I - Remarques introductives
* Le mot « prophétisme » concerne les ministères et charismes de nature prophétique : parole de connaissance, sagesse… (1)
Illustration : le tableau des ministères et charismes.
L’ Ascension d’Isaïe, les Odes de Salomon et les critiques de Celse ne sont pas des documents écrits par un Père apostolique ; cependant, ils permettent de mieux connaître le contexte. Nous n’ignorerons donc pas complètement ce qu’ils sont en mesure de nous apprendre sur le prophétisme de l’époque.
* J. L. Ash estime que la prophétie de l’Église primitive (2) présentait une dimension qu’il appelle extatique ; Ash précise que la nature « extatique » de la prophétie chrétienne ne signifie pas une chute dans l’irrationnel. Il a raison de noter que 1 Co 14 insiste au contraire sur l’intelligibilité. Pour lui, cette dimension extatique se manifeste :
- par exemple, en Ac 21.11, où Agabus annonce l’arrestation de Paul en employant l’expression : voici ce que dit l’Esprit Saint ; ce faisant, il reprend la conception de l’inspiration rencontrée dans l’Ancien Testament ; c’est Dieu qui parle par son Esprit et par le moyen du prophète. Une telle présentation suggère que l’Esprit agit de manière sensible dans l’esprit de l’homme.
- on n’a pas vraiment de description de la conduite des prophètes chrétiens dans le Nouveau Testament. Cependant, l’état inspiré de la personne -pour Ash- devait être visible de manière claire. Il pense que c’est ce que laisse supposer les expressions qui affirment que le prophète parlait alors dans (3) ou par (4) l’Esprit. De telles expressions supposent quelques signes particuliers visibles dans la conduite de l’« inspiré » (5) .
- de plus, Ash pense que la nature extatique de la prophétie chrétienne est confirmée par le vocabulaire employé en rapport avec elle (6) . Il illustre la chose par l’emploi du verbe σβέννυμι en 1 Th 5.19 ; Paul y enseigne à ne pas éteindre l’Esprit :τὸ πνεῦμα μὴ σβέννυτε ; l’expression est unique dans toute la Bible (7) ! Plutarque utilise une phrase très semblable en rapport avec l’inspiration prophétique dans les oracles ( Moralia, 402 C).
* Rappelons que des prophètes actifs et influents sont mentionnés en relation avec de nombreuses Églises dans le Nouveau Testament ; on peut citer :
- Ac 11.27 : « en ce temps-là des prophètes se rendirent de Jérusalem à Antioche ; l’un d’eux nommé Agabus... »
- Ac 13.1 : « il y avait à Antioche, dans l’Église du lieu, des prophètes et des enseignants. »
- Ac 15.32 : « Judas et Silas... en prophètes qu’ils étaient... »
De même, 1 Co 12-14 montre l’existence de prophètes à Corinthe, alors que 1 Th 5.19 en suppose à Thessalonique. 1 Tm 4.14 mentionne l’exercice du charisme prophétique lors d’une sorte « ordination » (8) . L’Ap se présente comme une prophétie (22.10) dite « dans l’Esprit » (Ap 1.10) alors que, dans les lettres des premiers chapitres, le lecteur doit écouter ce que l’Esprit dit aux Églises. Ainsi, ces divers textes supposent « qu’au moins dans quelques-unes des plus anciennes communautés chrétiennes, le prophète occupait une fonction reconnue et respectée et que le phénomène de la prophétie était connu et vénéré » (9) .
* Les caractéristiques de la prophétie « extatique » chrétienne sont établies par 1 Co 12-14 ; il faut savoir que ce texte a eu « une influence considérable sur les opinions chrétiennes postérieures » sur ce sujet (10) . Paul y enseigne que le charisme prophétique a une portée limitée : les chrétiens prophétisent « en partie » (13.12 : ἐκ μέρους) en attendant le temps de la connaissance parfaite. Cette venue « du parfait » (13.10 : τὸ τέλειον) fait clairement référence à l’eschatologie ; ainsi, l’apôtre suppose que les charismes en général, et la capacité de prophétiser en particulier, appartiennent à l’Église de tous les temps (11) . Ash pense que, dans les premiers siècles de l’histoire du christianisme, on retient très bien cet enseignement paulinien : « la prophétie est présentée comme appropriée à l’ensemble de l’ère chrétienne et ne peut donc être a priori écartée comme inauthentique » (12) .
Nous allons nous intéresser à ce type de prophétisme tel qu’il est vécu, particulièrement, durant la première moitié du II e siècle ; nous préciserons la place qu’il occupe à cette époque dans les communautés chrétiennes.
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