Pâques 1655. Pâques piémontaises (et Glorieuse rentrée)

publié le 21 April 2020 à 02h01 par José LONCKE

Au 17ème siècle, de plus en plus la politique générale de la Savoie est dictée par la France. Le grignotage des libertés protestantes par Louis XIV, mais également les guerres et la montée d'un absolutisme piémontais » sur le modèle français créèrent une ambiance lourde et propice à l'uniformisation.

En avril 1655, les vaudois subissent des dragonnades. A Pâques 1655, 40000 soldats, renforcés par les milices communales et commandés par le marquis de Pianezza, sont lancés tels des croisés sur les vallées vaudoises. L'occupation tourne rapidement au massacre au Pra-du-Tour, à Villar, à Bobbi, à Rora, à Prali : ce sont les Pâques piémontaises ».

Le 3 mai Pianezza célèbrait sa « victoire sur ces hérétiques et simples bergers idiots et faux monnayeurs, apostats et sorciers ».
Le gouverneur français de Pignerol, pourtant peu favorable aux protestants, alla jusqu'à accueillir les réfugiés dans le Val Pragelas. Sur place et bien tardivement un héros populaire, Josué Janavel, appela à la résistance. Mais ce n'est qu'un feu de paille. Le 10 mai 1655, le Val Germanasca tombe. Dans les vallées, le culte est supprimé.

Pâques 1655.  Pâques piémontaises (et Glorieuse rentrée)

Mais les vaudois vont être sauvés par la communauté internationale protestante, en premier lieu anglaise. Oliver Cromwell décrète un jeûne national en l'honneur des martyrs, John Milton écrit son 15ème sonnet ( Venge, ô Dieu, tes élus massacrés »).



On the Late Massacre in Piedmont

Avenge, O Lord, thy slaughtered Saints, whose bones
Lie scattered on the Alpine mountains cold;
Even them who kept thy truth so pure of old,
When all our fathers worshiped stocks and stones,

Forget not: in thy book record their groans
Who were thy sheep, and in their ancient fold
Slain by the bloody Piemontese, that rolled
Mother with infant down the rocks. Their moans
 
The vales redoubled to the hills, and they
To heaven. Their martyred blood and ashes sow
O'er all the Italian fields, where still doth sway

The triple Tyrant; that from these may grow
A hundredfold, who, having learnt thy way,
Early may fly the Babylonian woe.

Sur le récent massacre en Piémont
Venge, O Seigneur, tes élus massacrés, dont les os
Gisent épars sur les flancs glacés des Alpes,
Et ceux qui depuis toujours ont gardé intacte leur foi
Quand nos pères vénéraient tous des bâtons et des pierres°,

Ne les oublie pas : recueille dans ton livre° leurs gémissements
Eux qui furent tes brebis et dans leur centenaire enclos
Abattus par les sanglants Piémontais qui firent dévaler
La mère et son enfant jusqu’en bas des rochers. Leurs plaintes,

Les vallons les ont renvoyées aux collines, puis celles-ci
Au Ciel. Le sang et la cendre des martyrs, sème-les
Par tous les champs d’Italie°, où règne toujours

Le triple Tyran° : afin que cent fois plus nombreux
Ils en renaissent, alors instruits de tes voies ceux-ci
Plus tôt pourront fuir Babylone et ses malheurs.


Traduit de l’anglais par Maxime Durisotti
° « stocks and stones » : l’expression désigne idiomatiquement les fausses idoles, de bois ou de pierre.
° « ton livre » : le livre du jugement.
° Cf. « Le sang des martyrs est la semence des chrétiens. » Tertullien.
° « triple tyran » : le Pape, dont la tiare est composée d’une triple couronne.



Le Danemark, la Hollande, Berne, Genève, protestent et un flot de pamphlets et d'estampes anti-savoyardes envahit l'Europe. Londres envoie à Turin un ambassadeur extraordinaire, sir Samuel Morland, auteur de "The History of the Evangelical Churches of the valleys of Piedmont" (Londres, 1655).
La France s'en mêle ensuite. Mazarin s'émeut de ce tapage, qui touche ses alliés protestants, surtout lorsque la résistance locale reprend des forces avec Janavel et des officiers huguenots français. Le comte de Marolles néanmoins continuent ses exactions sur place, Janavel est blessé, son lieutenant Jahier tué.

L'ambassadeur de France à Turin pousse à la paix. Le jeune duc Charles-Emmanuel II accorde alors des "patentes de grâce" et un pardon général.

Une assemblée de barbes vaudois se réunit du 6 au 16 février 1664 à Roccafiero (Envers Villar) pour ratifier la « Patente de Turin » obtenue de Charles-Emmanuel II de Savoie après l’intervention d’ambassadeurs suisses. Le texte, validé par le Duc de Savoie le 24 février, comporte plusieurs inconvénients, en particulier parce qu'il exige l'exil de Josué Janavel et l'interdiction du culte à St Jean, mais en échange, la liberté de culte est maintenue aux anciennes Églises des Vallées, comme dans les précédents traités, en particulier la Paix de Cavour. La Patente apporta vingt années de paix après 10 ans de persécutions continuelles de 1655 à 1665.
       

Dans le pays de Gex français, l'édit de Nantes est suspendu dès 1662. Les protestants de Savoie savent que les temps difficiles approchent. En 1685, après l'édit de Fontainebleau qui révoque l'édit de Nantes, de nombreux huguenots français fuient vers Genève par la Savoie. Louis XIV exige que le duc les arrête. Victor-Amédée hésite devant des mesures trop coercitives. Dès janvier 1686, on en arrête à Aiguebellette. 250 huguenots de l'Oisans sont néanmoins arrêtés en Maurienne en mai 1686 et livrés aux Français ; trois seront exécutés. D'autres sont arrêtés à Chapareillan en 1687. Genève même craint alors pour son indépendance. Pourtant des conversions au protestantisme se poursuivent jusqu'en 1686 dans les bailliages.
Mais le duc de Savoie préfère céder à la pression française et à la menace des dragons de Catinat à la frontière : le 31 janvier 1686, il interdit le protestantisme dans ses Etats.


Mais sur place le pasteur Henri Arnaud,du Diois, exaltant le passé vaudois, les prophéties de l'Apocalypse, enflamment les esprits et dès mars 1686 pousse à la révolte. En avril-mai 1686, les troupes franco-savoyardes dirigées par Catinat et Gabriel de Savoie écrasent les vaudois et font peut-être 2000 morts et 8500 prisonniers.
Que faire des récalcitrants ? Un premier édit ducal (9 avril 1686) envisage le bannissement, mais les vaudois refusent de partir. Un deuxième (janvier 1687) est obtenu grâce à une médiation suisse : 2700 personnes (moins les pasteurs) sont autorisées à passer en Suisse, et de là à gagner l'Allemagne ou l'Ecosse. Assimilée à une nouvelle sortie d'Egypte », cette expédition par le Val Suse et le Mont Cenis permet à 2490 personnes sous la conduite d'Henri Arnaud, d'atteindre Genève (G.Audisio), puis de là d'autres refuges.

Dans la nuit du 16 août 1689 au  17 août 1689, la Glorieuse rentrée, pensée par Josué Janavel et dirigée par le pasteur Henri Arnaud mène 900 combattants de Genève aux vallées vaudoises par les cols et les crêtes, grâce à un renversement d'alliance, le Duc de Savoie ayant rejoint la Ligue d'Ausbourg.

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