Origine de la représentation des chérubins bibliques

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Qu’est-ce qu’un chérubin biblique ? A cette question, tous répondront probablement avec certitude qu’il s’agit d’un ange. Quelle serait l’apparence physique de cet ange ? Avec un peu plus d’hésitation, beaucoup opteront pour de petits enfants à l’embonpoint singulier. C’est en tout cas la forme que leur a donnée les tableaux issus de la période de la Renaissance. Est-ce à dire que ces angelots, ou bébés potelés, bien nourris par l’inspiration des artistes de la Renaissance, représentent, sans contredit, les chérubins bibliques ? Y a-t-il une seule et unique forme de chérubin ?

Bien entendu, les représentations ne se sont pas limitées uniquement à l’angelot, c’est l’imaginaire collectif qui a retenu cette définition. Cependant, il nous intéresse d’examiner quelles sont les sources qui ont amené les artistes de cette période à sculpter certains chérubins comme des angelots ainsi que sous d’autres formes que nous évoquerons.

Les textes de l’A.T. et les articles en archéologie et en histoire du Proche-Orient ancien semblent nous mener sur une toute autre voie que celle de l’angelot. On constate notamment, au regard des conclusions archéologiques, une assimilation des chérubins bibliques aux lamassu (lions ou taureaux androcéphales) présents dans les temples et palais du Proche-Orient ancien. Ceci nous a conduit à entreprendre une première recherche intitulée (1)  : Étude comparative entre les lamassu et les chérubins bibliques. Grâce aux travaux des historiens, l’interrogation des textes du Proche-Orient ancien (2) , et les lumières des archéologues, véritables « juges d’instruction du passé » (3) , nous avons pu établir quelques conclusions divergentes du point de vue archéologique habituel assimilant le lamassu au chérubin biblique. Il en ressort que la Bible ne nous présente pas un seul type de chérubin, mais divers chérubins avec des fonctions multiples (4) et une morphologie très variée (5) . Ils sont parfois quadripèdes et hybrides, bifaces et quadrifrons (6) d’après certains passages du livre du prophète Ezéchiel. De par ces différentes formes, il est donc arbitraire de vouloir assimiler les lamassu aux chérubins bibliques ; de plus, contrairement au chérubin, le lamassu était un génie et un être apotropaïque (7) (c’est-à-dire que, sous une forme matérielle, ces êtres abritent une puissance surnaturelle).

Dans les textes de l’A.T., les chérubins sont presque toujours présentés en lien avec le temple, le tabernacle ou l’arche de l’alliance. Il n’y a aucune trace apparente d’un chérubin angelot. Le but de cet article vise donc à comprendre la nature et les différentes fonctions des chérubins bibliques à travers la tradition chrétienne et les œuvres des Pères de l’Eglise. Pour ce faire, il est primordial de connaître ce que dit le judaïsme sur le sujet. Ce sera l’objet de notre première partie. Nous examinerons ensuite certains textes apocryphes et provenant des Pères de l’Eglise sur la thématique des chérubins. Enfin, nous étudierons les différentes représentations des chérubins issues de la période de l’art de la Renaissance. A travers ces tableaux, nous avons la matérialisation des mots et des pensées. Quelles sont donc les sources qui ont inspiré les artistes de la Renaissance pour représenter les chérubins bibliques comme des angelots ?

I. Les chérubins dans la tradition rabbinique

I. 1 Etymologie et fonctions d’après le Talmud

D’après le Talmud Babylonien, l’étymologie du mot kérub serait une forme contractée de כרביא (= Ké-rabia ). Le mot serait donc composé de : K. (« comme ») et וב ﬧ = ay"b.r"ê qui signifie « jeune enfant » (8) . Cette lecture est d’autant plus pertinente que le terme bWrK peut avoir également ce sens d’« enfant » en araméen (9) et en babylonien ( Rabia ) (10) . L’enfant est alors synonyme d’innocence (11) et son symbole de justice et de sagesse divine propre au judaïsme (12) prend tout son sens. Il faut également noter que le terme kérub est tri-consonantiques ( krb ), karab en araméen et en syriaque signifiant « labourer » (13) . Ainsi, afin d’éviter que le chérubin biblique ne soit assimilé au veau d’or ou au taureau Apis, les rabbins talmudistes ont certainement préféré favoriser cette lecture consistant à assimiler le kérub biblique à un enfant (14) . Outre cette interprétation, il y a eu une tentative d’identification du kérub au gardien sacré. Cette herméneutique s’appuie sur les deux racines : karab , « défendre », et haram , « consacrer », d’où le sens de « gardien consacré » attribué au chérubin (15) . Il faut cependant admettre que l’étymologie reste incertaine (16) , puisque l’emploi de la racine krb n’est pas attesté dans les textes hébraïques.

Selon l’explication du Midrash sur Gn 3,24 (Gn R. XXI) (17) , les chérubins placés par Dieu à l’entrée du paradis terrestre sont des anges créés le troisième jour, n’ayant aucune forme définie. Ils apparaissaient tantôt comme des hommes, des femmes, des esprits, voire comme des êtres angéliques. Le Talmud les décrit parfois comme des êtres célestes appartenant à l’angéologie, parfois comme des messagers divins et parfois comme le couple d’anges sculptés qui gardaient l’arche de l’alliance (18) . Le texte hébraïque d’Enoch (ou 3 En 22,1.11) atteste que Kérubiel est le prince tout-puissant des chérubins. Il dispose d’un char fait de chérubins (19) . Kérubiel est en quelque sorte un ange et rejoint la conception du judaïsme qui voit dans le chérubin un ange.

Dans le Zohar (20) , livre d’exégèse ésotérique mystique de la Torah (Zohar II, [232a-b]), on nous fait savoir qu’on voyait des anges, des astres et des chérubins dans les cieux. Le bruit de leurs ailes servait de signal aux anges pour qu’ils commencent à entonner des hymnes et des cantiques à Dieu. Maïmonide, le philosophe juif du XII e siècle, évoque dans Yad, Yesodé ha-Torah II:7 , dix classes d’anges dont la neuvième place est occupée par les chérubins (21) . Il apparaît donc clairement que le chérubin est assimilé à un ange. Cette conclusion peut sembler banale au lecteur profane mais il ne faut pas oublier que la majorité des archéologues et de certains théologiens tendent à ranger le chérubin dans la catégorie d’une divinité mineure, et pas forcément dans la catégorie des anges.
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1.
Samson N’Taadjèl Kagmatché, Étude comparative entre les lamassu et les chérubins bibliques , Paris, L’Harmattan, 2011, 178 p.
2.
L’hébreu, l’araméen, l’akkadien et le grec.
3.
Jean Bottéro, Au commencement étaient les dieux , Paris, Hachette, 2008, p. 187.
4.
Kagmatché, Étude comparative , p. 63-93.
5.
Kagmatché, Étude comparative , p. 101-102.
6.
Kagmatché, Étude comparative , p. 109-129. Les textes bibliques d’Ez 1,10 et 10,14-15 suggèrent que certains chérubins avaient «  quatre faces » (Ez 1,6) , ar@ba`ah paniym : une d’ho mme, une de lion, une de bœuf et une d’aigle. Nous ne trouvons pas d’explication sur le fait que les chérubins d’Ezéchiel passent de deux à quatre têtes (une tétrade). Le prophète emploie qui signifie « face » au lieu de ‘varoh’ « la tête ». Le terme « face » est choisi par le prophète pour désigner l’être ou l’espèce en soi.
7.
Kagmatché, Étude comparative , p. 41-62.
8.
« Hagigah », 13b, note 5, dans Hebrew-English Edition of the Babylonian Talmud, TA'ANITH , sous dir. Rabbi Isidore Epstein, Londres, Soncino Press, 1990 ; « Sukkah », 5b, note 2, dans Babylonian Talmud , 1990.
9.
Michael Sokoloff, A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic , Ramat-Gan, Bar Ilan University Press, 1992, p. 513.
10.
« Sukkah », 5b, dans Babylonian Talmud , 1990.
11.
« Sukkah », 5b, dans Babylonian Talmud , 1990 ; « Hagigah », 13b, dans Babylonian Talmud , 1990.
12.
Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme , Paris, Cerf, 1993, p. 289 ; « Cherub », dans The New Encyclopedia of Judaism, New York, NYU Press, 2002, p. 163.
13.
Michael Sokoloff, A Dictionary of Jewish Babylonian Aramaic of the Talmudic and Geonic Periods , Baltimore/Londres, The John Hopkins University Press, 2002, col. 598.
14.
Johann Buxtorf, Lexicon, Chaldaicum, Talmudicum et Rabbinicum , New York, Georg Olms Verlag, 1977, col. 1084.
15.
H. Lesêtre, « Chérubin » dans Dictionnaire de la Bible, Tome 2, 1 re partie C, Paris, Letouzey et Ané, 1912, col. 659. Cette tentative de combiner karab et haram pour trouver la racine de chérub a été faite par Genenius, Thesaurus , Leipzig, 1840, p. 711.
16.
Tryggve N. Mettinger, « Cherubim » dans Dictionary of Deities and Demons in the Bible , sous dir. Karel Van Der Toorn, Bob Becking et Peter W. Van Der Horst, Leiden/Boston, Brill/Eerdmans, 1999², p. 189-192. Sur l’étymologie de chérubin, cf. Kagmatché, Étude comparative , p. 35-39.
17.
Harry Freedman, Misdrash Rabbah, Genesis I, Londres, Soncino Press, 1939, p. 177-178.
18.
« Cherubim », dans Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, p. 228.
19.
Hugo Odeberg, 3 Enoch of The Hebrew Book of Enoch , New York, KTAV Published House, 1973, p. 72 et 75.
20.
The Zohar II , Péqoudé, Londres/Jérusalem/New York, Soncino Press, 1970. Le Zohar est une œuvre majeure de la Kabbale datant du II e siècle de notre ère.
21.
Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, p. 289 ; « Cherub », New Encyclopedia , p. 163.

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