L’étude de la réception d’un texte biblique : sortir des sentiers battus de l’exégèse

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Introduction

L’exégèse biblique est-elle un travail de professionnel ? Dans un certain sens oui, car elle fait appel à des connaissances précises comme celles des langues anciennes (hébreu, grec, araméen…), à l’histoire et l’archéologie du Proche Orient Ancien, à la maîtrise des outils de la critique textuelle, et j’en oublie. Pour toutes ces raisons, l’exégèse biblique est sans nul doute un travail de spécialiste. De fait, le monde de l’exégèse biblique est parfois un peu étroit et les débats de spécialistes n’atteignent pas nécessairement le chrétien lambda. Pour autant, cela n’empêche pas le chrétien lambda, ni même le non-chrétien, tous deux non-spécialistes, de lire et d’interpréter la Bible pour en tirer quelque chose. Le chrétien cherchera à en tirer quelque chose d’édifiant pour sa vie de foi, le non-chrétien y cherchera sans doute autre chose. Mais tous deux sont lecteurs et interprètes de la Bible à leur façon. Tout ceci est le point de départ de la réflexion qui mène à l’étude de la réception d’un texte biblique.

La chose à dire en premier, et à répéter sans cesse, est la suivante : la méthode dite de « réception » d’un texte biblique ne cherche pas à savoir si les interprétations d’un texte donné sont justes ou fausses, bonnes ou mauvaises. La méthode de réception est d’abord et avant tout une tentative d’établir une carte, ou une photographie, des interprétations qui existent autour d’un texte donné. Cela veut dire que l’étude de la réception est d’abord une méthode descriptive, ce qui ne la rend pas ennuyeuse pour autant, nous le verrons. Dans un deuxième temps seulement, la méthode de réception sera analytique. En particulier, elle cherchera à déceler des tendances d’interprétation, à la fois dans le temps (évolution historique de l’interprétation d’un texte) et dans l’espace (différentes interprétations dans différents contextes).

Ce préambule étant posé, revenons sur l’établissement récent de la « réception » en tant que méthode et voyons en quoi cette méthode est intéressante. En premier lieu, nous nous attarderons sur des considérations historiques et de définition de la méthode. Ensuite, pour illustrer l’utilisation de cette méthode, nous verrons deux exemples : le premier concerne l’étude de la réception de Jérémie 31 (la nouvelle alliance) parmi les Juifs messianiques ; et le deuxième concernera Jérémie 4 (une vision post-apocalyptique) dans la musique post-rock du groupe Godspeed.

1) Présentation de la méthode dite de « réception » d’un texte biblique(1)

Historique et portée de la méthode

L’histoire de la réception n’est pas une approche nouvelle en soi. En fait, dès que nous prenons un commentaire pour préparer une étude biblique ou une prédication, nous sommes déjà en train de faire un travail de réception sur le texte puisqu’il s’agit de consulter l’interprétation de tel ou tel exégète (présent ou ancien) au sujet d’un texte donné. Lorsque que nous faisons cette démarche, nous mettons naturellement en perspective les interprétations des commentateurs avec notre situation présente et notre opinion personnelle vis-à-vis du texte étudié. C’est donc bien un travail d’étude de la réception, quoi que nous le pratiquions de façon inconsciente.

Comme le rappelle Susan Gillingham dans son étude sur la réception des Psaumes(2), cette méthode est étroitement liée à l'histoire de l’exégèse (Wirkungsgeschichte) telle qu’elle est définie par Gadamer(3). En cela, l’étude de la réception est proche de la méthode appelée l’herméneutique empirique (empirical hermeneutics)(4). Cette méthode met l’accent sur la réception du texte chez le lecteur « normal » et non chez le spécialiste ou l’érudit. En tant qu’approche centrée sur le lecteur (reader-oriented), l’herméneutique empirique, tout comme l’étude de la réception, s’intéresse à l’effet que produit le texte sur le lecteur, et aussi à l’usage (l’interprétation) que le lecteur peut en tirer dans son contexte propre(5).

De plus, l’étude de la réception s’attache à la forme finale du texte en tant qu’objet(6), les différentes variantes dans l’établissement du texte final étant considérées comme des étapes du processus de réception lui-même. L’étude de la réception, en tant que méthode, va plus loin que les approches historico-critiques traditionnelles en exégèse(7). Cette méthode contribue ainsi à désamorcer, du moins en partie, les débats liés à la critique historique puisqu’il ne s’agit plus de déterminer quelles sont les sources historiques à l’origine du texte, ni quel est le texte primitif par rapport à ses variantes, mais bien plutôt quel est l’effet que produit le texte final tel qu’il est « reçu », quelle que soit la forme adoptée.

Concrètement, l’étude de la réception prend généralement en compte les supports suivants :

- La réception du texte dans les commentaires (reception through exposition)

- La réception du texte dans les sermons (reception through instruction)

- La réception du texte dans la liturgie et les prières du culte (reception through liturgy)

- La réception du texte dans ses versions anciennes et modernes (reception through translation)

- La réception du texte dans les arts (reception through aesthetic)(8)

Au fond, ce qui est nouveau dans l’étude de la réception par rapport à la Wirkungsgeschichte, c’est à la fois l’élargissement de son usage et son établissement (ou sa tentative d’établissement) en tant que méthode à part entière. En effet, de nombreux chercheurs considèrent avec intérêt l’étude de la réception comme un moyen de dynamiser la recherche biblique par-delà les débats intra-muros du monde des spécialistes de l’exégèse. C’est du moins la position que défend William John Lyons, co-auteur avec Emma England du collectif Reception History and Biblical Studies: Theory and Practice(9). Je reprendrai ici quelques points clefs exposés dans cet ouvrage collectif.

Définition et usage de la méthode

En ce qui concerne la définition de la méthode, comme nous l’avons déjà dit, l’étude de la réception est avant tout une approche historique et descriptive qui cherche à mettre en lumière la façon dont un texte donné a été interprété au sein d’une communauté donnée, dans un contexte donné(10). Le point important à rappeler est que l’étude (ou l’histoire) de la réception ne concerne pas principalement l'exactitude de l’exégèse mais l’interprétation qui est faite du texte. Celle-ci peut être très éloignée du « sens premier » du texte. Et en principe, il n’appartient pas au chercheur de porter un jugement de valeur sur l’interprétation qui est donnée sur le texte par le groupe considéré(11). L’un des constats de base est que, dans notre contexte postmoderne, la Bible ou certaines de ses références peuvent tout à fait être utilisées indépendamment de leur contenu et message d’origine(12). La référence biblique devient alors simplement culturelle, ou bien est redéfinie par l’usage dans un autre contexte. C’est le cas, par exemple, dans la publicité ou les expressions de la vie courante. Ce sont ces différents contextes qui rendent possible et intéressante l’étude de la réception d’un texte biblique, comme le montre Lyons. Outre l’ouvrage collectif de référence déjà cité, Lyons a aussi publié un article exposant les motivations de son enthousiasme pour l’étude de la réception des textes bibliques(13).

Premièrement, il indique que l’étude de la réception ouvre un large champ de recherche sur les interactions qui existent entre un texte biblique, le contexte dans lequel il est reçu (ce qui inclut différents média), et les interprétations qui peuvent en résulter(14).

Deuxièmement, l’étude de la réception rend possible l’utilisation de différentes méthodes et la collaboration entre différentes disciplines en fonction du « lieu » de réception du texte(15). Par exemple, il sera possible de combiner exégèse et histoire de l’art ou musicologie, exégèse et méthodes empiriques des sciences sociales, etc. En ce sens, l’étude de la réception vise explicitement à sortir des sentiers battus de l’exégèse pour aller chercher le texte biblique là où il apparaît, dans d’autres contextes et sur d’autres supports que la Bible elle-même.

L’auteur souligne à quel point une telle ouverture est prometteuse en terme de possibilités de recherche pour l’avenir. Mais il souligne également quelques limites.

Limites de la méthode

La principale limite est que l’étude de la réception n’est pas (encore) une méthodologie en tant que telle, mais elle emprunte, potentiellement, les méthodes de plusieurs disciplines. C’est à la fois une force et une faiblesse argumente Lyons : une force car elle oblige le chercheur à faire preuve de créativité dans la combinaison des méthodes employées, et une faiblesse car la combinaison de méthodologies appartenant à des domaines de recherche spécifiques sera toujours discutable, à part si le chercheur est spécialiste dans plusieurs domaines(16). En cela, l’étude de la réception n’est pas (et ne sera peut-être pas) reconnue comme une méthodologie de recherche à part entière.

L’autre limite et potentielle critique se situe dans la nature même de l’étude de la réception en tant que méthode « orientée vers le lecteur » (reader-oriented). En cela, elle partage nécessairement les critiques liées à ce positionnement herméneutique, à savoir : le texte a-t-il un sens « objectif » en-dehors de l’interprétation/réception qui en est faite par celui qui le reçois ? Et par suite, peut-on considérer que toutes les interprétations se valent ? Sur ce point, Lyons se veut rassurant(17). Pourtant, cette question de fond demeure, en particulier dans l’usage que les chercheurs feront de cette méthode(18).

Après cette brève présentation théorique, je voudrais exposer dans la suite de cet article comment j’ai utilisé les principes de l’étude de la réception pour mon propre travail de recherche doctoral.

2) étude de la réception de Jérémie 31:31-34 chez les Juifs messianiques(19)

Perspective méthodologique de la recherche

Au tout début de mon processus de recherche, j’ai d’abord envisagé de faire l’étude de la réception de Jérémie 31:31-34 (la prophétie de la nouvelle alliance) à la fois dans l’exégèse chrétienne et dans l’exégèse juive, sans autre bordure temporelle. Ce type de sujet était bien évidemment trop large. J’ai donc décidé, en accord avec mes directeurs de recherche, de focaliser mon travail sur un champ très spécifique, à savoir celui de la réception de ce texte parmi les Juifs messianiques aujourd’hui. à l’inverse du premier sujet trop vaste, le second s’est trouvé tellement précis et restreint que j’ai rapidement manqué de sources. C’est alors qu’il a été décidé de mener une « enquête exégétique » auprès des Juifs messianiques en France, ainsi que leur réseau en Suisse et en Belgique.

Mon approche s’inscrivait donc dans une double perspective : d’une part définir avec les outils habituels de l’exégèse le sens « premier » du texte et, d’autre part, étudier comment ce texte est interprété/reçu dans un contexte donné, en l’occurrence celui de la communauté juive messianique contemporaine. La première étape exégétique a ensuite servi de base à l’établissement du questionnaire exégétique soumis à ceux qui se sont prêté à l’enquête. L’étude de la réception du texte de Jérémie était donc encadrée (guidée) par les résultats de l’exégèse. La dernière partie de mon travail consistait en une synthèse avec une mise en perspective comparative des résultats obtenus.

L’intérêt de la méthode pour l’étude de Jérémie 31:31-34

L’utilité de cette méthode est double selon moi : d’une part, dans une perspective de réception, l’étape exégétique permet de mettre en valeur la richesse du texte en montrant tout son potentiel de sens possible. La notion de potentialité est très intéressante. En effet, un texte peut avoir objectivement plusieurs sens possibles — et non pas forcément un seul comme on le souhaiterait parfois — et ce à cause de la polysémie des mots employés dans le texte, mais aussi en référence au contexte dans lequel ces mots sont employés. Cette notion de potentialité peut expliquer l’emphase ou bien la relégation de certains aspects du texte au fil du temps, ou dans différentes communautés, et c’est cette perspective qui fait en bonne partie l’intérêt d’une approche méthodologique en terme d’étude de la réception d’un texte biblique(20).

Pour faire simple, et pour illustrer seulement un point en ce qui concerne le texte de Jérémie 31:31-34 sur la nouvelle alliance : dans la première étape exégétique de mon étude, j’ai montré que cette prophétie était généralement interprété de façon binaire : soit en terme de discontinuité (plus ou moins radicale), soit en terme de continuité (plus ou moins radicale) entre la nouvelle et l’ancienne alliance. La discontinuité des alliances est établie principalement sur la base du vocabulaire employé dans ce texte(21), alors que la continuité des alliances fait davantage appel au contexte littéraire(22). Je n’entrerai pas dans les détails du débat exégétique dans cette contribution, il me suffira juste de dire, sur le plan méthodologique, que j’ai classifié ces différents éléments d’interprétation pour établir une sorte de schéma qui devait me servir de référence pour classer, par la suite, les interprétations juives messianiques que j’allais recueillir par mon enquête.

J’en viens au deuxième point qui fait l’intérêt principale d’une étude de la réception : c’est la position de neutralité (relative) que le chercheur se doit d’adopter vis-à-vis des interprétations qui sont données. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas dans l’étude de la réception d’établir si l’interprétation donnée est juste ou fausse, recevable ou non-recevable du point de vue de l’exégète. Il n’y a donc pas de raison de rejeter comme fausse ou non-pertinente une interprétation qui est donnée sur le texte(23). L’intérêt est de pouvoir ensuite faire une synthèse et présenter objectivement quelles sont les interprétations qui sont données de ce texte, en-dehors de toute considération de valeur. Cette position est très différente d’une approche qui viserait à faire l’inventaire des positions exprimées sur le texte pour pouvoir ensuite les critiquer ou déterminer laquelle est la bonne interprétation, rejetant ainsi toutes les autres. Dans l’étude de la réception, toutes les interprétations données sur le texte sont considérées comme… des interprétations ! Ce qui est intéressant dans cette perspective, c’est de pouvoir classer les différents types d’interprétations au sein de tendances exégétiques (c’est l’essentiel du travail) et tenter d’identifier ce qui peut expliquer les différentes tendances, en formulant des hypothèses liées au contexte de réception.

Pour illustrer à partir de mes travaux de recherche : c’est ainsi que j’ai pu souligner les différences d’interprétation qui existent entre le mouvement juif messianique américain — dont les auteurs récents défendent davantage la continuité alliancielle dans Jérémie — et le mouvement juif messianique en France — qui donne généralement une interprétation en terme de rupture et de nouveauté radicale de l’alliance en Jésus/Yéshua le Messie d’israël. Pour tenter d’expliquer ces deux schémas de réception différents, j’ai supposé des facteurs historiques et culturels : les Juifs messianiques en France n’évoluent pas dans le même contexte culturel que leurs coreligionnaires aux Etats-Unis ou en Israël, et de fait les enjeux identitaires ne sont pas les mêmes. De plus, historiquement, le mouvement juif messianique en France est lié au mouvement protestant évangélique d’où, peut-être en bonne partie, la coloration exégétique identique.

Dans le cas précis de l’étude de Jérémie 31 et la nouvelle alliance, le travail de réception que j’ai mené a permis de souligner la façon spécifique dont le mouvement juif messianique en France reçoit le texte de Jérémie 31 sur la nouvelle alliance, mais aussi la façon dont l’identité juive est mise en avant dans la réception de ce même texte. En cela, l’étude de la réception en tant que méthode a permis de faire le lien entre les options exégétiques et les positionnements identitaires.

Difficultés de mise en oeuvre et de validation de la méthode

Ceci étant dit, considérons maintenant les difficultés de mise en oeuvre de cette méthode.

En pratique, et sur le plan de l’intérêt méthodologique, il est vrai que toutes les réponses ne se valent pas. Pour exemple : si une personne interrogée sur le texte de Jérémie 31 se met à raconter son témoignage personnel ou se perd dans des considérations théologiques très éloignées du texte lui-même, cela représente un intérêt, mais lointain par rapport à l’étude exégétique du texte. Dans ce cas, méthodologiquement seulement, cette réponse sera « moins bonne » ou « moins utile » que celle d’une personne qui aura pris le temps de répondre aux questions Bible en main. Les résultats d’une telle étude seront toujours limités, et il faut en être conscient, sans que cela invalide la méthode en tant que telle.

Une autre difficulté inhérente à cette méthode est l’emploi de deux méthodologies pratiquement distinctes qu’il faut fusionner de façon « créative », comme cela a été dit plus haut. Ici, il s’agissait de combiner à la fois les outils d’exégèse d’un texte et les outils des sciences sociales. Mon parcours personnel me prédisposait à combiner ces méthodes différentes(24). Pour autant, la combinaison n’était pas forcément aisée dans la pratique. Le plus difficile était sans doute le fait de devoir maintenir les recherches et les résultats obtenus dans le cadre global d’un doctorat en exégèse de l’Ancien Testament.

J’en viens à la deuxième difficulté pratique, cette fois-ci non pas dans la mise en oeuvre mais dans l’évaluation des résultats. Comme cela a été dit plus haut, l’étude de la réception n’est pas une méthode à part entière, mais elle peut combiner plusieurs méthodes et déborder sur plusieurs disciplines, ici l’exégèse et les sciences sociales. C’est à la fois ce qui fait la force et la faiblesse de cette méthode : force car l’étude de la réception offre de nouvelles possibilités de recherche, mais faiblesse à cause du cloisonnement des disciplines.

Dans un cas comme le mien, comment parvenir à faire accepter à des spécialistes du texte biblique une étude qui touche à la fois à l’histoire, aux positionnements identitaires d’un groupe religieux, et à l’interprétation exégétique de la Bible ? Malgré des efforts de structuration de mon travail dans une perspective méthodologique cohérente, les difficultés d’acceptation de la méthode et les problèmes d’évaluations des résultats n’ont pas manqué(25). C’est donc là une limite lié à l’éclectisme de cette méthode.

En résumé, l’étude de la réception du texte de Jérémie 31:31-34 sur la nouvelle alliance m’a permis de mener une enquête originale sur le plan de la méthode utilisée en combinant exégèse et sciences religieuses. Les résultats obtenus, quoi que limités, permettent néanmoins au lecteur d’avoir une vue synthétique sur les positions interprétatives d’un mouvement encore jeune et relativement peu connu comme celui des Juifs messianiques. C’est bien grâce aux potentialités de la méthode d’étude (ou d’histoire) de la réception qu’un tel travail a pu être mené, avec les limites évoquées.

3) étude de la réception de Jérémie 4:23-27 dans un album du groupe Godspeed

Poursuivons sur un tout autre exemple pour illustrer la méthode d’étude de la réception. D’une certaine manière, on pourrait qualifier l’étude de la réception d’étude la Bible en dehors de la Bible !

Phase préliminaire au travail de réception

Voici comment une étude de réception peut commencer : il suffit d’être attentif aux références bibliques qui peuvent se présenter à nous sous différentes formes et sur différents supports de façon inattendue, du moins pour l’exégète. C’est la surprise de cette rencontre du texte biblique en-dehors de son contexte habituel qui éveillera chez l’exégète le désir d’en étudier la réception.

C’est ainsi que j’ai découvert un jour un texte biblique en hébreu gravé sur la pochette d’un album du groupe Godspeed You! Black Emperor(26). Au recto de la pochette, simplement les mots תֹהוּ וָבֹהוּ gravés en lettres rouges dorées sur fond noir, ni plus ni moins, et au verso de la pochette le texte en noir et blanc de Jérémie 4:23-27, en hébreu et en anglais.

« 23. Je regarde la terre, et voici qu’elle est informe et vide, vers les cieux, et leur lumière n’est plus. 24. Je regarde les montagnes, et voici qu’elles sont ébranlées, et toutes les collines chancellent. 25. Je regarde, et voici que l’homme n’est plus, et tous les oiseaux du ciel ont pris la fuite. 26. Je regarde, et voici le Carmel : c’est un désert, et toutes les villes sont abattues, devant l’Eternel, devant son ardente colère. 27. Car ainsi parle l’Eternel : tout le pays sera désolé, mais je ne l’exterminerai pas totalement. »(27)

Voilà une rencontre pour le moins inattendue d’un texte de Jérémie dont je me propose ici de faire succinctement l’étude de la réception dans le cadre méthodologique évoqué ci-dessus. Mais commençons par quelques considérations générales. L’étude de la réception de texte bibliques dans l’art, la musique et la pop-culture fait partie intégrante de l’histoire de la réception en tant que méthode, telle que nous l’avons présentée en introduction. Pour preuve, plusieurs articles dans les ouvrages collectifs de référence sont consacrés spécifiquement à des artistes ou des oeuvres musicales. On trouve, par exemple, des travaux de réception concernant des artistes comme Bob Dylan(28), Leonard Cohen, John Lennon, et des groupes comme U2 ou Depeche Mode(29). Chaque contribution s’attache à montrer comment le texte biblique, ou les thématiques issues de la Bible, sont employées par l’artiste ou le groupe dans leurs productions artistiques. Parfois la réception se limite à des références culturelles ou des clichés liés à l’univers biblique, parfois les références sont plus précises et ciblées. Voyons dans notre cas quel est l’effet recherché par le groupe Godspeed en faisant référence à cette prophétie de Jérémie 4.

Exégèse du texte de Jérémie 4 : une vision de dé-création

Pour ce faire, dans un premier temps, voyons de plus près ce texte avec l’oeil et les outils de l’exégète. Jérémie 4:23-27 n’est techniquement pas un texte difficile. Le texte hébreu ne présente pas de variantes majeures et il est, de fait, assez peu controversé. Disons même qu’il est assez peu commenté. Pourtant, c’est un texte qui ne manque pas d’intérêt.

Première remarque, ce texte de Jérémie est le seul à reproduire l’expression que l’on trouve au premier chapitre de la Genèse(30). Ce parallèle avec la Genèse n’a pas manqué d’interpeller certains commentateurs, notamment en comparaison avec le texte grec de la Septante qui ne contient que le mot οὐθέν (vide), d’où l’hypothèse que le texte supposé original ne contenait pas l’expression entière mais seulement תֹהוּ (tohou)(31). Dans ce cas, l’ajout de וָבֹהוּ serait une façon de renforcer, ou du moins de rendre explicite, le parallélisme avec la Genèse. Car même sans cela, le lecteur remarque aisément le parallèle dans les thèmes qui ressortent dans ce texte.

Deuxième remarque, en effet, le vocabulaire et les thèmes employés sont proches de ceux du récit de la Création : il est question de la terre et des montagnes, du ciel et de ses lumières, de l’homme et des animaux (ici seulement les oiseaux). Jérémie reprend donc les thèmes de la Création, mais l’accent est sensiblement différent du récit des origines du monde.

Dans la vision de Jérémie — et ce sera notre troisième et dernière remarque — le motif de la Création est inversé. La terre est de retour à son état de chaos primordial. Elle est (re)devenue « informe et vide », les montagnes qui sont posées sur les fondements du monde vacillent et chancellent, même les luminaires placés dans les cieux ne brillent plus. La vie a disparu, le ciel est vide et l’homme n’est plus. Jérémie voit en dernier le mont Carmel, autrefois luxuriant, désert et en ruine. Tout cela, dans le contexte de Jérémie, est la conséquence du jugement divin sur la terre et ses habitants, et plus précisément sur la terre promise et le peuple de Dieu, devenu stupide et insensé (voir verset 22). Pourtant, au verset 27, inclus dans la péricope citée sur la pochette, il subsiste un espoir puisque le Seigneur promet qu’il n’exterminera pas complètement le pays et ses habitants. L’image est donc celle d’une terre dévastée et vide, privée de vie et placée sous un ciel obscurci (verset 28). C’est le mouvement inverse du développement de la Création dans la Genèse où le chaos est progressivement ordonné, éclairé et peuplé. La vision de Jérémie est donc une vision de dé-création, point sur lequel la plupart des commentaires s’accordent. Voici un échantillon des sous-titres qui sont placés en en-tête de l’étude de cette péricope dans divers commentaires :

« A Vision of the Coming Destruction »(32), « A Vision of Chaos »(33), « Chaos Revisited »(34), « The Reversal of Creation »(35).

En résumé, ce texte est en quelque sorte la réception(36) — unique en son genre(37) — du récit de la Création chez le prophète Jérémie. Le prophète nous présente dans sa vision un retour au chaos primordial, une vision « post-apocalyptique » pour parler en termes modernes et anachroniques.

Présentation du groupe Godspeed et du courant post-rock

Pour faire le pont avec la partie suivante concernant l’analyse de la réception du texte de Jérémie 4, il sera utile de présenter brièvement la groupe qui fait référence à ce texte, ainsi que le courant musical auquel il se rattache.

Le groupe connu sous le nom de Godspeed You! Black Emperor (abrégé Godspeed) est un groupe canadien formé à Montréal en 1994 et diffusé par le label Constellation(38). Le groupe a été formé et conduit principalement par les deux guitaristes Mike Moya et Efrim Menuck. Le groupe peut comprendre jusqu’à neuf musiciens, alliant à la fois des instruments classiques (violons, violoncelle, guitares) et rock (guitares bass, batteries). C’est ce mélange expérimental qui a valu au groupe l’appellation « post-rock »(39).

La mouvance musicale dite « post-rock » se caractérise par des morceaux combinant à la fois musique électronique, instruments et rythmes inspirés du rock et instruments de la musique classique. La musique est donc essentiellement instrumentale, avec peu ou pas du tout de paroles. Les morceaux sont généralement longs (et leurs titres aussi !), avec de longues nappes musicales, proches de la musique d’ambiance ou des musiques de films. Mais le genre n’est pas seulement calme, il peut aussi culminer ou être entrecoupé par de vives « explosions »(40). Au final, ce qui différentie le style post-rock des autres formes du rock, c’est davantage l’emphase sur la narration musicale que sur le rythme entrainant.

Cela dit, le style post-rock reprend volontiers aux codes du rock son aspect provocateur et, d’une certaine façon, militant. Sans que cela soit officiellement affirmé dans le cas de Godspeed, le groupe affiche des positions anarchistes et altermondialistes de plus en plus évidentes avec le temps(41). Dans l’album qui nous intéresse, outre notre texte de Jérémie 4 sur la couverture, l’intérieur de la pochette nous présente la recette du cocktail Molotov… Autrement dit, à bon entendeur, la fin du monde ne viendra pas toute seule !

Effet esthétique du texte de Jérémie 4 pour l’album Slow Riot

N’étant pas un spécialiste en musique — ce qui limite de fait ma capacité d’étude de la réception musicale(42) — je me contenterai de retranscrire mon sentiment à l’écoute de cet album(43), combiné avec l’effet que produit l’apposition du texte de Jérémie 4.

Les deux morceaux qui composent l’album Slow Riot (Moya et BBF3)(44) s’enchaînent parfaitement pour former une unité musicale qui s’écoute d’une traite. Le voyage commence par de longues notes graves, puis les instruments s’ajoutent les uns aux autres et la tension monte crescendo, le rythme se faisant plus rapide et entrainant. Au tournant du premier mouvement intervient en arrière plan l’interview dans la rue d’un homme désabusé, anti-système et prêt à tout. Après sa tirade (son poème !), la musique reprend crescendo et culmine dans une apocalypse sonore avant de retomber soudainement, ne laissant que quelques notes de violon et les échos de voix lointaines fermer l’horizon crépusculaire de cette vision musicale. Ces quelques éléments de description suffisent à évoquer à quel point l’auditeur semble voir un paysage désolé, puis un monde chaotique finalement précipité dans un vague néant. Car c’est bien là l’impression qui ressort à l’écoute attentive de ce titre, une impression de vision post-apocalyptique(45).

En reprenant la pochette de l’album, et à la lumière de notre étude du passage de Jérémie 4, l’intérêt esthétique de la prophétie de Jérémie devient évident. Je l’ai dit, le genre post-rock est avare en paroles. C’est donc bien l’ambiance générale qui communique quelque chose. Le groupe Godspeed ne fait pas état de la foi (ou de la non-foi) de ses membres, ni de la valeur portée au texte biblique. En cela, la référence à ce texte est, et restera ambigüe.

Pour autant, et pour en terminer par là, nous remarquerons que le texte biblique choisi par le groupe pour servir d’illustration à la pochette de l’album colle tout à fait à l’esprit de la vision de dé-création exposée par le prophète Jérémie. En cela, la réception musicale qui est faite de ce texte précis par ce groupe précis est cohérente.

En résumé, le groupe Godspeed renforce l’intensité dramatique de sa musique en faisant appel à la vision non-moins dramatique du prophète Jérémie. Le texte prophétique est ici invoqué essentiellement pour des raisons esthétiques qui sont cohérentes avec l’interprétation même du texte.

En conclusion générale à cette contribution, j’espère avoir réussi à montrer les potentialités de cette méthode d’étude de la réception, et les potentialités sont nombreuses, comme mélanger les champs d’étude (exégèse et sciences religieuses, par exemple) ou étudier des textes hors de leur contexte biblique habituel (dans les médias, dans la culture pop, etc.). L’exégète évangélique trouvera dans cette méthode le moyen de dépasser les points de tension ou les blocages de l’exégèse classique centrée sur les sources du texte d’origine. Ici, c’est le texte « reçu », interprété, voir réinterprété qui sera l’objet d’étude, et ce sans perdre de vue le sens (ou les potentialités de sens) que ce texte avait dans son contexte biblique original. Autrement dit, l’exégète évangélique veillera attentivement au fait que ce n’est pas la réception finale qui donne son sens au texte, mais elle en révèle (ou elle en contrarie) les potentialités de sens. Ceci étant dit, je ne doute pas que les chercheurs et les étudiants en sciences bibliques sauront tirer partie de cette méthode de réception pour sortir des sentiers battus de l’exégèse et produire des travaux d’une ampleur nouvelle, pourquoi pas en travaillant en équipe avec des personnes spécialisées dans d’autres disciplines.

Bibliographie indicative pour aller plus loin

Relegere : Studies in Religion and Reception (https://relegere.org/relegere)

Journal of the Bible and Its Reception (JBR) (https://www.degruyter.com/journal/key/jbr/html)

Studies of the Bible and Its Reception (SBR) (https://www.degruyter.com/serial/sbr-b/html)

Encyclopaedia of the Bible and Its Reception, prévu en 30 volumes depuis 2009 chez De Gruyter (https://www.degruyter.com/database/ebr/html)

Michael Lieb, Emma Mason, Jonathan Robert (ed.), Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, Oxford University Press (2010)

William John Lyons, Emma England (ed.), Reception History and Biblical Studies: Theory and Practice, T&T Clark (2015).

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1.
Parce que l’étude de la réception n’est pas seulement l’étude d’un processus historique, quoi que la trajectoire interprétative d’un texte fasse partie intégrante de la méthode, nous préférons parler ici « d’étude de la réception » en tant que méthode plutôt que « d’histoire de la réception » (reception history) comme le font les auteurs anglo-saxons que nous allons citer par la suite.
2.
Susan Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », Revue des sciences religieuses 85 n°4 (2011), pp. 571-599. Consulté le 21 décembre 2021 : https://journals.openedition.org/rsr/1803.
3.
« Wirkungsgeschichte, as it has been applied in literature from the more philosophical use by Gadamer, is about the history of the impact of the text, from its earliest stages and through many interpretative processes. » Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », p. 571. Pour une présentation des liens entre l’histoire de la réception et les théories herméneutiques de Hans-Georg Gadamer (1900-2002), auteur de Wahrheit und Method (Vérité et méthode) paru en 1960, nous orientons le lecteur vers l’introduction de l’ouvrage de référence édité par Michael Lieb, Emma Mason et Jonathan Roberts : The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, Oxford: Oxford University Press, 2011, pp. 19 et suivantes.
4.
Cette approche est exposée et défendue par Hans de Wit dans l’ouvrage qui porte le nom de cette méthode. Cf. Hans de Wit, Empirical Hermeneutics, Interculturality, and Holy Scripture, Intercultural Biblical Hermeneutics Series, n°1 (Printemps 2012), Amsterdam: Foundation Dom Hélder Câmara / Vrije Universiteit Amsterdam, 2012.
5.
« We all view the Bible through the prism of our own geographical, ecological, historical, educational, linguistic, cultural, and religious backgrounds, and may fail to realize that members of every other language group do the same. » David J. Clark, « Linguistic and Cultural Influence on Interpretation in Translations of the Bible », in Lieb, Mason et Roberts : The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, p. 219.
6.
« Reception History is concerned with the text as a literary artefact » écrit Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », p. 572.
7.
« Reception History of the Hebrew Bible in essence starts where Historical Criticism ends – with the so-called ‘final form’ of the (Hebrew) text. », « Reception History is also closely related to Literary Criticism, also starting where Literary Criticism ends: it is closely related to ‘Reader-Response Criticism’, which is about the ‘effects’ of the text on the reader. » Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », p. 571.
8.
Cette classification est reprise d’après l’article de Gillingham. Elle ajoute pour le dernier point : « The fifth type is reception through aesthetic representation, and includes not only literary and poetic imitations, but also music, architecture and art. », « Every aesthetic representation illustrates the importance of reception beyond the vehicle of the ‘word’, conveying the message of a psalm in more imaginative or intuitive ways. » Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », pp. 573-574.
9.
William John Lyons et Emma England (ed.), Reception History and Biblical Studies: Theory and Practice, London, New York : Bloomsbury, 2015.
10.
« Reception history then is the study of the use, influence, and impact of the Bible. It focuses on the many ways in which individuals and communities throughout the centuries have understood and used biblical words, passages, events, characters and books. » Lyons et England (ed.), Reception History and Biblical Studies, p. 130.
11.
« It is not for the reception historian to determine right readings from false or wrong readings; the reception historian is only interested in articulating the different readings. » « In doing that the reception historian is searching for the effects and impact particular texts, books or even words have had on given specific communities. » Lyons et England (ed.), Reception History and Biblical Studies, pp. 132-133 (italiques ajoutées). C’est du moins la position qui doit être adoptée dans un premier temps, l’évaluation pouvant intervenir dans un second temps.
12.
Lyons et England (ed.), Reception History and Biblical Studies, p. 80.
13.
William John Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » fichier Pdf. Consulté le 21 décembre 2021. https://bibleinterp.arizona.edu/sites/bibleinterp.arizona.edu/files/docs/Lyons1.pdf. Pour compléter, voir aussi les deux articles : William John Lyons, « Hope for a Troubled Discipline? Contributions to New Testament Studies from Reception History », Journal for the Study of the New Testament, N°33 (2010), pp. 207-220, et Timothy Beal, « Reception History and Beyond: Toward the Cultural History of Scriptures », in Biblical Interpretation, N°19 (2011), pp. 357-372.
14.
L’auteur résume ainsi en trois points : « …biblical studies should in my view be re-defined as a pragmatic and contingent activity in which historically-located investigators—each acknowledged to have their own ideological make-up and background—attempt to understand empathetically the dynamics of a specific interaction (or series of interactions) between three elements:
- A biblical (or closely-related) text and/or such a text echoed in some other medium or product (down through the centuries)
- A complex, irreducible context; and
- A potentially diverse audience response. »
Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » p. 2.
15.
L’un des objectifs de l’étude de la réception, selon Lyons, est le suivant : « investigate the multiple echoes of such [biblical] texts found in other mediums or products. » Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » p. 2.
16.
« [Scholars] often (…) lack the skills necessary for studying the impact of biblical texts » et plus loin : « the expertise required is not part of the biblical scholar’s traditional training: art, politics, the media, popular culture, philosophy, economics, cultural studies, digital humanities, etc. » Pour palier à ce problème, Lyons insiste sur la possibilité d’un travail d’équipe interdisciplinaire : « cross-disciplinary collaborative ‘team’ working. » Et il conclut : « biblical scholars can become good enough to get the job done. » Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » respectivement pp. 2, 6 et 7 (italiques ajoutées).
17.
« Some will no doubt see this description as entailing an hermeneutical situation in which all interpretive scenarios are of equal value, a situation in which terms like ‘misunderstanding’ no longer have any real currency. This is mistaken, however. » Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » p. 5.
18.
Il suffit de lire certaines contributions du collectif The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible pour se rendre compte de la diversité d’approche possible. On lira par exemple des affirmations du type « Texts don’t mean. People mean with texts, (…). » in Lieb, Mason et Roberts : The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, p. 432.
19.
Les Juifs messianiques sont des Juifs qui croient que Jésus/Yéshua est le Messie d’Israël. Ils confessent une foi « chrétienne » (qui étymologiquement veut dire « messianique ») tout en conservant leur identité juive propre. Pour le lecteur intéressé par le mouvement juif messianique contemporain, et pour tout ce qui concerne les débats sur la définition des termes, je renvoie le lecteur à l’introduction de mon travail de thèse, accessible et lisible en français sur le site : https://www.messianicstudies.com/theses.html.
20.
Roberts illustre bien ce point dans son introduction : « Reception history also picks up this variety of meanings by showing us different individuals and groups seeing the same texts from different angles. » Jonathan Roberts, « Introduction », in Lieb, Mason et Roberts : The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, p. 22.
21.
C’est, entre autre, l’emploi unique de l’adjectif חֲדָשָׁה (nouvelle) en hébreu pour qualifier l’alliance qui sert à souligner la radicale nouveauté ou rupture envisagée par le prophète.
22.
Par exemple, les versets qui suivent dans le même chapitre font état de la permanence de la relation de Dieu avec son peuple.
23.
L’exégète, par déformation professionnelle sans doute, ne pourra s’empêcher de porter un jugement de valeur sur les interprétations données et chercher à en faire l’évaluation, j’évoquerai cela plus loin.
24.
J’ai été formé aux sciences sociales avant de faire mes études de théologie et de langues bibliques. J’avais même déjà eu l’occasion de mener une enquête sociologique dans le cadre de mon Master à la Sorbonne (Paris 1) sur la communauté juive ultra-orthodoxe appelée les haredim à Jérusalem en 2005.
25.
Au terme de mon étude, lors de ma soutenance de thèse, le jury était essentiellement constitué d’exégètes qui n’avaient que peu de chose à redire sur la méthode et les résultats de la partie empirique de mon travail. De fait, c’est surtout sur la partie exégétique et sur des questions de définitions que s’est concentrée la discussion. Il est certain que la présence d’au moins un universitaire Juif messianique et/ou d’un sociologue des religions aurait orienté le débat différemment. C’est toute la difficulté d’une méthode qui empiète sur plusieurs disciplines et qui, au fond, ne parvient pas à satisfaire pleinement les exigences de chaque spécialiste dans son propre domaine d’étude.
26.
Le titre complet de cet album — qui est en fait un EP (Extended Plays) de deux titres — est Slow Riot for New Zero Kanada, publié chez le label Constellation en 1999. Tout ce que le site officiel du groupe mentionne au sujet de l’album est ceci : « the hebrew lettering on cover says ‘tohu va vohu,’ a reference to biblical creationism. cf https://brainwashed.com/godspeed/music.html. Et en effet, l’hébraïste aguerri remarquera que la vocalisation de תֹהוּ וָבֹהוּ sur la pochette correspond à celle que l’on trouve en Genèse et non à celle du texte de Jérémie 4.
27.
D’après la version Segond révisée.
28.
Michael J. Gilmour, « Bob Dylan’s Bible », in Lieb, Mason et Roberts (ed.) : The Oxford Handbook of the Reception History of the Bible, chapitre 24, pp. 373-386.
29.
Voir les contributions suivantes dans le collectif édité par Lyons et England : Helen R. Jacobus, « The Story of Leonard Cohen’s ‘Who by Fire,’ a Prayer in the Cairon Genizah, Babylonian Astrology and Related Rabbinical Texts » ; William John Lyons, « ‘Time to cut him down to size?’ : A Critical Examination of Depeche Mode’s Alternative ‘John of Patmos’ » ; Michael J. Gilmour, « ‘God’, ‘God Part II’ and ‘God Part III’: Exploring the Anxiety of Influence in John Lennon, U2 and Larry Norman », respectivement les chapitres 14, 15 et 16 dans la section 5 « Bible, Reception and Popular Music », in Lyons et England (ed.), Reception History and Biblical Studies, aux pages 201-239.
30.
Genèse 1 verset 2 a וְהָאָ֗רֶץ הָיְתָה תֹ֙הוּ וָבֹ֔הוּ (et la terre était « informe et vide »). Les deux mots de l’expression se retrouvent de façon non-accolée dans Esaïe 34:11.
31.
Cf. Walter C. Kaiser et Tiberius Rata, Walking the Ancient Paths - A Commentary on Jeremiah, Bellingham (WA): Lexham Press 2019, p. 92 note 76 et Leslie C. Allen, Jeremiah, Old Testament Library, Louisville (KT): Westminster John Knox Press, 2008, p. 68 note d.
32.
Cf. Kaiser et Rata, Walking the Ancient Paths - A Commentary on Jeremiah, p. 91.
33.
Peter C. Craigie, Page H. Kelley et Joel F. Drinkard, Jeremiah 1-25, Word Biblical Commentary 26, Dallas (TX): Word Books, 1991, p. 80.
34.
Jack R. Lundbom, Jeremiah 1-20, Anchor Bible, New York: Anchor Bible, 1999, p. 356.
35.
Michael L. Brown, « Jeremiah », in Jeremiah - Ezekiel, The Expositor’s Bible Commentary, rev. ed., édité par Tremper Longman et David E. Garland, Grand Rapids (MI): Zondervan, 2010, p. 131.
36.
En effet, ce qu’on appelle habituellement « l’intertextualité » peut être considéré comme une forme de réception intra-biblique. Matthias Henze en donne la définition suivante : « By ‘inner-biblical interpretation’ I refer to the light that one biblical text shines onto another (…). The interpreting text may be far from the interpreted text, adjacent to it, or even within it. », « The Hebrew Bible is an interbranching network of relationships that connects distant texts and binds them to one another. », Matthias Henze, A Companion to Biblical Interpretation in Early Judaism, Grand Rapids, (MI): Eerdmans, 2012, p. 27.
37.
« Jeremiah’s vision of the creation returning to chaos is unparalleled in prophetic literature (…). » Jack R. Lundbom, Jeremiah 1-20, p. 356.
38.
Le lecteur pourra en apprendre davantage sur la discographie et l’historique du groupe sur le site officiel : https://brainwashed.com/godspeed/main.html.
39.
Le terme a été formalisé par le chroniqueur anglais Simon Reynolds au début des années 1990 et a ensuite fait son chemin pour désigner la mouvance du même nom. Voir l’article Cf. https://www.rocksbackpages.com/Library/Article/bark-psychosis-ihexi/. La scène canadienne indépendante a été très influente dans l’établissement de ce genre.
40.
Pour s’en convaincre, il suffira d’écouter l’album Those Who Tell the Truth Shall Die, Those Who Tell the Truth Shall Live Forever du groupe post-rock américain bien nommé Explosions in the Sky.
41.
On trouve par exemple dans l’avant-dernier album du groupe paru en 2017, le titre évocateur « Anthem for No State ». De plus, depuis cette date, le groupe publie avec chaque nouvel album une « déclaration d’intention » en demandant, par exemple, l’abolition du système carcéral, l’abolition des frontières, la fin de l’impérialisme sous toutes ses formes… Cf. https://faroutmagazine.co.uk/godspeed-you-black-emperor-to-release-new-album/.
42.
Pour nuancer cette limite, comme le souligne d’ailleurs Ibrahim Abraham dans son étude de la réception du groupe U2 : « (…) U2’s music is primarily consumed according to the genre norms of commercial rock’n roll; a secular cultural sphere emphasizing creative self-expression in which the precise meaning of lyrics is only of interest to a minority, and the fidelity of those lyrics with received scriptural or ecclesiastic authority of interest to an even smaller minority. » Ibrahim Abraham, « High, Low and In-Between: Reception History and the Sociology of Religion and Popular Music », in Lyons et England (ed.), Reception History and Biblical Studies, chapitre 17, p. 244 (italiques ajoutées). De fait, l’auteur souligne que les gens en général n’écoutent pas la musique pop pour ce qu’elle dit, du moins de prime abord. C’est d’abord pour l’effet esthétique ressenti que la musique est écoutée, et cela s’applique d’autant plus dans le genre post-rock où les paroles chantées sont quasi inexistantes.
43.
Je suis reconnaissant envers mon vieil ami Sebastien Climent, à l’époque stagiaire aux Inrockuptibles à Paris, de m’avoir fait découvrir cet album et ce genre musical en m’installant sur son canapé, en pressant lecture et en me laissant seul dans la pièce sans autre explication que cette phrase : « écoute ça et on en reparle dans 35mn ».
44.
Moya est le nom de l’un des artistes principaux et pour l’autre titre, tout ce que l’on peut trouver sur le site officiel du groupe dit ceci : « ‘bbf3’ stands for ‘Blaise Bailey Finnegan III,’ a variation on the name of former Iron Maiden vocalist, Blaze Bayley. » Cf https://brainwashed.com/godspeed/music.html. Ce mystérieux personnage a suscité bien davantage de commentaires en ligne que le non moins mystérieux texte de Jérémie 4 sur la pochette de l’album.
45.
On comprend ainsi que les expressions avec le préfixe « post » se complètent aisément : la musique « post » rock est ainsi tout à fait adaptée à décrire un monde « post » apocalyptique.

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