Le couple avait pris rendez-vous par téléphone en précisant qu'il souhaitait un entretien en vue d'un mariage. En attendant leur arrivée, le pasteur G… se demandait devant quel cas de figure il allait cette fois-ci se trouver. L'un des deux serait peut être divorcé sinon les deux ; à moins que, l'un n'étant pas baptisé, un prêtre leur ait conseillé de s'adresser au pasteur baptiste ! À coup sûr, ils vivraient déjà ensemble et auraient peut être même déjà des enfants. Peut être fréquenteraient-ils une église évangélique où on leur aura refusé cette cérémonie ? Récemment cette situation s'était présentée deux fois. À chaque fois G… avait commencé par prendre contact avec les collègues concernés et qu'elle n'avait pas été sa surprise de découvrir que dans les deux cas, ceux-ci étaient soulagés à l'idée qu'éventuellement il intervienne. Leur vertu évangélique était sauvegardée et le couple satisfait. Il avait gardé pour lui ses sentiments collégiaux ! Il est toujours dangereux de juger du courage de collègues. Quelles circonstances auraient conduit ce nouveau couple à lui demander cet entretien, et pourquoi à lui ? Dans quelques minutes, il en saurait un peu plus. À partir de son expérience, G… pouvait dresser une longue liste de cas abracadabrants. À dire vrai, cela faisait plusieurs années qu'un couple « à l'ancienne » ne l'avait pas sollicité pour un entretien pré-conjugal.
Il s'interrogeait, par ailleurs, quant à la légitimité de cette cérémonie ; comment l'articuler à l'Évangile ? au ministère de l'Église ? à son propre ministère ? Certains collègues étaient très stricts. Ils n'acceptaient de célébrer de bénédiction de mariage qu'aux conditions que dans le couple l'un et l'autre soient des chrétiens professants, qu'ils ne soient, ni l'un ni l'autre, divorcés. Quelques uns refusaient même cette célébration à des couples vivant déjà ensemble. G… avait reçu le témoignage confirmé que sur ce dernier point certains pasteurs interrogeaient le couple et que sa réponse était une condition impérative de l'acceptation ou du refus de célébrer la bénédiction ! G… lui, était connu pour avoir une pratique plus accueillante. En conséquence, des couples venaient frapper à sa porte sans se rendre compte de la complexité des questions en jeu. Bien sûr, il n'était pas question pour lui d'accepter n'importe quelle demande. Mais refuser tout ce qui n'est pas l'idéal, lui semblait aussi, et tout autant, dénaturer l'Évangile. Quel droit d'ailleurs avait-il de refuser de prier avec un couple quand la demande était sincère ? Ne peut-on prier que pour des chrétiens ? La réponse à cette question là était pour lui essentielle.
Accueillir la demande
Quant à l'idéal, le pasteur G… était en plein accord avec ses collègues. Ah! la joie de recevoir un couple hétérosexuel monogame, désireux de s'engager dans une union sans réserve, dont la foi partagée serait un ferment d'unité et qui plus est, capable de patienter jusqu'au « grand jour ». Mais ces couples se faisaient rares, alors que l'évolution des comportements sociaux produisait toutes sortes de situations atypiques. G… était convaincu du caractère essentiel, quelque soit sa réponse ultérieure, de l'accueil de ces personnes. Il tenait à les considérer d'abord comme des êtres sensibles en demande d'un accompagnement spirituel lors d'une étape essentielle de leur vie. G… proposait toujours une rencontre initiale dans le but d'aider le couple à préciser sa demande et son attente. En fait peu de couples, même parmi les pratiquants, avaient a priori une idée très claire sur ce le sens de cette célébration. Un sacramentalisme diffus était souvent à l'arrière plan des demandes. Une part importante de la pastorale initiale consistait donc à permettre au couple de découvrir ce qu'il pouvait légitimement attendre et, bien sûr, d'envisager la place que Dieu aurait avant, pendant et après la cérémonie dans sa vie. Parfois, mais finalement rarement, l'entretien s'était arrêté là, le couple ne cherchant qu'une cérémonie. L'expérience montrait cependant que la plupart des couples étaient tout à fait ouverts à ces rencontres avec le pasteur. La plupart venaient pour organiser une cérémonie, mais dès que l'on leur proposait d'aller plus loin que l'organisation d'une cérémonie, et de considérer en quoi cette cérémonie n'était que le signe du Dieu qui voulait vivifier leur couple, beaucoup se réjouissaient de cette opportunité.
Refuser l'instrumentalisation
Quelques collègues acceptaient certaines demandes sous prétexte d'évangélisation. Cette position mettait G… mal à l'aise. Si une bénédiction de mariage est une opportunité forte d'annoncer l'Évangile de Jésus-Christ, il considérait comme inacceptable de l'instrumentaliser. En aucun cas, l'alibi de l'évangélisation ne justifie d'accepter une demande que l'on ne respecte pas en tant que telle. Ce serait là, à ses yeux, une démarche malhonnête, une tromperie des personnes, un comportement indigne de l'Évangile. Ou la bénédiction a sa légitimité propre et il faut l'accepter ou il faut la refuser.
Une cérémonie « privée »
G… avait conscience du caractère particulier d'une bénédiction de mariage. Il la considérait comme une cérémonie « privée », en ce qu'elle n'était qu'une réponse à une demande personnelle. Cet état de « cérémonie privée » demeurait même dans le cas d'un mariage totalement intégré à la vie communautaire. Cette bénédiction n'appartient pas en effet à la prédication de l'Église, au rebours de la cène ou du baptême. Elle est seulement une conséquence possible de la révélation du Dieu de grâce. En fait, ces demandes venant des marges des Églises constituent une sorte d'interface entre l'Église et la société. Des couples, sans spiritualité particulière, sans lien avec une communauté chrétienne, demandent cette cérémonie pour marquer une étape essentielle de leur vie. L'expérience pastorale montre que si il y a des cas où la demande n'est que le désir d'un décorum – le mariage civil est souvent si cérémoniellement pauvre qu'il ne suffit pas à se « sentir marié » – dans d'autres cas, pas si rares, le couple cherche, sans être toujours capables de le verbaliser, un soutien, une aide, pour réussir leur mariage au delà de la cérémonie. Le pasteur G… expliquait toujours à ces couples qu'il n'était pas un « fonctionnaire religieux », que son ministère ne consistait pas à multiplier les cérémonies, mais qu'il était disponible pour aider à réfléchir sur la place de Dieu dans leur projet particulier. Clairement, il initiait le couple au fait que cette cérémonie n'était pas indispensable pour être légitimement marié devant Dieu et devant les hommes, qu’elle n'était rien d'autre qu'un temps de prière. Il lui fallait toujours expliquer que le mariage réside dans le don de soi sincère et réciproque du couple. Que l'administration enregistrait le mariage. Ce qui éventuellement se rajoutait par la cérémonie chrétienne n'était donc par nature qu'un temps de prière pour remercier Dieu de la joie du couple et lui demander son secours pour le conduire dans une vie marquée par l'Évangile. G… adaptait toujours cette prière à l'engagement spirituel du couple.
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ADDENDA
Relisant ces lignes une dizaine d’années après leur rédaction, persévérance … ou entêtement, je ne sais, mais je reste convaincu que l’approche pastorale décrite sert l’Évangile et donc l’humain. Avec l’expérience je préciserais ce que je considère aujourd’hui comme le lieu essentiel de la pastorale, indispensable pour tous les couples. Dans le corps de cet article j’évoque la pastorale comme explication que « le mariage réside dans le don de soi sincère et réciproque ». C’est une bien belle formule à laquelle chacun acquiesce avec empressement et sincérité. Toutefois cette belle formule tourne facilement dans un vide romantique. Quel contenu chaque conjoint mettait-il dans ce « don de soi », mystère ! Insatisfait de l’accompagnement que je proposais, j’ai été amené à repenser ma démarche autour d’une anthropologie dans laquelle la parole et le langage sont fondamentaux. J’attache aujourd’hui une grande importance à conduire tout couple dans une réflexion sur la parole et le langage, puisque c’est par la parole et le langage qu’ils vont s’engager l’un envers l’autre, puis construire leur vie commune. Je pose la parole comme l’expression la plus manifeste de notre création en l’image de Dieu, comme l’interface permettant la relation construite entre qui je suis et qui tu es. C’est par la parole que Dieu nous rencontre et c’est par la parole que nous construisons notre monde. Le mariage est un acte de parole et la vie de couple s’enrichit ou s’appauvrit de ce que deviendra sa parole conjugale. Tout échec conjugal est un échec de la parole. Chacun éprouve que la parole puisse être bénédiction et puisse être destruction. Je prends donc le temps de faire réfléchir chacun sur en quoi « sa » parole c’est lui même, ou si il y a une fracture entre « lui » et « sa » parole. Nous évoquons le péché comme attaché à notre parole humaine, que nous reconnaissons fragile, au mieux ambiguë, souvent mensongère. Nous réfléchissons ensuite à la source de la parole humaine, la Parole de Dieu et nous évoquons le Salut dans sa dimension de guérison de la parole. Enfin nous nous attachons à comprendre l’amour dans sa dimension d’attention persévérante à accueillir la parole de l’autre, car comprendre sa parole, c’est le comprendre lui. Tu es ta parole. Tu es ce que tu fais de ta parole. Avoir confiance en l’autre, n’est rien d’autre qu’avoir confiance en sa parole. Ce cheminement a été enclenché par ma surprise ahurie le jour où, après une heure de premier entretien, la fiancée énonce tranquillement : « Je n’ai aucune confiance en lui, il ment ! ». Elle avait appris très tardivement que son fiancé avait déjà été marié ! L’entretien s’était arrêté là.
Pasteur G.
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