Noël aux antipodes (par F. W. Boreham)
Noël n'arrive qu'une fois par an. En fait, il y a ceux qui doutent que, de ce côté du monde (hémisphère sud), cela arrive même aussi souvent que cela. Pour les gens qui ont été élevés dans la vieille Europe, et même pour ceux qui, par le biais d'une riche littérature, se sont imprégnés de l'esprit de la fête de Noël traditionnelle, un Noël au milieu de l'été doit toujours sembler un mélange étrange.
Robert Southey (1774-1843) affirme que, quelle que soit la durée de vie d'un homme, les vingt premières années de sa vie en seront toujours la plus grande moitié. En un sens, cette affirmation est fondée. « Les pensées de la jeunesse sont de très longues pensées ».
Les premières années de la vie attachent à nos cœurs des sentiments et des impressions qui domineront ensuite tous nos jours. Il y a un grand nombre d'Australiens qui, chaque fois qu'ils apercoivent le vieux Père Noël qui essuie la sueur de son front alors qu'il erre parmi les roses et les fraises d'un été des antipodes (Australie et Nouvelle Zélande), se sentent secrètement désolés pour lui. Il semble chercher des flocons de neige et des glaçons et ne trouver que des sorbets de glaces.
Tout Anglais établi en Australie et Nouvelle-Zélande porte dans son cœur une espérance tendre quoique frénétique. Il sait qu'elle ne pourra jamais se réaliser : les astres dans leurs cours se battent contre lui ; il ne fait que pleurer après la lune. Pourtant, même s'il lui est permis de passer une centaine d’étés sous ces cieux ensoleillés, il ne renoncera jamais tout à fait à cette illusion agréable et passionnée.
Chaque matin de Noël il se faufilera furtivement jusqu’à la fenêtre et lèvera les stores pour voir tout l'horizon rempli d’une nappe d'une blancheur éblouissante ! Il veut de la neige ; de la neige légère et flottante ; de la neige profonde et glissante; et, quelle que soit la durée de sa vie, pour lui Noël ne sera jamais Noël sans la neige.
I
C'est la veille de Noël. Dans l'hibiscus aux fleurs éclatantes qui ombrage mon sanctuaire en plein air, un merle chante un chant de Noël de son cru. Entouré d'une débauche de roses, de roses trémières, d'œillets, de phlox et de bégonias, je suis assis en bras de chemise avec mon journal étalé devant moi.
Bien que j'ai passé près de soixante Noëls sdans l’hémisphère sud, je ne me suis jamais complètement résigné à célébrer Noël au milieu de l'été et je ne me suis jamais tout à fait remis du choc que j'ai subi lorsque cette étrange expérience m'est arrivée pour la première fois.
Alors que nous approchions du premier Noël après notre mariage - mon deuxième Noël en Nouvelle-Zélande : le premier de ma femme - l'idée de passer la saison des fêtes avec pour chacun comme seule compagnie une autre personne qui a le mal du pays, devenait de plus en plus intolérable. Mais qui pourrions-nous inviter ?
On avait construit pour nous un presbytère sur un terrain vierge qui n'avait pas même été effleuré depuis le commencement du monde. Seth Draper, un solide Irlandais, avait proposé, par pure bonté d’âme, de le bêcher pour nous et la récolte de légumes qu'il avait tirée de la petite parcelle de terre était digne d'un conte de fées.
Seth était un grand homme à tous points de vue. Il mesurait bien un mètre quatre-vingts, il était large et massif en proportion. C'était un homme seul. Pendant de nombreuses années, il avait été le seul soutien de sa mère âgée et de sa sœur invalide. C’était un simple ouvrier agricole ; ses revenus n'étaient pas importants; la sœur l'avait engagé dans les frais de médecins et de pharmaciens; et le pauvre Seth sentit qu'avec des mains aussi chargées il devait endurcir son cœur contre l'idée de fonder un jour son propre foyer.
Il ne participait pas à la vie sociale de l'Eglise ou de la ville, et la plupart des gens le trouvaient morose, réservé et sombre. Il était cependant un fidèle participant de la réunion de prière du mardi soir.
Lors d’une de ces soirées, agissant sur une impulsion soudaine, je lui demandais de nous conduire au Trône de la Grâce. Ses yeux s’embuèrent. Est-ce que je le pensais vraiment digne de cela ? Mais Oui mais il pouvait ne pas le faire s'il le désirait. Et puis, au bout d’un moment, il demanda si je lui donnerai une semaine de plus pour y réfléchir ?
Ce fut une merveilleuse prière que Seth offrit la semaine suivante. Il semblait que la source profonde avait été captée ; et un cœur courageux et désintéressé livrait son trésor caché. Le don de Seth à cet égard devint notoire ; et les réunions de prière auxquelles il pouvait être amené à prendre part, étaient mémorables.
La mère et la sœur de Seth sont décédées à quelques semaines d'intervalle. Chaque fois que je voyais la porte de sa petite maison élégante ouverte le soir, je savais que Seth était chez lui, et je passais souvent à travers champs pour bavarder. Habile jardinier, il aimait parler de ses fleurs. Un soir d'été, vers la mi-décembre, j'emmenais la maîtresse du presbytère avec moi pour l'une de ces conversations.
Apitoyée par sa solitude, et saisie d'une inspiration soudaine, elle l'invita à venir au presbytère le jour de Noël pour partager notre dîner. Il parut content et accepta volontiers de venir. Mais le jour venu, il était plus taciturne qu’à l’accoutumée. Il s'occupa peu de la conversation, et nous fûmes à moitié désolés d'avoir amené à notre table un si triste invité.
II
Après le dîner, nous nous sommes allongés dans des chaises longues dans la véranda, profitant du soleil et de la crème aux fraises. Et puis, quand la maîtresse du presbytère se fut retirée pour s'occuper des affaires du ménage, il retrouva sa langue et me fit même sursauter.
Est-ce que je connaissais Elsie Hammond ? Bien sûr que oui ! Elsie était l'une des personnes les plus engagées de l'Eglise. Elle avait vécu une vie difficile dans sa jeunesse et cela l'avait marquée. Mais elle travaillait depuis des années chez un médecin ; ils étaient très gentils avec elle ; et elle en était venue à être considérée comme faisant partie intégrante du cabinet médical. N'ayant pas de maison à elle, elle avait fait de l'Eglise sa maison. Elle y mettait tout son cœur. Chaque fois que quelque chose de spécial devait être fait, nous nous tournions tous instinctivement vers Elsie. Tout le monde l'aimait, et je crois que n'importe laquelle des filles de sa classe de l’Ecole du Dimanche aurait donné sa vie pour elle. Est-ce que je connaissais Elsie ! Quelle question ! Mais pourquoi cette demande ?
Il me le dit. Il était seul. Sa mère et sa sœur étaient mortes, il n'avait rien ni personne à qui consacrer sa vie. Et curieusement, il pensait qu'Elsie était seule et il savait qu'elle était une bonne personne. Il ne lui avait jamais parlé, au-delà des simples mots formels de salutation. Il n'avait jamais rien eu à faire avec les femmes ; et il ne savait pas comment maintenant commencer. Et de toute façon, dans une petite localité comme Mosgiel, toit cela pouvait paraître étrange, et les gens allaient jaser ; et pour rien au monde il n’aurait voulu rendre Elsie mal à l’aise.
Je lui ai demandé s'il avait des raisons de supposer que son admiration pour Elsie était réciproque.
'Non', dit-il tristement, 'pas du tout. Un dimanche après-midi, il y a un mois ou deux, je montais la route et, regardant par-dessus mon épaule, j'ai vu Elsie arriver à une centaine de mètres derrière moi. Elle avait un autre des moniteurs avec elle. J'avais une capucine écarlate dans mon habit ; Je l'ai sorti et l'ai laissé tomber volontairement. Je me suis retourné pour voir si elle l'avait ramassé ; mais elle l'a seulement poussé dans le gazon sur le bord du chemin".
L'affaire n'avait certainement pas l'air prometteuse : mais, à sa demande pressante, j'entrepris de voir Elsie et de la sonder à ce sujet.
III
Pendant un jour ou deux, je me suis senti très perturbé et je me suis demandé comment diable je devais aborder ce thème délicat. Mais mon souci, comme la plupart des soucis, était tout à fait superflu.
Ma tâche a été rendue merveilleusement simple. Le dimanche suivant - le dernier jour de l’année, Elsie passa en fin de journée après l'Eglise. La douce mélodie du dernier chant trainaît encore dans nos mémoire :
Quel repos céleste, tu conduis mes pas
Tu me combles de tes richesses
Dans ton grand amour, chaque jour tu sauras
Déployer envers moi tes tendresses !
C'était une parfaite soirée d'été et, après avoir posé sa Bible, son sac à main et ses gants sur la table de la salle à manger, elle et la maîtresse du presbytère se dirigèrent vers le jardin pour contempler les roses.
J'étais fatigué après une dure journée, et je me suis jeté un instant sur le canapé. Distraitement, je tendis la main et pris la Bible d'Elsie. Comme je l'ouvrais, voici que parmi les pages se trouvait une capucine séchée ! J'ai vu ma chance.
Les dames revinrent ; l'une est allé chercher le souper, et je suis resté seul avec l'autre. Je lui ai tout de suite demandé de me parler de la capucine dans sa Bible. Sa confusion totale me dit tout ce que je voulais savoir.
"Elsie", dis-je, voyant qu'il était peu probable qu'elle parle, "Seth Draper a laissé tomber cette fleur ; vous l'avez poussée dans l'herbe au bord du chemin ; et ensuite vous êtes retournée, vous l'avez ramassée et séchée !"
Elle était stupéfaite de découvrir que je possédais la première moitié du secret. Pour la mettre à l'aise, j'ai dû lui dire comment l'information m'était parvenue.
Je ne peux pas me flatter d’avoir réussi dans ma tentative de la mettre tout à fait à l'aise.
Mais, quoi qu'il en soit, Seth et Elsie se sont mariés quelques mois plus tard.
Quand j'ai quitté Mosgiel, ils avaient une assez belle famille autour d'eux et, à ce jour, chaque fois que nos lettres néo-zélandaises contiennent une référence à l'un des Drapper, nos esprits sont projetés vers ce dîner de Noël dans notre presbytère de Mosgiel.
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Quelques mots sur l’auteur
Frank William Boreham (1871-1959) a été le prédicateur baptiste le plus connu de de son temps, en Nouvelle-Zélande, Australie et en Angleterre. Pendant sa jeunesse, Boreham a entendu le grand prédicateur américain Dwight L. Moody.
Boreham est devenu un prédicateur baptiste après sa conversion au christianisme alors qu'il travaillait à Londres. Boreham a été probablement le dernier étudiant reçu par Charles Spurgeon à son Pastor's College. Après l'obtention de son diplôme, Boreham a accepté un ministère à l'Eglise de Mosgiel, à Dunedin, en Nouvelle-Zélande, en mars 1895 et a commencé à écrire de façon prolifique, dans un premier temps pour le journal local. Il a ensuite été pasteur à Hobart, en Tasmanie, puis en Australie à Melbourne, à Armadale et à Kew. Il s'est théoriquement retiré en 1928 à l'âge de 57 ans, mais a continué à prêcher et à écrire.
Pendant la campagne d'évangélisation de Billy Graham en Australie au début de 1959, Graham a cherché a voulu avoir une rencontre avec Boreham pour lui dire sa reconnaissance personnelle pour ses écrits.
Boreham a écrit environ 3 000 éditoriaux parus dans le Hobart Mercury, chaque semaine pendant 47 ans entre 1912 et 1959. Il a publié 46 livres chez Epworth Press, le dernier "The Tide Comes In" en 1958, quelques mois seulement avant sa mort. Beaucoup de ces livres jouissent d’une renommée internationale.
Ces deux nouvelles sont extraites de son recueil de Noël : « My Christmas Book » (1953).