Murray Harris, professeur d’exégèse du Nouveau Testament à la Trinity Evangelical Divinity School (Chicago), l’une des principales facultés de théologie évangélique des États-Unis, nous livre ici un bel ouvrage sur le thème de l’esclavage. S’appuyant sur une étude des données historiques (juives et gréco-romaines), puis sur l’exégèse des textes du Nouveau Testament, l’auteur oriente son étude dans trois grandes directions :
1) il décrit la manière dont le Nouveau Testament utilise l’image de l’esclavage ;
2) il en déduit ce que cet usage nous dit de ce que le Nouveau Testament pense de l’esclavage ;
3) il montre comment le Nouveau Testament retourne cette image terrible pour en faire une métaphore positive du service chrétien.
L’étude de ce que le Nouveau Testament dit de l’esclavage passe nécessairement par une description du contexte historique. C’est dans un monde antique marqué par une pratique généralisée de l’esclavage qu’écrivent les auteurs bibliques. On peut résumer ainsi les conclusions de l’auteur :
1) Le christianisme naît dans un monde où la pratique de l’esclavage est considérée comme inévitable et même nécessaire au fonctionnement de la société ; un monde dans lequel l’idée d’égalité sociale ne fait pas partie du débat politique.
2) Le Nouveau Testament, comme il le fait dans d’autres domaines, tolère cet état de fait sans pour autant l’approuver (voir aussi l’attitude biblique à l’égard du divorce, des viandes sacrifiées aux idoles, etc.).
3) Les auteurs du Nouveau Testament considèrent que les esclaves font partie de la « maisonnée chrétienne », de l’Église, sans restriction aucune, que l’on peut s’adresser à eux « comme à des êtres humains, capables de responsabilité, de choix éthiques, et ayant des devoirs autant à l’égard de leur maître terrestre qu’envers le Seigneur » (p.73).
4) Le Nouveau Testament « remet profondément en question le présupposé fondamental qui sous-tend toute l’institution de l’esclavage, selon lequel la division entre esclaves et hommes libres est naturelle et nécessaire, à la fois dans le principe et dans la pratique, à toute société bien organisée » (p.74).
L’étude est bien documentée, claire, et porte sur un sujet important. Mais l’apport le plus utile du livre est probablement son traitement de l’image de l’esclave, et c’est là qu’on rejoint le domaine de la théologie pratique. Car l’esclavage, sous la plume de Paul, devient un thème théologique riche, lié à la fois au ministère chrétien et au sacerdoce universel, et qui ouvre sur la question de la seigneurie du Christ, de l’appartenance au Christ, et même du statut privilégié d’esclave du Christ. L’image de l’esclave du Christ, montre l’auteur, situe le chrétien dans un rapport vertical et horizontal, avec son Seigneur céleste, d’une part, et avec ses frères et sœurs croyants, d’autre part. « Le mot incarne la double obligation chrétienne : une consécration sans restriction au Christ et à son peuple » (p.124). L’image de l’esclave du Christ, ajoute l’auteur, situe le croyant dans un rapport à Dieu marqué par l’appartenance : nous sommes « son bien précieux ». « Les croyants lui appartiennent entièrement et exclusivement » (p.147).
« Dans sa description de l’esclave du Christ, le Nouveau Testament élimine les traits négatifs qui sont attachés à la notion d’esclavage, de sorte que la métaphore devient une image entièrement positive de la consécration exclusive du croyant au Seigneur Jésus-Christ » (p.166-167). Bel exemple d’audace théologique que ce renversement qui fait passer l’esclavage du statut le plus bas à un titre d’honneur ! À une époque où fleurissent les titres des ministres du Christ, on peut se demander si le rappel de celui d’« esclave du Christ » n’est pas particulièrement salutaire.