Pasteurs et autres responsables d’Église sont en quelque sorte des spécialistes en ce qui concerne la grâce. C’est leur message, leur appel, leur vie. Pourtant, je me demande si nous qui la prêchons aux autres, l’avons vraiment bien compris nous-mêmes ? Peut-être que notre compréhension est théologiquement tout à fait correcte, mais comme la preuve d’un gâteau est dans le goûter, la vérité de la grâce est dans le vécu. Est-ce que nous la vivons, pleinement ? Dans notre marche avec le Seigneur ? Dans le service qu’il nous a confié ?
Pour ma part, je dois avouer que la grâce continue à me surprendre, et que j’ai encore beaucoup à apprendre. Elle m’invite à réfléchir, et à me remettre en cause. Sa simplicité profonde, ses exigences, ses bienfaits, et ses mystères sont toujours à découvrir à nouveau. Je suis persuadé qu’il faut la mettre au cœur du ministère, pastoral ou autre. Voici, donc, quelques réflexions sur le pasteur (ou n’importe quel serviteur dans le royaume de Dieu) et la grâce.
Quelle grâce pour « pasteur Paul » ?
Pour commencer, je veux m’attarder sur un passage très connu, écrit par un « pasteur apostolique » dans le passé. Selon lui, la grâce est toujours suffisante. Je fais allusion, bien évidemment, à Paul. Dans la deuxième épître aux Corinthiens, il ouvre une fenêtre sur le côté difficile de son ministère, sur ses souffrances, sur ses luttes intérieures. Dans ce contexte, il parle à plusieurs reprises de la grâce, charis, et d’une grâce donnée, charisma.
Selon le chapitre 12, verset 7, le Seigneur lui-même « avait mis une écharde dans sa chair », après avoir vécu des expériences spirituelles tout à fait remarquables.
Mis à mal par cette « écharde », il supplie le Seigneur de l’enlever, mais la réponse est tout autre. « Ma grâce te suffira » (v. 9).
Plusieurs questions se posent.
D’abord : qu’est-ce que cette « écharde dans la chair » ?
Une maladie grave, comme on l’entend souvent dire par des exégètes ?
Une situation difficile que Paul n’arrive pas à maîtriser et qui continue de mettre en échec son travail pastoral ? Peut-être les problèmes dans l’Église de Corinthe qu’il n’arrive pas à résoudre ?
Est-ce que « l’écharde » fait allusion à un ou plusieurs adversaires, peut-être les personnes à Corinthe qui se disaient apôtre et qui mettaient en cause le ministère de Paul ? En Nombres 33.55, le même mot est utilisé pour décrire les Cananéens qui vont se dresser contre les Israélites.
Paul ajoute que l’écharde était « un ange de Satan ». S’agissait-il d’une oppression démoniaque ? D’une opposition humaine d’inspiration diabolique ? Dans la Bible, « Satan » peut aussi désigner un adversaire humain, tel Pierre, qui contrecarrait le plan de Dieu. Jésus l’a repris sévèrement, en lui disant : « derrière moi, Satan ».
Quelle que soit la nature de la souffrance que Paul devait subir, il est clair qu’il y voyait la main de Dieu. Ayant lutté avec la question que chaque croyant se pose dans des situations pareilles, « pourquoi Seigneur ? », il a fini par comprendre la finalité : « Afin que je ne sois pas enflé d’orgueil ». Un raisonnement dont le langage sort directement des Psaumes (cf. Ps 86, 145, 146). Je m’imagine qu’il les a médités longuement.
Ce n’est pas tout. Le Seigneur lui a fait comprendre que sa grâce va lui suffire. Paul s’accroche à cette promesse. Cela nous amène au sujet de notre réflexion. Le pasteur, en l’occurrence pasteur Paul, et la grâce.
Question : comment la grâce permet-elle de supporter cette « écharde dans la chair » ? La réponse dépend de ce que nous entendons par « grâce » dans ce cas précis.
S’agit-il là de la disposition de cœur de Dieu ? De sa bienveillance envers Paul ?
Une présence intensifiée de son Esprit, peut-être ?
Ou devrions-nous penser à quelque chose que Dieu nous a donnée ? Une parole inspirée ? Par exemple, la promesse que le Seigneur mettra un terme à l’épreuve, dans l’avenir proche, ou dans un avenir lointain ?
Au chapitre 1 de la même épître, il témoigne d’une grâce inopinée, que lui et son équipe venaient de vivre : « Nous avons été accablés à l’extrême, au-delà de nos forces, de telle sorte que nous désespérions même de conserver la vie ». Quand tout semblait être perdu, le Seigneur leur a fait la grâce de la délivrance. Cette expérience est source de réconfort : « Oui, nous espérons qu’il nous délivrera encore » (v.8-11). Est-ce que Paul compte sur une grâce pareille, au dernier moment ?
Une autre possibilité est qu’il s’agit d’une grâce particulière, un charisme.
Si tel est le cas, quel charisme ?
Celui de la faiblesse ?
Celui de ne pas douter de la fidélité de Dieu, ni de sa bonté, ni de son amour, tel Job dans son épreuve ?
Celui de pouvoir louer le Seigneur, malgré les circonstances ?
Celui de comprendre pourquoi Dieu n’a pas exaucé sa prière ?
Celui d’être en paix dans la tourmente, comme le Seigneur dans la barque pendant la tempête ?
Celui de pouvoir supporter la douleur ?
Celui de pouvoir supporter la contestation, la mise en cause de son ministère ?
Celui de pouvoir endurer la persécution, dans le pire des cas jusqu’au martyre ?
Ou bien, le charisme de la faiblesse, qui devient notre force quand nous renonçons à tout usage de force humaine ? Comme Jésus s’est rendu vulnérable, jusqu’à se soumettre à l’opprobre de la croix ?
Un sujet vaste et varié
Que de questions, et que d’options possibles ! Je ne vais pas trancher pour une réponse ou une autre. Chaque option est imaginable. Les unes n’excluent pas les autres.
Je veux simplement montrer combien le sujet de la grâce est vaste et varié. Plus on y réfléchit, plus le terrain semble s’élargir. Le thème de la grâce traverse la Parole de Dieu comme un fil conducteur. Dans ce texte de Paul, nous en avons un exemple précis.
La grâce de Dieu est un élément clé de notre foi. Dieu est riche en bienveillance (grâce) et lent à la colère. Nous sommes sauvés par sa grâce. « Que la grâce de Dieu soit sur toi », chantons-nous à la fin du culte. La phrase « par la grâce de Dieu », nous la mettons à toutes les sauces.
Or, quand on y réfléchit davantage, il s’avère que le sujet de la grâce est riche, et qu’il dépasse notre entendement naturel. Est-ce que nous la comprenons vraiment ? Est-ce que nous la vivons pleinement ?
Tout au long de l’histoire de l’Église, la grâce de Dieu a fait l’objet des débats, et même des divisions. Je n’entre pas dans ces débats théologiques, bien que mes propos ont une portée théologique. Je vous fais part de mes réflexions, sans doute colorées par ce que j’ai vécu moi-même.
Je le ferai en trois étapes : comprendre la grâce, vivre la grâce, et servir par grâce.
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