(Première page de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique)
Le 7 décembre 1787 marque le début de la ratification de la Constitution américaine de 1787 par les divers états qui la composent.
Cette constitution a été influencée par les puritains, notamment par le fait que les pouvoirs accordés aux uns sont toujours limités par ceux accordés aux autres. Cette méfiance envers les pouvoirs humains s’enracine dans la croyance biblique en la nature corrompue de l’homme.
Mais beaucoup d'autres choses peuvent être dites à cet égard... Voici quelques extraits d'une conférence de Sébastien Fath (Revue Réformée n°213, 2001/3, L’influence de Calvin aux États-Unis – Des Pères pèlerins à l’affaire Lewinski, III. Calvinisme, source d’inspiration de la démocratie américaine).
« … Cet apport du calvinisme à la démocratie s’est d’abord manifesté, à l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècle), par un accent puritain sur le concept de liberté civile, avec des hommes comme Roger Williams, Thomas Hooker, Samuel Hopkins (1721-1803).
… à leurs yeux, le citoyen n’est pas la « chose » du souverain, il a d’autant plus droit à des libertés garanties que le roi n’est pas d’une nature différente de la sienne: point de monarchie de droit divin dans le calvinisme, qui participe, avec le protestantisme dans son ensemble, d’une « désacralisation de l’autorité politique », conjointe à la « désacralisation de l’autorité religieuse » réalisée dans la contestation du catholicisme : il fait « émerger dans l’histoire du monde occidental un doute fondamental quant à l’origine divine de quelque autorité humaine que ce soi ». Le prince, pas plus que le pape, n’est infaillible ni « sacré » en tant que tel; le chrétien calviniste doit son entière allégeance à Dieu seul. Jean Calvin n’a-t-il pas très clairement spécifié, dans ses Institutions chrétiennes, que le sujet avait le droit (et le devoir) de désobéir à son souverain si ce dernier enfreint la loi de Dieu?
Cet accent sur les libertés civiles de chacun fut doublé très tôt, également, d’un grand degré de démocratie dans les assemblées.
Le calvinisme s’est, en effet, largement développé, aux Etats-Unis, sur la base d’une organisation d’Eglise que l’on appelle le congrégationalisme, qui revendique l’autonomie de décision de l’assemblée locale. Les baptistes, devenus, depuis la fin du XIXe siècle, la principale dénomination protestante des Etats-Unis, sont intégralement organisés sur ce principe, mais beaucoup d’autres dénominations protestantes, dont ceux que l’on a longtemps appelés, tout simplement, les « congrégationalistes », obéissent à ce même principe de fonctionnement.
Qui dit autonomie locale dit décision locale, assumée le plus souvent collectivement, sur la base d’un débat et de décisions collégiales. Dès le XVIIe siècle, les assemblées de type congrégationaliste qui se sont développées outre-Atlantique ont préparé le terrain à la démocratie. Elles ont, en quelque sorte, servi de laboratoire local à ce qui allait bientôt s’imposer sur le plan national.
D’autre part, on peut considérer que le chemin vers la démocratie doit beaucoup au Grand Réveil du XVIIIe siècle, où des prédicateurs très proches du calvinisme comme Jonathan Edwards et George Whitefield enflamment les foules de colons. Durant cette période, que certains historiens considèrent comme une quasi-répétition des événements de l’Indépendance, une véritable conscience nationale avant l’heure s’exprima, au travers des mouvements de conversions, affirmations de droit et de la volonté de chaque individu de faire les choix décisifs qui engagent sa vie devant Dieu. Les « états-majors » institutionnels des grandes Eglises (à commencer par l’anglicanisme) furent dépassés par le mouvement, tandis que l’accent du réveil porta sur les communautés locales et la libre décision de chaque croyant.
Promotion de l’individu, nivellement des hiérarchies autoritaires, diffusion aussi de la lecture (nécessaire pour s’approprier la Bible), pluralité de plus en plus grande des Eglises qui se réclament du protestantisme… tous ces ingrédients propres au Grand Réveil ont contribué à l’acclimatation précoce de la démocratie aux Etats-Unis.
Sur un plan plus théorique, il faut rappeler également l’importance des idées de John Locke (1632-1704) dans la maturation de la démocratie américaine chez des hommes comme George Washington ou Thomas Jefferson… D’où venait l’idée de Locke selon laquelle les humains étaient naturellement égaux, idée reproduite dans la Déclaration d’Indépendance américaine? Suivant ce que Locke déclara lui-même, il la trouva dans la Bible… John Locke avait reçu une éducation puritaine, calviniste, qui le marqua, en particulier dans ses théories politiques (cf. ses Lettres sur la tolérance, 1689).
Sa lecture de la Bible, dans la version King James, s’effectua dans ce climat. Son père avait été partisan d’Oliver Cromwell, maître d’œuvre de la première (et de la seule!) république anglaise. Locke en retint, notamment, l’idée du choix individuel (« le soin du salut de chacun n’appartient qu’à lui seul », écrivait-il dans ses Lettres sur la tolérance) et d’une Eglise définie comme une société libre et volontaire. Il fut aussi particulièrement sensible aux droits des individus: comme l’a souligné Stéphane Rials, les « Déclarations américaines (…) sont nettement plus soucieuses de garanties concrètes, notamment juridictionnelles, des droits que leur cadette française »42, écart attribué par l’auteur à une influence plus forte de John Locke outre-Atlantique.
Enfin, sans doute peut-on voir une dernière trace de l’héritage de Calvin, dans le modèle démocratique américain, sur le terrain de la justice. En plaçant chaque créature, chaque être humain face à ses responsabilités devant Dieu, sans le truchement d’une institution sacrée (comme dans le catholicisme)… le calvinisme a particulièrement favorisé le sens de la loi et l’affirmation du pouvoir judiciaire.
Nul n’est au-dessus des lois, chaque sujet, chaque citoyen est tenu d’agir selon la justice, dans le respect des règles, de l’éthique, de la morale. L’être humain doit mettre en conformité ses paroles et ses actes, quel que soit son rang, quelle que soit sa richesse.
Jean Calvin lui-même était juriste de formation. Peut-être en est-il resté quelque chose dans sa théologie et dans l’héritage politique qu’il a laissé derrière lui.
L’idée de lois fondamentales (fundamental laws) qui sont supérieures aux lois humaines est essentielle. Le rôle d’un gouvernement est d’élaborer une législation qui soit la plus proche possible des lois morales qui viennent de Dieu.
On retrouve la Cité de Dieu des puritains dans cette conception, qui apparaît dans la Déclaration d’indépendance sous la forme des « lois de la nature ». C’est au nom des lois fondamentales que le peuple américain s’est rebellé contre la couronne d’Angleterre: le peuple américain revendiquait son interprétation des lois fondamentales, divinement fondées, pour s’opposer à la loi anglaise considérée comme une loi humaine, faillible et injuste.
D’où également l’extraordinaire souci, aux Etats-Unis, des contre-pouvoirs. Pour éviter le détournement de la loi, l’abus d’autorité, de multiples instances interviennent, à tous les échelons politiques, afin de surveiller le juste fonctionnement du système… »