Les premiers chapitres du livre de la Genèse, premier livre de la Bible, décrivent les origines de la Terre et du règne vivant, plantes et animaux. Deux récits se suivent, complémentaires l’un de l’autre.
Le premier récit (Gn 1.1 à 2.3) raconte la création de la terre, des astres, des plantes et des animaux en une succession de jours. Le monde est ainsi créé en six jours. C’est au sixième jour que l’Homme est créé après les animaux terrestres.
Le deuxième récit revient sur la création de l’Homme, l’Adam (nom dérivé du mot terre) : « L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière du sol ; il insuffla dans ses narines un souffle vital, et l'homme devint un être vivant » (Gn 2.4-25). Il lui est confié la responsabilité d’un jardin, il y est question de la création d’Ève, la première femme, tirée d’une côte d’Adam. Dans ce deuxième récit, Adam est appelé à jouir des fruits de tous les arbres du jardin à l’exception de l’arbre du choix entre le bien et le mal. Séduits par le serpent, qui leur promet qu’ils seront comme des dieux s’ils mangent du fruit de cet arbre, Adam et Ève mangent du fruit défendu. La relation harmonieuse avec Dieu est rompue et Adam et Ève sont chassés du jardin.
Premier récit de la création (Gn 1.1–2.4) dans la Traduction Œcuménique de la Bible :
« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, mais l'Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour et il appela les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un jour. Dieu dit : Qu'il y ait une étendue entre les eaux pour séparer les eaux des eaux. Dieu fit donc cette étendue, sépara les eaux qui sont au-dessous de l'étendue d'avec les eaux qui sont au-dessus. Il en fut ainsi. Dieu appela l'étendue ciel. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un deuxième jour. Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel s'amassent en un seul endroit, et que la (partie) sèche apparaisse. Il en fut ainsi. Dieu appela terre la partie sèche, et il appela mers la masse des eaux. Dieu vit que cela était bon. Puis Dieu dit : Que la terre se couvre de verdure, d'herbe porteuse de semence, d'arbres fruitiers donnant sur la terre des fruits selon leur espèce et ayant en eux leur semence. Il en fut ainsi. La terre produisit de la verdure, de l'herbe porteuse de semence selon son espèce et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un troisième jour. Dieu dit : Qu'il y ait des astres dans l'étendue céleste, pour séparer le jour et la nuit ; que ce soient des signes pour (marquer) les temps, les jours et les années ; que ce soient des astres dans l'étendue céleste pour éclairer la terre. Il en fut ainsi. Dieu fit les deux grands astres, le grand pour dominer sur le jour, et le petit pour dominer sur la nuit ; (il fit) aussi les étoiles. Dieu les plaça dans l'étendue céleste, pour éclairer la terre, pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un quatrième jour. Dieu dit : Que les eaux se mettent à grouiller d'êtres vivants, et que sur la terre des oiseaux volent sous l'étendue céleste. Dieu créa selon leur espèce les grands monstres marins et tous les êtres vivants qui nagent, et dont les eaux se mirent à grouiller ; (il créa aussi) tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit en disant : Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez les eaux des mers ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un cinquième jour. Dieu dit : Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bétail, reptiles, animaux terrestres, chacun selon son espèce. Il en fut ainsi. Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles du sol selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : Faisons l'homme à notre image selon notre ressemblance, pour qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l'homme à son image : Il le créa à l'image de Dieu, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre. Dieu dit : Voici que je vous donne toute herbe porteuse de semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre fruitier porteur de semence : ce sera votre nourriture. À tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui a souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Il en fut ainsi. Dieu vit alors tout ce qu'il avait fait, et voici : c'était très bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un sixième jour. Ainsi furent achevés le ciel, la terre et toute leur armée. Le septième jour toute l'œuvre que Dieu avait faite était achevée et il se reposa au septième jour de toute l'œuvre qu'il avait faite. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car en ce jour Dieu s'était reposé de toute l'œuvre qu'il avait créée. »
Que dit le texte biblique ?
Il convient tout d’abord d’insister sur la dimension théologique du récit biblique des origines.
Au commencement, la Bible affirme que Dieu est, qu’il est le Créateur de l’univers et de tout ce qu’il contient. Ainsi toute chose existe parce que « au commencement Dieu ». Et tout ce qui existe est né de la volonté de Dieu ; il n’y a pas d’accident, pas de hasard aveugle.
D’autre part, Dieu apparaît en dehors de la création, il n’en est pas le produit, et le monde n’en n’est pas une émanation, une partie divine. Il y a distinction entre la création et le Créateur dont la souveraineté est absolue : il dit et la chose se produit. Les grands astres, le soleil et la lune, divinités de l’époque en Mésopotamie et en Égypte, perdent leur prééminence. Ils apparaissent secondairement et ne sont que de simples luminaires. Cette affirmation est particulièrement originale dans son contexte historique, au regard des religions polythéistes de l’époque(1). Affirmer qu’il y a un commencement, c’est aussi dire que l’univers n’est pas éternel et que le temps est une propriété intrinsèque de la nature, comme l’indique la répétition « il y eut un soir et il y eut un matin ». Dans la succession des jours, le 6ème jour, les animaux et l’homme sont créés. Adam est étymologiquement celui qui est tiré de la terre, mais il est aussi image de Dieu, le représentant au sein de la création, impliquant responsabilité et devoir envers elle. Enfin, le texte insiste sur le fait que Dieu juge la création comme très bonne.
Quelle scientificité, quelle historicité du texte biblique ?
La question de l’historicité et de sa scientificité est centrale. Comment concilier le récit biblique des origines avec celui proposé par la science ? Certains, dans l’histoire, ont considéré que cette conciliation était impossible. Encore aujourd’hui, principalement aux États-Unis, il existe un courant chrétien qui, considérant le récit biblique comme historique et scientifique, rejette la théorie de l’évolution biologique. Cette approche conflictuelle repose sur une interprétation littérale du texte : la création a duré 6 jours de 24 heures. Les espèces ont été créées dans l’ordre indiqué ex nihilo (à partir de rien) et ont donc coexisté depuis et partagé en particulier la protection de l’arche de Noé lors du déluge universel. Dans cette approche, l’âge de la terre est estimé à quelques milliers d’années (en additionnant les âges des généalogies du livre de la Genèse). Ce mouvement, appelé « Créationnisme de la jeune terre » (young earth creationism), est très actif dans sa communication et dans sa revendication d’un récit scientifique alternatif, avec une publication abondante, un « Institut de recherche », l’Institute for Creation Research au Texas, et un « musée », le Creation Museum dans le Kentucky.
Une approche plus conciliante tente de faire concorder le récit biblique avec le récit scientifique. En effet, avec l’essor de la géologie et l’accumulation des données de fossiles, il apparaissait clairement que la terre ne pouvait pas être âgée que de quelques milliers d’années. Ainsi, certains comme Buffon, ont proposé de considérer les jours comme des périodes correspondant aux temps géologiques, s’affranchissant d’une interprétation strictement littérale. L’approche est louable, car elle part d’un postulat pertinent : la cohérence du Livre révélé et du Livre de la nature. Mais ses limites sont de donner un statut scientifique au texte biblique et de minimiser les discordances. Par exemple, la chronologie des événements proposée par le récit biblique ne correspond pas à celle de la science : les oiseaux apparaissent le 5ème jour avant les reptiles, alors qu'ils leur sont dérivés. Les plantes terrestres apparaissent le 3ème jour avant les animaux marins (le 5ème jour). Généralement cette approche concordiste rejette l’évolution comme mode opératoire avec une action créatrice spéciale pour l’émergence des grands types d’espèces, ou au moins de l’homme, créé à l’image de Dieu. La théorie philosophique (ou devrais-je dire idéologique) du Dessein intelligent (Intelligent Design) n’est pas très loin dans son esprit : elle rejette la théorie de l’évolution pour expliquer la diversification des espèces et, en particulier, la mise en place d’organes complexes dont le « design » renvoie nécessairement à l’action d’une intelligence en dehors de la nature, argument clé de la théologie naturelle de William Paley au début du 19ème siècle. Cette théorie a un défaut majeur : elle sort du champ scientifique puisqu’elle remplace un mécanisme naturel par une intervention directe de Dieu. Le problème est alors qu’elle met Dieu dans les trous de notre connaissance et qu’elle prend finalement le risque de réduire l’espace de l’action de Dieu à une peau de chagrin au fur et à mesure que la science progresse.
Une dernière approche propose de revenir au texte, d'essayer de comprendre l’intentionnalité de l’auteur, ce qui revient à se poser la question de la valeur scientifique du propos. Un certain nombre de théologiens s’accordent pour ne pas interpréter littéralement le récit des origines du livre de la Genèse. Tout d’abord la construction littéraire du premier récit de la création et sa structure suggèrent que nous n’avons pas affaire à un texte strictement historique. Les jours dans le premier récit de la création « indiquent l’ordre d’antériorité logique et naturelle, mais non chronologique entre les êtres » (Gersonide cité par Blocher, 2001). Ainsi, les trois premiers jours, Dieu dégage les espaces « habitables » : le premier jour Dieu sépare la lumière des ténèbres, le deuxième jour il sépare les eaux célestes des eaux terrestres, le troisième jour la terre ferme de la mer. Au cours des trois jours suivants, Dieu crée les « habitants de ces espaces », le 4ème jour les luminaires pour assurer cette séparation jour/nuit, le 5ème jour les oiseaux et les animaux marins pour habiter le ciel et la mer, le 6ème jour les animaux terrestres et l’homme pour habiter la terre ferme.
D’autre part, le texte de la Genèse, au deuxième chapitre, correspondant au deuxième récit de la création, comporte des images symboliques, reprises plus tard dans le Nouveau Testament : le serpent ancien qui symbolise Satan, l’arbre de vie… (Ap 12.9 ; Ap 2.7). Il est tout à fait légitime de penser que l’auteur de la Genèse savait très bien que les serpents ne parlent pas ou qu’un fruit ne donne pas la vie éternelle. D’autre part, la vision du monde et des origines s’inscrit dans un contexte culturel : certains éléments du récit sont communs à des civilisations de l’Orient ancien. Ainsi le firmament est vraisemblablement une représentation « classique » du ciel de cette époque : un dôme solide où sont insérées les étoiles et au-dessus duquel se trouve une sorte d’océan. Ainsi Dieu se serait accommodé d’un véhicule imparfait, une vision du monde « marquée », pour transmettre un message de vie aux hommes. Notons au passage que c’est aussi le cas de la vision scientifique actuelle du monde. La nature du texte biblique n’est pas scientifique, ni dans sa fonction première puisqu’elle est théologique, ni dans son contexte car c’est celui d’une vision du monde partagée par les civilisations anciennes. Vouloir le faire concorder avec les connaissances scientifiques actuelles est une entreprise qui me semble vouée à l’échec. Il est possible de croire que le monde a été créé, voulu par un Créateur personnel, qui s’est révélé au travers de la Bible, et de reconnaître que vraisemblablement le processus que Dieu a utilisé est l’évolution.
Peut-on alors essayer de trouver une certaine cohérence entre ce que la Bible indique sur la nature de Dieu et son action dans le monde, et ce que la science discerne comme produit de son action ? C’est ce que je me propose de faire dans la dernière étape de notre voyage.