Covid et l’art de mourir : renouer avec une tradition tombée dans l’oubli

Extrait La mort et le deuil
Autour de la pandémie de la Covid-19, on parle finalement très peu d’un aspect très important : la mort. Malgré tous les moyens technoscientifiques déployés, le virus tue et la pandémie nous rappelle notre fragilité, notre mortalité. Sur ce sujet, les chrétiens ont des choses importantes à dire. Dans ce premier article d’une série, l’auteur aborde d’abord la nécessité de prendre conscience de notre finitude et le phénomène de la peur de la mort. Il décrit également deux traditions au sein du christianisme dans lesquelles la foi en une vie au-delà de la mort a joué un rôle capital : tout d’abord l’aide, souvent sacrificielle, aux victimes d’épidémies, et l’Ars moriendi, c’est-à-dire l’art de bien mourir et de la préparation à la mort.

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Meister von Heiligenkreuz 001 Un mourant recommande son âme à Dieu Wiki Commons Introduction

Que reste-t-il à dire sur la pandémie de Covid-19 et ses multiples conséquences ? Il semble que tous les aspects soient abordés et analysés par les responsables politiques et leurs conseillers, le monde médical, les scientifiques et les journalistes. Cependant, on parle très peu d’un aspect très important : la mort. Malgré tous les moyens technoscientifiques déployés, le virus tue. Voilà le fond de l’affaire, la bottom-line, comme on dit en anglais. La pandémie nous rappelle notre fragilité, notre mortalité. Donc, il faut en parler. Comment se préparer à ce moment inévitable ? Comment vivre tout en étant conscients de ce que nous ne sommes pas maîtres de notre vie ? C’est un sujet essentiel car existentiel : il est certain que je vais mourir un jour.

Sur ce sujet, les chrétiens ont des choses importantes à dire. Alors, parlons-en ! Dans ce premier article d’une série, nous aborderons deux aspects : 1) la conscience et la peur de la mort, et 2) le réalisme chrétien. Dans des articles suivants, nous traiterons de 3) l’art de la préparation à la mort, 4) la conscience de la mort comme principe de vie, et 5) le deuil et l’enterrement de nos proches.

Un sujet passé sous silence

Chaque jour, les autorités sanitaires communiquent le nombre d’infectés et le nombre de morts dans chaque pays. Au moment d’écrire ces lignes, la pandémie a causé plus de 1,3 million de morts dans le monde, dont plus de 40.000 en France, et le nombre de victimes continue d’augmenter. Cependant, ces chiffres froids ne disent rien sur la façon dont toutes ces personnes ont vécu leurs dernières semaines, comment elles ont fait face à la mort inévitable. Les médias commentent à longueur de journée les tendances de la pandémie et les mesures sanitaires, mais ne parlent pas de ceux qui meurent, de leur lutte, de leur peur, de leur agonie, ou même de leur foi ou de leur espérance d’un au-delà. Évidemment, pas un mot non plus sur là où ils sont maintenant…

Il est rare d’entendre quelqu’un parler en public de la mort en tant que telle, ni de la préparation à la mort, ni du deuil, d’ailleurs. S’agissant de la mortalité, on n’entend que des statistiques quantitatives froides. Les gens s’inquiètent seulement de ce que les pompes funèbres soient submergées par le nombre de dépouilles à accueillir et par le nombre restreint de personnes autorisées à assister aux obsèques.

Toute l’attention est portée sur la prévention de la mort. On parle de masques et de tests, de distanciation physique et de confinement, de l’organisation des hôpitaux et du nombre de lits de réanimation. La pandémie est présentée principalement comme une crise « sanitaire ». Tous les espoirs sont fixés sur la découverte d’un vaccin. Mais qu’en est-il de la mort en tant que telle ?

Dans notre société sécularisée et technologique, beaucoup de gens supposent qu’à la mort, l’homme « disparaît », tout simplement, et qu’il n’y a pas de vie après. La mort est réduite à un moment dans le temps, le moment où les soins et la science ont dit leur dernier mot. Le traitement s’arrête, les appareils sont débranchés, les médecins déterminent la cause du décès. Et c’est tout. La mort est la limite du savoir-faire médical, et la fin de l’histoire de la personne décédée. Point à la ligne.

En même temps, de nombreuses personnes sont conscientes de ce qu’il manque quelque chose dans ce discours médico-scientifique. D’où la demande des proches d’avoir une cérémonie religieuse, permettant de prendre congé du défunt d’une manière spirituelle. Ils souhaitent qu’un prêtre ou un pasteur dise quelque chose sur le sujet qui embarrasse tant : le sens de la mort. Heureusement, cela arrive. De cette manière, prêtres et pasteurs peuvent offrir aux personnes endeuillées des paroles de réconfort, d’encouragement et de compréhension, ainsi que des paroles d’espoir qui ouvrent la perspective de la vie éternelle.

On a peur… de la mort

Il règne aujourd’hui un climat de peur. Les gens marchent dans la rue avec des masques, signe qu’un assassin, invisible à l’œil nu, se promène. Chaque voisin, collègue, ami et compagnon de route constitue un danger potentiel. Nous nous tenons à distance. Au fond, cette peur d’être infecté par un autre être humain est la peur de la mort.

Le gouvernement prend des mesures qui bouleversent la vie sociale, afin de nous protéger du risque, mais toujours sur fond d’un discours anxiogène : nous devons éviter une nouvelle vague. Autrement dit, la mort circule encore.

Dans le passé, la mort était une réalité qui faisait partie de la vie quotidienne. Les couples perdaient des enfants, les gens succombaient à des maladies dans la force de l’âge, sans parler des guerres et des épidémies qui faisant des ravages. Dans la société technologique moderne, nous avons gagné énormément en espérance de vie. Toute l’attention est concentrée sur ce que l’on peut accomplir et vivre pendant ce laps de temps de plus en plus prolongé. Nous repoussons la mort aussi loin et aussi longtemps que possible. Par conséquent, la vie moderne se caractérise par l’épanouissement du présent, mais aussi par l’évanouissement de l’avenir au-delà de la mort. La perspective se réduit à ma vie sur terre, aussi longtemps qu’elle dure. La question de la mort est le tabou de la modernité.

Des scientifiques en biotechnologie et nanotechnologie travaillent dur pour ralentir le processus de dégénérescence physique et mentale (ce que l’on appelle la décadence de la vie), espérant même pouvoir l’arrêter par des techniques de régénération cellulaire. Leur rêve est de transformer l’homme mortel en homme a-mortel. Remarquons, au passage, que ce n’est pas encore l’immortalité, car même si les humains ne vieillissent plus, physiquement parlant, ils peuvent encore mourir d’un accident de la route, ou sous un arbre tombé lors d’une tempête. Donc, ces scientifiques ne peuvent enlever la peur de la mort.

Par les temps qui courent, ce rêve du « transhumanisme » semble très éphémère. Il ne donne pas de réconfort quand la Covid fait tant de victimes malgré nos avancées technologiques. Malgré tous les moyens technoscientifiques déployés, le virus tue. La pandémie nous rappelle notre fragilité, notre mortalité. Des gens dans la force de l’âge, même des jeunes, se rendent compte qu’ils ne sont pas hors de danger, car le virus peut leur devenir fatal à eux aussi. Tout le monde est concerné, personne n’y échappe. Moi non plus. Si j’attrape le virus, je peux bien appartenir à la grande majorité des gens infectés qui s’en sortent bien, mais je peux contaminer quelqu’un d’autre qui mourra de la Covid-19.

Conscience de la mort

Certes, l’espérance de vie augmente, mais ce chiffre n’est qu’une moyenne statistique qui ne garantit rien. Encore une fois : un virus, un accident de la route, un tremblement de terre, une maladie soudaine… et la vie prend fin, quel que soit l’âge. Cela peut arriver aujourd’hui même. Alors, comment se préparer à ce moment inévitable ? Comment vivre tout en étant conscients de ce que nous ne sommes pas maîtres de notre vie ?
Cette conscience de sa propre mortalité est très importante, ne serait-ce que parce que c’est une question de réalisme. Certes, la fin de la vie est un sujet lourd, difficile, angoissant. Qui peut le nier ? Mais au fond de son cœur, chacun sait qu’il va mourir un jour, et que cela pourrait bien se produire plus tôt que l’on ne le pense. Mais, en général, les gens n’y pensent pas, sauf s’ils sont confrontés tout d’un coup à un danger mortel, ou au décès d’un proche. L’épidémie de Covid-19 représente un tel danger mortel qui nous déstabilise.

Où trouver les mots pour réconforter les mourants et ceux qui les entourent ? Comment nourrir la réflexion sur le sens de la mort ? Bien sûr, face à la fin de vie, les gens se posent des questions. Qu’est-ce qui va se passer ensuite : quelque chose ? Rien ? Est-ce qu’il y aura un chemin à suivre, ou juste un trou noir ? Et les derniers instants, les dernières secondes, est-ce que l’on aura peur ? Est-ce que l’on sera seul ? Quand on se pose de telles questions, le scientisme, le consumérisme, l’hédonisme ambiants, ainsi que les valeurs de la République laïque nous laissent complètement sur notre faim. Il faut bien chercher ailleurs.

Quelle parole, quelle préoccupation ?

Les chrétiens ont des choses importantes à dire en rapport avec la mort. Et pourtant, dans les documents visant à aider les Églises et les croyants individuellement à répondre à la crise pandémique, il semble que l’on prête peu d’attention à ce sujet. Qui propose des podcasts sur la préparation à la mort ? sur l’accompagnement des mourants ? sur le deuil ? ou bien sur la communication de ce que l’Évangile dit en rapport avec la mort et l’au-delà aux sans-religion dans une société déchristianisée ?

Cette absence est significative d’un changement général. Dans les milieux évangéliques, les perspectives de la mort et de la vie éternelle au ciel ont longtemps ...

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