Pasteur en relations

Complet Ministère pastoral 2 commentaires

L'article qui suit est pour l'essentiel une intervention orale qui avait été demandée à Richard Gelin, pasteur de l'Église Baptiste de Bordeaux, pour la pastorale nationale des Églises Évangéliques Libres rassemblée à La Costette, au printemps 2000, sur le thème "Pasteur en relations". Nous avons conservé la liberté du style de cette intervention. Ce texte est redevable aux aumôniers bordelais, Inge Ganzvoort et Hervé Martin, de ses références à Paul Pruyser.

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Pasteur en relations

Pasteur depuis 22 ans, je rends grâce à Dieu de l'extrême richesse en rencontres, d'une inimaginable diversité, qu'il m'a été donné de vivre. Et, somme toute, ces rencontres furent assez rarement conflictuelles.

Bien sûr, il faut distinguer la rencontre éphémère qui est à peine une relation, des rencontres se construisant au fil des mois et des années. Ce sont celles-ci qui nous intéresseront et, dans un premier temps, une relation particulière, celle que nous vivons nécessairement avec un conseil presbytéral. Si là encore je me réjouis d'un vécu globalement plutôt heureux, c'est toutefois notre lot commun de sortir parfois d'un conseil épuisé et découragé. Heureuse grâce de Dieu, nous vivons aussi d'autres expériences - parfois avec les mêmes personnes - qui nous dynamisent, nous rendent euphoriques. Heureux le pasteur qui éprouve, de temps à autre, ce doux sentiment de ne pas être totalement inutile.

Mettant en perspective ma propre expérience ainsi que les confidences de quelques collègues, ma conclusion ne vous surprendra pas : le sentiment de la bénédiction ou la pensée de l'abandon, le bien être ou le mal être, la joie ou le découragement, la communion ou la solitude, résultent pour une grande part de la qualité de nos relations à l'intérieur de la communauté. Comme vous, j'ai accompagné des personnes, des familles dans des temps extrêmement difficiles de leur vie. Je connais cet instant où l'on a peur d'appuyer sur la sonnette de la porte, parce que, derrière, nous attendent des gens en souffrance. Mais jamais ces situations ne m'ont découragé du ministère. Par contre, des tensions, des insatisfactions vécues avec des membres d'un conseil ont fait surgir, souvent fugitivement, la tentation de l'abandon.

Le texte de présentation de votre pastorale fait référence à ces expériences difficiles : " … le pasteur, homme en perpétuelles relations est quelquefois aussi un homme en souci … les relations pastorales peuvent aussi présenter une charge pénible à assumer "

Je me propose d'essayer d'apprécier théologiquement cette dimension du relationnel.

I. La relation et l'identité ?

Pourquoi une relation tendue avec un conseil peut-elle conduire au découragement, alors que l'accompagnement - très exigeant - de personnes traversant des drames qui interrogent la foi, n'a pas la même conséquence ? C'est que le premier ébranle notre identité pastorale ; alors que l'autre, même quand nous souffrons de n'avoir aucune réponse aux questions posées, renforce cette identité. La question de la relation est inséparable de celle de l'identité. Dès que nous parlons de relations, surgit la question de l'identité. Nous vivons plus ou moins bien une relation donnée selon qu'elle nous semble conforter ou agresser notre identité. Parfois se pose de façon très problématique la contradiction entre la conscience que le pasteur a de lui-même et l'image qu'il reçoit des autres ou simplement même d'un seul autre. Le conseil par sa nature même représente un des lieux clefs où cette problématique se noue. Je n'ai pas souvenir d'une crise entre une Église et un pasteur soutenu par son conseil. La fracture passe le plus fréquemment soit au milieu du conseil, soit entre le pasteur et le conseil. La relation au conseil est donc fondamentale. L'identité s'élabore dans l'inter expérience ou l'inter relationnel : c'est à dire mon expérience des autres et leur expérience de moi. Une relation encourageante fortifie l'identité ; une relation conflictuelle l'ébranle. Si on en reste là, on peut avoir une identité non ébranlée mais totalement narcissique. P.L. Dubied [cf. "Le pasteur : un interprète"] page 25 définit une identité forte comme " la capacité à intégrer des données multiples de relations diverses. Cette identité forte crée le sentiment de satisfaction ". PLD propose que " l'identité est ce qui fait qu'on se sent le même, en ce lieu et en ce moment, qu'en cet autre lieu et en cet autre moment ; c'est ce par quoi l'on est identifié ". Page 24, il évoque encore " l'état de tentation permanente où le pasteur se trouve installé, du fait du champ des communications dont les réseaux l'enserrent : cette tentation consiste dans l'abandon de la tâche de l'identité ou de l'intégration, et de la fuite dans le fanatisme, la résignation ou l'incohérence… " Notre attention devrait donc porter sur ces questions : Qu'est-ce qui fonde notre identité pastorale de façon à ce que les diverses relations gardent du sens ? ou : Qu'est-ce qui unifie la diversité de nos engagements, de façon à ce que nous soyons à l'abri de la sensation d'écartèlement ?

II. La relation c'est la vie

Posons comme axiome que : " la relation, c'est la vie ". Sœur Myriam [cf. CEP n° 32] dit avec beaucoup d'insistance : Dieu a voulu que nous ayons besoin les uns des autres. La vie n'existe que dans la relation. La relation sexuelle produit de la vie et, à l'autre bout, la mort est le terme de toutes relations. Comment dire la vie autrement qu'en terme de relation ? J'en suis incapable. C'est ce qui fonde la centralité du pardon et de la réconciliation dans la foi chrétienne : rétablir des relations qui ont été brisées, c'est participer à la résurrection, donc à la victoire de la vie sur la mort. Cette affirmation " la relation c'est la vie " devrait éclairer toute notre activité pastorale. J. Moltmann dans " L'Esprit qui donne la vie " (p. 297), écrit : " L'expérience de la communauté est expérience de la vie, car toute vie consiste en échanges mutuels de moyens de subsistances, d'énergies et en relations de réciprocité. Il n'y a pas de vie sans relations de communauté qui lui soient propres. Une vie isolée et sans relations… est une réalité contradictoire en elle-même, elle n'est pas viable et meurt ". La communauté, la communion, la connaissance, le pardon, la réconciliation, la cène, la prière, etc. … Tout cela c'est de la relation. Par toute la diversité de ce qui constitue une vie de communauté, le Saint Esprit donne la vie, c'est à dire crée, suscite, renouvelle, nourrit des relations avec Dieu et avec le prochain. Tout le témoignage biblique peut être interprété sous cet angle : de la relation qui produit la vie ou de la non-relation qui produit la mort. L'évangile de Jean me parait particulièrement explicite : " la vie éternelle, c'est qu'il te connaisse, Toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ " (Jn 17.3). Nous savons qu'ici le verbe connaître implique beaucoup plus qu'une connaissance conceptuelle, c'est ma vie ouverte à la vie de Dieu. Le péché prive de la gloire de Dieu. Il prive de la présence de Dieu, de la relation à Dieu. La connaissance de Dieu, c'est la vie. La conséquence de la chute c'est la perturbation totale des relations. Celles-ci deviennent ambiguës, mensongères, incohérentes. Adam-Ève, Caïn-Abel, Lémek le meurtrier, les contemporains de Noé… Dans le champ politique nous voyons bien aujourd'hui que là où est tenu un discours " identitaire " qui derrière la sémantique douteuse n'est qu'un discours de repli sur soi, la conséquence c'est le racisme ou la guerre ethnique, c'est à dire le rejet de la relation ou la relation comme destruction de l'autre. Osons un truisme, l'humain est un être relationnel ou n'est pas. Les témoignages bibliques sont multiples et s'entrecroisent :

  • la création " en l'image de Dieu " exprime une relation voulue de Dieu avec sa création et dont on peut dire qu'elle est une relation identifiante. L'image de Dieu est une relation à construire, est également à construire la relation entre un père et son fils. La même expression est utilisée au chapitre 5 pour dire le lien entre Adam et Seth.
  • la création de l'humain en homme et femme appelés à se reconnaître et à construire une relation unifiante.
  • La relation, c'est la vie et c'est l'identité. Il n'est pas inintéressant de rappeler les récits bibliques où une étape particulière de l'établissement d'une relation entre Dieu et un homme, s'accompagne du changement de son nom : une nouvelle identité.
  • Une caractéristique commune des guérisons opérées par Jésus, c'est que le miraculé par sa guérison ou sa délivrance, noue ou renoue des relations avec les hommes et parfois avec Dieu. La relation n'est donc pas un aspect de notre ministère, parmi d'autres aspects, c'est la nature même du ministère.

Le pasteur est là pour favoriser, encourager, accompagner le développement de relations par lesquelles l'Esprit Saint produit de la vie. Que ce soit la vie dans sa démarche originelle de rencontre avec Dieu ou que ce soit la vie dans l'ordre de la relation à autrui. Un conseil presbytéral devrait se penser aussi lui même, non comme un lieu de gestion, mais comme un lieu consacré à la vie, au service de la vie que l'Esprit de Dieu donne aux hommes. La gestion n'est pas une fin en soi, mais une des conditions de la vie. Qui n' a pas eu écho de discutions de conseils qui organisaient la vie communautaire mais dont la démarche semblait plus inspirée par la peur de la vie plutôt que par l'amour de la vie ?

III) Des relations "trinitaires"

Quand Sœur Myriam dit que " Dieu a voulu que nous ayons besoin les uns des autres " elle nous ouvre à l'éclairage de la trinité. Une réflexion sur la trinité me semble capitale pour penser théologiquement les relations dans l'Église. Jean 17.21-22 : " Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un ". Notre unité, notre diversité, les relations qui les permettent et en témoignent, doivent se comprendre au regard de la trinité. L'identité divine est une et trine. Chaque personne a son identité propre, laquelle se comprend et s'exprime dans l'inter relationnel. Dieu est " le Vivant ". Cette vie réside dans les relations d'unité parfaite entre les personnes par ailleurs distinctes et toujours cohérentes. À nouveau j'emprunte à Moltmann : " Le concept trinitaire nous ouvre à la pensée de la multiplicité dans l'unité. La trinité unifie ce qui est différent et différencie ce qui est un ". Notre penchant naturel est de penser les relations en termes d'unification… voir d'uniformisation. Or, l'unification réduit la communauté à son plus petit commun dénominateur. La vraie communauté ouvre les possibilités individuelles dans la plus grande des multiplicités. La trinité est notre modèle d'unité et de multiplicité. " Qu'ils soient un, comme nous sommes un… " Ici se différencient la secte et l'Église. La secte ne s'attache qu'à l'unification, voir à l'uniformisation ; l'Église tente de vivifier la multiplicité dans l'unité. La difficulté des relations pastorales, vient de ce qu'elles sont agissantes au cœur de ce processus. Pour le dire autrement, le ministère pastoral doit participer au développement conjoint de l'amour et de la liberté. La reconnaissance de la communion de l'Esprit est donc une des conditions de la relation authentiquement fraternelle. Elle se retrouve dans cette promesse de Jésus : " Là ou 2 ou 3 sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux " (Mt 18.20) Là où une reconnaissance de fraternité s'établit, c'est l'Esprit de Jésus qui rassemble et donne la vie. Cette promesse ne concerne pas seulement le culte ou le temps de prière. Elle est aussi une promesse pour nos entretiens, pour nos réunions de conseil, etc. La trinité nous invite aussi à de ne pas réduire la vie communautaire à une juxtaposition de relations binaires. Le " moi " à " toi " implique toujours les autres. Que ma relation à un tel soit féconde ou qu'elle soit mauvaise à terme aura des incidences sur la communauté.

IV) Le pasteur comme théologien

C'est sans doute la spécificité de la relation pastorale. Qu'est-ce qui caractérise une relation comme " pastorale ", hormis le fait qu'un pasteur en soit acteur ? La question est pour nous d'autant plus importante que nous refusons un ministère sacramentel dans le sens ou nous ne sommes pas des " médiateurs indispensables " entre Dieu et les hommes. Qu'est-ce qui justifie notre présence ? Paul Pruyser dit de l'activité pastorale que " c'est travail d'amour accompli avec compétence ". C'est dans le contexte du " Pastoral Clinical Training ", que Paul Pruyser interroge les pasteurs. Dans le fonctionnement interdisciplinaire d'une équipe soignante chacun doit pouvoir dire ce que son apport a de spécifique, sachant que cette spécificité seule justifie sa présence. (Dans certains pays l'aumônier hospitalier est reconnu comme membre de l'équipe soignante).

  • qu'apportez-vous que le psychologue n'apporte pas ?
  • qu'apportez-vous que l'assistante sociale n'apporte pas ?
  • qu'apportez-vous que l'infirmier n'apporte pas ?

Pruyser veut aider les aumôniers à découvrir leur spécificité dans le contexte de la relation à une personne malade ou à ses proches. Il propose une grille d'écoute théologique de la personne s'articulant autour de 7 points (la conscience du sacré - la providence - la foi - la grâce - la repentance - la communion - la vocation ) [cf. The Minister as Diagnostician, The Westminster Press] La spécificité pastorale, ce qui fait que le pasteur a un rôle particulier dans la communauté chrétienne, est et doit être sa compétence théologique.

Le pasteur est un théologien. Rarement un systématicien, mais il a, et renouvelle, des compétences d'interprète des Écritures selon l'Évangile pour ouvrir une actualisation appropriée à la vie des personnes. Il a la compétence pour comprendre comment une vie particulière est théologiquement structurée. F. Craddock définit la prédication comme " l'acte oral qui présente la révélation de Dieu à des auditeurs d'une façon qui leur soit appropriée ". Cette adéquation entre l'auditeur et la prédication repose sur une compréhension théologique de la vie et des besoins de la communauté [cf. CEP n° 32 " Pour une prédication vraiment pastorale "]. La compétence pastorale n'est pas dans la connaissance en soi. Le théologien n'est pas nécessairement un pasteur, mais le pasteur ne peut pas ne pas être un théologien. Il ne s'agit pas de bâtir une tour d'ivoire de la théologie triomphante, comme parole ultime sur tout. Il s'agit de travailler à construire des ponts (J.Stott) entre la théologie et la personne que l'on accompagne, ou le projet qui occupe le conseil. Notre compétence, donc quelque chose de notre identité, se joue dans cette volonté, cette responsabilité, de porter la théologie au plus près de la vie des hommes, au plus près de leurs besoins, de comprendre les hommes théologiquement afin de les aider à s'approprier l'Évangile. Là, réside la dimension du pasteur comme théologien. Il nous faut développer à la fois notre compétence à interpréter les Écritures, mais aussi de la compétence à interpréter la société et ses évolutions. Ce qui est en jeu ici, c'est ce qui va nourrir notre relation. L'apôtre Paul donne l'exemple d'une compréhension théologique d'une situation communautaire en Éphésiens 5 : Paul pose le principe fondamental de la piété : " Imitez Dieu… vivez dans l'amour comme le Christ nous a aimés ". Puis il développe la dimension relationnelle, qu'il exprime par un principe universel : " Soumettez vous les uns aux autres ".Enfin, il confronte ce principe à la réalité de la vie sociale, dans trois domaines, la réalité nouvelle va devoir cohabiter avec une ancienne :

  • le couple : ma femme devient ma sœur, mais reste mon épouse.
  • la famille : mon fils devient mon frère, mais reste mon enfant.
  • le travail : mon directeur devient mon frère, mais reste mon patron.

Dans cet exemple, les réalité sociales de la vie communautaire sont complexes. La tâche spécifique du pasteur est de les éclairer théologiquement. C'est vrai aussi dans l'univers du pardon et de la réconciliation : le pasteur aborde une relation moribonde dans une perspective théologique, c'est à dire sous celui de la nature et de la volonté de Dieu manifestée en Jésus Christ. Je pense à des collègues en difficultés dans leur Église qui m'ont confié leur souffrance. Je ne prétends pas ramener leur difficulté à une cause unique, facilement identifiable. Mais après les avoir écouté j'ai acquis la conviction qu'une part importante de leur difficulté tenait à une déficience de leur identité pastorale en tant qu'identité structurée par la relation. La caractéristique identifiante ne s'était pas établie. Le conseil ne percevait alors pas l'apport unique, spécifique du pasteur et renvoyait vers celui-ci une image floue. Il me semble symptomatique que dans l'un des cas, un conseiller m'ait dit : " cet homme a plein d'amour et c'est un excellent organisateur ". Probablement, mais de toute évidence cela ne suffisait pas à établir la légitimité pastorale. Il y manquait la reconnaissance d'une compétence spécifique. L'amour n'est pas une compétence spécifique.

Conclusion ?

Le ministère pastoral parce qu'il est tourné vers la vie que l'Esprit donne, n'existe que dans la relation et que pour elle. La spécificité de la relation pastorale c'est qu'elle est une relation théologique. C'est en renforçant notre compétence à être des pasteurs-théologiens, des bâtisseurs de ponts, que nous parviendrons à des relations épanouissantes et satisfaisantes d'abord pour ceux que le Seigneur confie à notre ministère et en conséquence pour nous. C'est en étant mieux pasteur - au cœur de nos relations - plutôt qu'en l'étant moins.

Auteurs
Richard GELIN

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Commentaires

sodoga

25 March 2014, à 18:25

les verset biblique pour le perfectionnement. Aide pour l'avancement de l'oeuvre de DIEU

sodoga

25 March 2014, à 18:29

j'aime ca

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