L’Église de Jésus-Christ, accueille et accompagne toutes celles et ceux qui «semblent différents»

Complet Les handicapés de la vie

Charly Marilleau, pasteur des Églises Évangéliques Libres, a été aumônier d’une fondation accueillant des handicapés. Dans cet article, il nous fait part des conclusions qu’il en a tirées concernant l’accueil et l’accompagnement de ces personnes

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L’Église de Jésus-Christ, accueille et accompagne toutes celles et ceux qui «semblent différents»

J’ai eu la joie et le privilège de pouvoir passer 14 ans de ma vie de pasteur comme aumônier de la Fondation John Bost. Fondation protestante qui accueille, soigne, accompagne au long cours un millier de personnes polyhandicapées, handicapées, malades mentales, sans limite d’âge à partir de 6 ans. Elle emploie un millier de personnes, dont deux pasteurs, un aumônier et un catéchète. Elle a été fondée en 1848 par le pasteur Jean-Antoine, dit John Bost. À une époque où les hôpitaux ressemblaient à des prisons, il a voulu créer une structure « sans murailles ni barrières ». Le premier établissement qu’il a pu construire, après avoir accueilli les gens chez lui, était destiné à des jeunes filles en danger moral. Il l’a appelé « La Famille Évangélique ». Très rapidement, toutes sortes de personnes présentant des handicaps divers lui sont adressées. Entre la création et sa mort en 1881, il y a eu la reconnaissance d’utilité publique en 1887, et l’ouverture de 9 pavillons sur le territoire du village de La Force (Dordogne) et des communes limitrophes. À présent la Fondation compte 22 pavillons, dont trois hors Dordogne. « Ceux que tous repoussent, je les accueillerai au nom de mon Maître » : ces paroles prononcées en 1865 par John Bost sont devenues la devise de la Fondation.

Les quelques remarques qui suivent ne sont pas des leçons que nous donnons aux autres, mais des histoires vécues, parfois dans la douleur. Il y aura toujours un chemin à faire pour aller vers l’autre, notre prochain, et de le rencontrer « en vérité ».

Les deux axes que nous proposons pour notre relation avec les personnes handicapées sont les suivants :
 • 1 - Un accueil chaleureux et authentique
 • 2 - Un accompagnement en profondeur.

I- L’ACCUEIL

1- Dans un premier temps, nous sommes invités à changer notre regard. Voici le constat écrit que m’a laissé une jeune bénévole après un mois dans un pavillon : « J'aime ta différence… »

Elles s’appellent Véronique, Bibi, Ginette, Nicole ou Marcelle. Toutes sont adultes femmes affectées de pathologies s’exprimant dans le registre d’un déficit grave (polyhandicaps, déficiences mentales moyennes et profondes, psychoses déficitaires et autistiques, épilepsies sévères, etc.).
Des handicapées de la vie que nous désignons comme « anormales ». Des personnes hors norme ; cette même norme conformiste et sécurisante que notre société a patiemment veillé à placer en chacun de nous. Des personnes dérangeantes parce que différentes.

Après un mois passé en tant que stagiaire bénévole dans un des nombreux pavillons de la Fondation John Bost, je peux seulement parler très modestement de cette expérience bouleversante. Elle fut une première approche de ce milieu jusque-là totalement inconnu pour moi. Un premier contact ; celui qui vous enthousiasme ou vous révulse.

Je braque alors un projecteur sur moi-même, sur mes réactions et je découvre de la peur au tout premier abord. Peur d’approcher ces personnes si différentes, de moi, de nous ; peur de regarder droit dans les yeux ; peur de l’autre, peur de ce qu’il est et de ce que je pourrais être ?
Appréhension face à ces personnes parfois muettes, sans expression aucune. Gêne à côté de cet être angoissé qui hurle des heures durant, tel un appel au secours sans cesse renouvelé. Faire ces découvertes étranges et dérangeantes au fils des jours et en arriver à se demander « pourquoi ? ».
Puis, tout à coup, découvrir un regard pétillant, comprendre qu’il y a une vie intérieure et qu’elle mérite qu’on s’y intéresse. Découvrir les mots et les gestes à la fois simples et essentiels qui apaisent. Soudain comprendre qu’il faut cesser de se demander « pourquoi » mais plutôt se demander « comment ? ».

Ces femmes polyhandicapées avec qui j’ai eu le privilège de partager le quotidien durant un mois se sont montrées tellement belles et tellement attachantes à mes yeux.
Se mettre au service des autres et finalement recevoir beaucoup plus que ce que l’on a donné : voilà la récompense inestimable avec laquelle repartent tous les stagiaires bénévoles venus du monde entier. Un trésor de vie.
Cet été fut donc placé sous le signe de la différence.

Toujours croire qu’il y a un meilleur dans l’autre. Avec foi et persévérance, lui donner la possibilité d’évoluer. Apprendre à regarder plus loin que l’apparence de l’autre. Apprendre à bien voir avec le cœur et non plus seulement avec les yeux. N’est-ce pas toujours l’essentiel que l’on y découvre ? (Chantal)

Comme elle, osons avouer avec humilité que notre premier réflexe, c’est la peur. Le premier regard est souvent superficiel. Il est donc normal que nous soyons surpris par l’aspect extérieur. Mais en principe, le chrétien est invité à regarder « au cœur » comme son Dieu. Ce premier sentiment dépassé, il se dit que c’est une personne qu’il a en face de lui, créée, comme lui en image de Dieu. La valeur d’un être humain ne dépend pas de ce qu’il fait ou produit, de sa santé physique ou mentale. La dignité de l’homme n’est pas tributaire de ses performances ni entourée de ses échecs, elle lui est donnée par Dieu.

Chacun de nous, bien portant ou malade, valide ou handicapé est une personne avec un environnement familial, social, professionnel. Chacun de nous aussi handicapé soit-il est une personne capable de relations, aimée de Dieu. Nous voulons accueillir nos différences comme une richesse possible et prendre le temps et le risque de faire route ensemble.
Si la plus petite communauté chrétienne n’est pas prête à cette démarche, si chaque croyant ne « change pas son regard », il n’y aura pas d’accueil possible au sens biblique du terme. Romains 15.7 : « Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueilli pour la gloire de Dieu. »

2- Cet accueil chaleureux et authentique, signe d’un vrai changement intérieur est la marque d’un amour fort.

Le professeur Paolo Ricca disait dans un article sur la diaconie chrétienne : « Un récit hassidique m’a beaucoup frappé. Rabbi Moshe de Sassov racontait : c’est d’un paysan que j’ai appris comment il faut aimer les hommes. Il était assis à boire dans un débit de vin avec d’autres et buvait… quand son cœur fut mû par le vin, il dit à son voisin : « Dis-moi, est-ce que tu m’aimes ou pas ? » L’autre répond : « je t’aime beaucoup ». Il lui dit alors : « Tu dis : je t’aime beaucoup sans savoir la peine qui est en moi. Si tu m’aimes vraiment, tu sauras la peine que je porte ». Et moi, j’ai compris : « Aimer les hommes, c’est apprendre ce dont ils ont besoin et porter leur peine ». On ne peut pas dire « je t’aime » sans savoir quelle est la peine que l’autre porte, sans imaginer qu’elle est son poids de souffrance. Or la personne handicapée est quelqu’un qui se sent fragile, limité souvent jugé et méprisé. Un regard et une attitude d’amour seront les chemins utilisés par le Saint-Esprit pour être proche d’eux. À chaque fois qu’une personne réalise qu’elle est aimée, c’est le royaume qui s’accomplit.

C’est bien l’essentiel vis à vis d’une personne qui souffre : être à côté d’elle. C’est le sens de la venue de Jésus sur notre terre. Dieu ne se contente pas d’être aux cieux. Il vient lui-même. Il se fait proche en Jésus son Fils. Lors de son agonie à Gethsémané, il demande à ses disciples de rester éveillés : ne pas dormir à côté de celui qui agonise. C’est la clef. Or les disciples dorment.
L’urgente mission de l’église, c’est d’être là, éveillé, vigilant et attentif à côté de celles et de ceux qui agonisent, qui souffrent cruellement dans leur corps et leur âme.

Pour John Bost, l’ami des malades, « l’Église est l’asile de la souffrance. Elle ira au convoi du fils de la veuve pour lui dire : Ne pleure pas. À tous les cris de détresse, son oreille sera ouverte. Au jour de l’éternité, elle dira, en remettant ces malheureux au sauveur : Voilà ceux que tu m’as donnés » [Thèse, Février 1880 p38. « L’église chrétienne considérée comme asile de la souffrance »].

II – ACCOMPAGNER EN PROFONDEUR

Bien au clair sur le sens de l’accueil et de nos motivations, nous voici maintenant face à la réalité : des handicapés sont dans nos murs.
Nous n’avons plus peur, nous ne sommes plus gênés, nous sommes même prêts à recevoir d’eux.

Il faut savoir que c’est une population qui mobilise. Mais nous avons du temps dans l’Église… Karl Barth disait : « Celui qui n’a pas de temps, n’a pas d’éternité ». Ne pas mesurer notre temps, c’est exprimer une quiétude apaisante, une sécurité qui calme. Il va de soi que tous les aménagements techniques de base seront prévus : rampe d’accès, espaces pour fauteuils, toilettes adaptées, prises audio, etc.

Il va sans dire que nous les considérons comme n’importe quel invité au culte. Capables de Dieu comme nous, capables de s’investir, de chanter, de participer… à condition que la célébration soit joyeuse, audio-visuelle, que la prédication ne soit pas trop longue. Nous aurons le souci d’éveiller tous les sens :
 • L’ouïe avec beaucoup de musique, des chants gestuels si possible avec la langue des signes des sourds
 • L’odorat, par l’encens ou un autre parfum répandu comme le signe d’une présence, pour repérer le lieu
 • Le toucher, en se donnant les mains
 • La vue, grâce à des bougies et des narrations bibliques illustrées
 • Le goût en prenant le pain et le vin de la cène.

Et pourquoi à l’occasion, ne pas faire participer d’une manière adaptée ? Au culte de la Fondation, un résident dit un jour : « Je veux venir et porter la daube ». Il était tout fier de porter une aube colorée. Lui aussi était acteur. En lui donnant une place, il avait le sentiment d’exister, d’être membre à part entière de la communauté humaine.
Chacun à son rythme, à sa manière est heureux et capable de vivre un temps cultuel. C’est à nous d’être attentif aux petites choses qui mettent à l’aise. Nous ne nous poserons pas les questions : « ont-ils compris ? À quoi ça sert ? » Nous avons par expérience constaté que ce sont des moments privilégiés de « petits bonheurs ». Nous avons vu l’expression de leurs visages, leurs sourires. C’est un lieu de gratuité.

Devant le Seigneur, nous ne pouvons pas exclure telle ou telle catégorie de personne. Nous sommes tous égaux devant Dieu et sa parole qu’Il offre à tous. L’accueil et l’accompagnement des « plus petits de nos frères » est un signe d’espérance. Car un jour « Dieu sera lui-même avec nous. Nous serons son peuple. Il essuiera toutes larmes de nos yeux. La mort n’existera plus, il n’y aura plus ni deuil, ni cris, ni souffrance ».

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