La tragédie des violences conjugales dans les milieux chrétiens : étude de textes bibliques

Extrait Le mariage et la sexualité

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Adam & Eve dreamstime s 132023907Longtemps taboue, la violence conjugale existe depuis toujours, dans tous les milieux, y compris dans les Églises (toutes dénominations confondues !) où elle est excusée, légitimée par plusieurs au travers de lectures erronées de certains textes bibliques.

Des enseignements pseudo-bibliques sur la soumission de la femme (« l’homme est le chef de la femme », « soyez soumises ») renforcent le poids du silence et la difficulté pour des victimes de maltraitance conjugale de parler, d’oser dire « non » afin de faire cesser leur cauchemar quotidien. Avec cette compréhension abusive des Écritures, on enseigne à la femme chrétienne de rester soumise en toutes circonstances, encourageant le pardon infini (« l’amour excuse tout »), le renoncement (« porte ta croix », « la mort à soi »), l’acceptation de la violence par « le chef du couple, le chef du foyer », ce qui implique soumission à ses ordres, à ses interdits, à ses demandes, jusqu’au viol conjugal répété.

L’étude de textes bibliques(1) clés sur la femme, le couple, depuis la Genèse jusqu’à Paul(2), permettra d’identifier et de réfuter un certain nombre de fausses croyances qui ont nourri un terreau culpabilisant pour les victimes d’agressions dans le couple. Ce travail d’exégèse est une étape doublement nécessaire :

  • Pour les victimes : quand elles veulent se reconstruire et avoir une autre compréhension de ces textes dont on s’est servi pour maintenir une emprise, les abuser. La Bible est porteuse d’une bonne nouvelle pour tous, elle l’est aussi pour les victimes : la Bible ne saurait en aucun cas être utilisée pour légitimer ces crimes.
  • Pour les victimes potentielles : il est impératif d’arrêter de cultiver, dans certains milieux chrétiens, un enseignement, une éducation pour les femmes de tout âge qui les rend vulnérables aux abuseurs, aux violents(3).

Nous verrons d’abord ce qui était prévu dans le cœur de Dieu à la Création, « au commencement » ; puis nous verrons les conséquences de la chute avec l’irruption de la violence et la domination d’un genre sur l’autre ; la rédemption par l’œuvre du Christ, et comment cela se traduit dans de nouvelles relations hommes/femmes avec les textes de Paul. Nous passerons enfin en revue quelques textes et thèmes bibliques utilisés par certains (parfois même des pasteurs) pour légitimer la maltraitance conjugale. À travers ce parcours biblique, nous verrons par les textes eux-mêmes la dénonciation de cette dernière comme péché et sa radicale condamnation.

La Création

Lorsqu’on interroge Jésus sur les relations entre hommes et femmes (et plus spécifiquement au sujet de la répudiation de la femme par son mari), il répond : « N’avez-vous pas lu, au commencement » (Mt 19.4), manière de se référer à la Genèse comme fondement de toute réflexion sur le couple. Qu’est-il donc écrit « au commencement » dans les premiers chapitres de la Genèse(4) ?

Le premier chapitre de la Genèse relate que les deux, l’homme et la femme, sont créés « à l’image de Dieu, à sa ressemblance » (Gn 1.27), deux mots quasi synonymes en hébreu. Le verbe employé pour « Dieu créa » (barah en hébreu) est réservé à Dieu et il apparaît quand il est nécessaire de passer une frontière, celle qui sépare le tohu-bohu de la vie (v.1), le végétal de l’animal (v.21), l’animal de l’humain (v.27). Mais ce verbe n’est pas présent entre l’homme et la femme. Dieu les place au même niveau, à la même dignité.

Si pour les animaux il est répété « il les créa chacun selon son espèce », cette expression n’apparaît pas pour le genre humain. C’est à la fois l’homme et la femme qui sont créés à l’image de Dieu, à sa ressemblance. Cette ressemblance, longuement commentée par les théologiens de tous les siècles, implique l’égale dignité, l’égale valeur entre l’homme et la femme.

Et ce sont ces deux êtres, l’homme comme la femme, à qui Dieu confie la responsabilité de dominer et de gérer la terre (Gn 1.27-28). Il n’y a pas encore de partage de rôles, d’attribution de tâches différentes, comme le feront les cultures, mais une mission commune, une même autorité. Cette ressemblance fondamentale a une lourde conséquence :

« Alors qu’en Genèse 1, Dieu organise l’univers minutieusement autour d’une hiérarchie méticuleuse, il n’existe pas dans le texte biblique la plus petite indication d’une hiérarchie semblable entre Adam et Ève… nulle part dans le dessein divin il n’est dit que l’homme doit dominer sur la femme… pas le moindre indice, pas le moindre chuchotement à la Création, dans ce qui est prévu dans le cœur de Dieu quant à une hiérarchie d’autorité entre l’homme et la femme(5). »

Certes, le texte biblique fondateur de la Création souligne également des différences entre l’homme et la femme, mais jamais pour ...

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1.
Les citations bibliques sont extraites de la Bible « Nouvelle Français Courant », 2019.
2.
Dans cet article, nous évoquons les textes bibliques de la Genèse jusqu’aux Évangiles, puis dans un deuxième article, les textes de Paul.
3.
Nous choisissons ici d’évoquer exclusivement les victimes femmes parce qu’elles sont les plus nombreuses et que c’est surtout l’homme violent qui a recours aux textes bibliques pour légitimer ses actes. La Bible relate certains rares récits de femmes exerçant de la violence ou une emprise, comme la femme de Potifar qui fait subir un véritable harcèlement sexuel à Joseph (Gn 39). Voir Catherine VIALLE, « Des femmes fatales dans la Bible ? », Une bible des femmes, Genève, Labor et Fides, 2018, p.66.
4.
Pour l’importance d’une grille de lecture partant de Genèse 1 à Jésus, pour comprendre Paul, et non l’inverse, voir Linda OYER, « Lire Paul à la lumière de Jésus ; quelle implication pour le rôle de la femme dans l’Église ? », in Neal BLOUGH (sous dir.), De l’Écriture à la communauté de disciples, Charols, Excelsis, 2016, pp.191-233.
5.
Gilbert BILÉZIKIAN, Hommes et Femmes. Pour une relation égalitaire, Charols, Grâce et Vérité, 2011, p.16. Pour certains, le fait qu’Adam ait donné à la première femme un nom en Genèse 2.23 serait le signe de sa domination sur elle avant la Chute. Plusieurs arguments s’opposent à cette lecture, notamment le fait que ce nom « femme » (ishah en hébreu) n’est pas un nom propre (son vrai nom sera Ève) mais seulement le reflet de leur similitude. Pour d’autres, le fait même qu’Adam soit créé en premier serait le signe de sa suprématie ou autorité. Aucun élément du texte ne confirme cette lecture qui conduirait notamment à accorder aux animaux, chronologiquement créés avant les humains, une autorité supérieure. Pour d’autres arguments, voir BILÉZIKIAN, ibid, pp.23 et 29-33.

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