treize thèses de théologie du travail », in Ichthus, avril-mai 1981-3, pp.2-11 (notamment pp.3-5, mais tout l’article est pertinent globalement pour notre sujet).
88.
Dans ce cas, le seul point de vigilance à observer, de mon point de vue, est que l’Église doit garder au noyau de ses activités ce que l’Écriture met au premier plan à savoir l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et les prières (cf. Actes 2.42).

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