Frères séparés - Regard sur les relations catholiques-évangéliques en France

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Frères séparés   Gordon Margery Gordon Margery

Excelsis, 2022, 272 p., 19 €

Gordon Margery (G.M.) est pasteur de l'association baptiste de langue française, professeur dans plusieurs instituts bibliques évangéliques. Il a été membre du « Groupe de conversation catholiques-évangéliques » et, pendant un certain temps, président de ce groupe. Dès l'introduction, l'auteur définit son projet : faire un état des lieux en décrivant le plus objectivement possible « l'état des convergences et divergences entre catholiques et évangéliques, dans un contexte français » (p.11). Tout en exposant clairement la théologie des deux confessions, G.M. ne se contente pas du discours théologique bien argumenté, il donne, pour chaque doctrine questionnée, sa propre expérience du terrain. Ce sont ces paragraphes, qu'il nomme « intermèdes », qui décrivent le pathos d'un évangélique parfois engoncé malheureusement dans ses vieux réflexes de méfiance à l'égard du catholicisme et ailleurs joyeusement surpris quand il considère combien ses préjugés avaient déformé sa vision du catholicisme.

Quant à la méthodologie, elle nous a semblé propice au dialogue. Tout d'abord, G.M. mène son analyse en « comparant ce qui est comparable » (p.13). Autrement dit, ne pas prendre le pire zélateur d'une confession pour le mettre en balance avec le meilleur des théologiens de l'autre bord et vice versa. Deuxièmement, comprendre avant de critiquer, ce qui suppose l'honnêteté intellectuelle, notamment en s'assurant que les sources convoquées sont pertinentes et citées avec toute la précision requise, ce que notre auteur s'emploie à faire tout au long du livre.

L'ouvrage est construit selon la structure classique dans les dialogues interconfessionnels. Après une introduction qui retrace le parcours personnel de l'auteur ainsi que les différents niveaux où se joue l'œcuménisme, qu'ils soient institutionnels, avec le C.O.E., ou moins formels avec les cercles de dialogue au niveau local, ou d’un autre type, comme le forum chrétien basé sur l'échange d'expériences, G.M. commence au chapitre 2 par analyser les points communs aux deux confessions en les estimant plus nombreux que ce qu'on pourrait croire. À ce titre, G.M. cite : le Credo, les affirmations des grands dogmes de la foi chrétienne, tels que la trinité, le péché originel, la christologie, l'œuvre rédemptrice du Christ, le jugement dernier, les quatre premiers conciles, etc... Il y a aussi de nombreux points d'éthique où catholiques et évangéliques peuvent s'accorder. Concernant ce chapitre, une remarque s'impose : à de nombreuses reprises, G.M. s'exprime par des tournures générales qui sous-entendent un consensus général des deux côtés : « nous affirmons tous que... » (pp.51-52) ; « un très large accord entre catholiques et évangéliques » (p.59) ; « ces mots [...] résument les convictions de beaucoup ». (p.245, c’est nous qui soulignons). Or, on sait que le mouvement évangélique – comme d'ailleurs le catholicisme – est plus que diversifié et donc divisé sur les relations entre les deux confessions.

Le chapitre 3 vient contrebalancer les arguments en faveur d'un consensus en posant la question suivante : « Qu'est-ce qui nous sépare encore ? » (p.71) Pour G.M., il n'est pas question de sacrifier la lucidité nécessaire à tout dialogue authentique sur le ventre mou d'un œcuménisme opaque. Ici, G.M. n'a pas une visée polémique, mais souhaite poursuivre « un devoir d'information et d'interpellation envers tous ceux qui portent le nom du Christ » (p. 71). Quatre points controversés sont analysés :

1. L'articulation entre la Bible, la tradition et le magistère : Si les évangéliques croient que l'Église joue un rôle dans la transmission du « dépôt » de la foi, ils ne lui donnent pas, comme dans la théologie catholique, la même importance.

2. Le rôle du pape : On appréciera chez notre auteur la mention, chez les évangéliques, des deux interprétations de Matthieu 16.13-19 qui accordent tantôt à l’image de la pierre la confession de foi de l'apôtre tantôt la personne de Pierre lui-même qui a effectivement un rôle prépondérant aux origines de l'Église, mais cette prépondérance est circonscrite dans le temps limité des origines.

3. La personne de Marie : G.M. pense que « la piété mariale constitue la plus grande pierre d'achoppement pour les relations entre évangéliques et catholiques » (p.92). G.M. fait la différence entre la doctrine mariale et la piété mariale populaire qui n'est pas marginale et encouragée, même si certains catholiques préfèrent, eu égard à certains excès, s’en démarquer (p.99).

4. Les sacrements, plus particulièrement le baptême et l'eucharistie : ici l’auteur prend bien soin de nuancer la position catholique en citant abondamment le Catéchisme de l'Église Catholique (C.E.C.).

Le chapitre 4, intitulé « Ce qu’on peut entendre », s’attache à dénoncer les abus de langage dans la culture évangélique comme l’accusation d’idolâtrie. Ce chapitre démontre l'accent particulier de la théologie catholique sur l’incarnation, avec les excès d’une sacralisation des objets (les reliques) ou des lieux (les pèlerinages). La problématique est résumée ainsi : soit on opte pour une théologie inclusiviste (le catholicisme) avec le risque du mélange et d’une perte d’identité, c'est le défi de l'acculturation, soit une théologie exclusiviste (le protestantisme évangélique) avec le risque du repli et du schisme. Après cette fine analyse, G.M. affirme :

« Globalement, l’importance des divergences a été réévaluée à la baisse. Chaque partenaire reconnaît qu’elles ne sont pas séparatrices, et qu’elles se comprennent à l’intérieur de l’architecture de la pensée de l’autre. » (p.159)

Dans le chapitre 5 intitulé « Et maintenant ? », G.M. tente d'articuler deux thèmes essentiels qui occupent le champ de l'œcuménisme et que l'on retrouve dans le Nouveau Testament, à savoir celui de l'unité de l'Église et celui de l'intégrité apostolique quant au dépôt de la foi. Se pose alors la question de la collaboration, notamment en matière d'évangélisation. Tout en définissant trois « cercles de collaboration » délimités par un consensus doctrinal plus ou moins large, l'auteur reconnaît que les laïcs comme les responsables de communauté s'engagent en définitive sur la base de leur conscience au regard des exigences de la parole et de l'exemple du Christ :

« Mais au plan individuel, si des catholiques et des évangéliques se reconnaissent frères dans la foi, ils ont l'obligation de s'aimer, et cet amour trouvera l'occasion de se manifester. » (p.238)

Auteurs
Thierry ROUQUET

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