L’irrationnel aujourd'hui : une réalité, un danger, un défi - 2-*
2. L’irrationnel aujourd’hui : un danger ?
Je ne développerai pas outre mesure ce paragraphe, car je pense que la Bible offre au chrétien la possibilité inestimable de ne pas vivre dans la crainte, d’appréhender la réalité positivement, en faisant face avec confiance, et même en retournant les situations. Ce sera l’objet du 3ème paragraphe : le défi.
En attendant, quels dangers pouvons-nous rapidement identifier ?
2.1. Danger pour la société
• D’abord, l’irrationnel est la porte ouverte à l’irresponsabilité. Trop d’irrationnel peut conduire à une remise en question fondamentale d’un système de valeurs fondé sur les aptitudes de chacun. Par exemple, l’irrationnel dans les processus de sélection conduit à faire de l’embauche une loterie, un jeu de hasard. D’où le danger de dévaloriser les individus par la mise en œuvre de critères aliénants où l’homme devient le jouet d’éléments complètement extérieurs. Cela peut amener à des attitudes de dépendance (cf. horoscope, biorythmes) ou de fatalisme ("c’était écrit"), conduisant à une démission de ses responsabilités.
À partir de là, on voit apparaître le risque d’évolutions préoccupantes des relations entre individus, avec l’émergence de phénomènes de masse : intégrismes religieux, phénomènes socio-économiques aberrants, racismes, et possibilité de prises de pouvoir (au propre et au figuré) et de manipulations des mentalités.
• Ensuite, en revenant sur la question des risques associés à nos activités, un irrationnel outrancier peut conduire à une application tout à fait bloquante du fameux "principe de précaution". Il est vrai qu’il n’est pas simple, pour nos responsables politiques, de fonder l’application de ce principe sur des bases raisonnables, sur une analyse rationnelle des risques encourus, surtout quand on ne connaît pas vraiment ces risques, et quand on sait que si on se trompe en les sous-estimant, il y a à la clé le risque d’une mise en cause pénale devant des tribunaux. Peut-être pouvons-nous contribuer à faciliter la tâche de nos responsables en évitant de participer à des réactions de panique, mais où commence la panique - j’ai très posément mais notablement réduit ma consommation de viande de bœuf ?
• Puisqu'on vient d'évoquer en filigrane un problème de santé publique, je poursuis avec celui du tabagisme. On aurait pu parler de l'alcool, mais c'est un peu moins simple : d'une part des études épidémiologiques récentes semblent aller dans le sens d'un effet bénéfique du vin, à doses modérées bien sûr, sur le système circulatoire (on a aussi parlé de son éventuel intérêt pour prévenir la maladie d'Alzheimer ?) mais d'autre part il semblerait que le seuil d'apparition d'une dépendance à l'alcool soit très variable selon les personnes, et cela est très grave.
Parlons donc du tabac. La cause est entendue : les statistiques montrent une corrélation entre sa consommation et de graves maladies : cancers (gorge, poumon), maladies cardio-vasculaires, y compris pour ceux qui absorbent la fumée des autres (ce tabagisme dit passif fait 2.000 morts par an en France). Alors on peut avoir du mal à comprendre (c'est mon cas !) comment autant de gens fument, partout et en toutes circonstances, ou même tolèrent que l'on fume près d'eux, y compris en des lieux où une loi, pratiquement ignorée de tous, l'interdit. C'est de l'irrationnel à l'état pur. En termes un peu plus scientifiques, on dira que l'acceptabilité de ce risque est immense, au contraire par exemple de celle du nucléaire par exemple. Quand à savoir pourquoi ? En tous cas les conséquences sociales (en plus des conséquences personnelles bien sûr) sont très lourdes. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de l'alcoolisme. À moins que ne se vérifie l’idée sordide que, selon des calculs précis mettant en balance les dépenses de santé, l'apport des taxes sur la vente du tabac et de l'alcool, et l'économie que représentent les retraites que l'on n'aura pas à payer…, il y aurait tout "intérêt" à laisser les buveurs boire et les fumeurs fumer et empoisonner leurs voisins. Et là, ce n'est plus de l'irrationnel, c'est une approche systémique relevant de l'"horreur économique".
2.2. Danger pour les individus eux-mêmes
L’homme cherche à être en harmonie avec la pensée d’éternité qui l’habite. Cela l’amène à une curiosité, à une interrogation, à une recherche dans lesquelles, la plupart du temps, il s’engage avec passion, risquant de tomber dans ce que Pascal a appelé le "divertissement", au sens d’un égarement qui détourne du Dieu vrai. Le danger, c’est que, dans la diversité de l’irrationnel dont nous avons eu un aperçu, il passe à côté de la conception de Dieu, de l’homme, et des relations entre l’homme et Dieu qui correspond à la réalité du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus-Christ.
Oui, le grand danger pour les individus plongés dans l’irrationnel de notre monde, c’est de passer à côté de Dieu, de sa sainteté et de son amour parfait, de ne pas entendre parler du péché, de la grâce, de Jésus pleinement Dieu et pleinement homme, crucifié et ressuscité, sauveur et Seigneur, de ne pas entendre parler du Saint-Esprit et du peuple de Dieu auquel l’amour de Dieu les presse d’appartenir, de ne pas entendre parler du retour de Jésus et de la rédemption de la création tout entière. Finalement, l’attrait de l’irrationnel risque d’amener les hommes à rater leur vie, et leur mort.
2.3. Danger pour les Églises chrétiennes
Ce danger revêt plusieurs aspects :
• La compromission : les avertissements de la Bible sont sévères contre l’occultisme et la divination, réalités que certains chrétiens peuvent être amenés à étudier pour en combattre la séduction, mais qui ne doivent faire l’objet d’aucun soupçon de bienveillance.
• L’indifférence, que l’on peut résumer par l’attitude : "on n’a pas à s’intéresser à tout ça". Qu’on s’y intéresse ou non, la réalité est là, et nous devons la regarder avec lucidité.
• Le catastrophisme qui consisterait à voir l’irrationnel comme un mal omniprésent
• Mais il est un autre aspect que j’aimerais développer un peu plus, qui me semble nécessiter le plus de vigilance : le risque, pour les Églises chrétiennes, de rater leur mission, sous l’effet d’un irrationnel dont l’aspect négatif doit être expliqué avec soin.
Tout d’abord, il est important de rappeler un des traits caractéristiques de notre époque, que l’on appelle parfois post-modernité. Dit très sommairement, il s’agit de la prééminence du relativisme (un courant de ce type a déjà existé dans la Grèce antique) selon lequel il n’y a pas de vérité absolue, chacun peut construire son propre système « à la carte ». Mais il faut bien quand même une référence pour apprécier ce qu’on fait ou dit ou pense, et c’est l’efficacité : si ça marche, c’est bon. Par ailleurs, on insiste énormément sur l’importance de la réalisation de soi, de l’épanouissement personnel.
Dans cet environnement [et, que nous le voulions ou non, nous n’échappons pas à notre environnement qui nous influence parfois plus que nous ne le pensons], dans cet environnement, il me semble y avoir un risque énorme pour les Églises chrétiennes que le vécu personnel soit mis en avant comme valeur importante isolée du reste, que l’on recherche pour lui-même un épanouissement certes spirituel mais dont la réalisation justifiera la quête d’émotions, d’expériences fortes, d’événements extraordinaires qui deviendront un but en soi et une référence. Se mettre petit à petit à avoir comme but la recherche de l’extraordinaire, du merveilleux pour eux-mêmes, dans une stricte optique d’épanouissement personnel ou de preuve d'efficacité, voilà le danger.
Suis-je en train de condamner l’extraordinaire, le merveilleux, les émotions et l’épanouissement spirituel ? Non, bien sûr. Je mets en garde contre tout cela si c’est vécu sans raison (i.e. de façon irrationnelle), ou pour de mauvaises raisons, c’est à dire en dehors de ce qui est le but des Églises chrétiennes. Quel est ce but ? Il s'agit pour elles de répondre à l'amour de Dieu et de faire connaître à nos contemporains "les merveilles de Celui qui nous a appelés à passer des ténèbres à son admirable lumière".
Et pour que les communautés chrétiennes témoignent, il faut qu’elles se construisent et se fortifient. Nous formons un corps, nous vivons les uns par les autres, les uns pour les autres. La motivation du vécu de chacun, c’est donc, in fine, par delà un épanouissement personnel dont nous ne serons jamais assez reconnaissants à notre Dieu, l’édification de l’Église et son témoignage. Veillons à éviter, avec l’aide de Dieu et des autres, de tomber dans la dérive du "pourvu que ça marche, c’est bon", gardons-nous du glissement vers l’expérience normative et gardons vraiment la Bible comme référence.
Et si vous croyez voir de la sécheresse dans mon discours, alors je terminerai en vous disant que, de toutes manières, le chrétien est le plus privilégié de tous les individus sur le plan du merveilleux et de l’extraordinaire. Savez-vous pourquoi ? Parce que le miracle des miracles, celui qui relègue tous les autres loin derrière, selon Jésus-Christ lui-même, c’est sa mort et sa résurrection. Le Christ ressuscité est le miracle permanent de Dieu. Et comme, par son Esprit, il est présent à chaque instant dans le chrétien, celui-ci vit à chaque instant dans le merveilleux et dans l’extraordinaire de Dieu. En avons-nous conscience ? Est-ce ainsi que nous vivons le temps que Dieu nous donne ? Point n’est besoin d’aller chercher ailleurs ce que nous avons en nous.
Notre responsabilité, c’est de faire connaître cette merveille.
Nota 1 (à propos du paranormal)
L'édification de l'Église chrétienne peut être un critère pertinent pour un autre problème que nous ne ferons qu'effleurer ici : celui de l'attitude que méritent de notre part des phénomènes controversés tels que télépathie, voyance, psychokinésie, etc. … et que l'on appelle paranormaux. Comme nous l'avons déjà évoqué ci-dessus à propos du danger de compromission, certains chrétiens peuvent être amenés à étudier ce domaine, soit pour en combattre la séduction, soit pour développer notre rationalité à son sujet.
Mais en l'occurrence, il me semble important de se poser la question : pourquoi un intérêt dans tel secteur, et jusqu'où ? C'est là que le critère de l'édification mutuelle ou, pour employer une autre expression de la Bible, de l'"utilité commune", peut s'avérer une indication précieuse pour les chrétiens.
Nota 2 (à propos du Saint-Esprit dans les Églises chrétiennes)
Nous ne traiterons pas ici la question des dons et des manifestations particulières du St-Esprit : parler en langues, prophéties, discernement des esprits, phénomènes miraculeux, etc. … Une étude biblique et théologique approfondie sur le sujet serait intéressante, et je ne suis pas l'homme de la situation. Mais il me semble y avoir une bonne justification à ne pas aborder ici ce point en détail : il fait partie de la vie interne des Églises, de leur logique, on peut dire de leur rationalité car il entre dans le plan que Dieu a pour elles : il a une raison d'être. Il ne fait donc pas partie, stricto sensu, de l’irrationnel.
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