Il n’est ni commun, ni aisé de présenter un classique de la littérature chrétienne, encore moins quand l’ouvrage appartient à une autre famille que celle du monde évangélique, et encore moins quand l’ouvrage a quelque 1.300 ans.
Et pourtant, certains ouvrages traversent les siècles, certains auteurs marquent de leur empreinte l’Église, et certaines thématiques gagnent en pertinence au fur et à mesure que l’humanité avance dans son histoire. Et c’est très certainement le cas de Jean Climaque et de son œuvre maîtresse : L’Échelle sainte.
Moine, philosophe et écrivain byzantin du 7e siècle, figure marquante de l’Église orthodoxe et catholique, Jean Climaque et « son » Échelle sainte demeurent aujourd’hui encore des incontournables pour toute personne désirant s’élever spirituellement, désirant toucher la sainteté à laquelle Dieu appelle chacun de ses enfants.
Rédigée dans la première moitié du 7e siècle, au moment où l’expansion musulmane allait ouvrir une ère nouvelle dans l’histoire du Proche-Orient et du Vieux Monde tout entier, l’Échelle sainte de Jean Climaque est une œuvre à la fois éminemment traditionnelle et puissamment originale. Composée d’aphorismes et de sentences, l’ouvrage est à la fois concis mais aussi, il faut le reconnaître, parfois difficile d’accès de par la construction et le style du livre. L’éblouissante lumière de l’Échelle sainte demande au lecteur de faire l’effort de lever ce fin voile obscur qu’est la compréhension. Chaque page est ainsi une invitation de l’auteur à entrer dans une pensée qui nous traverse et qui nous rejoint dans la réalité de notre existence.
La plume de Jean Climaque est à l’image de l’objectif de l’ouvrage : un appel à faire un petit pas de plus sur cette échelle de la sainteté. Son auteur va à la fois puiser dans un Évangile qui nous est familier, et dans une tradition de l’Église primitive qui nous semble parfois bien éloignée de notre lecture des textes sacrés. Mais c’est bien évidemment de cette rencontre, de ces choix qui lui seront propres, et de son attachement aux Pères du désert, que va naître l’Échelle sainte.
Mais il ne faut pas pour autant croire qu’il s’agit là d’une brillante synthèse de toutes ces spiritualités et de la pensée éminemment profonde des Grégoire de Nysse, Marc le Moine et autres grands auteurs de notre chère histoire. Non ! Jean Climaque n’est pas un répétiteur, il transmet à l’Église l’expérience d’une vie. Il nous livre, dans cet ouvrage, ce qu’il a écouté, ce qu’il a observé, mais aussi ses confidences sur sa pratique ou sur l’intimité de son sentiment. C’est donc son cœur et le souci d’une vie que nous retrouvons dans ces précieuses pages.+
Le roi Salomon, dans son immense sagesse, n’a pas manqué de rappeler à son fils que l’amour couvre une multitude de péchés (Proverbes 10.12). Et paradoxalement, c’est peut-être cet amour qui, pour Jean Climaque, est la plus grande barrière à la sanctification. Non pas l’amour de Dieu, ni même l’amour du prochain, mais cet amour de soi qui empêche fondamentalement l’homme de voir sa faute et d’avoir un regard lucide sur sa condition de pécheur. Si l’amour couvre une multitude de péchés, alors l’amour de soi est une évidence. L’Échelle sainte, c’est donc avant tout une échelle qui élève vers Dieu, mais qui nous sépare aussi de ce que ce monde a à nous proposer. L’Échelle sainte est donc également une échelle de la séparation, et en cela l’image de l’échelle est pertinente puisque toute élévation s’accompagne d’un éloignement.
Cette échelle va se constituer de trente échelons (chapitres) qui vont eux-mêmes se regrouper en trois grandes catégories, à savoir le renoncement au monde, le combat contre les vices, la perfection chrétienne.
Chacun de ces échelons, chacune de ces catégories va amener le lecteur à un examen approfondi de soi, mais aussi à ce que l’on peut appeler un arrachement à l’être. Un arrachement à cet être qui aliène, pour un attachement à la vocation profonde à laquelle nous sommes destinés. Si, bien évidemment, Jean Climaque laisse toute la place à l’œuvre de l’Esprit saint dans la vie de chacun, il semble cependant attacher une grande importance à l’idée selon laquelle cette œuvre, ou du moins l’efficacité de cette œuvre, est à la mesure de l’engagement chrétien. Et c’est précisément sur ce point-là que l’Échelle sainte semble tirer sa pertinence pour le christianisme du 21e siècle. L’intervention de Dieu dans l’individu ne va pas dépendre d’une disposition de cœur ou d’écoute, ni même du temps qu’il passera dans la prière ou dans la lecture de la Bible, et bien évidemment pas dans une quelconque posture consumériste, mais bien par cette capacité, cette volonté qu’il aura de ne pas se conformer à ce qu’il est, et donc à ce monde qui l’entoure. C’est donc dans la petite victoire qui a été remportée à force de sueur et de lutte intérieure que Dieu intervient pour élever son enfant, mais aussi pour agir dans son quotidien de manière simple et concrète.
Nous sommes donc là en présence d’un traité qui tranche avec les spiritualités que nous côtoyons qui invitent l’homme à grandir dans la méditation, l’écoute et la contemplation. Nous sommes bien plus éloignés encore de toutes ces formes de coaching et de pensée positive. Nous sommes, avec l’Échelle sainte, en présence d’un traité qui prend la question de la sanctification sous l’angle de l’annulation de soi. Si, bien évidemment, Jean Climaque est familier de tous les exercices spirituels cités précédemment et qu’il en est un fervent défenseur, il n’en demeure pas moins un grand adepte de l’ascèse qui semble être pour lui le meilleur moyen de faire du chrétien et de la chrétienne, une femme ou un homme éveillé.
L’Échelle sainte de Jean Climaque demeure aujourd’hui encore un monument de la pensée chrétienne et semble même rajeunir au fil des siècles. Nous avons dans ces quelque quatre cents pages une réponse pertinente aux défis qu’offre la vie chrétienne. Il demeure très certainement une ressource indispensable pour tout responsable d’Église désirant faire de la sanctification le cheval de bataille de son assemblée.
Vicken Aznavourian