Le sociologue et philosophe Jean-Pierre Le Goff évoque sa stupéfaction face à l’étonnement de tous ceux qui ont été surpris par Vladimir Poutine. Il écrit : « Ancrée dans des schémas préconçus et cherchant à se rassurer à tout prix, une partie des élites et de l’opinion a refusé de croire jusqu’au dernier moment à une invasion de l’Ukraine. Ce n’est pas une simple affaire de méconnaissance. Il y a eu un refus d’affronter le réel, mécanisme semblable à celui que l’on a connu avec la montée de l’islamisme avant que les premiers attentats produisent leurs effets de sidération. »
Des yeux pour ne pas voir ?
Ce qu’il déclare n’est-il pas valable pour un grand nombre de situations (géopolitiques, sociologiques, éthiques, sociétales…) ? N’est-il pas souvent bien tard quand nous prenons conscience des conséquences de tel changement discret, de telle déclaration trop vite oubliée, de telle décision ou loi adoptée lorsque notre attention était fixée ailleurs ?
Des oreilles pour ne pas entendre ?
Alors que les agents malfaisants sont actifs, nous sommes des enfants de chœur, incapables d’affronter lucidement la réalité, trop timides pour dénoncer les manigances, trop naïfs pour croire que les orgueils peuvent faire taire les consciences. L’enfer, déjà pavé de bonnes intentions, est aussi envahi de mauvaises ; notre surdité est affligeante.
Dormez, bonnes gens
L’affliction est de constater que la fiction est plus acceptée que la réalité. Netflix a plus d’audience que le 20 h et les influenceurs plus de crédit que les analystes. Combien de temps a-t-il fallu au monde entier pour découvrircomment l’administration américaine de 2002 a menti et inventé des preuves pour justifier une guerre en Irak ? Hélas, suspecter et oser dénoncer se heurte au désir de noyer le réel dans un virtuel omniprésent et anesthésiant.
Le façonnage par le discours fallacieux et hypocrite, mais aussi le formatage par l’image truquée et instrumentalisée, entraînent un endormissement complice qui transforme les populations en masse inerte et docile. Bien des événements récents, et leur gestion, ont été des tests de soumission à l’autorité. Ceux qui le discernent sont raillés.
Pour Jean-Pierre Le Goff, on ne peut pas dire qu’il était impossible de prévoir l’impensable.
Il y a pire
Dans ses premières pages, la Bible évoque un être maléfique sous la forme d’un serpent séducteur qui a réussi à semer le doute chez nos premiers parents. Jésus le nomme le « diable » (le diviseur) en disant : « C'est un assassin depuis le début… Il est le père du mensonge*. » Du coup, il est aussi celui qui, encore aujourd’hui, utilise tous les subterfuges possibles pour fermer les yeux et les oreilles des hommes et ainsi les empêcher d’accueillir la vérité incarnée par Jésus-Christ.
Ici comme ailleurs, il y aura toujours des gens pour refuser l’évidence au profit de leurs préférences.