12 février 1797. Thomas Jefferson et les baleiniers de Dunkerque/Nantucket

publié le 12 February 2023 à 01h01 par José LONCKE

12 février 1797. Thomas Jefferson et les baleiniers de Dunkerque/Nantucket

Le 3 août 1784, le "Cérès" touche Le Havre. De ce navire marchand descend Thomas Jefferson. Le 6, il est à Paris.  Le rédacteur de la Déclaration d'indépendance (1776) et futur président des Etats-Unis (1801) sera ambassadeur en France jusqu'en 1789. Il s'échine à "fortifier les relations économiques" liées au traité de 1778.
De 1785 à 1788, Jefferson plaide la cause d'une communauté isolée sur un îlot perdu: les marins de Nantucket. Des as de la pêche à la baleine.

Les colons anglais, avec l’aide des Indiens, pêchent la baleine franche le long de leur côte. L’Île de Nantucket, peuplée par les Quakers, devient le grand centre spécialisé dans la pêche au cétacé.

3 août 1784. Thomas Jefferson et les baleiniers de Dunkerque/Nantucket

Dès 1712, les colons doivent pêcher aussi les cachalots dont  l’énor¬me mufle est rempli d’huile de qualité, le « spermaceti » pour les bougies et la lubrification des machines à vapeur, au siècle suivant. Les zones de pêche s’agrandissent des Açores à l’Argentine, puis à partir de 1790 au Pacifique, par le franchissement du Cap Horn.
Pendant la Révolution américaine, les Quakers de l’île de Nantucket, opposés à la guerre, se trouvent dans une position inconfortable.
Deux des bateaux de ces pacifismes convaincus eurent pourtant par accident un lien profond avec la guerre d’Indépendance des États-Unis.... C’est du « Dartmouth » que le thé fut jeté à Boston le 16 décembre 1773 : début de la révolte des colonies anglaises en Amérique. C’est le « Bedford » qui le premier porta les couleurs américaines le 3 février 1783...
Jefferson  livre alors aux ministres, Vergennes et à Calonne (contrôleur général des Finances) une analyse comparée des huiles de baleine ordinaires et spermaceti - on en tire des bougies "dont la limpidité résiste au froid le plus fort de l'hiver..." Et où veut-il en venir, avec ses bougies?  A ceci: les Anglais, désormais, taxent les denrées américaines au prix fort. C'est donc un appel au secours: sans la France, le Nantuckois est perdu. "Il lui faudra quitter ou sa pêche ou sa patrie. S'il quitte sa pêche, les rochers et les sables de Nantucket ne lui offrent d'autres ressources. S'il quitte sa patrie..."
Conclusion: Messieurs les Français, baissez vos taxes - et vous ne le regretterez pas. Au fil des lettres, il développe son argument massue: "Je dirais avec une certitude que je ne craindrais pas de voir démentir par l'événement, que dans le cas d'une guerre, ils deviendraient presque tous des corsaires sur les ennemis de la France. Des corsaires redoutables par leur position, leur pauvreté, leur adresse et leur haine..." Bref, en cas de guerre avec les anglais, il nous faut ces gens-là.

Et les Nantuckois, là-dedans?
45 familles s'installent à Dunkerque - tête de pont avec leur îlot. Certains armateurs comme William Rotch (1734-1828) s’installent à Dunkerque en 1786. 
William Rotch (4 oct 1734 à Nantucket-16 mai 1828)
Il se marie le 31 oct 1754 à Elisabeth Barney.

Ils introduisent la pêche à la baleine en France. En 1786, deux bâteaux et en 1793, pas moins de 40 bateaux sillonnent les mers en partance de Dunkerque pour la pêche à la baleine. 
Le 7 décembre 1788, Louis XVI accorde le monopole des "huiles de baleine et d'autres poissons" aux pêcheurs des Etats-Unis d'Amérique. Le 8 octobre, à bord du "Clermont", Jefferson quitte Le Havre.

En pleine Révolution, une délégation monte à Paris. Le 10 février 1791 : William et Benjamin Rotch et Jean Marcillac, présentèrent à l’Assemblée Nationale une pétition demandant le droit de ne pas porter les armes. Tête couverte
Ils sont reçus à l'Assemblée par Mirabeau. Ils annoncent alors la couleur: refus de porter la cocarde; refus de pavoiser leurs fenêtres les jours de fête patriotique; refus de prêter serment. Et le pompon: refus de prendre les armes. Hein? Quoi? Et quid des petits gars motivés "jusqu'à la haine"?

PÉTITION RESPECTUEUSE  des Amis de la Société chrétienne, appelés Quakers, prononcée à l'Assemblée Nationale, le jeudi 10 février 1791
...Vous savez qu'il existe dans plusieurs Etats de l'Europe et de l'Amérique Septentrionale, un grand nombre de Chrétiens connus sous le nom de Quakers, qui font profession de servir Dieu suivant l'antique simplicité de la primitive Église Chrétienne. Plusieurs Villes et Villages du Languedoc renferment nombre de familles attachées à ce Christianisme primitif. Plusieurs autres familles parties de l'Amérique sont venues s'établir à Dunkerque, sous les auspices de l'ancien Gouvernement ; elles y sont venues sur les invitations adressées aux Habitants de l'Ile de Nantucket, dans le but d'étendre les Pêcheries françaises.
Ces insulaires ont prouvé qu'ils méritaient vos bienfaits par leur succès, et le même zèle les portera à les mériter encore ; mais d'autres intérêts bien plus grands nous amènent aujourd'hui devant vous.
Dans le siècle où les lumières ont fait de rapides progrès, vous avez senti que la conscience, ce rapport immédiat de l'homme à son Créateur, ne pouvait pas être assujettie à la puissance des Hommes. Ce sentiment de justice vous a portés à décréter la liberté générale de tous les cultes. C'est un des plus beaux décrets de la Législation Françoise ; vous avez donné un grand exemple aux Nations qui persécutent encore les opinions religieuses, et nous espérons qu'elles le suivront tôt ou tard.
C'est cet esprit de justice que nous venons invoquer ici pour qu'on nous laisse suivre en paix quelques principes et quelques formes, auxquelles la grande famille des Amis, appelés Quakers, est restée inviolablement attachée depuis son origine.
Un de ces principes nous a vainement attiré de vives persécutions ; la Providence nous a donné la force de les surmonter sans user de violence : c'est celui qui nous défend de prendre les armes et de tuer les hommes sous aucun prétexte ; principe qui s'accorde avec les écritures saintes, Christ ayant dit - « Ne rendez pas le mal pour le mal, mais faites du bien à vos ennemis. »
Eh ! plût au Ciel que ce principe fût universellement adopté ! Tous les hommes ne faisant plus qu'une famille, ne seraient plus que des frères unis par la bienfaisance. Vous en êtes convaincus, vous, généreux François ; vous avez déjà commencé à le mettre en pratique ; vous avez juré de ne jamais souiller vos mains dans le sang pour des conquêtes. Ce pas vous conduit ... il conduit le monde entier, vers la paix universelle. Vous ne verrez donc pas avec des yeux d'ennemis les hommes qui l'accélèrent par leur exemple : ils ont prouvé dans la Pennsylvanie qu'on peut former, élever et soutenir de vastes établissements sans appareil militaire et sans verser le sang des humains.
Soumis à vos lois, nous ne vous demandons que de pouvoir être ici, comme ailleurs, les frères de tous les hommes, et de ne jamais armer nos mains contre aucuns. L'Angleterre et les Etats-Unis de l'Amérique, où nos frères sont beaucoup plus nombreux qu'en France, nous laissent suivre paisiblement ce grand principe de notre religion, sans nous regarder comme des membres inutiles à la Société. Il est encore une demande, et nous espérons que vous ne nous la refuserez pas, parce qu'elle découle des principes de justice auxquels vous rendez hommage...
....Telle est la pétition respectueuse que nos coeurs ont été excités à vous faire pour la paix de nos frères de France, et pour la prospérité d'une Patrie qui nous est chère. Nous espérons qu'au milieu de vos grands travaux pour régénérer cet Empire et multiplier les sources de son bonheur, vous étendrez sur nous et nos enfants votre justice et votre bienfaisance ; elles vous mériteront les récompenses du Créateur et l'affection des hommes vertueux.


Après enquête, l'Assemblée dira oui à toutes leurs revendications. En fait, les "redoutables corsaires" promis par Jefferson étaient des quakers purs et durs. Pendant la guerre d'Indépendance, déjà, les Nantuckois s'étaient refusé à tirer la moindre cartouche contre les Anglais. En opposant le credo spirituel de William Penn: la non-violence....

Ces familles ne demeurèrent pas très longtemps à Dunkerque, néanmoins William Savery, dans son journal, mentionne deux réunions de culte qui eurent lieu dans cette ville lors de son passage, le dimanche 12 février 1797.
Mais les États-Unis gardent un rôle prépondérant dans l’industrie baleinière avec, à certaines époques, plus de 600 navires sur les océans. Ils sont aidés par le gouvernement de Louis XVIII, comme le montre le succès de Jeremiah Winslow, apprenti de la famille Rotch, pêcheur en Atlantique Sud qui fait fortune au Havre.

Source :
Thomas Jefferson, par Claude Fohlen, Presses universitaires de Nancy.
L’Express, Yves  Stavridès , publié le 26/05/1994
http://www.lexpress.fr/informations/thomas-jefferson-et-les-baleiniers-de-nantucket_607455.html#tzOHeFjWQr8Tallw.99

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