Noël, un regard de peintre
Nous vivons bien dans l’âge de l’image, des images souvent surabondantes, surexploitées et " sur-réelles ". Les unes crient plus fort que les autres, nous laissant sourds dans la cacophonie visuelle de notre ère multi-médiatique. Et pourtant, nous avons quand même un choix vaste et inouï grâce à la technologie d’aujourd’hui et un accès aux sources qui nous fait découvrir des merveilles. Justement, pour ce temps de Noël, je me réjouis de pouvoir jeter un regard aux œuvres de quelques peintres qui ont traité l’acte le plus humble, le plus courageux, le plus généreux, le plus joyeux de toute l’histoire, quand Dieu est venu parmi les hommes et devenu homme lui-même.
Commençons avec l’Annonciation peint par Fra Angelico (environ 1390 - 1455) un frère dominicain de Fiesole, près de Florence. Il nous montre le moment même de l’incarnation dans l’annonciation, ainsi que la raison pour ce miracle c’est-à-dire Adam et Eve conduits par un ange hors du jardin d’Eden. Le couple est habillé, montrant ainsi leur péché et leur honte. La plus grand importance est donnée à l’annonce de l’ange Gabriel devant Marie qui reçoit les nouvelles avec humilité et obéissance. Un rayon de lumière portant la colombe de l’Esprit Saint est dirigé vers Marie et l’image du Père est sculptée dans l’architecture de la loggia Renaissance. Un livre ouvert à l’intérieur symbolise la Parole de Dieu qui est aussi en train d’être incarnée. Ainsi toute la Trinité est présente dans le tableau, qui tente de rendre clair un message et une doctrine assez compliquée.
Presqu’un siècle auparavant, l’une des grandes inspirations artistiques de Fra Angelico était en train de réaliser un de ces nombreux chefs-d’œuvres monumentaux. Il s’agissait de Giotto travaillant des fresques de la chapelle Scrovegni à Arena.
Des fresques de Giotto figurent parmi les sommets de l’art chrétien et il aura une des plus grandes influences sur l’art européen. Il n’avait pas la connaissance technique de l’anatomie et de la perspective qui caractérisent les œuvres des peintres plus tard, mais il avait une bonne compréhension de l’émotion humaine, et ses peintures ont une force et une simplicité, un ensemble de qualités qui font de lui le premier grand artiste qui a rompu avec l’art byzantin et a inauguré la Renaissance. Dans la chapelle, une bande de tableaux carrés au milieu, basés sur les évangiles, et en premier, la Nativité, avec Marie couchée et en train de recevoir l’enfant Jésus des mains d’une sage-femme, qui, comme l’âne et le bœuf, ne figure pas dans le récit de l’évangile. Marie et le bébé sont abrités par une simple structure peinte en perspective et il y a un cercle formé autour d’eux par les louanges des anges, les bergers qui les regardent avec leurs brebis, Joseph, visiblement ému, agenouillé et en prière, ainsi que l’âne, le boeuf et la sage-femme. Les couleurs principales sont le jaune doré et le bleu sur un fond neutre (le lit ainsi que le rocher/montagne derrière). Les couleurs peintes à la fresque sont en bon état sauf pour le bleu azurite qui était appliqué à sec et qui se détache. L’ensemble fait une scène de tendresse, d’émerveillement et de joie.
On retrouve ces couleurs un peu plus loin dans le tableau de l’Adoration des Mages où la tradition des trois personnages (après les trois cadeaux) ainsi que le rajout de dromadaires sont employés. Un élément surprenant dans ce tableau est l’étoile qui resplendit au-dessus de l’étable et qui n’a pas la forme traditionnelle en pointe mais paraît plutôt une image réaliste de la comète de Halley qui apparut effectivement dans le ciel quelques années avant l’exécution des fresques. Un des rois est à genoux devant l’enfant Jésus en qui toute l’attention est concentrée sauf pour le jeune homme qui prend soin des dromadaires. Ce contraste sert à accentuer l’effet de la scène principale. Cette adoration est à la fois d’une calme simplicité et d’une forte intensité, un tableau qui contraste nettement avec notre prochain exemple.
Revenons à Fra Angelico qui, pour une autre version de l’Adoration de Mages, a collaboré avec Fra Filippo Lippi, un des plus importants peintre de Florence. Ce tableau est peint en tempera sur un panneau circulaire de 137,3cm de diamètre. L’image est complexe et de couleurs vives et les rois mages sont accompagnés par une foule, des gens de toutes les couches sociales qui viennent adorer le Roi des rois, célébrer cet événement glorieux. L’emploi de symboles marquent le passage d’une œuvre médiévale à une création de la Renaissance. Le premier plan, les pelouses avec petites fleurs ressemble beaucoup aux tapisseries médiévales et fait penser à l’Eden et au Paradis tandis que le magnifique paon bleu en haut représente l’immortalité. Les symboles de caractère Renaissance sont très différents, comme les ruines d’un édifice classique et l’étable intacte qui représentent la nouvelle foi chrétienne qui naît dans les ruines du paganisme. L’intérêt nouveau pour le monde, et pas seulement pour le ciel, est évident dans les nus sur le mur, le garçon qui s’occupe des fers à cheval et des selles du XVe siècle. L’illettrisme de l’époque rendait nécessaires des images compréhensibles par le plus grand nombre.
Et puis, pour terminer sur une interprétation plus récente de la nativité, j’ai découvert ce tableau d’un peintre américain du XIXe siècle, Julius Gari Melchers. Dans un style réaliste et humaniste, nous voyons Joseph contemplant l’enfant rayonnant et Marie allongée au sol à son côté dans un état d’épuisement - pas d’animaux, pas de mages ni bergers ni chœur d’anges - mais un sens du calme et du mystère, de la réflexion. Qu’est-ce qui s’est vraiment passé ? Qui va entrer par la porte ? Ils sont seuls, mais il y a l’enfant qui vient de naître…
Pat Berning
artiste