Préalable
Le titre initialement proposé était : « Que dit la Bible ? ». Une telle formulation pourrait laisser supposer une univocité d’un enseignement unidirectionnel, homogène évident de la Bible, faisant fi des temps, des cultures et des étapes de la révélation. Il nous semble plus juste, d’évoquer la manière dont il est rendu témoigne aux expressions de la sexualité, réalité complexe, dans la diversité des Écritures. De nombreux récits, dont la sexualité est l’un des facteurs dynamiques, ne tirent aucune conclusion morale. Il s’agit pour nous de discerner dans cet ensemble un peu hétéroclite quelle perspective de la sexualité rendra compte du Dieu Créateur se manifestant en Jésus Christ Sauveur.
Ce qui suit n’est qu’un survol panoramique de quelques textes choisis dans les grandes catégories des textes bibliques, puis la tentative d’en dégager des constantes.
Question d’époque
Aborder la Bible sous cet angle particulier : « Comment la sexualité y est-elle manifestée ? » est en soi un signe des temps. Voici peu de temps, les pasteurs n’évoquaient pas la sexualité. La question était sous-entendue dans la catégorie de l’enseignement à propos du mariage. Soyons donc modestes, nous sommes aussi des enfants de notre siècle ! Nous devons à la libération sociale du discours sur la sexualité, d’en parler aujourd’hui dans nos pastorales. La fameuse « libération des mœurs », trop unilatéralement critiquée, a aussi pour conséquence pastorale la nécessité d’une approche plus directe, plus réaliste, osant se confronter à la pensée sociale admise. La lecture de la Bible a longtemps été asexuée dans les Églises. C’est l’évolution sociale et la prégnance des questions qui en jaillissent qui nous ont obligés à retirer le voile pudibond dont nous l’avions inconsciemment recouvert. Même nos traductions reflètent nos pudeurs.
La sexualité est attestée dans la quasi totalité des types littéraires contenus dans la Bible : dans des récits, des lois, de la poésie, des exhortations. Cette diversité atteste une anthropologie sexuée. L’humain de la Bible est un être sexuel, aux prises avec sa sexualité.
Quelques pistes dans le livre de la Genèse.
À partir du récit de la création, nous proposons que dans la Bible, l’humain n’est pas un être sexué, mais un être sexuel. Les animaux, au contraire, sont sexués mais non sexuels. La différence c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une caractéristique distinguante (être mâle ou femelle), mais d’une composante centrale de la personnalité avec laquelle nous devons apprendre à vivre car se manifestant en toute dimension de l’existence. La sexualité des humains est au service d’un projet d’humanité.
Dans le récit de Genèse 1, le monde animal est implicitement créé mâle et femelle. La vocation « soyez féconds et prolifiques » explicite cette distinction et la situe dans le registre de la reproduction de l’espèce.
L’humain par contre est explicitement affirmé créé comme couple. Il apparaît dans l’histoire biblique dans une conjugalité vite attestée comme une relation d’alliance, non accidentelle, supposant une stabilité et le surgissement désiré d’une nouvelle réalité sociale.
En Genèse 1.27, on notera la proximité de l’affirmation « mâle et femelle il les créa » avec l’affirmation initiale « Dieu créa l’homme à son image ». Un chemin relie l’une à l’autre. L’image de Dieu, une sorte d’intention de quelque chose de lui-même que Dieu confère à cette création particulière, qui suppose la distinction « mâle-femelle » non comme l’affrontement qui hélas adviendra, mais comme la reconnaissance d’une altérité indispensable. C’est parce que l’humain est créé en l’image de Dieu, qu’il est créé dans la conjugalité. C’est une sorte de première étape, condition d’un processus à épanouir. Là où, au chapitre 2, il est courant d’évoquer un second récit de la création, nous proposons plutôt de voir, dans les versets 18 à 24, l’appropriation par l’Adam de l’intention divine par laquelle, créé « mâle-femelle », il accède par sa reconnaissance de son besoin d’une alter ego à la qualité de la relation « homme-femme ». Là déjà est posée la sexualité comme mode de rencontre, de reconnaissance, de dialogue, d’espérance et non plus seulement comme assouvissement de la reproduction de l’espèce.
Se distinguant du christianisme romain, le protestantisme a, dans la logique de Genèse, souligné que la sexualité est incluse dans la reconnaissance divine du monde comme conforme à son intention : « Voilà, c’était très bon ».
Hélas, voici la chute !
Le monde de l’Éden n’est plus, notre monde porte l’empreinte du péché. L’humain est pécheur. Le rapport à Dieu, à soi même, au prochain et à la création est devenu ambigu.
Le récit de la chute (2.25) s’ouvre par l’affirmation de la nudité réciproque de l’homme et de la femme « tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte ». La première conséquence affirmée de la désobéissance est la prise de conscience réciproque de la nudité (3.7). Le couple fait face à ce regard maintenant différent en se couvrant d’un pagne. Prenant conscience de sa nudité, l’humain éprouve le besoin de la voiler. Quand Dieu interroge l’homme « Où es-tu ? » celui-ci dit sa peur et ce qu’il pense en être la cause : la nudité. La question divine est davantage qu’une simple question de localisation. C’est l’invitation à reconnaître un déracinement : Où es-tu, toi ? (dans ton humanité). Le surgissement du péché comme force d’ambiguïté dévoile non pas la nudité en tant qu’état corporel, mais le rapport à l’autre, à son regard sur soi comme source d’un danger, d’une violence, d’un jugement, d’un « incontrôlable ». C’est la relation à l’autre qui a perdu sa naïveté. Ce n’est pas l’évocation de la nudité dans une dimension érotique, mais comme révélatrice de la faiblesse, de la fragilité, du désir et du besoin qui nous placent au risque du pouvoir de l’autre. J’ai besoin de toi, donc je suis à ta merci !
Cet homme nu, apeuré même par la voix de son Créateur, offre une représentation assez moderne de la sexualité en lui reconnaissant une place centrale dans l’anthropologie biblique, puisque là, d’abord, est attestée la conséquence du péché. La sexualité n’est pas le péché, mais le péché déséquilibre l’humain au cœur de sa personne en l’atteignant aussi dans sa sexualité, dans son rapport à l’autre. Dès lors nous voici aux prises avec un vécu complexe et ambigu d’une dimension créationelle résolument bonne.
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