Le prophétisme est par nature difficile à gérer. Les auteurs bibliques sont bien conscients du risque. Dans l'Ancien Testament, les exemples de conflits entre les prophètes du Seigneur et les faux prophètes sont nombreux(1). Le Nouveau Testament ne cache pas non plus l'existence de faux prophètes qui détournent certains croyants de l'Évangile du Christ(2). Malgré tout, le Nouveau Testament encourage la pratique de la prophétie dans l'Église. Bien plus, il la présente comme une nécessité ! D'une part, cela fait partie de son identité : par définition, l'Église est un peuple composé de prophètes (Mt 10.40-42 ; Ac 2 ; 1 Co 14 ; Ap 11). D'autre part, le Nouveau Testament souligne le rôle de la prophétie dans la croissance qualitative et quantitative de l'Église(3). La réponse du Nouveau Testament à la dérive prophétique n'est donc pas l'absence de prophétie, mais plutôt l'encouragement au discernement prophétique. C'est cette question que je souhaite aborder dans ce chapitre.
Dans un précédent article(4), j'avais proposé une définition biblique de la prophétie. Je la préciserai ici : la prophétie chrétienne est l'acte de transmettre, sous la forme d'un message intelligible, une révélation inspirée par l'Esprit du Dieu de Jésus-Christ. C'est une définition de travail qui me semble bien correspondre à l'ensemble des données bibliques. Beaucoup d'Églises acceptent l'actualité de la pratique de la prophétie définie ainsi.
Elles acceptent encore aujourd'hui que des croyants puissent transmettre une parole inspirée. Mais une telle pratique fait face à un questionnement inévitable : comment savoir si ce qui est dit vient de Dieu ou pas ? Comment discerner une parole bien inspirée d'une prophétie mal placée ? Mon mémoire de Master cherchait notamment à montrer comment le Nouveau Testament répond à ces questions(5). Je vais essayer ici de résumer le résultat de mes recherches sur la question du discernement prophétique(6). J'y ajouterai quelques réflexions sur la pratique de la prophétie dans l'Église d'aujourd'hui.
Deux types de discernement
Lorsqu'il s'agit de synthétiser les données néotestamentaires sur ce point, il est nécessaire de distinguer deux phénomènes :
D'une part, certains textes mettent en garde contre des faux prophètes. Ceux-ci influencent l'Église mais ils sont clairement dénoncés comme n'étant pas de vrais chrétiens. Il s'agit alors de repérer ces usurpateurs et de les mettre au ban de la communauté. Ces textes nous aident à répondre à la question : comment savoir si celui qui se prétend prophète a effectivement reçu ce charisme de Dieu ?
D'autre part, certains textes évoquent un examen des prophéties dans le cadre d'une assemblée ecclésiale. Cette évaluation porte sur les prophéties et non sur le prophète. Ces textes nous aident à répondre à la question : comment savoir si une prétendue prophétie vient de Dieu ou pas ? Avant d'étudier plus en détail chacun de ces phénomènes et de voir quels en sont les ressorts théologiques, je propose de mettre en lumière les points communs à ces deux types de discernement prophétique.
1. Les caractéristiques communes au discernement prophétique
a) Le discernement est communautaire
La première caractéristique du discernement prophétique encouragé par le Nouveau Testament, c’est qu’il est une affaire communautaire :
- Les diverses mises en garde contre les faux prophètes sont toujours adressées à tous les croyants de manière générale (Mt 7.15 ; Mc 13.21-23 ; 2 P 2.1 ; 1 Jn 4.1 ; Ap 2.20).
- Les exemples des Actes montrent tous une démarche communautaire d’approbation ou de réaction face à la prophétie : c’est l’ensemble des disciples(7) d’Antioche qui décide d’envoyer une contribution financière suite à la prophétie d’Agabus (Ac 11.29) ; c’est l’Église d’Antioche tout entière qui jeûne, prie et envoie Saül et Barnabas suite à la parole de l’Esprit-Saint (Ac 13.2-3) ; ce sont tous les « frères » présents qui réagissent à l’annonce prophétique des souffrances de Paul (Ac 21.12).
- Même si ceux qui manifestent le « discernement des esprits » (1 Co 12.10) jouent peut-être un rôle particulier dans le discernement prophétique, celui-ci est préconisé par Paul comme une pratique communautaire (1 Co 14.29)((1 Corinthiens 14.29 : « Quant aux prophètes, que deux ou trois prennent la parole et que les autres discernent ». Certains commentateurs affirment que « les autres » sont les autres membres du groupe des prophètes, ceux-ci étant également ceux qui ont reçu le don du « discernement des esprits » (1 Co 12.10). Toutefois, dans 1 Corinthiens 12.10, Paul précise bien que le charisme de prophétie est donné à l’un et « le discernement des esprits à un autre ». De plus, il faudrait présumer que......