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Christine Schirrmacher , L’islam : Histoire, doctrines, islam et christianisme . Charols : Excelsis, 2016. 830p. ISBN : 978-2-7550-0288-1 – € 39.-- ou CHF 52.--.

Si cette introduction de l’islamologue allemande Christine Schirrmacher n’est certes pas un traitement exhaustif de tous les sujets ayant traits à l’islam – malgré plus de huit cent pages, elle a le mérite d’aider le lecteur non initié à découvrir de manière systématique les principaux aspects d’une religion qui, bien que souvent côtoyée dans nos pays occidentaux, reste habituellement peu connue des chrétiens évangéliques à qui s’adressent en premier lieu cet ouvrage. Experte reconnue en la matière, Christine Schirrmacher a exercé des responsabilités dans différents instituts. Depuis 2014, elle est professeur d’études islamiques à l’Institut des études orientales et asiatiques de l’université de Bonn (Allemagne). Elle enseigne aussi aux Facultés de théologie évangélique de Louvain en Belgique (depuis 2005) et de Giessen en Allemagne (depuis 2003). Consultante de l’Alliance Évangélique Mondiale au sujet de l’islam, elle dirige également l’Institut des études islamiques de l’Alliance Évangélique Allemande. La traduction française de cet ouvrage correspond à la deuxième édition révisée et augmentée de l’édition originale allemande (2003).

Une première partie historique traite de la genèse de l’islam. Avant de présenter en deux courts chapitres la vie de Muhammad, dont les éléments biographiques semblent être davantage alimentés par la tradition (le hadith ) que par des sources historiques fiables, l’auteur nous fait découvrir les traits caractéristiques de la péninsule Arabique avant sa venue. Elle le fait en termes de judaïsme et de christianisme, mais aussi sur fond d’animisme et de polythéisme. Suit un court développement sur les premières vagues de conquête de l’Islam. Il en ressort clairement que le fondateur de l’islam était autant prophète que dirigeant politique. Les questions de succession seront donc autant d’ordre politique que religieux.

Dans une deuxième partie (trois fois plus longue que la première), le lecteur est introduit à la doctrine et à l’éthique islamiques. On y trouve des sujets basiques comme le texte du Coran, les cinq piliers de l’islam (confession de foi, prière, aumônes, jeûne et pèlerinage) ou encore le droit islamique (les règles et préceptes de la charia ). Schirrmacher analyse le type de relation que l’islam cherche à établir entre Dieu et l’homme, ainsi que les responsabilités qui en découleraient. L’incrédulité et l’apostasie décrivent ce qui est opposé à la foi musulmane et en tant que tels sont des thèmes récurrents. Elle consacre une place toute particulière à la femme et à la condition féminine dans l’islam – pas moins d’une vingtaine de points. Mariage et célibat, tenues vestimentaires et modes de vie dans le monde islamique font partie des sujets abordés.

Bien que la troisième partie annonce une présentation des courants de l’islam, on s’attend en vain à des chapitres séparés traitant des deux grands groupes, les chiites et les sunnites. Après un chapitre intitulé « Les chiites » qui fait bien mention de la division qui intervient très tôt après la fondation de l’islam, on passe directement au fondamentalisme (avec en point de mire les Frères musulmans sunnites) puis à la mystique (le soufisme) islamique. On y apprend que l’islam est une réalité autant religieuse que géopolitique avec une grande diversité de facettes. Parmi les groupements qui en sont issus, certains sont exclus de l’islam, d’autres non. Pas toujours pour des raisons théologiques, mais quelquefois pour des raisons politiques. Le mouvement Ahmadiyya, né en Inde au début du XXe siècle, fait partie de ces derniers. Peut-être moins connu du grand public, il est particulièrement hostile envers le christianisme et exerce une importante activité missionnaire, notamment en Europe. S’il est important de connaitre le point de vue des théologiens, il est tout aussi important de réaliser à quel point pour une grande majorité de musulmans, tout comme de chrétiens d’ailleurs, foi est synonyme de piété populaire avec son lot de superstitions, de vénération (de certains personnages autres que Mohammad) et de pèlerinages (visites de certains lieux) pour honorer quelque vœu et/ou dans l’espoir d’en tirer quelque bénéfice.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement aux convergences et différences entre islam et christianisme d’un point de vue évangélique. Selon Schirrmacher, la tradition islamique aurait tendance à donner une image plus négative des chrétiens et de la foi chrétienne que le Coran lui-même. Mais même si celui-ci se réfère de façon sélective aux écritures juives (AT) et chrétiennes (NT), les allusions aux textes et personnes bibliques dans le Coran y seraient souvent vagues et donneraient lieu à une lecture nouvelle et différente propre à l’islam. Ainsi, par exemple, le titre de « Christ » accordé à Jésus dans le Coran ne serait plus qu’un simple titre honorifique, dénué de toute signification messianique spécifique. Mis à part l’attention accordée à la place des prophètes bibliques (et non bibliques) dans le Coran, il est significatif de découvrir le statut particulier que le Coran attribue à Jésus. Mais c’est surtout la relecture musulmane de la christologie – notamment les évènements-clés que sont la crucifixion et la résurrection – au travers de ses écrits et de sa théologie qui est des plus intéressantes. Au cœur des controverses islamo-chrétiennes se trouve un document qui daterait de l’époque médiévale, l’Evangile de Barnabé, dont certaines déclarations ne seraient conformes ni avec le Coran, ni avec la Bible. La compréhension chrétienne d’un salut possible par l’intermédiaire de Jésus et de son œuvre est donc fondamentalement différente de la représentation islamique du salut qui part du principe que Muhammad est l’ultime prophète de Dieu et le Coran l’ultime vérité révélée et digne de foi (par opposition à la falsification présumée des Ecritures juives et chrétiennes).

L’ouvrage conclut avec deux chapitres historiques, l’un sur la critique de l’islamologie et l’autre sur la controverse islamo-chrétienne. On ne s’étonne pas vraiment de trouver parmi les sujets particulièrement sensibles : les croisades, le colonialisme (européen) et l’approche historico-critique du monde académique occidental des langues et cultures orientales. On peut se demander cependant pourquoi l’auteur choisit de présenter dans ce même chapitre, plutôt que dans un chapitre séparé sur la mission chrétienne en terre musulmane, quelques-uns des premiers missionnaires protestants dans le monde islamique. Parmi les annexes, on trouvera un glossaire fort utile des termes arabes utilisés dans le texte.

On peut regretter l’absence d’un chapitre spécifique traitant de la place de l’islam en Europe, hier et aujourd’hui, qui aurait pu aborder plus particulièrement des problématiques telles que islam et laïcité, l’intégration des minorités musulmanes dans nos sociétés européennes, ou encore la compatibilité entre l’islam et la démocratie occidentale.

Raymond Pfister

Mark S. Kinzer , Scrutant son propre mystère  : Nostra Aetate, le Peuple juif, et l’identité de l’Eglise. Préface du cardinal Christoph Schönborn. Paris : Parole et Silence, 2016. 312p. ISBN : 978-2-88918-810-9 - € 26.

Très peu connu jusqu’à présent du monde francophone, le rabbin Mark Kinzer est un juif messianique américain proche du mouvement charismatique catholique dont le profond attachement à la tradition juive et à son mode de vie sert de creuset à sa pensée théologique. Le fait de croire que Yeshoua (Jésus) est le Messie n’abolit en rien la judaïté du Juif qu’il est. Pour lui, reconnaitre l’identité messianique de Yeshoua, c’est voir en lui le lien essentiel entre judaïsme et christianisme plutôt que le facteur fondamental qui distinguerait des traditions et réalités complètement séparées.

C’est au chercheur français Menahem Macina, spécialiste des questions judéo-chrétiennes, que nous devons la traduction française de cet ouvrage qui offre au monde de la littérature théologique une contribution des plus significatives. Non seulement parce qu’il est consacré au judaïsme messianique, un mouvement encore mal connu par beaucoup, mais aussi parce que les réflexions théologiques novatrices de l’auteur nous offrent horizon et paradigme nouveaux permettant de remettre en question des positions séculaires dans lesquelles le judaïsme est supplanté par le christianisme. Kinzer dénonce un substitutionnisme qui s’est développé tout au long de l’histoire de l’Église pour fortement endommager les relations entre Juifs et Chrétiens.

Kinzer explore la signification théologique du peuple juif pour l’identité de l'Église (issue de la gentilité) à la lumière de Nostra Aetate (1965), un document-clé, pas uniquement comme fondement du dialogue interreligieux (avec les religions non-chrétiennes) ou par son appel à la fraternité universelle. Son titre n’est pas de prime abord très évocateur (« A notre époque »), car il renvoie tout simplement aux deux premiers mots du texte en latin, mais avec cette courte déclaration, Vatican II est le premier concile œcuménique de l'Église catholique à proposer (dans son quatrième paragraphe) un bref commentaire théologique sur les relations entre Israël et l'Église. C’est de là qu’il tire le titre de son livre, en citant le début du 4 e paragraphe : « Scrutant le mystère de l’Église ».

La christologie de Kinzer implique une étroite connexion permanente entre Yeshoua et l’existence d’Israël. Pour lui, le défi ecclésiologique de Nostra Aetate est une véritable révolution théologique pour dépasser les antagonismes qui ont entachés le dialogue entre Juifs et Chrétiens. Toute connaissance et estime mutuelle, insiste l’auteur, présupposent que l’on se démarque de toute attitude accusatrice qui imputerait indistinctement la mort du Christ à tous les Juifs, hier et aujourd’hui. Ou encore celle selon laquelle Dieu aurait rejeté le peuple juif à cause de son péché et de son incrédulité, en particulier celle qui a consisté à ne pas accepter Jésus.

Dans ses ouvrages précédents, Kinzer avait déjà proposé ce qu’il appelle « une ecclésiologie bilatérale en solidarité avec Israël ». Il y défend la vision d’une Église composée de juifs et de non-juifs (Gentils/chrétiens issus des nations) qui conservent leur caractère (ethnique) distinctif propre, sous forme de communautés ecclésiales distinctes et parallèles, mais qui du fait de l’unité que tous deux ont vocation d’exprimer participent à la restauration de cette unique ecclesia qui les rassemble au-delà des différences. Un accent tout particulier est placé sur le statut de peuple élu qu’ont les Juifs et par conséquent sur leur vocation indéniable et irrévocable.

Le livre de Kinzer examine les différents défis théologiques engendrés par Nostra Aetate . Il en émerge une herméneutique qui refuse d’accepter les marqueurs négatifs de frontière doctrinale dans les deux communautés, juive et chrétienne. Ceux-ci ne touchent d’ailleurs pas qu’à l’ecclésiologie, mais aussi aux sacrements de l’ordination, du baptême et de l’Eucharistie/Sainte Cène, ou encore à l’observance de la Torah. On comprendra aisément que l’apport de la théologie catholique chez Kinzer est loin de faire l’unanimité, même et surtout parmi les juifs messianiques dont la théologie s’inscrit dans celle d’un protestantisme évangélique, voire même fondamentaliste (dispensationaliste), peu habitué à comprendre la foi en termes de présence sacramentelle : un peuple saint (Israël), un temps sacré (le jour du Shabbat), un lieu saint (la terre d’Israël et Jérusalem) et des actions saintes (les mitzwot/commandements) forment pour Kinzer les cinq signes sacramentels fondamentaux du judaïsme.

Raymond Pfister

Gwendoline Malogne-Fer et Yannick Fer , dir., Femmes et pentecôtismes  : Enjeux d’autorité et rapports de genre. Genève : Labor et Fides, 2015. 296p. ISBN : 978-2-8309-1578-5 - € 20.--

Si on reconnait aujourd’hui au pentecôtisme ses dimensions multiples et complexes, d’où l’usage approprié et justifié du pluriel, c’est parce que de nombreuses études universitaires ont examiné bon nombre d’aspects d’une réalité qui est à la fois transnationale, transculturelle et transconfessionnelle. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette démarche par son analyse de la place des femmes dans différentes Eglises et communautés d’un pentecôtisme de type protestant. L’approche choisie met en valeur les sciences sociales, puisque la douzaine d’auteurs est composée d’anthropologues, d’ethnologues et de sociologues, associés pour la plupart à des universités ou instituts européens. Leurs contributions sont issues de journées d’études qui se sont tenues à Paris en 2012. Elles s’intéressent tout particulièrement à la (re)distribution des positions d’autorité au sein d’un mouvement qui cherche à libérer l’expression personnelle de l’individu et à favoriser une transformation sociale tout en ayant paradoxalement une représentation très normée des identités féminine et masculine. Onze chapitres permettent de comprendre comment les rapports de genre s’articulent dans divers contextes nationaux et sur plusieurs continents (Liban, Cameroun, Australie, Canada/Québec, France, Suisse, Suède, Brésil).

Les directeurs de la publication proposent une introduction autant utile que perspicace pour sensibiliser le lecteur à l’importance des enjeux épistémologiques. Les enquêtes minutieuses des différents chercheurs s’intéressent aux relations entre expériences charismatiques, conservatisme moral et conditions des femmes. Elles sont réparties en trois parties complémentaires : (1) Genre, conversion et construction de la féminité ; (2) Genre et migrations ; et (3) Le genre de l’autorité religieuse en pentecôtismes.

L’ouvrage riche en descriptions empiriques nous montre combien il faut se méfier des stéréotypes, quand bien même le modèle patriarcal peut imposer des limites sociales plus ou moins importantes, selon le contexte ecclésial et culturel, à l’encontre de l’expérience pentecôtiste chez le genre féminin. On comprendra ainsi comment les conditions d’une féminisation fluctuante du pentecôtisme sont fortement liées à une lecture normative voire fondamentaliste de la Bible. On comprend aussi pourquoi le rôle prépondérant de l’autorité masculine n’est pas toujours handicapant pour des femmes dont les rôles peuvent revêtir des parcours très différents, celui-ci pouvant aller de femme de pasteur à celui de prophétesse en passant par celui d’évangéliste ou d’enseignante, sans oublier celui de pasteur bien sûr – des ministères pouvant être exercés en couple ou non.

Malgré l’apport incontestable des diverses analyses proposées, on regrettera quand même un manque de regard critique sur les origines multiples du pentecôtisme, adoptant résolument comme entrée en matière une lecture nord-américaine protestante très standardisée, proche d’une ritualisation de l’histoire. Une approche qui serait davantage multidisciplinaire aurait pu inclure un regard historique et surtout théologique qui aurait apporté un éclairage plus compréhensif à un ouvrage par ailleurs très riche en informations et stimulant de par ses réflexions.

Raymond Pfister

Hannes Wiher , L’évangélisation en Europe francophone . Charols : Excelsis, 2016. 350p. ISBN : 978-2-7550-0294-2 – € 22.--

Jean-Paul Rempp , dir., Évangéliser, témoigner, s’engager . Collection « Bibliothèque du Mouvement de Lausanne ». Charols : Excelsis, 2017. 302p. ISBN : 978-2-7550-0248-5 – € 13.--

Parmi les livres qui ont été publiés plus récemment sur le sujet de l’évangélisation, deux titres méritent tout particulièrement notre attention. Nous devons un premier ouvrage au Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone et à un ensemble de huit auteurs sous la direction de Hannes Wiher. Son étude de la situation complexe de l’Europe du XXIème siècle a pour objectifs une prise de conscience de sa spécificité ainsi qu’une réflexion théologique sur les défis auxquels fait face le témoignage chrétien dans le contexte européen. Une telle analyse revêt toute son importance quand on considère que l’accent placé par les Églises évangéliques sur les stratégies missionnaires et l’implantation d’églises nouvelles a souvent fait abstraction d’une analyse adéquate de la société européenne, et cela pour une bonne (!) raison, c’est que le chrétien évangélique moyen se pose plutôt des questions présumées d’intérêt « national » plutôt qu’ « européen ».

Intégrant pour beaucoup des données sociologiques dans les réponses proposées, les questions élémentaires traitées sont du type : Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Que croient (ou ne croient plus) les Européens et comment s’explique leur comportement vis-à-vis du message de l’Évangile ? Comment les chrétiens européens se situent-ils dans une société sécularisée et post-religieuse ? Dans quelle mesure l’Europe est-elle à la fois « postchrétienne » et « chrétienne » ? Quelles voies d’accès à l’Évangile peuvent/doivent envisager les Églises chrétiennes dans ces cas de figure ? Dans ce contexte, une réflexion intéressante est proposée tout particulièrement sur la vie du chrétien, la vie communautaire des chrétiens et la soif de liberté de nos contemporains.

On nous rappelle à juste titre que l’Europe se présente comme une mosaïque de visions du monde et de cultures (voire de sous-cultures) qu’on ne peut appréhender sans une approche interdisciplinaire (biblique, historique, psychologique, sociologique et anthropologique) dans laquelle théologie et sciences humaines apprennent à se côtoyer. La réalité grandissante des Églises issues de l’immigration ont définitivement balayé le mythe d’un modèle universaliste de type monoculturel. Aspirer à l’unité chrétienne ne pourra donc s’envisager sans comprendre les implications de la diversité… même si le caractère multiculturel ou interculturel de ces Églises ethniques ne va pas toujours de soi.

Si la deuxième partie du livre nous offre quelques considérations bibliques utiles sur l’évangélisation en général, il semblerait qu’avec les modèles proposés on finit par perdre quelque peu de vue la spécificité du contexte européen pour se concentrer sur une réflexion plus globale sur le rapport Évangile et culture. On notera que si le rôle des Églises de migrants dans l’évangélisation de l’Europe est souligné, on s’étonnera de l’absence de tout développement véritable sur la place des mouvements pentecôtistes et charismatiques en Europe francophone. Il y a bien une mention furtive des charismatiques catholiques et même un chapitre entier consacré à la démonologie. Une des explications se trouve sans doute dans le fait que dans le monde francophone européen, il existe une tendance à faire certains amalgames qui a fini par incorporer (pour l’essentiel) le pentecôtisme au sein du monde évangélique. Par ailleurs, on ne parle plus guère de pentecôtistes catholiques. Conforme à cette lecture réductrice, on ne semble pas non plus faire grand cas du fait que les Églises issues de l’immigration sont majoritairement issues de ce même pentecôtisme ou renouveau de l’Esprit. Une telle réflexion aurait pu bénéficier d’une analyse pertinente sur la théologie de l’Esprit, voire une théologie de l’expérience qui y est associée.

Dans un tout autre registre se situe l’ouvrage paru sous la direction de Jean-Paul Rempp. Celui-ci rend un énorme service au lecteur en réunissant en un seul volume tous les documents de référence du Mouvement de Lausanne. On y trouve bien entendu la Déclaration de Lausanne (avec texte intégral et guide d’étude), document fondateur datant de 1974, mais aussi le Manifeste de Manille (1989), ainsi qu’une version d’étude de l’Engagement du Cap (2010). Les trois congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde sont le fruit de divers processus d’écoute et de groupes de travail aux quatre coins du globe. Par-delà l’énoncé évangélique de convictions bibliques, on y trouvera un appel à l’action ayant pour but de susciter initiatives et partenariats sachant traduire une théologie de la mission qui est partagée (tout particulièrement, mais certes pas exclusivement) par le monde évangélique.

Raymond Pfister

Agnès Blocher – Fabrice Delommel – Lydia Jaeger – Émile Nicole – Gladys Vespasien – Peter Winter – Elvire Piaget , Les abus sexuels  : Sortir de l’ombre, coll. Terre nouvelle, IBN- Excelsis, 2017, 152 pages, ISBN 978-2-7550-0308 – € 6.-- ou CHF 14.95

Cet ouvrage collectif est issu d’un colloque tenu à l’Institut Biblique de Nogent. Il s’agit d’une première approche sur la question des abus sexuels sous un angle de théologie pratique. L’ouvrage comporte des réflexions bibliques (E. Nicole) et théologiques (L. Jaeger), mais aussi juridiques (F. Delommel). Deux articles se concentrent sur la manière pour l’Église d’accompagner des personnes ayant subi des abus sexuels (A. Blocher et G. Vespasien – E. Piaget), tandis qu’un témoignage traduit de l’anglais (P. Winter) parle d’abus commis au sein de l’église par un de ses employés.

Ce livre permet une très bonne sensibilisation au problème de l’abus sexuel, à sa fréquence et au besoin pour l’Église d’être consciente de cette problématique et prête à y faire face. Les regards variés permettent de se faire une bonne idée générale. Les pistes de réflexion en matière d’accompagnement et de groupes de parole sont très bonnes, et peuvent servir à mettre en place des initiatives pertinentes. Le témoignage de P. Winter montre quant à lui des dangers auxquelles l’Église fait face lorsqu’un abus est commis en son sein, et est d’autant plus pertinent qu’il met en lumière des erreurs que des chrétiens seraient tentés de commettre à cause de leurs bonnes intentions et de leurs convictions au sujet de la grâce et du pardon. En prendre connaissance peut changer pour le mieux la première réaction face à une situation grave, et cela en vaut la peine.

Le livre ne comporte pas de recettes toutes faites, et ne dit certainement pas le dernier mot sur une question difficile. Mais une lecture attentive permet d’ouvrir les yeux sur une réalité difficile, et de préparer à avoir un regard attentif.

Ce livre est une première approche, mais peu d’autres ouvrages le font et le font si bien, il a donc absolument le mérite d’exister, et c’est une lecture que l’on peut recommander à tout pasteur ainsi qu’à des personnes appelées à un ministère d’accompagnement au sein de l’Église.

Jean-René Moret

Jean-René Moret, Christ, la Loi et les Alliances - Les lettres aux Hébreux et de Paul : regards croisés - LIT Verlag Gmh & Co. KG Wien, Zurich 2017 - 105 p. - ISBN 978-3-643-90921-3 – € 29.90 ou CHF 29.90.

Jean-René Moret est physicien (EPFL) et doctorant en théologie à l'université de Fribourg ; il est actuellement pasteur dans une Église évangélique FREE, près de Genève.

La venue de Jésus a placé l'Église primitive devant la question des institutions de l'Ancien Testament : que faire désormais de la loi, des règles cultuelles, de l’alliance ? Quelle est leur place après la venue de Jésus ? Si elles sont devenues caduques, quelle était l'intention de Dieu en les mettant en place ? Ces questions ne concernent pas seulement l'Église primitive, elles sont encore actuelles pour l'Église d'aujourd'hui. Paul et l'auteur de l'Épître aux Hébreux ont apporté chacun leur réponse. Jean-René Moret s'attèle dans ce livre à comparer ces réponses, à mettre en évidence les similitudes et les différences de leur approche

Dans un chapitre d’introduction, il présente brièvement Paul et ses épîtres pour lesquelles il suit une chronologie évangélique classique en plaçant Galates avant 1 Thessaloniciens. Il situe ensuite la composition d'Hébreux avant la destruction du second Temple dans une période de persécution qui a suivi le martyre des apôtres Pierre et Paul.

Ensuite (chapitre 2), Moret se lance dans une étude minutieuse et bien documentée des institutions de l’Ancien Testament (essentiellement la loi et l’alliance) telles que Paul les perçoit. A cet effet, il analyse particulièrement les Épîtres aux Romains et aux Galates, mais aussi les autres, quoique plus brièvement, y compris Colossiens et Éphésiens qu’il considère comme pauliniennes. Il tient compte naturellement de la « nouvelle perspective » qui a le mérite de nous aider à nous dégager des ornières creusées par Luther qui a projeté sa problématique personnelle sur la théologie de Paul. Sans y adhérer en totalité, Moret en retient, avec N. T. Wright, que le but de Dieu, en appelant Abraham, était de créer un peuple judéo-païen (p. 36) ; mais il ne pense pas, contrairement à Dunn, que les "œuvres de la loi" soient à comprendre comme un marqueur identitaire.

Pour Paul, la loi ne sauve pas et, contrairement à son but précisé en Lévitique 18.5, elle est incapable de donner la vie, à cause de la faiblesse que le péché produit en l’homme. Le rôle de la loi est provisoire, destiné à montrer aux hommes leur état de péché. Elle est impuissante à sauver : Dieu a dû intervenir pour apporter une solution : la croix (la note 148 à la page 45 appuie l’idée que ιλαστηριον (Rom. 3,25) fait allusion aux rites de Kippour). Le but de la loi est Christ (Rom. 10,4) ; elle invite à se confier (foi) en Christ pour être sauvé. Sur la base de la justification accordée à celui qui croit, l'Esprit est donné pour rendre l’homme capable de mettre en pratique la loi. Cette partie se termine par un examen à mon sens trop rapide de Philippiens 3,1-11 où il ne prend pas suffisamment en compte l'argumentation que je trouve décisive de Daniel Marguerat (dans « Paul et la loi », in « Paul, une théologie en reconstruction » pages 251ss), lorsqu’il relève que Paul qualifie d' ordures son irréprochabilité devant la loi, alors qu’il était dans le Judaïsme. Ce texte met à mal la notion de loi telle que présentée par le tenants de la « nouvelle perspective » sur Paul.

Dans le chapitre 3, Moret aborde l'Épître aux Hébreux où il va traiter deux questions :

  1. Comment Hébreux présente-t-elle la fonction du Christ et les exigences de cet office ?
  2. Qu’est-ce que Christ accomplit pour ceux qui bénéficient de son action ?

Hébreux présente essentiellement le Christ comme Grand-prêtre : Il est solidaire de l'humanité marquée par le mal (Hébr. 2). Mais c'est un grand-prêtre parfait ; cette notion importante est bien analysée et comporte entre autres, l'idée de consécration (hébreu : « remplir la main ») pour accomplir un sacerdoce. Il est apte à rendre parfaits ceux qui ont foi en lui.

Dans le « regard croisé » qu’il jette sur les théologies de Paul et de l’Épître aux Hébreux relatives aux institutions de l’Ancien Testament, Moret aboutit à la conclusion que leurs points de vue sont « largement similaires » (p. 100). Certes, dans Hébreux la loi n’est jamais présentée comme l’instrument du péché : elle doit sa faiblesse à son imperfection. Cependant – et là Hébreux et Paul ne sont pas si éloignés que ça – si les institutions de l’ancienne alliance sont imparfaites dans l’Épître aux Hébreux, c’est parce que les prêtres sont imparfaits et mortels à cause de leurs péchés, d’où la nécessité d’un Grand Prêtre parfait et éternel , selon l’ordre de Melchisédek, comme le fut Jésus.

Remarques générales : l'écrit de Moret est de bon niveau ; il a pris connaissance des débats récents sur la question. Un petit regret : pourquoi, alors qu’il vise un public francophone, ne cite-t-il ni Quesnel ni Aletti qui ont à mon sens apporté des contributions intéressantes au sujet de la loi chez Paul ? Mais relevons que les chapitres sont bien charpentés avec, à la fin de chacun d’eux, un résumé qui permet au lecteur de se resituer dans le développement des arguments.

Alain Décoppet

Recensions de livres (suite)

L uc Ferry et Claude Capelier , La plus belle histoire de la philosophie , Robert Lafont, Paris, 2014, ISBN : 2-221-13121-5, 456 pages, € 21,50 édité aussi en version Poche, en 2015, € 8,10.

Luc Ferry, est bien connu : philosophe, ancien ministre de l'Éducation nationale, est l'auteur de nombreux ouvrages, et sans doute l'un des meilleurs pédagogues en matière de philosophie. Claude Capelier qui, dans cet ouvrage, lui pose les questions, est né en 1947 à Paris. Il est agrégé de philosophie, ancien membre du Conseil national des programmes, et conseiller scientifique du Conseil d'analyse de la société.

Comment se sont forgées les idées qui sous-tendent la pensée contemporaine, marquent la politique, notre façon de vivre ? Comment en est-on arrivé à les élaborer ? Pourquoi ? C’est à autant de questions que répond Luc Ferry par cette brillante histoire de la philosophie. Il le fait avec limpidité, clarté et une grande maîtrise du sujet. Il arrive à en dégager les grands axes, sans se perdre dans les détails, tout en étant assez précis, avec parfois des détails concrets qui aident à bien saisir les enjeux des problèmes présentés. Il donne ainsi au lecteur un instrument précieux pour s’y retrouver dans ce labyrinthe des philosophes et de leurs idées.

Il divise l’histoire de la philosophie en cinq grandes périodes :

  1. la période grecque qui voit le monde comme un corps où chacun des membres (les hommes comme les dieux) ont leur place assignée. La sagesse consiste à trouver et à garder sa place assignée par le destin. (Hésiode, Platon Aristote) ;
  2. la période chrétienne qui a libéré les individus des lois, aussi bien cosmiques que religieuses, et rendu possible l’avènement de la personne libérée par Dieu du destin implacable. Ferry emprunte à Hegel une très intéressante analyse du sermon sur la Montagne qui montre que Jésus libère l’homme du carcan du légalisme pour accomplir la loi par l’esprit. (Jésus, Augustin, Thomas d’Aquin) ;
  3. l’époque des « Lumières », dont il voit un précurseur dans l’humanisme de Pic de la Mirandole (1463-1494), où l’homme, faisant table rase de tout (Descartes), s’affranchit de Dieu et se met au centre avec sa raison pour expliquer le monde et l’histoire par une succession de causes produisant leurs effets (Kant, Hegel, Marx). Le problème est que, les mêmes causes ayant les mêmes effets, on en arrive logiquement à un monde prédéterminé et délétère (le communisme en est un aboutissement - gare à ceux qui ne marchent pas dans le sens de l’histoire telle qu’elle a été comprise par la science historique ).
  4. l’époque de la déconstruction : avec Schopenhauer et Nietzsche, viennent les philosophes du soupçon qui contestent la valeur de la raison : « Il n’y a pas de faits, que des interprétations » (Nietzsche). Il faut détruire toutes les idoles qu’on s’est fabriquées pour se rassurer en expliquant le monde (elles sont des illusions). Il faut vivre pour vivre, apprendre à être réconcilié avec tout ce qui existe, donc avec le réel, sans le déguiser. Mais, poussé à son paroxysme, cela voudrait dire accepter le mal, les bourreaux, puisqu’ils existent !! De plus, la conséquence de cette approche est que, puisqu’il ne faut pas de sens aux choses, les choses tournent d’elles-mêmes sans but ; l’économie produit pour produire, au risque de polluer la terre ; la science recherche pour rechercher et est devenue capable de détruire l’humanité...
  5. l’époque de l’amour. Luc Ferry voit dans notre époque où, avec l’écologie, on commence à se préoccuper de vouloir laisser à nos enfants un monde vivable, l’émergence d’un monde marqué par l’amour du prochain.

Je ne prétends pas être un bon connaisseur de la philosophie, mais j’ai trouvé ce livre très utile pour nous repérer dans l’histoire de la pensée philosophique. Il sera utile au théologien professionnel ou amateur qui doit connaître ses présupposés conscients ou inconscients lorsqu’il lit et interprète la Bible. L’auteur présente avec sympathie les philosophes et les courants de pensée qu’ils incarnent, en montrant leurs points forts, mais aussi avec suffisamment de lucidité pour nous en faire percevoir les failles.

Une remarque cependant : si son analyse des quatre première périodes est pour moi éclairante, je reste perplexe face à sa présentation de la cinquième qui n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts. Est-ce que c’est réellement l’amour qui émerge dans le souci, encore balbutiant, pour les générations futures ? Est-ce que vouloir tout ramener à l’homme et à sa raison, en évacuant Dieu, ne conduit-il pas à une impasse ? La raison permet-elle définitivement d’évacuer Dieu ? L’homme n’a-t-il pas d’autre moyens de le connaître ?

Alain Décoppet

Collectif - Mission intégrale, Vivre, annoncer et manifester l’Évangile, pour que le monde croie, Excelcis, Charols 2017, 276 pages, ISBN 978-2-7550-0309-3, € 23,00 ou CHF 26,45.

Auteurs : Jean-Daniel André – Laura Casorio – Philippe Fournier – Martine Fritsch – Marcel Georgel – Daniel Hillion – Chantal d’Oliveira – Christian Quartier – Michel Varton – Laurent Waghon – Evert Van de Poll – Jonathan Ward – Roger Zürcher

Le présent ouvrage fait suite au forum organisé par différentes fédérations évangéliques (Fmef, Asah, Remeef) en février 2016, sur le thème « Être, Dire et Faire : les enjeux de la mission intégrale pour Églises et œuvres chrétiennes ». Sous la direction d’Evert Van de Poll, ce recueil de témoignages, de réflexions bibliques et d’outils d’analyse propose de s’interroger sur la définition de la mission dans sa dimension holistique. Associant aussi bien les églises, les ONG chrétiennes et les organismes de mission, l’ouvrage constitue un compte-rendu étoffé des interventions des divers participants lors du forum. Il nous invite ainsi à nous interroger sur le « lien intrinsèque entre vivre l’Évangile, annoncer l’Évangile, et manifester l’Évangile. Entre vivre, dire et faire ».

L’ouvrage s’intéresse dans une première partie à l’approche théorique de la mission intégrale qui consiste « à discerner, proclamer et vivre la vérité biblique selon laquelle l’Évangile est la bonne nouvelle de Dieu, annoncée par la croix et la résurrection de Jésus-Christ pour les personnes individuellement, et pour la société, et pour la création » (Confession de foi du Cap, p. 41). Rédigés principalement par Evert Van de Poll, les quatre premiers chapitres tentent de définir le concept de mission intégrale, d’en relever les particularités par rapport à l’histoire générale de la mission, et de souligner les dichotomies persistantes dans nos églises. Bien que nous puissions apprécier le regard critique porté sur la mission, notamment dans sa conception occidentale et son opposition entre l’évangélisation et l’œuvre sociale, nous regrettons la redondance des explications et le survol rapide de certains concepts.

Dans une deuxième partie, l’ouvrage aborde la question de la mission « au près », c’est-à-dire en occident. C’est l’occasion notamment de s’interroger sur la place et la forme de l’Église actuelle et des œuvres chrétiennes dans notre société. Afin de décloisonner les approches, la parole est donnée aux jeunes quant à leurs regards sur la mission et aux défis de l’Église dans le monde. Par l’exemple, de deux œuvres chrétiennes travaillant auprès des plus démunis et des prostituées, les articles nous invitent à nous interroger sur notre rapport au monde, soulignant l’importance de la relation fraternelle plus encore que de l’évangélisation classique. Cette vision nous amène alors à considérer l’autre dans son ensemble aussi bien dans ses besoins spirituels que matériels. Si nous ne percevons pas toujours la cohérence entre les articles choisis, ceux-ci ont néanmoins le mérite de nous interroger sur notre relation à ceux qui nous entourent et notre manière de transmettre le message de l’Évangile.

Dans une troisième partie, plus restreinte, l’ouvrage relate le contexte particulier de la mission intégrale dans les pays où les chrétiens sont persécutés. S’intéressant essentiellement à l’œuvre de Portes Ouvertes, association de soutien aux églises locales en contexte de persécution, les trois interventions mentionnées ont l’avantage d’apporter une réflexion critique sur le positionnement de l’organisation, sa transition d’une mission uniquement spirituelle vers une mission intégrale et d’offrir des outils d’analyse qui s’avèrent très utiles pour engager une réflexion plus large sur des thèmes sensibles comme le prosélytisme et l’éthique d’intervention.

Dans une quatrième partie, les contributions se veulent plus réflexives sur les pratiques des œuvres humanitaires et de développement au Sud. Celles-ci abordent notamment les bases de nos approches de l’aide au Sud (les relations de dépendances, une prise en compte holistique des bénéficiaires, nos liens avec les instances politiques, etc.), ainsi que la gestion du personnel, que ce soit des volontaires, des missionnaires ou des professionnels. Si cette dernière partie permet de saisir la complexité de l’intervention des ONG chrétiennes au Sud, il est dommage de constater que certains articles manquent de référence et de clarté notamment sur des questions aussi importantes que l’impact du développement sur le temps long, les relations de dépendance et d’interdépendance. Nous aurions souhaité une approche plus ciblée, conjuguant moins d’aspects, mais abordant ces questions centrales pour les œuvres humanitaires, avec une plus grande rigueur scientifique.

Si l’ouvrage a l’ambition de dresser un portrait complet des implications que peut avoir une approche intégrale de la mission, avec un choix d’angle original traitant de la problématique « au près » et « au loin », la qualité des interventions et leurs pertinences sont parfois inégales. Néanmoins, ce recueil constitue une base de réflexion intéressante et nécessaire, afin de développer une vision commune de la mission entre église et œuvre sociales chrétiennes.

Cynthia Guignard,responsable du secteur Coopération et Développementde la Mission Évangélique Braille, à Vevey (Suisse)

David Firth, Le message de Josué , Éditions Grâce et Vérité, Charols 2017, 288 pages, ISBN 978-2-85331-068-0, € 18 ou CHF 20.70.

David Firth est professeur d’Ancien Testament et doyen au Trinity College de Bristol, en Grande-Bretagne. Il est l’auteur de plusieurs commentaires bibliques et de divers livres sur l’interprétation de l’Ancien Testament.

Le livre de Josué avec son récit violent de la conquête du pays de Canaan par les Israélites heurte la plupart de nos contemporains qui l’utilisent même parfois pour rejeter Dieu et la Bible. Il laisse même bien des chrétiens perplexes, tant ses valeurs leur paraissent aux antipodes de celles du Nouveau Testament.

Ces questions sont à l’arrière plan de Firth quand il rédige son commentaire. Il a prêché et enseigné Josué d’abord dans une Église, comme pasteur, puis comme professeur à ses étudiants. Il faut se débarrasser des clichés hérités de l’école du dimanche ou du catéchisme, voire des Negro Spirituals, qui glorifient Josué comme chef de guerre, surtout avec la prise de Jéricho. Ensuite, il faut écouter ce que le texte biblique dit vraiment. La perspective de son commentaire, présentée dans l’introduction, est très intéressante et à mon sens renouvelante. L’affirmation « Israël est un peuple avec un rôle missionnel, et non un peuple avec un héritage génétique » (p. 17) est une clé pour comprendre le message de Josué. On adhère au peuple de Dieu (Israël) par la foi et non en vertu d’un héritage ethnique. Firth en veut pour preuve ces deux personnages-types opposés que sont Rahab et Akan : Rahab est une prostituée (peut-être sacrée) cananéenne, qui est à cent lieues de correspondre au standard requis pour faire partie du peuple d’Israël, et pourtant elle y sera agrégée à cause de sa foi. À l’opposé, Akan, malgré son pedigree israélite impeccable, en sera retranché, parce qu’il a désobéi. Les Gabaonites (chap. 9) en donnent un autre exemple : bien qu’ils se soient alliés à Israël par ruse, ils ne seront pas massacrés et seront fidèlement inclus à Israël, parce qu’ils ne se seront pas battu contre Israël ; idem pour autres cananéens qui ne se seront pas opposés activement à Dieu et à son peuple. Firth rappelle que la terre appartient à Dieu qui a le droit de la donner à qui il veut. Quand il a appelé Abraham, dans le but que toutes les nations soient bénies en lui, il lui a promis une descendance et un pays (Gen. 12,1ss). Ce plan de donner le pays a été en quelque sorte retardé, parce que le péché des Cananéens n’était pas à son comble (Gen. 15,16).

L’auteur ne nie pas que la conquête de Canaan ait entraîné quelques massacres, mais ceux-ci sont très loin d’avoir atteint l’ampleur que leur prête une interprétation naïve du texte. Ces massacres touchaient seulement ceux qui s’opposaient en combattant contre Israël. Il faut lire correctement Josué 10-11 selon les schémas des récits antiques de conquêtes. Quand on dit qu’une ville a été détruite, cela veut dire simplement que son armée a été vaincue, mais sous-entend que la population s’était fondue dans la nature, à l’arrivée des Hébreux. Il en veut pour preuve qu’Hébron, par exemple, décrite comme entièrement détruite (Jos. 10,36-37), est offerte plus tard à Caleb qui dut la conquérir et en chasser les habitants (Jos. 15,13-14). La population n’avait donc pas été entièrement massacrée.

Dans une perspective néotestamentaire, Firth voit le livre de Josué comme une étape qui conduit à Jésus-Christ ; il nous enseigne que le jugement de Dieu existe certes, mais que Dieu est fidèle à ses promesses d’amener le salut dans le monde et qu’il est toujours possible d’en bénéficier en adhérant à son peuple par la foi.

Le commentaire est cursif, il s’attache à faire ressortir le message de Josué, comme le précise le titre. Par conséquent, on n’y trouvera pas d’analyse littéraire bien charpentée, ni d’étude lexicographique détaillée, ni même de discussion sur l’historicité du livre (seulement quelques renvois à des ouvrages sur la question). On sent que l’auteur a fait ce travail d’analyse dont les résultats apparaissent clairement dans son commentaire. Le sens de chaque chapitre étudié est bien présenté ainsi que sa place dans l’architecture de l’ensemble. Ce livre aide à appliquer le message de Josué et apporte un complément bienvenu à des commentaires exégétiques parfois desséchants. A ce titre, il rendra de précieux services à toute personne qui voudra animer des études bibliques ou apporter des prédications sur le livre de Josué.

Alain Décoppet

Christopher Wright, Le message de Jérémie, Éditions Grâce et Vérité, Charols 2016, 536 pages, ISBN 978-2-85331-069-7, € 35 ou CHF 46.

Christopher Wright est directeur de Langham Partnership International. Il est notamment l’auteur d’une Éthique de l’Ancien Testament, de « La mission de Dieu » et de « Plus doux que le miel », un ouvrage sur comment prêcher les textes de l’Ancien Testament (Excelsis 2017).

Ce Message de Jérémie est dans la même collection et de la même façon que le Message de Josué , présenté précédemment. Les commentaires sur Jérémie en français ne sont pas si nombreux que ça pour se permettre d’ignorer celui-ci, d’autant plus que c’est, dans son genre, un bon commentaire qui sera utile à tous ceux qui désirent étudier ou enseigner ce grand prophète.

Alain Décoppet

Nicolas Farelly, Lire l'Évangile selon Jean - en route pour la mission – Excelsis, Charols 2017, 119 pages, ISBN 978-2-7550-0314-7, € 10 ou CHF 11,50.

Nicolas Farelly est directeur de la formation au sein de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France (FEEBF), directeur de l’École Pastorale et rédacteur en chef des Cahiers de l’École Pastorale. Il est également professeur associé de Nouveau Testament à la Faculté Libre de Théologie de Vaux-sur-Seine (FLTE).

Après des études théologiques en France et aux États-Unis, il a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université de Gloucestershire, en Angleterre, en 2009, sur « Les disciples dans l’Évangile selon Jean ». Sa thèse a été publiée (en Anglais) aux éditions Mohr-Siebeck en 2010. Auteur de plusieurs articles théologiques et exégétiques, il travaille actuellement sur un commentaire de l’Évangile selon Jean dans la série « La Bible et son message » d’Excelsis.

Ce petit livre fort bien fait est destiné à un large public intéressé par le quatrième évangile ; il se présente comme une « introduction théologique et narrative à l'Évangile selon Jean, mettant en avant quelques clefs de lecture particulièrement importantes pour aborder l'ensemble du récit de façon appropriée » (page 7). Des notes parfois étendues et, à la fin, une abondante bibliographie de cinq pages permettent au lecteur de poursuivre son étude. À la fin de chaque chapitre, on trouve des questions et thèmes de réflexion avec de la place pour fixer par écrit le fruit de ses propres cogitations.

Dans le chapitre d'introduction, l'auteur, après avoir donné un plan assez traditionnel de la structure de l'Évangile de Jean, le définit comme appartenant au genre littéraire du bios . C'est une "christologie narrative", donc un récit croyant qu'il ne faut pas confondre avec nos biographies modernes. L'Évangile de Jean sera lu dans la perspective de la Mission confiée par le Père au Fils qu'il a envoyé et aux disciples qui, avec l'aide du Saint-Esprit, sont appelés à poursuivre l'œuvre du Fils.

Jésus est le messie, mais d'une manière différente que les Juifs attendaient : il utilise ses pouvoirs pour le bien de ses disciples, jusqu'à donner sa vie pour eux ! Jésus est fils comme les rois d'Israël, certes, mais ce titre est aussi signe de sa divinité (1,1 et 18). Jésus a une mission : être témoin de Dieu et juge du monde dans le procès entre Dieu et les hommes (le monde). L'intrigue est de savoir si Jésus arrivera à accomplir la mission pour laquelle il a été envoyé (page 28) ; sa mort semble dire que tout est compromis, mais sa résurrection est un retournement de situation. Au cours de tout l’Évangile, Jésus forme des disciples pour qu’ils reprennent à leur compte cette mission : le Paraclet promis (Jn 14 et 16), puis donné (Jn 20,22-23) leur permettra de la réaliser.

Ensuite Farelly aborde la question des destinataires du quatrième Évangile par une question à propos d’une difficulté textuelle dans Jn 20,31 : πιστεu[σ]ητε ( pisteu[s]éte) est-il un subjonctif aoriste, avec le sigma (σ) ou un subjonctif présent sans le sigma ? Le présent indiquerait que l’évangéliste veut conforter les destinataires dans leur processus de foi, l’aoriste inviterait les destinataires à entrer dans un processus de foi . Farelly, avec plusieurs exégètes, penche plutôt pour la première solution. Le contexte de l’Évangile paraît répondre à un besoin « interne », comme le suggère le « nous » fréquemment utilisé. Il s’agit d’encourager une communauté souffrante, exclue de la synagogue. Mais il ne rejette pas définitivement un usage missionnaire de l’Évangile.

Dieu aime l’homme et veut lui donner la Vie d’en-haut ; mais l’homme est malmené par le péché. L’Évangile de Jean met en scène un procès entre Dieu et le monde où gît le péché (57-62). Jésus, en tant qu’envoyé , représente Dieu à ce procès ; il est la vérité , et le jugement sera déterminé par la position que les hommes prendront par rapport à lui, la vérité ; beaucoup la rejetteront (les Juifs, le monde ). Mais la croix qui est le point culminant de ce rejet, est en même temps celui où Jésus, désigné comme roi (Jn 19,13 et 19-22), glorifie Dieu et est glorifié en donnant la vie au monde (Jean 7,37 et 19,35). Ce procès se poursuit après la mort de Jésus : les disciples, habités par l’Esprit de vérité, continuent à apporter le témoignage de Jésus et sont en butte à la même hostilité que leur maître. L’Esprit défend (Farelly admet aussi le sens de Consolateur , pour l’Esprit - p. 77) les disciples qui souffrent de rejet, mais en même temps, il confond le monde en matière de péché (Jn 16.7-11).

Dans son Évangile, Jean aide le lecteur à s’identifier aux disciples de Jésus en faisant ressortir des situations analogues vécues au temps de Jésus et à la fin du 1 er siècle, par la communauté johannique (par exemple l’exclusion de la synagogue – Jn 9,22 ; 12,42 et 16,2). Les fameux malentendus johanniques (quand les disciples comprennent de travers une parole de Jésus - par exemple Jn 2,19-22) ont le même but.

On a parfois pensé que Jean était un évangile sectaire, où les disciples, bien au chaud dans leur cocon d’amour, se coupaient du monde. Il n’en est rien d’après Farelly. L’amour qui est demandé aux disciples entre eux est destiné à transmettre la vie, à l’image du Père, du Fils et de l’Esprit qui s’aiment mutuellement, mais œuvrent ensemble à transmettre la vie pour sauver le monde (Jn 13,34-35 ; 17,22-23). C’est ce à quoi l’Évangile de Jean est destiné. C’est pourquoi il faut le relire. Ce petit livre qui atteint bien le but qu’il s’était fixé, nous donne vraiment envie d’en reprendre la lecture !

Alain Décoppet

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