Introduction
1 - Ce n'est pas mon intervention de ce matin qui est la cause de ma présence à ce congrès. J'avais de toute manière décidé de répondre à l’invitation qui m'était adressée en tant que Doyen de la FLTE. Le précédent Doyen était baptiste et participait régulièrement à vos Congrès. L'année dernière j'ai dû décliner l'invitation qui m'était adressée (synode des Églises Libres). Le Doyen de la Faculté se doit autant aux baptistes qu'aux libristes. Je tenais à être présent cette année, et je reviendrai, si Dieu me prête vie et si mon intervention de ce matin...
2 - Le sujet proposé ne relève pas de mon champ de spécialisation. L'Église selon le Nouveau Testament, cela relève bien évidemment du Nouveau Testament, cela peut relever aussi de la théologie systématique, de la théologie pratique, à la limite, de l'histoire de l’Église, sil y a un domaine de spécialisation dont cela ne relève pas, c'est l'Ancien Testament.
Si j'ai l'audace d'intervenir sur le sujet, c'est parce que celui-ci me tient à cœur et parce que je crois avoir à dire sur le sujet des choses simples, évidentes pour tout lecteur du Nouveau Testament.
Cette situation atypique présente au moins deux avantages pour ceux que mes propos inquiéteraient ; ils pourront toujours se rassurer à la pensée que je ne suis après tout qu'un amateur, et que n'enseignant à la Faculté ni le N.T., ni la dogmatique, ni la théologie pratique, je n'ai heureusement pas l'occasion de transmettre aux étudiants un enseignement qui pourrait être contestable.
3 - Je suis membre de l'Union des Églises Libres, un groupement d'Églises fonctionnant selon le mode que l'on dit semi-synodal, je suis convaincu de l'intérêt de ce mode d'organisation (sans croire pour autant qu'il soit parfait). Je trouverais dommage que vous alliez penser : "tiens, voilà un petit copain libriste qui vient nous faire la leçon". Très franchement, ce n'est pas comme cela que je vois les choses. Nous avons, il est vrai des modes de fonctionnement différents : en principe et globalement nous sommes, vous, plus congrégationalistes et nous, plus synodaux, mais dans le détail la situation est moins tranchée, plus complexe.
Et surtout ma perspective n'est pas si particulière. Je pense à l'ensemble de nos Églises évangéliques, à l’importance, pour nous tous, d'être attentifs au message de l'Écriture.
Venons-en au fait.
1. La distinction Église universelle/Église locale
Dans notre réception de l'enseignement du Nouveau Testament sur l'Église, nous avons trouvé et trouvons avantage à distinguer deux formes de cette réalité :
• l'Église Universelle, ensemble des rachetés de tous les lieux et de tous les temps, quelles que soient les confessions auxquelles ils se rattachent,
• l'Église locale, communauté des croyants, rassemblée en un lieu donné.
On dit parfois Église avec E majuscule et Église avec e minuscule, bien que cela ne corresponde pas à l'usage français qui veut que l'on réserve la minuscule au bâtiment et que l'on accorde la majuscule à la communauté, quelle que soit sa dimension.
a) avantages
Cette distinction, que nous n'avons pas inventée, nous l’avons reprise et développée à notre manière, car elle présente des avantages certains :
(1) elle a permis de maintenir l'unité et l'universalité de l’Église tout en contestant les prétentions à l’universalité des grandes Église, comme l'Église Catholique (universelle) ou des grands organismes à vocation unitaire et universelle comme le Conseil Œcuménique des Églises.
Face à ces prétentions nous avons dit : oui il y a une Église une et universelle, mais aucune institution humaine, aucune entreprise humaine ne peuvent prétendre la réunir en leur sein. L’Église une et universelle est invisible.
(2) elle donne une légitimité aux groupes de dissidents que nous sommes. Même peu nombreuse, même séparée, la communauté de croyants réunie autour du Christ et de sa parole est l'Église : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom je suis au milieu d'eux » (Mt 18.20). Nous soulignons que dans le contexte immédiat Jésus vient de parler de l'Église (v.17) : "S'il refuse de les écouter, dis-te à l'Église".
b) légitimité
L'emploi qui est fait dans le Nouveau Testament du mot "Église" (ekklesia), justifie cette distinction, comme le montrent :
(1) l'usage du mot au singulier pour désigner
• une communauté locale (aussi bien dans les Actes que dans les lettres de Paul ou dans l'Apocalypse) :
• "il y avait dans l'Église d'Antioche (Ac 13.1), plus précisément "il y avait à Antioche, selon l'Église qui s’y trouvait",
• Paul adresse ses lettres "à l'Église de Dieu qui est à Corinthe" (1 Co 1.2),
• les fameuses lettres de l'Apocalypse sont adressées chacune à l'Église qui est dans une ville donnée, Éphèse, Smyrne. etc.
• ou même un groupe qui se réunit dans une maison, comme chez Philémon (Ph 1), Nympha (Col 4.15), Prisca et Mullas (Rm 16.5), etc. Il semble bien qu'un tel groupe ne soit pas l'équivalent de l'Église qui est dans une ville donnée, cf. Rm 16.
(2) l'emploi fréquent du pluriel :
• les sept Églises (Ap 1.30), "que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises" (Ap 2.7, etc.),
• Paul évoque la gratitude que doivent à Prisca et Aquilas "les Églises des païens" (Rm 16.4),
• Luc évoque ainsi l'activité de Paul : "Il parcourut la Syrie et la Cilicie en fortifiant les Églises" (Ac 15.41).
(3) le singulier pour désigner une réalité qui ne peut être réduite à une communauté locale :
• "l'Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie" (Ac 9.31),
• "Saul cherchait à détruire l'Église" (Ac 8.3),
• "le Christ a aimé l'Église ; il a donné sa vie pour elle. Il a voulu ainsi se présenter l'Église, rayonnante de beauté, sans tache ni ride, etc." (Ep 5.25,27), mon propos n'est pas de dire puisque l'Église est ici sans tache ni ride, il ne peut s'agir de l'Église locale qui est imparfaite, parce que cette perspective s'adresse bien à la communauté locale, mais simplement de faire observer l’emploi du singulier qui montre que le terme Église ne désigne pas seulement la communauté locale mais l'ensemble des rachetés,
• cette unité / universalité de l'Église accompagne nécessairement l'image fréquente de l'épouse, cf. Ap 21.9 : "Je te montrerai la Mariée, l’Épouse de l'Agneau" et Ap 22.17: "I'Esprit et l'Épouse disent : viens !" Le pluriel est ici impossible. Or il serait inévitable si l'Église était la communauté locale.
Je ne poursuis pas la démonstration, nous sommes tous d'accord : l’Église a une dimension locale et une dimension universelle. Il est donc utile et légitime de distinguer. Mais cette distinction classique et très largement reconnue est-elle suffisante ?
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