Témoignage d’une chute dans l’alcoolisme

Extrait Ministère pastoral

Pendant bien des années, Dominique était pasteur et alcoolique. Il décrit sa chute progressive, sa longue lutte, sa guérison et sa réhabilitation, dans son livre intitulé « Quand le verre vire au rouge » (Jude 25 Éditions)(1).

Les pages qui suivent sont extraites de son livre. Elles racontent une partie de son chemin vers la guérison et la réhabilitation. Aujourd’hui, Dominique est de nouveau pasteur en Suisse. Nous rejoignons l’histoire à partir du moment où Dominique a été amené à avouer à son Conseil d’Église qu’il avait un problème…

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Témoignage d’une chute dans l’alcoolisme

La question était de savoir comment procéder vis-à-vis de l’Église : l’avis général était qu’il fallait l’informer clairement de ce qui s’était passé. Au départ, cette idée ne m’enthousiasmait pas. Non pas que je craignais de dire la vérité ou de savoir mon image ternie, mais j’avais surtout peur de la réaction de personnes peut-être plus fragiles par rapport à leur foi. Je ne voulais surtout pas choquer ou trop décevoir au point que l’un ou l’autre ne réagisse en s’éloignant du Seigneur à cause de moi. Je craignais que cette transparence ne fasse plus de mal que de bien à l’Église. Après avoir réfléchi et débattu du sujet, le Conseil a conclu qu’il fallait le dire. Je me suis donc soumis à sa décision, sans que mes craintes et appréhensions n’en soient pour autant apaisées.

Il fut donc décidé que tout serait mis à plat devant l’Assemblée Générale, rencontre qui se tient une fois par an avec l’ensemble des membres de l’Église et où sont prises les décisions importantes. Cette AG devait avoir lieu le 28 avril 1994. Je savais que cette date serait décisive.

Chaque mois, nous avions une pastorale de notre mouvement d’Églises. Avant l’Assemblée Générale de l’Église, j’eus donc une rencontre avec mes collègues.

Je leur expliquai ce qui s’était passé, ce que je vivais et leur ai demandé sincèrement pardon pour tout cela. Leur réaction a été formidable. Attristés par ce que j’avais vécu et réalisant que ce genre de comportement ne devrait pas être celui d’un pasteur, ils ont cependant compris que je m’étais laissé piéger par l’alcool et m’ont tout de suite pardonné. Certains étaient déjà un peu au courant, d’autres pas du tout, mais j’ai vraiment ressenti leur amour et leur compréhension, d’autant plus que tous ont apprécié la franchise de ma confession et l’authenticité de ma démarche (car là, c’était mon choix de le faire).

J’ai vraiment pu constater que, dans notre pastorale, l’homme est plus important que le ministère. Ce qui leur importait davantage, c’était le côté personnel de ma propre vie, plus que l’aspect strict de ma « fonction ».

J’étais pasteur, certes, et une telle chose n’aurait jamais dû se produire, mais ils ont mis leurs « principes » de côté et ont laissé parler leur cœur : celui-ci leur montrait que le plus urgent était de sauver l’homme, tant pis pour l’image pastorale ternie. Déjà auparavant, je les aimais beaucoup, mais je vous certifie que je les aime encore plus depuis ce jour.

À la pause de midi, je suis allé vers l’un de ces collègues, pasteur d’une assez grande Église où il m’avait invité à prêcher un peu plus tard au printemps, début mai lors d’un culte. Je lui suggérais : « Avec ce que je vis, il me semble évident que nous allons annuler cette invitation ? » Je sous-entendais que je ne me sentais pas digne d’aller prêcher dans son Église après tous ces problèmes qui constituaient un contre-témoignage. Et lui de répondre spontanément : « Pas question ! On maintient ! Tu as eu ce problème, tu es maintenant en train de mettre ta vie en ordre, il n’est donc pas question d’annuler ou de reporter ! On garde cette date .» Il serait trop long d’entrer dans les détails, mais je peux affirmer que chacun de ces pasteurs, du plus jeune au plus âgé, a eu une réaction similaire. Ce sont vraiment des frères !

Comme nous formons une Union d’Églises, la pastorale se sent concernée lorsqu’il y a un problème critique : elle n’hésite pas à s’impliquer. C’est ainsi qu’il a été décidé qu’une délégation de trois pasteurs, Charles-Louis, Charly, et Jean-François, viendrait représenter la pastorale à l’Assemblée Générale de l’Église. En ces moments particuliers, ces amis souhaitaient être présents pour, éventuellement, « temporiser » en cas de besoin. Ils voulaient surtout m’accompagner dans ma démarche.

Le 28 avril approchait. Pour ma femme Elsbeth et moi, il ne faisait pas de doute que nous allions devoir quitter l’Église. Nous pensions qu’en apprenant toute cette histoire, les membres ne voudraient plus d’un tel pasteur. J’ai déjà mentionné que nous vivions au-dessus de l’Église, dans un grand appartement dont elle était propriétaire ; nous nous imaginions déjà devoir le quitter, nous y étions même prêts. Cela nous paraissait tellement évident et normal !

J’aurais certes pu être envoyé ailleurs, ou me faire oublier en servant Dieu discrètement dans une autre œuvre chrétienne. Mais je ne voulais pas pénaliser mes enfants, encore jeunes (âgés de 8 à 18 ans), dans leurs études, je ne voulais pas non plus les déraciner brutalement de l’endroit où ils avaient grandi… Je m’apprêtais donc à chercher un travail séculier, manutentionnaire dans une grande surface par exemple, pour assurer un salaire à la famille et laisser les enfants terminer leurs études. De tout cela nous avions discuté ma femme et moi, et nous étions en plein accord à ce sujet.

Le grand soir de l’Assemblée Générale venu, nous nous sommes retrouvés plus tôt, membres du Conseil et pasteurs délégués, afin de préparer la soirée et de prier ensemble.

J’avoue que j’éprouvais une certaine tension intérieure à l’idée de cet aveu public ; j’étais cependant de plus en plus convaincu qu’il était juste de procéder ainsi : après tout, j’avais fauté, il fallait assumer et faire face à présent ! Bien qu’on vive entre amis d’Église, on n’en reste pas moins humains… Et il était difficile de prévoir le comportement de ceux qui allaient entendre ces révélations ! Comment telle ou telle personne allait-elle réagir ?

Car il s’agissait bien d’une confession. Sans avoir l’intention de me justifier devant l’Église, je voulais révéler ce qui s’était passé pendant toutes ces années, en évitant toutefois de donner trop de détails. C’était semblable à ce qui se passe avant un accouchement… Je savais qu’il fallait passer par-là… Mais je ressentais déjà les douleurs de l’enfantement !

L’ordre du jour mentionnait que j’allais m’exprimer, mais sans précisions. À part quelques rares personnes, les membres de l’Église n’étaient au courant de rien. Ils furent sans doute surpris de la présence de la délégation de pasteurs, mais la séance commença normalement, sous la présidence de Norman. Nous avons suivi l’ordre du jour habituel d’une Assemblée Générale : les comptes, les rapports des pasteurs, le bilan de la vie de l’Église depuis l’assemblée de l’année précédente, etc.

Comme chaque année, j’ai donc fait mon rapport sur les activités pastorales et sur celles de l’Église puis j’ai enchaîné sur ma confession…

Je commençai :

« Je dois vous partager quelque chose qui n’est pas facile à partager et qui n’est certainement pas facile à entendre non plus… Et j’espère que ce que je vais vous partager ne sera pas une source de découragement, ni une pierre d’achoppement… C’est là mon grand souci et ma grande prière : que ce ne soit une pierre d’achoppement pour personne… »

Après avoir indiqué que j’étais prêt à répondre – à l’instant, devant tout le monde, ou plus tard, de façon plus personnelle – à toutes les questions que susciteraient mes propos, j’avouai :

« Je dois humblement confesser que j’ai vécu en tolérant un péché dans ma vie. Ceux qui me connaissent de près savent que je suis quelqu’un qu’on peut qualifier de bon vivant, mais il y a des choses qui ont pris trop d’importance : des choses qui étaient au départ des habitudes que je qualifiais de culturelles, ont pris trop de place dans ma vie.
Ce qui au départ était pour moi une habitude – il faut appeler les choses par leur nom : l’alcool – est devenu au cours des années… un problème. »

Je vous assure qu’on aurait pu entendre une mouche voler ! Je poursuivis en évoquant mes luttes :

« J’ai essayé de rectifier le tir ; et quelquefois j’y suis plus ou moins arrivé… je le croyais du moins. Mais c’était pour replonger de plus belle… jusqu’à il y a environ deux mois où j’ai touché le fond, mon fond en tout cas… »

Je continuai en citant deux versets de la 1re épître de Jean, au chapitre 1er (versets 8 et 9) :

« Si nous disons que nous n’avons pas de péché nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous. Si nous confessons nos péchés, Il est fidèle et juste pour nous les pardonner et pour nous purifier de toute iniquité. »

J’expliquai alors pourquoi ces versets m’avaient parlé puissamment :

« Tout en disant que j’étais pécheur comme les autres, je ne voulais pas comprendre et réaliser que l’alcool était devenu un péché pour moi ; j’étais aveuglé sur la gravité du problème… je me séduisais moi-même quelque part… et je crois que la personne à qui j’ai le plus caché cette chose... c’est moi… »

Je vous laisse deviner l’émotion qui m’étreignait intérieurement et que j’essayais de contenir, de maîtriser. Je laissai mon cœur parler :

« Je me suis repenti devant Dieu…, et puis, ce soir devant vous, je vous demande pardon de tout mon cœur, pardon d’avoir toléré cela dans ma vie, d’avoir cohabité avec cela dans ma vie et, en faisant cela, d’avoir été un mauvais témoignage pour le Seigneur, pour l’Église en général, pour vous-mêmes… et je demande aussi sincèrement pardon à tous ceux que j’ai fait souffrir, d’une manière particulière, à cause de cela… »

Les mots ainsi imprimés ne peuvent bien sûr rendre compte de la manière dont je les exprimais réellement ce soir-là… Il y avait des blancs, des hésitations, sans doute ma voix trahissait-elle mon émotion… Ce n’était pas un discours mais le témoignage d’un pécheur repentant. Et j’évoquai ma résolution :

« Je suis devenu ce qui me faisait rire avant : un abstinent… et je dois dire que pour moi aujourd’hui, ce n’est pas une punition, mais je m’en ressens bien mieux… »

J’expliquai alors le processus en cours avec les deux personnes qui me suivaient, Bertrand et Jean-François. Et je conclus, en renouvelant ma demande de pardon et en exprimant mon besoin de prières :

« Je crois que le Seigneur est en train de faire une œuvre dans ma vie et je suis ouvert à tout ce qu’il a… tout ce qu’Il a prévu pour mon avenir… quel qu’il soit. »

J’avais parlé pendant une vingtaine de minutes. Le silence était total ! Après un court moment, une personne s’est levée, pour dire : ...

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1.
L’idée de faire appel au témoignage du Pasteur Dominique Fontaine à l’occasion du congrès du RESAM est venue grâce à l’émission sur France 2 « Toute une histoire » (https://vimeo.com/117604196).

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