Introduction
Chaque congrès du Comité de Lausanne pour l’Évangélisation du Monde (LCWE(2)) a produit une déclaration présentant une théologie de la mission et les défis majeurs pour l’évangélisation mondiale. La première fut le fameux Pacte de Lausanne (1974), suivi par le Manifeste de Manille (1989) et l’Engagement du Cap (2010). Le quatrième congrès mondial à Séoul-Incheon (Corée du Sud) en septembre 2024 a publié la Proclamation de Séoul, ainsi que le Rapport sur l’état du Mandat Missionnaire qui en est le complément(3). Chaque déclaration s’inscrivant dans la continuité de ce qui a été affirmé par les congrès précédents.
L’objectif des auteurs de la Proclamation de Séoul était ainsi de développer, à partir du corpus des déclarations de Lausanne, un certain nombre de « lacunes bibliques et théologiques » identifiées dans les précédents documents et nécessitant une attention particulière(4). Elles sont au nombre de sept : l’Évangile, la Bible, l’Église, l’homme créé à l’image de Dieu, la vie de disciple, la famille des nations, et la technologie.
Le Rapport commence par un article sur le fondement théologique de la Grande commission, suivi de 23 courts chapitres contenant des informations statistiques sur les principales tendances qui façonnent le monde et l’Église, ainsi que sur les domaines nécessitant une plus grande action stratégique de collaboration dans le domaine de l’évangélisation. Il contient également douze rapports faisant état des enjeux et défis spécifiques vécus dans les douze grandes régions du monde identifiées par le LCWE.
Comment évaluer, en tant qu’observateur extérieur sympathisant du Mouvement de Lausanne, les documents du congrès de Séoul ? Dans ce qui suit, je tenterai de pointer un certain nombre d’aspects qui me semblent importants en lien avec la théologie de la mission et la pratique de l’évangélisation. Je finirai en relevant quelques omissions regrettables et en rapportant quelques discussions suscitées par le congrès et la Proclamation de Séoul.
1. Mission égale Grand Mandat Missionnaire
Quelle est l’importance des documents de Séoul dans le domaine de la théologie de la mission ? Leur publication marque le 50e anniversaire de la réflexion missiologique dans le Mouvement de Lausanne qui a été dominé par le débat autour de la question comment articuler la « mission » de l’Église dans le monde. Ce débat a été lancé par le Pacte de Lausanne de 1974, qui proposait une définition globale de la mission de l’Église. Selon ce texte, la mission comprend principalement l’évangélisation, appelée la « proclamation » de l’Évangile, mais pas seulement… En effet, dans son célèbre paragraphe cinq, la définition de la mission est élargie pour y inclure la « démonstration » de l’Évangile par des actions humanitaires et sociales ainsi que la responsabilité de l’Église en faveur de la justice sociale. Depuis lors, théologiens et responsables missionnaires évangéliques ont débattu de la question de l’articulation entre ces deux composantes. Ce débat se focalise souvent sur la question de la priorité de l’une par rapport à l’autre. L’évangélisation est-elle l’élément le plus important et le plus urgent de la mission de l’Église ? Ou doit-on comprendre que la démonstration de l’Évangile par des actions concrètes est tout aussi importante et urgente ?
Alors que le Manifeste de Manille (1989) a plus ou moins confirmé le premier point de vue, celui de la « priorité de l’évangélisation », l’Engagement du Cap (2010) a clairement opté pour le second, formulant une approche de la « mission intégrale » dans laquelle la proclamation et la démonstration ont le même poids et doivent toujours aller de pair. Cette idée de la mission intégrale repose sur un autre concept théologique, celui de la missio Dei. La missio Dei est la mission que Dieu s’emploie à réaliser dans sa création, c’est-à-dire son plan de salut pour restaurer l’humanité et la création tout entière des conséquences du mal et du péché humain. Et la mission de l’Église, c’est de participer à cette mission divine.
Lorsque nous examinons les documents de Séoul, il est frappant de constater qu’ils ne reprennent pas ces idées de la mission intégrale et de la missio Dei. Les termes sont parfois repris, uniquement dans des citations tirées de l’Engagement du Cap, mais ils ne jouent pas de rôle clef dans l’argumentation théologique.
Les documents de Séoul n’utilisent pas non plus le couple conceptuel proclamation et démonstration, probablement en raison de la connotation problématique de ces termes dans le débat missiologique depuis Lausanne 1974. Au lieu de cette paire, les auteurs en proposent une autre, très similaire : declare and display, que la Proclamation a traduit par « déclarer et rendre visible ». On aurait pu conserver l’allitération en traduisant « déclarer et démontrer ». Le thème général du congrès était « Que l’Église déclare et mette en évidence le Christ ensemble » (encore une autre traduction du mot display, on a eu du mal à s’accorder sur l’équivalent français). Des participants du congrès m’ont rapporté que ce thème était très bien développé dans le programme et les interventions du congrès, mais nous observons que c’est assez peu le cas dans le texte de la Proclamation. La dualité « déclarer / rendre visible » n’est mentionnée que quelques fois, et sans référence à l’ancienne dualité « proclamation / démonstration ».
Pour ce qui est de la compréhension de la mission de l’Église, l’accent est clairement mis sur ...