Dans le récit biblique, la guerre apparaît sous diverses formes au cours de l’histoire d’Israël. D’abord, guerre d’invasion sous la conduite de Moïse et de Josué. Puis, guerre de libération à l’époque dite des « juges », appelés aussi des « sauveurs ». À l’époque royale, les guerres de David, d’abord défensives, assurent un tel ascendant à Israël sur ses voisins, soumis ou alliés, qu’elles ouvrent une période de paix et de prospérité sous le règne de son fils Salomon. Mais cet âge d’or ne lui survit pas et ne se retrouvera plus jamais. Le pays est divisé en deux royaumes rivaux. Ils subsistent tant bien que mal dans un environnement conflictuel où guerres, alliances défensives ou offensives, entrent dans le jeu obligé des relations entre États. Les deux royaumes n’y échappent pas et se retrouvent même parfois en guerre l’un contre l’autre.
Face aux empires qui se disputent le contrôle de la région, Égypte, Assyrie, puis Babylone, aucun des deux royaumes, ni leurs voisins proches, n’ont la capacité d’un affrontement militaire direct. Il faut choisir entre la soumission ou la rébellion qui expose aux représailles du suzerain. La ville fortifiée permet à une troupe réduite de résister à un adversaire très supérieur en nombre, mais le siège qui se prolonge amène les défenseurs et les habitants à l’épreuve terrible de la famine. C’est à l’issue fatale d’un siège prolongé que les deux royaumes, d’abord Samarie, puis Jérusalem, seront anéantis.
Avec la chute des deux royaumes et l’exil, la guerre entre les nations disparaît du récit biblique qui se concentre sur la restauration d’un foyer juif à Jérusalem sous la tutelle de l’Empire perse. Mais, même dans cette situation de dépendance, les Judéens qui relèvent les murailles de Jérusalem se doivent d’assurer une défense armée contre des ennemis menaçants(1). Le livre d’Esther, de son côté, rapporte comment les Juifs, menacés d’extermination dans l’Empire, reçoivent en haut lieu l’autorisation de se défendre par les armes, ce qui implique la mort de nombreux adversaires.
L’investissement de Dieu dans la guerre varie au fil du temps et selon la nature des conflits. Au début de l’histoire d’Israël, Dieu, qui a délivré son peuple de l’esclavage en infligeant à l’Égypte les dix plaies, intervient d’abord directement pour protéger les siens menacés par la cavalerie du Pharaon. Celle-ci se retrouve embourbée puis noyée par le retour de la mer sur la zone que les Hébreux avaient pu traverser à pied sec. Avec chants et danses, les Israélites célèbrent le Seigneur, vrai guerrier, qui a précipité dans la mer les chars du Pharaon.
L’invasion du pays de Canaan, qui suit, entre dans le plan d’action de Dieu exposé à Moïse lors de sa vocation. C’est sur son ordre que les Israélites conduits par Josué font le tour de la ville de Jéricho pour en faire tomber les murailles. Le type de guerre à mener sans merci contre les habitants du pays est déterminé par Dieu selon les instructions données par Moïse et suivies par Josué.
Au temps des Juges, c’est encore Dieu qui prend, à chaque fois, l’initiative de susciter un libérateur. Il l’investit de son Esprit pour convoquer le peuple, le mener au combat, et ainsi délivrer les Israélites de leurs oppresseurs. Puis vient David, le roi choisi par Dieu. Le Seigneur le soutient dans ses combats, aux diverses étapes de son accession au pouvoir, et jusque dans les guerres qui lui assurent la domination sur les peuples voisins.
Après le règne de Salomon, Dieu paraît moins impliqué dans les conflits des deux royaumes. La plupart des rois mènent une politique religieuse, sociale ou internationale qui n’a pas son approbation. Mais il serait abusif d’en conclure que Dieu se désintéresserait totalement des entreprises militaires d’Israël ou n’apporterait son soutien qu’aux rois qui lui sont fidèles. Diverses interventions du grand prophète Élisée, en rapport avec les guerres menées par les rois de son temps, ne manquent pas d’intriguer. Il guérit Naaman, le général des redoutables ennemis syriens, mais il avertit le roi d’Israël des mouvements de cette même armée syrienne. Il livre au roi d’Israël le détachement envoyé par le roi ennemi pour l’arrêter, mais demande qu’on serve à ces gens un bon repas avant de les renvoyer libres chez eux. Il est mêlé de près à l’avènement du nouveau roi de Syrie, Hazaël, qui fera tant de mal aux Israélites, mais, sur son lit de mort, il annonce au roi Joas des victoires sur les Syriens et s’indigne que le roi, par manque d’audace, ait perdu l’occasion qu’il lui avait offerte de pouvoir anéantir ses ennemis. La ligne assez déroutante suivie par le prophète ne peut se réduire à un parti pris contre la guerre ou pour la guerre, contre Israël ou pour Israël. Elle reflète plutôt l’attitude de Dieu à l’égard d’un peuple qui s’éloigne de lui, mais qui bénéficie encore de toute son attention, aussi bien pour délivrer que pour châtier.
Le soutien apporté par Dieu à son peuple, ne l’empêche pas d’exprimer à un moment décisif sa répugnance pour la guerre. Tout en ayant soutenu David, il lui fait comprendre que, pour construire un temple, il préférait un homme de paix :
« Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres, tu ne construiras pas de maison pour mon nom, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi .» La remarque est reprise quelques chapitres plus loin : « Tu ne bâtiras pas une maison pour mon nom, car tu es un homme de guerre et tu as répandu le sang. »
Cette « disqualification » de David, le roi guerrier, pour construire le temple intervient tardivement dans le récit biblique. Elle est absente des livres de Samuel et des Rois, où d’autres raisons sont données. Elle ne figure pas dans l’oracle de Nathan, où Dieu répond au désir de David de lui construire un temple, ni dans sa version du livre de Samuel, ni dans celle des Chroniques. C’est dans les toutes dernières instructions de David à son fils Salomon que le roi évoque, comme une confession, cette parole reçue de Dieu.
Il est cependant particulièrement significatif que ce soit le roi modèle, celui que Dieu soutient dans tous ses combats et qui, dans les Psaumes, chante le secours que Dieu lui accorde, qui se considère impropre à construire le temple à cause des guerres qu’il a menées. C’est généralement au seul motif de la pureté rituelle que l’on prête à l’auteur des Chroniques cette mention de la « disqualification » de David. Le sang versé, mentionné à chaque fois, aurait rendu le roi rituellement impur pour une entreprise aussi sacrée. Mais il paraît difficile d’évacuer la dimension morale de la question. Certes, David ne peut être tenu pour responsable d’avoir dû soutenir des guerres pour assurer la survie et la sécurité de son peuple, ces guerres peuvent même être qualifiées de « guerres du Seigneur ». Mais aucune guerre, aussi inévitable ou légitime soit- elle, n’est exempte de crimes. Et comme le formule clairement David, c’est la paix que Dieu préfère, bien plus que la pureté qui n’est même pas évoquée.