Troisième d’une fratrie de neuf enfants, Denis Mukwege est né en 1955 à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, au Congo belge.
Une vocation précoce
Un jour, alors qu’il se rend avec son père pasteur auprès d’un enfant malade, il s’étonne qu’il se soit contenté de prier pour l’enfant sans lui donner de médicament. Son père lui répond : « Je ne suis pas médecin. »
Cette phrase résonne en lui comme un appel. C’est décidé, Denis fera des études de médecine. Il a alors huit ans.
Il entreprend tout d’abord des études pour devenir pédiatre. Alors qu’il travaille dans un hôpital de brousse, il découvre la dure réalité des conditions de vie des femmes de la région : elles sont mariées jeunes, effectuent des tâches pénibles et subissent des grossesses à répétition. À la suite de cette expérience, il remet en question son choix initial et vient en France pour se spécialiser en gynécologie.
Des choix difficiles
Une fois ses études terminées, il est tenté de rester en Europe. Mais le souvenir des femmes de son pays le hante : il comprend que c’est en Afrique qu’il sera le plus utile. Avec son épouse, il décide de rentrer au pays avec leurs trois enfants. Il pense améliorer les conditions de vie des femmes en pratiquant des accouchements et des césariennes.
Mais le docteur est effaré par ce qu’il découvre sur place : il doit traiter des femmes qui n’ont pas seulement été violées, mais aussi mutilées à l’aide de différents outils. Les premiers cas isolés qu’il rencontre au début font progressivement place à une marée de femmes victimes de ces tortures.
Une réalité insoutenable
Denis Mukwege fonde alors l’hôpital Panzi à Bukavu. Depuis la première victime de viol qu’il rencontre en 1999 jusqu’à aujourd’hui, il y aura soigné plus de 45.000 patientes. Pourtant, aucune statistique ne peut véritablement rendre compte de l’horreur qu’il côtoie. Certaines victimes sont des bébés d’à peine quelques mois. Parfois, ce sont des femmes de 80 ans. Plusieurs viennent se faire soigner pour la deuxième ou la troisième fois.
Il faut se rendre à l’évidence : ces viols sont systématiques, font partie d’une stratégie. Le docteur comprend que ces femmes ne sont pas violées pour assouvir des pulsions sexuelles mais pour détruire les communautés locales et ainsi mieux les asservir. L’appât du gain est derrière ces cruautés (voir encadré).
Une stratégie infernale
Le Docteur explique : « Quand des femmes sont violées et torturées devant leurs enfants, leur mari, leurs voisins… la honte s’installe dans tout le village. Les hommes fuient. Plusieurs développent des pathologies graves après s’être révélés impuissants pour protéger leur femme sous leurs yeux. »
Les enfants eux-mêmes n’ont plus confiance en leur père qui n’a pas su protéger leur maman.
Quant aux femmes torturées et violées en public, elles sont devenues la honte de la communauté. Elles aussi fuient pour chercher l’anonymat et un environnement plus sécurisant.
Le docteur ajoute : « Avec cela, vous n’avez pas besoin de bombes pour exterminer une population. Le viol est une véritable arme de guerre. La réduction démographique se fait aussi par la destruction des organes génitaux des femmes, par l’introduction des maladies sexuellement transmissibles. Il faut ajouter à cela le pillage et l’incendie de villages entiers. »
En amenant la population locale à une pauvreté extrême, on lui enlève la capacité de se défendre. Le territoire peut ainsi être occupé par des bandes armées qui ont tout loisir de traiter les locaux comme des esclaves.
Des combats sur tous les fronts
Le Docteur comprend qu’il lui faut désormais mener un combat de plus : dénoncer publiquement ce qui se passe dans son pays. Cette nouvelle étape fait de lui une figure publique importante. Son combat dérange ceux qui tirent profit de l’instabilité de l’est de la République démocratique du Congo.
Le 25 octobre 2012, il est victime d’une tentative d’assassinat alors qu’il rentre chez lui. Il échappe à la mort mais le gardien de sa maison est tué. Il s’exile alors en Belgique pour préserver sa vie. Il revient toutefois quelques mois plus tard dans son hôpital, porté par la ferveur populaire des femmes du Sud-Kivu qui le réclament.
Parallèlement, il voyage pour rencontrer les instances internationales afin d’attirer leur attention sur ce qui se passe dans son pays.
Des besoins de tous ordres
Denis Mukwege s’est entouré de nombreux collaborateurs car les besoins de ces femmes sont multiples...
En plus de l’accompagnement psychologique indispensable pour guérir l’âme après avoir soigné le corps, il faut aussi leur permettre de devenir autonomes économiquement lorsqu’elles ont été abandonnées par leur mari et qu’elles se retrouvent sans ressources.
Une fois ces étapes franchies, certaines demandent une aide juridique afin que la société reconnaisse qu’elles ne sont pas coupables mais victimes.
La prière et les exhortations tirées de la Bible prennent aussi une place importante dans le processus de guérison de ces femmes meurtries. Beaucoup se sentent coupables d’avoir été violées. Le réconfort spirituel leur est indispensable.
Lorsqu’on lui demande d’où vient sa persévérance, le médecin, qui est aussi un prédicateur, répond sans hésitation qu’il trouve son soutien dans sa famille et dans sa foi : « Sans la foi, je ne vois pas ce que j’aurais pu faire. »
On parle trop du ciel dans les Églises
« L’Église qui perd la compassion pour la souffrance humaine, est une Église qui a perdu son âme. La compassion humaine est le moyen par lequel Dieu apporte la guérison au monde.
Notre énergie, c’est la compassion. Ces femmes ont besoin de savoir que nous avons en nous l’amour Agape.
Notre devoir est de mettre fin à la souffrance, ou tout au moins, l’atténuer.
Parfois, une simple parole pour soulager ou soutenir, une main qui touche quelqu’un qui est désespéré, peuvent amener cette personne à l’espérance.
Dieu cherche des hommes et des femmes qui travaillent pour un monde meilleur. » Denis Mukwege
Le coltan au cœur du conflit
La guerre en République démocratique du Congo (RDC) a fait plus de 6 millions de morts. C’est l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale.
On estime que la région du Kivu détient entre 60 et 80 % des réserves mondiales du coltan, ce minerai indispensable dans la fabrication de nos téléphones portables.
Un rapport d'experts présenté en 2015 au Conseil de sécurité de l’ONU dénonce les grandes quantités illégalement extraites du sol de la RDC, transportées en contrebande avec l'assentiment de milices armées locales au profit de sociétés commerciales régionales et internationales.