L'accompagnement spirituel des mourants

Extrait La mort et le deuil

Pasteur de l’Église protestante évangélique de Wavre (Belgique), Yves Gabel est responsable du centre de relation d’aide « elnarefa(1) » et Chargé de cours à l’Institut Biblique Belge. Ces dernières années, il a participé à une réflexion associative concernant le deuil dans la modernité.
Le présent article est la transcription d’un exposé-atelier développé en 2000 dans un colloque international sur le deuil. Le thème initial était « l’écoute spirituelle des mourants ». Le lecteur en excusera le caractère « oral » et le vocabulaire parfois « laïc » du propos.
Le texte qu’il nous livre ouvre des pistes pratiques pour tous ceux qui accompagnent de manière pastorale ou non des personnes en fin de vie.

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L'accompagnement spirituel des mourants

Évocation du terme « spirituel »

Il me semble indispensable de lever une confusion courante entre le spirituel et le religieux dans notre culture occidentale comme dans d'autres.

Le spirituel est une donnée commune à tous les humains depuis l'origine des temps. De nombreuses preuves nous sont offertes au travers des sites archéologiques de chaque continent, ne serait-ce que par tout ce qui touche aux rites funéraires. Ainsi, chaque culture et chaque civilisation se sont inscrites dans une démarche spirituelle : la recherche de sens à la vie.

Depuis que l'homme est homme, il s'interroge sur l'origine du cosmos et du monde, sur sa propre origine, sur sa destinée et son devenir après la mort. Il s'interroge sur les valeurs sociales, sur les notions de Bien et de Mal, sur l'esthétique, sur l'éventualité d'une transcendance, sur l'organisation pratique de la vie sociale, les notions de communauté, de solidarité, de justice et de liberté…

Ce questionnement est et demeure celui de tout homme, indépendamment de ses croyances religieuses. Certes, les trois grandes religions monothéistes dites du Livre offrent une référence explicite à Dieu comme Source et Auteur du sens pour l'homme.

Mais, j'insiste, la dimension spirituelle ne doit pas être réduite à celle des croyances. La réduction entraîne nécessairement confusion, voire sectarisme, intégrisme, fanatisme et violences physiques(2). Le spirituel peut donc inclure le religieux mais ne s'y réduit pas.

La dimension spirituelle commune à tous les hommes est bien cette capacité de connaître l'autre et soi-même en levant un coin du voile quant au mystère de notre vie en humanité.
La dimension spirituelle est à mes yeux ce tremplin qui humanise l'être, qui le fait advenir à sa propre réalité. Dimension qui le sort de l'animalité, de la horde bestiale, de la barbarie et de l'anonymat collectiviste...
Mais dans la dimension spirituelle il y a beaucoup plus encore : la capacité d'aimer l'autre par delà les différences(3)...
La donnée spirituelle s'avère universelle, elle n'est pas l'apanage de telle ou telle religion ou culture !

Souffrance humaine, souffrance spirituelle

L'événement traumatique, la maladie grave, la perte ou le deuil provoquent en nous des troubles tels que le système des valeurs et des croyances en est perturbé. Il en est de même de l'estime de soi et de l'image de soi. Or, ce sont justement ces valeurs ou croyances malmenées qui peuvent devenir et sont source de vie, d'espoir, de forces pour demain.

Lorsque l'homme souffre dans son âme ou son corps, bien souvent il s'éloigne malgré lui du sens de sa vie. Il traverse une profonde détresse spirituelle, une sorte d'anéantissement de ses rêves, de ses projets, donc de lui-même. La personne en détresse spirituelle se renferme, se racrapote dans ce qui lui reste de « visible » et d'essentiel à ses yeux : le corps. Le corps comme bastion, comme refuge, comme enveloppe, comme territoire, comme « marquage » de son identité, de sa personnalité, comme lieu de vie. Nous pourrions parler d'une intériorisation de soi forcée et généralement inconsciente, d'une sorte de repli salvateur vers l'âme, vers cette source d'énergie qui mène à ou qui maintient la vie.

Devant cette détresse véritable où la mort semble déjà à l'œuvre, quel réconfort, quelle médecine ou quel soin apporter ? Disons le clairement, nous sommes presque toujours démunis face à la souffrance, et parfois même nous sommes profondément gênés d'une gêne inexplicable. Peut-être la gêne d'être « bien portant » ! La question reste donc posée, et c'est là qu'intervient la notion d'écoute ou d'accompagnement dit « spirituel ».

Il me semble que cet accompagnement pourrait se décrire comme cette capacité de prendre soin de l'être.

Loin de moi l'envie de polémiquer, de critiquer la raison, les sciences ou la médecine, mais le soin de l'être ne se résume pas aux seuls soins du corps ou à la régulation de la douleur au moyen d'une pompe à morphine. Tout cela est bien nécessaire, certes, mais ne suffira pas à gérer la détresse spirituelle de l'être en souffrance.

Nous devons tenir compte de tout l'homme et œuvrer de manière holistique et commune à son bien-être en regroupant nos compétences dans une approche pluridisciplinaire(4), particulièrement dans les unités de soins palliatifs. Devenons des thérapeutes spirituels aux sens étymologiques du terme grec therapeutès :
     • Servir, prendre soin, rendre un culte ;
     • Soigner, guérir.

L'accompagnement spirituel prend soin de l'être intérieur, du psychisme de l'autre en souffrance quelle que soit la pathologie dont il est affecté. Le thérapeute spirituel ne le devient pas de par sa formation, sa culture ou la tradition, mais par un élan amoureux, un élan de vie qui le pousse à toujours vouloir (re)connaître l'autre même au sein de la pire des souffrances.

Car il n'y a pas de corps sans l'âme. Et il n'y a pas d'âme sans le corps… Dès lors, le corps humain ne peut pas être considéré et traité comme un objet, même pas comme un objet mécanique réparable. Chaque fois qu'il l'a été au travers de l'histoire, règnent alors la terreur et la barbarie que ce soit au nom du savoir, du religieux, de la science ou du politique. Le corps n'est pas un objet, il est un corps animé. Et parce qu'il est corps animé, soigner ce corps c'est être attentif au Souffle(5) qui l'anime, à ce qui lui donne vie. En effet, en parlant des mourants, ne dit-on pas en français « perdre son souffle », « manquer de souffle », « expirer ». Mais ne dit-on pas aussi de manière synonymique « rendre l'âme »… La vie est fragile, elle ne tient qu'à un fil, qu'à un souffle(6). C'est ce souffle qu'il faut entretenir et dont nous devons nous préoccuper. Il faut prendre soin de ce souffle, faire respirer l'âme, observer les blocages et les fermetures qui empêchent la libre circulation du souffle. Le corps en souffrance ne doit pas empêcher l'âme de s'épanouir en lui. Les pathologies ont tendance à détruire l'homme en détruisant l'image qu'il a de lui-même, voire pour le croyant à détruire l'image de sa ressemblance à Dieu. Dans les deux cas, l'homme perd son autonomie. On dit souvent de certains malades : « il (ou elle) est l'ombre de lui-même ». En clair, il est devenu autre que lui, il n'est plus lui, il n'est plus libre d'agir, de réaliser ses rêves. Il est aliéné à et par sa maladie. Celle-ci menace non seulement dangereusement son intégrité physique, mais encore la plénitude de son identité. C'est pourquoi, ne pas prendre soin de l'être intérieur renforce les mécanismes et le processus dégénératif de toute maladie au point, trop souvent, de hâter la mort de l'être intérieur, et par la même la mort physique.

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Auteurs
Yves GABEL

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Informations complémentaires

1. www.elnarefa.be
2. cf. Les guerres de religion dans l'histoire.
3. De sexe, de race, de langue, de religion, de statut social.
4. Il est à déplorer que la vieille Europe ne favorise pas d’emblée l’approche pluridisciplinaire du malade.
5. cf. Genèse 2 :7.
6. Souffle « extérieur » qui ne nous appartient pas, qui nous est donné.

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