L’exercice du ministère pastoral nous conduit parfois à accompagner des personnes qui souffrent d’addiction. Les conseils des professionnels en addictologie sont une aide précieuse dans ce suivi. Mais il vaut toujours la peine de replacer la problématique dans une perspective biblique, ce que nous nous proposons de faire.
Dans son étymologie le mot addiction provient d’un terme latin « ad-dicere » qui signifie « dire à », avec le sens d’attribuer quelqu’un à une autre personne. Dans l’antiquité romaine, quand quelqu’un ne parvenait plus à payer ses dettes, il pouvait devenir l’esclave de son créancier. Cette « contrainte par corps » était une mesure légale qui s’est exercée par la suite en Europe. À l’origine, le terme addiction exprime donc une absence de liberté avec une connotation de domination (esclavage) et d’enfermement (absence de liberté).
Si le mot addiction n’apparaît pas tel quel dans la Bible, les notions de dépendance (ou d’absence d’indépendance), d’esclavage, d’asservissement, de dettes sont en revanche très présentes. Nous nous arrêterons sur quelques repères bibliques afin de mieux comprendre l’addiction au regard de la Révélation en vue d’un meilleur accompagnement de la personne dépendante.
I. Quelques repères bibliques
1. L’addiction comme conséquence de la Chute
Comme tout ce qui a trait au mal, la problématique de l’addiction se situe dans le sillage de la Chute. Il est important de s’y arrêter un instant pour mieux comprendre les racines du mal dont l’addiction est une expression parmi d’autres, mais aussi pour mieux cerner les conditions qui peuvent favoriser les comportements addictifs.
On a parfois tendance à réduire le péché à une faute à caractère éthique, alors qu’il est plutôt refus de Dieu ou filiation manquée. La Chute est avant tout un acte de désobéissance qui « n’a pas affecté l’homme dans son état ontologique (nature humaine), mais qui a atteint quelque chose de plus important : sa relation à Dieu(1) ». En portant ainsi atteinte à la relation au Créateur, le mal dénature le rapport de l’homme avec tout son entourage, à commencer par la relation qu’il a avec lui-même(2). Un détail bien connu du récit biblique attire d’ailleurs notre attention. C’est le fruit défendu(3). La connaissance interdite est représentée ici par un élément de la création : un fruit. Comme le signale Henri Blocher dans son livre Révélation des origines, ce détail nous indique que « c’est toujours dans l’usage des créatures que l’homme exerce l’autonomie qu’il a prétendu ravir(4) ». Se posant lui-même comme Dieu, l’être humain exerce sa capacité de création en usant, mais aussi en abusant des biens que Dieu lui donne. Alors qu’avant la Chute, il vivait son existence dans le registre de l’être et de l’harmonie, après la Chute il entre dans le domaine de l’avoir et du pouvoir. Dans son livre Le bluff technologique, Jacques Ellul décrit cet homme qui se prend lui-même pour norme comme un être fasciné, halluciné ; un être qui s’est créé un environnement tellement « envahissant, suggestif et attractif qu’il ne peut continuer à vivre sur le mode de la distanciation, de la médiation, de la réflexion, mais seulement sur le mode de l’immédiateté, de l’évidence et de l’action hypnotique, c'est-à-dire, conclut-il, trois caractéristiques de l’absurde au sens existentiel(5) ». N’y-a-t-il pas là les conditions qui favorisent l’addiction ?
Pour revenir au récit de la Genèse, on sait qu’à l’issue de leur désobéissance, Adam et Ève sont tous deux chassés d’Éden. Puis dans Genèse 4, Caïn tue son frère Abel. Le cycle du mal et de la violence est enclenché. Désormais, la nature humaine est infectée par un corps étranger, un intrus qui la maintient sous son emprise. Cet esclavage pourra prendre, dans le récit biblique, le visage de l’addiction comme dans Ésaïe 5 :
« Malheur à vous qui courez de bonne heure après les boissons enivrantes et qui vous attardez, le soir, excités par le vin ! Des lyres et des luths, des tambourins, des flûtes animent vos festins où le vin coule à flots. Mais vous n'avez pas un regard pour ce que l'Éternel a fait, et vous ne voyez pas l'œuvre qu'il accomplit. » (Ésaïe 5.11-12).
Dans ce passage, on observe que la dépendance à l’alcool (11) et l’indépendance vis-à-vis de Dieu (12) vont de pair. Au verset 8, Ésaïe attirait notre attention sur une autre forme de dépendance : « Malheur à vous qui joignez maison à maison et ajoutez un champ à l'autre au point d'occuper tout l'espace et d'être seuls dans le pays. » Faut-il parler ici d’addiction ? Pas forcément, mais la dépendance aux possessions matérielles crée les conditions de l’isolement, lequel peut favoriser des formes d’addictions. Dans les deux cas (alcool au v.11 ou biens matériels au v. 8), l’objet du désir est devenu une fin en soi dont on ne peut plus se passer.
La bonne nouvelle c’est que dans la mesure où l’addiction s’inscrit dans le sillage de la Chute, elle ne fait donc pas partie de la nature humaine telle que Dieu l’a voulue au départ. Car tout ce que Dieu a créé est bon (Genèse 1.31). Ce mal qui s’est immiscé de manière scandaleuse au moment de la Chute sera vaincu à la croix. C’est important de le garder à l’esprit quand on est confronté à l’addiction. Après la Chute, l’humanité est défigurée par le péché qui affecte tout homme totalement. Mais cette humanité meurtrie continue de porter en elle l’image de Dieu, une image certes détériorée, mais toujours présente.
2. Quelle espérance chrétienne face à l’addiction ?
On pourrait penser que l’addiction dans la Bible ne concerne que le païen, celui qui ne connaît pas Dieu. Mais c’est oublier que le chrétien ...