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Un évangélique avec une foi anhistorique est un chrétien superficiel.
— Bernard Ramm
En me préparant pour les discussions que nous avons ensemble ces jours-ci, j’ai réfléchi au sens de la question : « Y a-t-il une lecture évangélique (idiomatique) des Pères apostoliques ? » La réponse la plus simple serait de dire un NON haut et fort.
Dans son livre, The Spirit of Early Christian Thought [L’Esprit dans la pensée chrétienne des premiers siècles], Robert Louis Wilken nous rappelle que « le christianisme ne se résume pas à un ensemble de pratiques dévotionnelles ou de prescriptions morales : c’est aussi une manière de penser à propos de Dieu, des êtres humains, du monde et de l’histoire. » (2) Wilken fait remarquer que le christianisme a été de tout temps inéluctablement ritualiste, moralement intransigeant et résolument intellectuelle.
Nous sommes tous parfaitement conscients du fait que les traditions orthodoxe, catholique et protestante boivent toutes à la même source, celle d’une tradition commune ancrée dans l’Eglise primitive. Chaque génération de chrétiens qui a réexaminé la pertinence de sa pratique et de son témoignage et qui a réfléchi sérieusement à ce que les chrétiens confessent et enseignent a reconnu que les Pères de l’Eglise sont un héritage précieux, source d’instruction et d’inspiration. Après le Nouveau Testament, il ne se trouve pas de corpus littéraire dont l’ensemble des chrétiens se soit davantage réclamé.
Dans sa remarquable diversité, la collection d'écrits que nous appelons les Pères apostoliques se réfère aux précurseurs d’une période pendant laquelle croyances et pratiques représentaient des options qui étaient soit acceptées soit rejetées. Même avec les Pères apostoliques, nous voyons comment enseignants et penseurs chrétiens ont rencontré des difficultés pour élaborer le langage qui devait permettre d’exprimer de façon claire et précise la foi chrétienne. De surcroit, alors que la séparation d’avec le judaïsme et l’hellénisme a conduit à un mode de vie chrétienne idiosyncratique, on précisera les structures cultuelles et la structure collective qui vont définir les normes morales de la communauté de foi.
Il n'y a pas si longtemps que dans mon contexte nord-américain les seules personnes à étudier les Pères de l’Eglise étaient catholiques romains et orthodoxes, occasionnellement épiscopaliens ou luthériens.
Explorer les défis qui se posent aux évangéliques confessionnels en termes d’histoire, de tradition et d’enracinement a été au cœur de mes recherches académiques ces vingt dernières années. Dans mon travail je me suis posé la question : « Pourquoi est-ce que le mouvement évangélique – tout particulièrement dans sa diversité nord-américaine – a-t-il été si souvent décrit comme un particularisme anhistorique, et pourquoi les différentes tentatives de ces quelques trente dernières années cherchant à articuler le caractère essentiellement historique de la foi sont-elles l’objet d’une suspicion récurrente ? » Ma quête académique m’a amené à croire fermement que l’histoire et la tradition de l’Eglise n’appartiennent à aucune communauté chrétienne en particulier, mais qu’elles sont un patrimoine collectif qui a été, qui est et qui doit continuer à faire partie intégrante de toutes les communautés chrétiennes. Que cela soit par affinité ecclésiale ou du fait de ma formation académique, ou encore au travers de mes relations collégiales, c’est exactement cette conception-là du monde évangélique que j’ai pu trouver à Wheaton College : enracinés dans l’histoire et les Ecritures, ni moi, ni mes amis et collègues ne nous percevons comme étant en dehors de la longue histoire des chrétiens – des origines à nos jours – qui ont cherché à être des témoins fidèles de la grâce salvatrice de Dieu en Christ. Que nous soyons protestants, catholiques ou orthodoxes, nous buvons tous à la même source, une tradition chrétienne que nous partageons et qui émane des Pères apostoliques.
C’est pour cette raison que je suis tellement heureux de me joindre à votre discussion durant cette rencontre de l’AFETE. Les réponses examinées, la discussion engagée et les conclusions auxquelles nous allons aboutir ne sont pas simplement le fruit d’une curiosité académique. Au final, c’est un appel ad fontes .
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