Partager la notion de vision pour pouvoir construire une vision partagée

Complet Vie et gestion de l'Église

Lors du Congrès de la FEEBF en 2023, à Grenoble, l’auteure de cet article est intervenue pour expliquer les contours d’une vision partagée et travaillée ensemble, en tant que fédération d’Églises. Cette intervention fut l’occasion de poser certaines bases, notamment autour du vocabulaire utilisé, et de décliner l’idée de vision partagée en quatre points essentiels. L’oralité de son intervention a été préservée dans ce qui suit, même si celle-ci a également été largement remaniée par l’auteure.

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Vision partagée Cet article a pour ambition de clarifier quelques points de vocabulaire – une ambition plus qu’utile en vue d’œuvrer ensemble à une vision partagée. En effet, quand nous utilisons le terme « vision », différentes images peuvent nous venir à l’esprit. L’emploi de ce mot peut même nous faire réagir négativement : est-ce bien raisonnable de parler d’une « vision » pour une union d’Église ? Certains pourraient se dire : « Après tout, c’est assez simple, nous devrions suivre l’Écriture et tous agir comme Christ ! » Ou encore : « Comme Christ est parfait, les relations dans l’Église devraient être parfaites. » Sauf que, l’expérience vécue nous confronte à la difficulté et nous demande d’admettre que c’est bien plus compliqué que ça, même quand tout le monde est de bonne volonté et désireux de servir Christ. Nous ne sommes pas encore « arrivés, » il y a encore un peu de chemin à parcourir avant « la perfection ».

Étant donné la complexité de vivre dans ce « pas encore », certains outils peuvent nous aider à cheminer vers une vision partagée. Et pour bien les utiliser et les comprendre, il faut s’attacher à une compréhension du vocabulaire et vérifier que ces outils soient vraiment pertinents pour une union ou une fédération d’Églises au 21e siècle.

Je crois qu’il est pertinent d’utiliser des outils à notre disposition, même quand ils ont été développés par des personnes non-croyantes. Les outils séculiers ont leurs limites, néanmoins, mon expérience dans le domaine me fait dire que le chemin parcouru en travaillant en groupe sur la formulation d’une vision est vraiment porteur. Et que les outils séculiers sont pertinents s’ils sont utilisés de la bonne manière, comme il est profitable d’utiliser la grammaire ou la philologie pour l’étude des textes bibliques. Les sciences humaines peuvent nous aider à comprendre les mécanismes humains en jeu dans les groupes. Il est important pour tout un chacun de bien avoir en tête que ce ne sont que des outils, que nous essayons de mettre au service de l’Église et du plan de Dieu. Et je propose aux sceptiques d’essayer de jouer le jeu, de regarder chemin faisant ce que ce processus produira…

Petite précision : les méthodologies et outils séculiers dont je parle peuvent provenir de nombreuses sources, que ce soit le management, la sociologie ou l’ethnographie. Ils peuvent nous permettre de prendre du recul sur nos propres fonctionnements et apporter un éclairage sur des schémas impensés sans cela. Le recul nécessaire est double : celui que permet l’usage de l’outil – comme par exemple celui des différents niveaux de logiques de Robert Dilts, qui permettra, entre autres, de faire la distinction entre ce qui relève de la mission, et ce qui relève du spirituel(1) – et celui du recul sur l’outil. Celui-ci étant séculier, il est faillible, et il est donc intéressant d’analyser comment il peut être source de biais ou être inadapté dans certaines circonstances. C’est exactement ce qu’il se passe avec la notion de vision partagée. C’est un outil très intéressant qui peut permettre de fédérer un groupe et d’avancer dans une même direction. Néanmoins, cela reste un outil qui doit être au service de l’Église, et non l’inverse. Il n’est pas un passage obligé et ne doit pas remplacer la dépendance à notre Seigneur dans notre marche commune.

Une vision partagée : choix d’un vocabulaire commun

Avant d’en venir à une définition positive d’une vision partagée, nous pouvons nous pencher sur ce que n’est pas une vision partagée :

  • Il n’est pas ici question d’une vision qu’une personne aurait reçue dans son sommeil, comme si un responsable se levait un jour en disant : « Je sais ! Dieu m’a parlé par une vision, suivez-moi ! »
  • N’en déplaise aux adeptes de la méthode entrepreneuriale, il ne s’agit pas non plus d’une vision efficace, au sens où cet outil procurerait une garantie de réussite. Bien sûr, cet outil peut nous permettre de mieux travailler, mais c’est un processus fastidieux, long et pour lequel personne ne peut garantir le résultat final. La construction d’une vision est donc efficiente mais non efficace.
  • Enfin, ce n’est pas un slogan « méthode Coué », qui, à force d’être répété, permettra éventuellement d’aboutir à un résultat.

Mais alors, de quoi parlons-nous ? Qu’ai-je à l’esprit quand je vous dis que l’outil de la vision partagée est utile et adapté aux besoins d’une union ou d’une fédération d’Églises aujourd’hui ? Je vous propose une façon de concevoir la vision partagée(2)que j’ai élaborée au fil de mon parcours et des formations reçues et données. La façon de concevoir une vision partagée qui est présentée ci-dessous est donc une version possible parmi d’autres. Mais si nous voulons avancer ensemble il est primordial d’utiliser les mêmes concepts derrière les mots.

La construction d’une image commune partagée et comprise par le plus grand nombre

Tout d’abord, on peut présenter une vision partagée comme la construction d’une image commune qui permet de se comprendre quant à la direction vers laquelle aller. Cette image commune permet ensuite à chacun de savoir plus facilement où mettre sa pierre pour participer à la construction de l’édifice. La réalité de terrain ressemble souvent plus à une série de pixels accolés qu’à une image facile à comprendre. En formulant une vision partagée, chaque personne dans le groupe pourra comprendre ce que ces pixels signifient, et donc contribuer à construire dans la même direction. Prêtons attention : le risque avec une image est qu’elle est figée. Si une image peut aider à aller dans le bon sens, il n’en reste pas moins que cette image n’est ni la réalité, ni l’objectif ! L’objectif est bien plus beau et dépasse de loin une simple image. Cependant, l’image nous permet d’avancer dans une même direction, un peu comme une carte qui va aider à s’orienter sur le terrain, donner des indications et permettre d’arriver à l’endroit souhaité.

Un écueil possible, si l’on n’y prête pas attention, est que, lorsque l’on utilise un outil comme celui d’une vision partagée, on recherche l’efficacité à tout prix, une efficacité tout humaine. Ceci, sur le modèle de la logique mécanique, comme si tout ce qui était formulé dans une vision devait se retrouver dans la réalité, sans tenir compte de la pâte humaine. Comme à Babel, les hommes s’organisent très bien ; ils sont efficaces, mais ils finissent par « briqueter des briques », et c’est exactement ce que feront les Hébreux en esclavage(3) ! Nous pouvons confondre l’image de la vision avec la réalité du corps de l’Église, chercher à réaliser quelque chose de figé, d’efficace et de rassurant, mais qui va nous mener vers une logique mécanique et d’esclavage.

En mettant en lumière les points de vigilance de la construction d’une vision partagée, cela nous permet de garder cet outil à sa place et de préserver notre objectif commun de rendre gloire à notre Créateur. Mais en même temps, rendre gloire à notre Créateur implique le fait de travailler ensemble, dans la même direction(4) tout en tenant compte de nos différences culturelles, sociales, générationnelles, de personnalités, de vécu, de visions du monde, de hiérarchie des choses importantes… et pour cela la bonne volonté ne suffit pas, et cet outil peut être structurant.

Le processus de construction d’une vision commune a de la valeur en soi

Pour ne pas transformer la vision en quelque chose de stérile, de mécanique, nous devons d’abord reconnaître que ce qui compte, ce n’est pas seulement une formulation, mais tout le travail de dialogue qui permet que la vision ne soit pas une vision imposée par un petit nombre, mais une vision partagée. La construction d’une vision partagée se fait en marchant, et le processus de dialogue est une culture qui perdure.

Forcément, il y a des points d’étapes et même de longues escales ! Mais globalement, il faut prendre en compte que la société, les gens, la compréhension des groupes et les enjeux évoluent, et une direction qui a été posée en l’an 2000 n’est peut-être plus d’actualité aujourd’hui ; disons, peut-être pas de la même manière. La vision qu’une fédération d’Église est en train de formuler actuellement sera d’actualité pendant quelques années, puis devra être revisitée. Certaines choses resteront stables, heureusement, mais d’autres évolueront, comme par exemple la façon dont nos contemporains répondent à l’Évangile.

Pour formuler la vision d’une fédération ou union (ou de tout groupe qui souhaite mieux travailler ensemble), je propose de travailler en faisant des allers-retours entre la fédération et les Églises locales, de vivre un processus de discussions organisées, pour pouvoir discerner ensemble, de façon sage et méthodique la volonté de Dieu pour le groupe concerné.

Comme évoqué plus haut, il est possible de mettre de nombreuses choses derrière le terme « vision ». Et je vous propose maintenant de détailler les quatre points, les quatre thématiques qui constituent une vision. Je me détache en cela du plus traditionnel « vision/ mission/ valeur » que certains pratiquent. Même si, bien sûr, nous allons parler de valeurs, de mission et de vision !

Une vision partagée – cette image commune – résulte du cumul :

  • d’une mission spécifique et pérenne ;
  • d’une formulation de valeurs équilibrées ;
  • de schémas mentaux adaptés ;
  • et d’orientations stratégiques hiérarchisées.

C’est le cumul de ces quatre éléments, formulés clairement et partagés en grande partie par tous, qui constitue une vision partagée.
Faisons un petit arrêt sur image sur la phrase que je viens de dire :

  • quatre éléments,
  • formulés clairement,
  • et partagés en grande partie par tous.

Je vous annonce dès maintenant que vous ne serez pas d’accord avec tout ! En fait, si une personne dans cette salle estimait qu’aucune des formulations dans le document final n’était à revoir, et était d’accord avec 100 % de ce qui est formulé, je ne pense pas que nous pourrions parler de vision partagée. Parce que 100 %, c’est un score de dictature ! La perfection, le 100 %, cela existera un jour, mais sur la nouvelle terre. En attendant, si chacun pouvait dire que « le document de vision me convient à 70 % », ce serait excellent. Il ne s’agit pas de lâcher l’exigence, mais de reconnaître que tant que Christ n’est pas revenu, nous sommes dans le « pas-encore ». Et bien que cela puisse être frustrant, c’est ce qui nous incombe pour le moment : vivre ensemble avec nos différences, et avancer dans une direction commune même si nous ne sommes pas d’accord sur chacune des formulations à la virgule près du document final.

Le travail de relativisation des attentes – qui passe par le fait d’accepter que le commun ne réponde pas à l’ensemble de nos aspirations – est nécessaire et fondamental dans la construction commune et le travail de groupe. On notera dans de nombreux groupes deux phénomènes principaux liés à la non-relativisation des attentes. Dans certains cas, cela peut aboutir à l’empêchement de l’action commune, la recherche d’une formulation qui soit commune à tous, et approuvée par tous – mot par mot. Généralement, cela sclérose l’action et empêche la mise en mouvement tant qu’un accord n’est pas trouvé. Dans d’autres contextes, cela va intensifier les jeux de pouvoirs : certaines personnes n’étant pas satisfaites tant que l’ensemble du groupe ne décide pas d’aller dans leur direction personnelle, elles mettront en œuvre de nombreuses stratégies afin que les décisions communes soient conformes à leur propres idées – ceci jusqu’à créer des conflits ou user de manipulation pour aboutir à leurs désirs.

Alors, une fois que nous avons pris la mesure de la relativisation de nos attentes, nous pouvons commencer par examiner les quatre piliers que je vous propose pour construire une vision stratégique participative.

Une mission spécifique et pérenne : qui nous sommes !

Cette formulation qui va vous convenir approximativement contiendra une première partie sur la mission spécifique de votre fédération d’Églises. Certains appelleraient cela la « raison d’être » ou « la vocation » de la Fédération.

Une des difficultés dans l’expression d’une mission, d’une raison d’être ou de l’identité propre est de la situer au bon niveau. Par exemple, si la formulation de la mission d’une union d’Églises est trop générale, cela revient à formuler la raison d’être de l’Église universelle… Et finalement, à ce moment-là, comment pouvons-nous justifier de maintenir les différentes dénominations ? À l’inverse, si la formulation est trop précise, il faudra modifier en permanence la formulation de la mission pour coller à la réalité. Il s’agit donc de trouver une formulation qui soit pérenne dans le temps tout en étant spécifique au contexte du groupe qui la formule.

Cette formulation de la mission fonctionne comme une sorte d’ADN, présent dans chacune des cellules du corps. Dans chacune des cellules est inscrit l’ensemble des informations spécifiques de l’être humain. Cela permet au corps, quand il se renouvelle, de continuer d’être le même. Il demeure le même tout en évoluant. Par exemple, le corps d’un bébé, petit enfant ou adulte est différent tout en étant la même personne, tout en gardant le même ADN.

Votre mission en tant que Fédération baptiste, quelle est-elle ? Qu’est-ce qui est spécifique à la fédération baptiste au-delà de ses caractéristiques communes aux autres communautés chrétiennes ? Quelle est sa couleur de cheveux, d’yeux, etc…

Dans le domaine de la formulation d’une mission, il existe de nombreuses façons de voir. Pour ma part, je place la mission à un niveau permanent et spécifique. Permanent, donc au-delà des outils utilisés. Prenons comme exemple une entreprise de la fin du 19e siècle qui fabrique des bougies. Si elle devait formuler une mission pérenne, elle pourrait parler de sa mission d’éclairer l’intérieur des maisons. Elle peut donc être ravie de l’arrivée de l’électricité et s’y adapter avec enthousiasme et motivation. Si, par contre, elle s’identifie à son produit qu’est la bougie, elle aura beaucoup de mal à s’adapter à l’arrivée d’une nouvelle technologie. Spécifique, en fonction d’un contexte et d’un environnement donnés, et prenant en compte l’histoire du groupe qui formule sa mission. Le groupe aura à formuler les éléments qui le distingue des autres.

Cette mission ne peut, à elle seule, constituer un socle suffisant pour l’action commune, un autre pilier se situe au niveau de la façon de mettre les choses en œuvre.

Des valeurs communes équilibrées : comment nous voulons faire les choses !

Il ne suffit pas de savoir qui nous sommes pour avancer, mais aussi de savoir comment nous voulons faire les choses. Il me semble qu’en tant que chrétiens, nous devons être particulièrement attentifs à ce point. Notre Seigneur regarde à l’intérieur de nos cœurs ; et nos intentions sont autant scrutées que nos actions.

Prenons un exemple de valeur : l’attachement à la vérité. Cela ne peut être conçu sans son corollaire qui est l’amour du prochain. Sinon, cela voudrait dire que nous pouvons assener des vérités (souvent notre vérité, regardée par le petit bout de la lorgnette, d’ailleurs !) quelles qu’en soient les conséquences. Et à l’inverse, pour ne pas heurter ou blesser, il peut nous arriver de ne plus dire la vérité. Là encore, il me semble que nous loupons la cible. Alors, que faire ? Construire une série de valeurs qui soient équilibrées…

Pour une fédération d’Églises, il peut être utile de faire un travail de reformulation des valeurs à partir de ce qui existe déjà. Mais encore faut-il aller au bout de l’exercice. En effet, pour une même valeur, nous pouvons avoir des comportements bien différents. Si je suis quelqu’un de timide, je vais comprendre la notion de respect d’une façon totalement différente de quelqu’un de tempérament plus expansif. Prenons l’exemple des comportements associés à la valeur suivante : respecter son collègue. Est-ce que cela veut dire « lui dire bonjour en arrivant » – quitte à ouvrir la porte de son bureau pour le saluer –, ou « respecter la confidentialité et le calme de la porte fermée », pour le saluer plus tard, à la première occasion où l’on se croise ? De même, la communion dans une Église, par quoi passe-t-elle ? Commencer le culte quand tout le monde est arrivé, ou commencer à l’heure pour respecter ceux qui sont arrivés à l’heure ?

Vous l’aurez compris, il est utile non simplement de travailler à l’expression de valeurs communes, mais aussi à la façon de les mettre en œuvre. C’est déjà un travail très difficile si on le fait seul mais, en groupe, cela devient vraiment complexe ! Il nécessite de prendre le temps du dialogue car, encore une fois, le chemin qui nous amène à formuler une vision est tout aussi important que le résultat qui va en sortir. En effet, les temps de dialogue coconstruisent l’édifice autant que l’image finale permettra d’aider à s’orienter.

Le troisième pilier que je propose pour avancer dans une vision partagée, est de verbaliser certains de nos schémas mentaux.

Des schémas mentaux adaptés : ce qui nous fait agir et ré-agir !

Les schémas mentaux sont des constructions qui nous aident à avancer plus rapidement. Une série de boîtes, ou de réflexes, que nous avons construits par l’expérience vécue et que nous utilisons pour réagir de manière plus ou moins automatique dans une situation donnée. Ces schémas nous sont donc utiles au quotidien.

D’ailleurs, il est intéressant de se rendre compte que, quand nous changeons d’environnement, nous devons réapprendre tous nos automatismes. Pour ceux qui viennent de déménager, c’est souvent flagrant : où est-ce que je range mes clés ? Où est-ce que je vais faire mes courses ? Où se situe le rayon des yaourts dans ce magasin ? Pour ceux qui changent d’entreprise, comment savoir si mon responsable est content de moi ? Quel est le comportement attendu en ce qui concerne les horaires ?

Toutes ces questions, nous ne nous les posons pas quand nous sommes dans un environnement connu. Mais toutes ces petites réponses automatiques constituent aussi des choses auxquelles nous ne réfléchissons plus. Et quand l’environnement change doucement, quand les années passent, nous pouvons être comme la grenouille qui est dans une casserole et qui ne se rend pas compte de l’augmentation de la température de l’eau… Elle n’irait jamais dans une casserole d’eau chaude, ou en sortirait immédiatement, alors que dans de l’eau froide chauffée petit à petit, elle se laisse prendre… De même, toutes ces réponses automatiques, que sont nos schémas mentaux, sont adaptées dans certaines circonstances, et moins dans d’autres.

Il est donc intéressant, en groupe, de chercher quels sont nos schémas mentaux, et de discerner ceux que nous souhaitons valoriser et ceux que nous aimerions remplacer.

Il est difficile de parler des schémas mentaux, puisque ce sont généralement des impensés, qu’ils soient individuels ou partagés par plusieurs dans le groupe. Des petites phrases qui sont transmises de manière officieuse, mais qui régissent un certain nombre de comportements. Les schémas mentaux ne sont pas forcément négatifs, mais ils doivent pouvoir être remis en question et changés s’ils ne sont plus adaptés.

On va souvent trouver des schémas qui sclérosent le travail en commun quand le discours officiel est différent de la réalité : par exemple cette commission est au service des autres, mais elle est vue (à tort ou à raison) comme un organe de contrôle. Ou encore, dans cette association, l’initiative personnelle est encouragée, mais toute initiative qui n’a pas été validée par le fondateur ne sera pas mise en place…
Le travail sur les schémas mentaux permet d’éviter une partie de la dissonance entre le discours et les actes. Il arrive régulièrement qu’un beau travail de conversation autour de la vision soit fait, qu’un document très clair et cohérent soit produit, mais que la mise en œuvre ne suive pas. Je fais l’hypothèse que des schémas mentaux sclérosant empêchent l’action. Si un groupe est convaincu que tout a déjà été tenté, que ce n’est pas possible de changer, vous pourrez travailler les missions, les valeurs et les orientations stratégiques, cela ne permettra tout de même pas au groupe d’évoluer.

Des orientations stratégiques hiérarchisées : un cadre de travail qui montre la direction !

Enfin, les orientations stratégiques sont des domaines dans lesquels tout le groupe souhaite travailler ensemble. Elles résultent de réels choix d’orientations. D’autres choix pourraient être faits, qui ne sont pas mauvais, mais une organisation ne peut pas avancer dans toutes les directions. Des choix sont nécessaires.

Les orientations stratégiques sont des domaines provenant de l’identité commune : « Nous voulons avancer sur ce sujet, parce que c’est nous, parce que cela nous ressemble. » Ou « parce que c’est notre ADN et parce que nous voulons montrer cette couleur ». J’ai déjà parlé d’ADN dans la partie mission. Ici, il s’agit plus de voir comment doit s’exprimer cet ADN, sa mise en œuvre.

Certaines orientations peuvent aussi sembler une obligation à un moment donné : « Nous voulons avancer sur ce sujet-là, parce que, sinon, nous risquons de rentrer dans un mur. » Ces orientations stratégiques sont, en quelque sorte, le choix d’une hiérarchisation des domaines de travail et de leur direction pour les prochaines années. Au contraire de la mission qui est pérenne, les orientations stratégiques sont caractérisées par l’horizon du moyen terme, de quelques années. Elles participent grandement à la délimitation des actions possibles.

Généralement, le niveau des orientations stratégiques, même si elles peuvent être discutées et mises en dialogue avec toute une communauté, sont du ressort des responsables de la structure. En effet, à cet endroit, il est nécessaire de faire des choix, et suivant l’organisation de la gouvernance de la structure qui travaille sur sa vision stratégique participative, des décisions doivent être prises(5).

De la même manière qu’il serait illusoire de vouloir mettre en œuvre une vision sans regarder de plus près les schémas mentaux qui sclérosent le groupe, ne pas formuler des orientations stratégiques reviendrait à ne pas fixer de direction dans laquelle aller, ni d’orientations prioritaires pour remplir la mission définie.

Conclusion

Les quatre éléments de la mission, des valeurs, des schémas mentaux ainsi que des orientations stratégiques, une fois formulés, constituent donc une image, un vocabulaire qui peut permettre au groupe de bien fonctionner ensemble. Ces éléments sont structurants et porteurs. Mais il est tout à fait possible d’utiliser cet outil d’une manière hiérarchique et autoritaire, et cela serait encore bien loin de ce que j’appelle une vision participative. Pour pouvoir en parler, il y a un travail de longue haleine à réaliser, qui se situe dans le dialogue, les interactions, l’écoute et la prise en compte des avis des autres.

C’est ce que nous pouvons appeler l’intelligence collective. Celle-ci nécessite un travail important pour dépasser les ego, pour mettre le résultat global au-dessus de nos ambitions personnelles, le travail commun au-dessus de nos idées personnelles… L’intelligence collective ne se décrète pas. Ce n’est pas parce que des personnes sont réunies qu’elles vont pouvoir exprimer ensemble une intelligence dans leur action commune. D’ailleurs, en observant le comportement des groupes, ce n’est pas toujours leur plus grande intelligence qui s’exprime. Les mouvements de foule en sont un bon aperçu. Dans la Bible, de nombreux exemples de la réaction du peuple d’Israël, dans son entêtement, nous rappellent la fragilité du groupe. En groupe, si les conditions ne sont pas réunies, c’est parfois le plus petit dénominateur commun qui va s’exprimer. Tout l’enjeu des méthodologies d’intelligence collective, et de l’outil de création d’une vision partagée, sera donc de produire des conditions d’expression, de dialogue, de confiance et de choix qui permettront à l’intelligence collective de s’exprimer.

Bien utilisé, l’outil de vision participative va permettre à un groupe de passer de visions personnelles disparates à une image commune de l’objectif, en parcourant un chemin qui vaut le détour et permettra d’avancer ensemble dans une même direction, tout en offrant une image qui donne du sens à l’action commune, aide à la prise de décisions plus consensuelles et laisse de la place à l’action de chacun.

C’est un chemin fabuleux, que je nous invite à parcourir collectivement, en tant que membre du peuple de Dieu, avec joie et confiance dans sa souveraineté sur son Église.

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1.
Dans sa présentation des niveaux de logique, Robert Dilts distingue l’environnement, les comportements, les capacités, les croyances, l’identité puis le spirituel.
2.
Concernant la notion de vision partagée, je m’appuie principalement sur Arnaud Tonnelé qui propose un résumé simplifié de l’approche de Vincent Lenhardt, le tout mixé avec mon expérience de terrain. C’est principalement, dans la société « la Coentreprise de conseil en stratégie » que j’ai pratiqué la construction de vision partagée. La version que je propose dans cet article est donc une combinaison de cette expérience de terrain et de la source mentionnées ci-dessus.
3.
Je tire cette image de discussions avec Matthieu Ducrozet qui réalise un travail de recherche sur l’autorité dans l’Église.
4.
Que l’église soit comparée à un corps ou à une construction, l’ensemble de ses parties doivent être coordonnées et cohérentes entre elles.
5.
Dans l’approche de V. Lenhardt, cela correspond aux ambitions, aux grandes priorités à moyen terme (3 ou 5 ans), aux résultats que le groupe souhaite atteindre.

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