En suivant la réflexion menée depuis quelques décennies par les missions œuvrant au loin, il est nécessaire d’adopter une approche missiologique pour la communication de l’Évangile dans notre contexte français contemporain. Pour bien comprendre cette affirmation, il est certainement utile de rappeler le sens de la mission telle qu’un spécialiste le définit :
« La mission implique le franchissement de barrières linguistiques, sociales, culturelles et religieuses, mais surtout de la barrière entre la foi et l’absence de foi, par une communication intégrale et transculturelle de l’Évangile […] La mission est communication incarnée et contextualisée »(1).
La plus importante barrière à franchir aujourd’hui en France, me semble-t-il, est celle de la plausibilité. J’imagine un jeune actif qui décide de réfléchir à sa vie : quels choix adopter pour bien mener sa vie ? Pendant toute une matinée, il liste toutes les options : un engagement politique (quel parti ?), un engagement associatif (quelle cause soutenir ?), une ambition professionnelle (grimper jusqu’où dans les échelons ?), une famille (quel profil d’épouse dans un premier temps ?), un voyage autour du monde (comment le financer ?), les loisirs, le sport et ainsi de suite.
Mais au bout de ses réflexions, trouverions-nous la mention du christianisme ? Être chrétien n’est même pas à l’ordre du jour. Notre toute première tâche est, par conséquent, de faire rentrer le christianisme dans le champ du possible.
Cela demande la réflexion, la prière et l’analyse de notre société(2). Il ne suffit pas de proposer des recettes toutes faites : il faut chercher à identifier quelques éléments constitutifs de la mission aujourd’hui dans le contexte européen contemporain, devenu peut-être un des champs de mission les plus difficiles dans le monde. À l’occasion de voyages en tant que secrétaire général des GBU, et de contacts avec les mouvements équivalents dans le monde entier, j’ai pu constater combien les contextes, l’histoire et les représentations mentales diffèrent de pays en pays. Cela ne sert à rien de lorgner du côté de l’Afrique, de la Corée, de l’Amérique latine, voire de l’Amérique du nord, où on a parfois l’impression que l’évangélisation va plus vite. Il s’agit bien entendu de contextes bien différents du nôtre.
Comment toucher les Français de souche, les Gaulois ? Les pistes que je propose ici me semblent tout à fait pertinentes pour la France. En quelque sorte, j’aimerais nous rassurer : ces propositions me paraissent à la fois conformes aux Écritures et adaptées à notre contexte, et nous permettront de vivre la mission de tout cœur et sans état d’âme.
QUATRE CONVICTIONS SUR L’ÉVANGÉLISATION DANS LE CONTEXTE CONTEMPORAIN
I - L’évangélisation est un processus
En France – et ce n’est pas un scoop – nos concitoyens vivent dans une ignorance quasi totale de la foi chrétienne. L’expression « inculture religieuse » est souvent employée pour désigner cette situation.
Il faut donc privilégier des moyens d’évangélisation qui permettent aux chrétiens d’expliquer leur foi peu à peu, de façon progressive. Le parcours Alpha, l’outil Passerelles vers Dieu ont été conçus dans ce sens. Il faut donner le temps au temps puisque nos interlocuteurs sont si loin de notre vision chrétienne du monde.
À Lille, un syndicat étudiant a découvert l’existence du GBU et notre base doctrinale. Ils ont posté le commentaire suivant sur leur site :
« Le syndicat est content d’apprendre qu’il est coupable devant le bon dieu, car c’est le seul qui manquait à sa collection. Nous étions au courant pour les Elohims de Raël, et pour la dianétique de Ron Hubbard et de Tom Cruise… Non à l’obscurantisme. Sectes hors des Universités ! ».
D’un revers de main, voilà éliminé un point doctrinal que toutes les branches du christianisme enseignent depuis 2000 ans.
Cependant, pas de panique ! La plupart des chrétiens, la grande majorité des « missionnaires » depuis vingt siècles ont connu cette situation. Paul a déclaré qu’il était « chargé d’instruire les païens dans la foi et la vérité » (1 Tm 2.7), et j’ai du mal à croire qu’il s’agissait uniquement des païens convertis. Quand on examine la pratique de Paul, on découvre qu’il a enseigné les païens pendant dix-huit mois à Corinthe (Ac 18.11), puis pendant trois mois à la synagogue d’Éphèse avant d’enseigner dans les locaux de l’école de Tyrannus (Ac 19.8-10). Paul se donne donc à l’enseignement, mais il ne faut pas comprendre ce terme uniquement dans le sens de l’édification des chrétiens. Dans le livre des Actes en tout cas, l’enseignement inclut clairement l’évangélisation. Par deux fois, les autorités ont cherché à interdire « l’enseignement » des apôtres à Jérusalem (Ac 4.18 et Ac 5.28), mais lorsque l’on examine le contenu de cet enseignement, nous lisons qu’« Il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » (4.12) et que « Dieu a élevé Jésus par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la repentance et le pardon des péchés » (5.31).
II - L’évangélisation se fait mieux dans un cadre relationnel
Tout le monde sait que le Français est méfiant par nature. Au point d’ajouter un 11ème commandement : « Méfie-toi ». On peut le comprendre. Si je vois quelqu’un qui fait du stop, ma première réaction est de poursuivre mon chemin de crainte d’être égorgé ou pire. Mais si je vois mon voisin faire du stop, je m’arrête pour le prendre, tout en lui disant « Mais qu’est-ce qui t’arrive ? » Quand on connaît quelqu’un depuis un certain temps, on commence à lui faire confiance. Comme une de nos voisines qui nous avait confié qu’elle nous observait depuis plusieurs années, et qu’elle osait maintenant nous confier sa fille chaque midi en période scolaire puisque les parents travaillaient loin de la maison.
Dans mon livre Une Église pour aujourd’hui (p. 89), je cite les résultats d’un sondage. En réponse à la question : « Quels ont été les facteurs déterminants de votre conversion ? », on a enregistré les chiffres suivants :
3-8% par sa propre recherche spirituelle
4-10% par les activités régulières de l’église
3-6% par l’école du dimanche
3-6% par le pasteur
60-80% par le témoignage d’amis/collègues/famille.
Cela se passe de commentaire.
III - L’évangélisation est favorisée par la visibilité dans l’espace public
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée […] Que votre lumière luise ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5.14,16). Jésus l’affirme dès le début de son ministère, pendant son célèbre sermon sur la montagne.
Les récits dans le livre des Actes confirment que les premiers responsables chrétiens tenaient à être présents dans la vie publique, et Luc raconte à plusieurs reprises de quelle façon les autorités ont réagi suite à l’annonce de l’Évangile. À Philippes, Paul et Silas insistent pour que les magistrats viennent les libérer publiquement, afin de protéger la suite de l’implantation de l’Église dans cette localité (Ac 16). À Éphèse, le secrétaire de la ville rappelle à ses concitoyens qu’il faut utiliser les procédures normales de la loi si les chrétiens méritent vraiment la réprobation (Ac 19). À Jérusalem, Paul demande s’il est permis de battre de verges un citoyen romain : il insiste donc sur ses droits (Ac 22). Félix accorde une certaine liberté à Paul (Ac 24), Festus est très contrarié parce que Paul en a appelé à César mais il ne sait pas quel chef d’accusation indiquer (Ac 25) – sous-entendu que Paul n’a rien fait pour mériter son emprisonnement – ce que confirme Agrippa (Ac 26).
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